Etats-Unis : « Mieux que Trump » ne suffit pas, il faut en finir avec les expulsions de migrant·es

Pendant la campagne électorale, Joe Biden s’est donné beaucoup de mal pour établir les différences spectaculaires entre lui et Donald Trump en matière d’immigration. Joe Biden était alors très clair : il réunirait les familles séparées, réinstallerait 125 000 réfugié·e·s et reléguerait aux oubliettes les centres de détention privés pour immigré·e·s.

Six mois après le début de son administration, les activistes de l’immigration ressentent comme un coup derrière la tête. En effet, la Maison-Blanche a tenu sa promesse d’un moratoire de 100 jours sur les expulsions, mais elle a rapidement abandonné les objectifs de son propre décret lorsqu’il a été bloqué par un juge fédéral nommé par Trump, au lieu de rechercher des solutions légales tel que l’octroi d’une protection temporaire contre l’expulsion.

L’administration Biden a cessé d’ajouter des migrant·es aux Migrant Protection Protocols (Protocoles de protection des migrants) qui obligeaient les personnes demandant l’asile aux Etats-Unis à attendre au Mexique pendant que leur cas était traité par les tribunaux américains. Elle a accepté de permettre aux enfants de traverser la frontière sans être refoulés, mais la vice-présidente Kamala Harris a communiqué un message très différent en disant explicitement [lors de sa visite au Guatemala] aux migrant·e·s et aux demandeurs d’asile: «Ne venez pas [aux Etats-Unis]».

Le président Joe Biden n’a pas tenu sa promesse de relever le plafond des réfugié·e·s, bien qu’il ait fait marche arrière après une pression écrasante des défenseurs des droits des migrant·e·s.

Joe Biden a fermé deux des pires centres de détention du pays – notamment le centre de détention du comté d’Irwin, en Géorgie, où de nombreuses femmes ont déclaré avoir été victimes d’abus médicaux et d’hystérectomies forcées – mais ce n’est qu’un début lorsqu’il s’agit de mettre un terme aux horribles violations des droits de l’homme endémiques à la détention des migrant·e·s.

Depuis l’entrée en fonction de Joe Biden, il y a eu plus de 450 000 expulsions. Le nombre de détentions par l’Immigration and Customs Enforcement (ICE) a augmenté de plus de 60%, passant de 14 715 personnes le 15 janvier à 26 197 le 18 juin 2021. Mais surtout, le budget du président met en lumière l’hypocrisie de la position de son administration sur l’immigration: Biden a demandé une augmentation de 18 millions de dollars pour le financement de l’agence chargée de faire respecter la loi.

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Nous sommes arrivés à un point d’inflexion. Le président Biden va-t-il enterrer la tradition qui consiste à criminaliser les demandeurs d’asile, à déchirer les familles et à étendre le rôle des Etats-Unis dans la déstabilisation des gouvernements en Amérique centrale et du sud? Ou va-t-il continuer à faire «comme d’habitude»?

S’il y a des raisons de s’alarmer, il y a aussi des raisons d’espérer de réels changements au cours de cette administration, sous l’impulsion des activistes de base. En effet, l’administration Biden a fait preuve d’une certaine réactivité face aux organisations militantes – et cette volonté de changer de cap face à l’indignation générale du public nous donne une occasion unique d’influencer la politique.

La Maison-Blanche est en train de réécrire un ensemble de directives qui dictent la manière dont l’Immigration and Customs Enforcement (ICE) procédera aux arrestations, aux détentions et aux expulsions – appelées «priorités d’application» ou «pouvoir discrétionnaire» («PD» – c’est-à-dire le pouvoir de l’administration d’agir). Actuellement, les agents de l’ICE ont le pouvoir de décider qui arrêter et qui détenir des migrant·e·s sur la base de la «conviction de bonne foi» d’un agent individuel pour ce qui est de savoir si un·e migrant·e présente ou non une menace pour la «sécurité publique». Cette typologie détermine ensuite l’ordre de priorité des personnes à expulser. En réalité, il s’agit des personnes que les agents de l’immigration s’engagent à poursuivre et détenir.

Les règles existantes dans le mémo de la «DP» identifient toute personne entrée aux Etats-Unis après le 20 novembre 2020 – y compris les demandeurs d’asile – comme prioritaire pour l’expulsion, ce qui expose un nombre incalculable de personnes vulnérables à des situations politiques et sociales dangereuses. Ils accordent également la possibilité de qualifier des individus âgés de 16 ans ou plus comme ayant une «participation active» avec un gang, ce qui implique dès lors une priorité pour l’expulsion. L’ICE peut attribuer à sa discrétion cette qualification de participation intentionnelle, ce qui renforce le cadre arbitraire et discriminatoire utilisé par les forces de l’ordre.

Les règles régissant les agents de l’ICE présument également que tout migrant ayant été condamné pour un «crime aggravé» constitue un risque pour la sécurité publique et devient ainsi prioritaire pour l’expulsion. En fait, le terme «crimes aggravés» est conçu pour s’assurer que les gens ont le moins de droits possible afin de lutter contre la détention et l’expulsion.

Prenez les paroles de Paul Pierrilus, un consultant financier new-yorkais, qui a été expulsé vers Haïti sous l’administration Biden, le 2 février, alors qu’il n’avait jamais mis les pieds auparavant dans ce pays: «Vous avez fait la promesse d’arrêter les expulsions et de fermer les centres de détention. Ces centres de détention mettent en cage des personnes innocentes. Vous pouvez utiliser votre pouvoir exécutif pour tenir votre promesse.»

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En 2020, si nous avons appris quelque chose, c’est que les systèmes de maintien de l’ordre et d’incarcération de masse dans ce pays sont fondamentalement biaisés contre les Noirs et les Latinos – et notre système d’application des lois sur l’immigration en est une extension. S’appuyer sur les infractions au code de la route, les appels faits à la hotline de l’ICE, les antécédents d’expulsion et autres preuves objectivement peu fiables, tout cela ne fait que légitimer le profilage racial pratiqué par les forces de police.

L’effet d’entraînement provoqué par chaque expulsion se propage largement. Au cours des 30 forums organisés dans le cadre de la campagne «Eyes on ICE» de Mijente [structure assurant la défense des Latinos et des Chicanos], 150 personnes ont témoigné de leurs expériences avec ce service de police des frontières et des migrations. Le consensus était clair : la détention et l’expulsion ont un impact négatif sur les enfants, les familles et les communautés. L’expulsion d’un parent ou d’un membre de la famille entraîne des effets traumatisants sur la santé mentale et physique des enfants, ainsi qu’une augmentation de la pauvreté infantile, des impacts qui créent une pression importante sur les communautés locales. En fait, les recherches montrent que l’expulsion entraîne la peur et la méfiance des autres membres de la communauté à l’égard des institutions publiques et réduit la participation aux écoles, aux cliniques de santé, aux activités religieuses et culturelles et à d’autres institutions citoyennes essentielles.

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C’est donc le statu quo ante. Mais en ce moment, le président Biden a l’occasion de rompre avec les politiques dangereuses de l’administration Trump, de prendre ses distances avec les «erreurs» du passé et d’exiger que les migrant·e·s soient reconnu·es comme des êtres humains à part entière, avec des familles qui les aiment, des entreprises qui ont besoin d’eux et des communautés qui comptent sur eux.

Nous vivons dans un moment de reconnaissance de la question raciale dans ce pays, avec des communautés à travers le pays qui appellent à la fin de l’incarcération de masse et du maintien de l’ordre raciste. Il est temps de mettre fin à l’approche carcérale de l’immigration, qui repose sur ces mêmes systèmes défectueux. Il est temps de limiter de manière proactive le pouvoir de l’ICE de nuire aux personnes sans-papiers et à nos communautés.

L’administration Biden a un choix à faire: continuer à détruire les familles de migrant·es, ou poursuivre des politiques d’immigration humaines et justes qui visent à mettre fin à l’incarcération massive, à la criminalisation des migrant·es et aux expulsions.

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Article publié sur le site Truthout, le 25 juin 2021 ; traduction par la rédaction de la revue À l’Encontre.

Jacinta González est organisatrice de campagne auprès de Mijente. Elle est une experte reconnue pour l’organisation des mobilisations contre la répression de l’immigration et la criminalisation des communautés latino-américaines et immigrées.