Une première historique : Zagreb bascule à gauche !

Une majorité de gauche dans la capitale Croate ? La constitution de la coalition Zagreb je Naš/Možemo (ZjN), produit d’un renouveau des idées de gauche et d’une radicalisation du mouvement social au cours des quinze dernières années, permettait d’envisager un tel scénario. Le résultat des élections municipales du 16 mai 2021 l’a confirmé. ZjN a remporté 40,8 % des voix et 23 des 47 sièges de l’assemblée municipale. Avec les cinq sièges remportés par le Parti social-démocrate (SDP), il y aura une majorité stable de centre-gauche à l’assemblée.

Le candidat de la coalition au poste de maire, Tomislav Tomašević, a remporté 45,15 % des voix au premier tour et a dû affronter au second tour son plus proche rival, le chanteur de droite Miroslav Skoro du Domovinski pokret (Mouvement de la Patrie), qui a obtenu 12,16 % des voix, juste devant les trois autres candidats. Au second tour qui s’est tenu le 30 mai 2021, Tomašević a remporté une victoire éclatante avec 65,25 % des voix et, de fait, le plus grand nombre de voix (près de 200 000) jamais obtenu par un candidat au poste de maire dans la ville. La coalition contrôle également la plupart des échelons inférieurs du gouvernement de la ville, ce qui lui permet de rester proche des préoccupations locales.

Lors de ce qui sera la première alternance politique depuis vingt ans, Tomašević, militant pour l’environnement et le droit à la ville, et ses deux adjoints, Danijela Dolenec, professeure à la faculté des sciences politiques, et Luka Korlaet, professeur à la faculté d’architecture, tous deux de l’université de Zagreb, ont officiellement pris leurs fonctions le vendredi 4 juin 2021, pour un mandat de quatre ans. L’un des premiers défis de la nouvelle équipe sera d’évaluer les compétences et les engagements des quelques 27 chefs de département, tous titulaires d’un contrat de travail qui ne les oblige pas à se retirer en cas de changement de gouvernement, et dont beaucoup ont été nommés en fonction de leur appartenance à un parti. À plus long terme, une restructuration de l’administration de la ville est censée aboutir à un maximum de 16 départements de ce type ou, en fait, comme Tomašević les appelle, des ministères de la ville.

Bien que les attaques hostiles et les tactiques d’intimidation à l’encontre de la coalition aient commencé bien avant le premier tour, elles se sont considérablement intensifiées au second tour. Skoro en a profité pour renforcer sa position à droite, suggérant que la gauche devait être stoppée à tout prix. Les membres de son équipe ont quotidiennement diffusé de prétendues « preuves » selon lesquelles les principaux membres de la plateforme étaient liés à des organisations de la société civile qui auraient utilisé de l’argent public pour financer leurs activités militantes et qui seraient acquises a des influences étrangères, dont celle de Soros, bien sûr. Le plus absurde : l’ancien ministre de la Culture de droite Zlatko Hasanbegović a suggéré que la plateforme était composée de théoriciens (il a utilisé la forme masculine du substantif) du lesbianisme-syndicalisme.

La réponse de Tomašević, de la coalition et de ses partisans peut être considérée comme un manuel classique de victoire électorale pour la gauche écologique. Quand Skoro a loué des panneaux d’affichage pour « révéler » que la plateforme était comme une pastèque, verte à l’extérieur mais rouge à l’intérieur, de nombreuses pages Facebook d’adhérents affichaient fièrement des pastèques. Tomašević a continué à mener une campagne sans démagogie, insistant sur le fait que l’accent devait être mis sur les problèmes de la ville et démontrant souvent le manque de connaissance de son adversaire à ce sujet.

Bien sûr, la déconnexion potentielle entre la victoire électorale et la prise du pouvoir, notée dans mon texte précédent, demeure. Les attentes vis-à-vis de la nouvelle administration de la part d’un public avide de changement sont fortes et Tomašević l’a reconnu : il a également appelé à une certaine patience, notamment parce qu’il est nécessaire de procéder à une révision approfondie des finances de la ville. Néanmoins, l’ampleur de la victoire et le refus de se laisser détourner d’une vision radicale du changement sont de bon augure pour d’autres parties du pays, où Možemo ! a fait bonne figure, avec notamment l’élection d’une autre militante, Suzana Jasić, à la mairie de la ville de Pazin en Istrie, et pour la région au sens large. Ce qui illustre un rejet par les électeurs de décennies de politique clientéliste et la possibilité d’un changement radical mené par la base.

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Traduction de Céline Cantat.