Le militant radical indien qui contribua à fonder le parti communiste mexicain

Exilé d’Inde, le militant anticolonial M.N. Roy (21 mars 1887 – 25 janvier 1954) choisit une voie révolutionnaire qui le mena partout, de New York à Mexico, où il participa à la fondation du Parti Communiste Mexicain. Sa vie est l’exemple même de l’internationalisme socialiste. 

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Lorsque le nationaliste indien M. N. Roy est entré dans un petit restaurant chinois dans la ville de Mexico en 1917, il avait simplement l’intention de se faire un nouvel ami dans l’étrange pays où il était exilé. Au lieu de cela, il quitta son déjeuner avec le socialiste mexicain vieillissant Adolfo Santibáñez avec l’idée de fonder ce qui allait devenir le premier parti communiste en dehors de la Russie, un improbable coup du sort qui allait le propulser vers une renommée mondiale.

Narendra Nath Bhattacharya, connu plus tard sous le nom de M. N. Roy, est né le 21 mars 1897 dans le village d’Arbelia, près de Calcutta. Il rejoint l’organisation révolutionnaire indépendantiste Anushilan Samiti à l’âge de quatorze ans. Créée par l’avocat bengali Pramanath Nath Mitra, la Samiti pensait qu’une lutte armée à l’échelle nationale était la seule méthode efficace pour vaincre l’Empire britannique.

Le début de la Première Guerre mondiale incita la Samiti à considérer l’Allemagne impériale comme un allié potentiel face à leur ennemi commun, les Britanniques. En 1914, le mot est revenu ; l’Allemagne était prête à financer la révolution. Bhattacharya partit donc pour le Japon en 1915 dans ce qu’il pensait être un court voyage pour rencontrer le consul allemand avec un plan rétrospectivement absurde. Comme il l’a écrit des décennies plus tard dans ses Mémoires, la Samiti avait décidé « d’utiliser des navires allemands bloqués dans un port à la pointe nord de Sumatra, pour prendre d’assaut les îles Andaman, libérer et armer les prisonniers qui s’y trouvaient » en se procurant « plusieurs centaines de fusils et autres armes légères » auprès de contrebandiers chinois pour mener à bien ce plan.

Le voyage fut un échec ; les Allemands affirmèrent rapidement qu’ils ne pouvaient aider le nationaliste indien Subhas Bose à moins qu’il ne se rende à Berlin ; Bhattacharya dut fuir la police japonaise qui enquêtait sur ses activités. Il ne reverra pas l’Inde pendant les seize années suivantes.

Le révolutionnaire rebondit du Japon à la Chine, voyageant souvent sous un déguisement pour dépister la police coloniale à sa recherche. Pour se rendre à Berlin via les États-Unis, Roy se déguisa en « Père Martin », un théologien de Pondichéry, sous contrôle français et obtint un faux passeport de ses contacts allemands.

Bhattacharya arriva à San Francisco à l’été 1916. Il se débarrassa peu à peu de ses réticences à l’égard du marxisme en conversant avec des militants radicaux américains, se maria et changea son nom en Manabendra Nath Roy.

Ce séjour presque tranquille fut brusquement interrompu lorsque les États-Unis rejoignirent la Première Guerre mondiale un an plus tard. N’étant plus un révolutionnaire indien excentrique mais un collaborateur allemand, Roy s’échappa au Mexique qui connaissait un moment critique de son histoire.

La constitution venait d’être adoptée par le général Venustiano Carranza, le « vainqueur » de la révolution mexicaine. Ses anciens alliés, Emiliano Zapata et Pancho Villa, continuaient à défier son régime.

Roy commença à écrire pour un journal local, El Pueblo, sur les luttes communes du monde non-occidental qui se battait pour sa liberté. Ses propos touchèrent un large public habitué à l’idée de révolution, des libéraux comme Carranza aux socialistes comme Santibáñez, avec qui Roy fonda le Parti socialiste ouvrier en 1917.

Mais c’est une révolution encore à venir qui va changer le cours de la vie de Roy : celle des bolcheviks. Roy se souvient avoir été « emporté dans cette atmosphère électrisée » alors que ses pairs mexicains célébraient le triomphe de Vladimir Lénine. Cette euphorie, combinée aux nouveaux penchants socialistes de Roy, l’incitèrent à changer officiellement le nom de son parti en 1919 pour devenir le Parti communiste mexicain (PCM).

Bien que le PCM n’ait pas eu d’impact sur le paysage politique mexicain, sa création à l’autre bout du monde attira l’attention des bolcheviks. Mikhail Borodine arriva bientôt pour inviter personnellement Roy au deuxième congrès mondial du Komintern.

Roy parvint à Moscou à l’été 1920, où il fut personnellement reçu par Lénine, « l’optimiste le plus absolu » que Roy ait jamais rencontré. Lénine lui demanda de critiquer son brouillon de thèses sur La question nationale et coloniale et de préparer ses propres arguments pour le congrès à venir.

À ce moment-là, Roy n’avait guère d’importance dans le débat indien sur la manière dont l’indépendance devait être obtenue. Mais maintenant, à l’autre bout du continent, il se retrouvait soudainement en position d’influencer la politique officielle du Komintern sur les mouvements anticolonialistes.

Il le fit. Roy s’opposa fondamentalement à l’affirmation initiale de Lénine selon laquelle les partis communistes devaient s’allier aux mouvements de libération démocratiques bourgeois. Prenant l’exemple du Congrès national indien (CNI), Roy soutint que l’Inde et d’autres colonies étaient dépourvues de mouvements nationalistes « fiables » ; au lieu de cela, des élites socialement conservatrices comme le Mahatma Gandhi menaient la danse, et, selon lui, feraient allégeance aux puissances impérialistes si cela les arrangeait. Le Komintern devrait donc demander aux partis communistes locaux de « se consacrer exclusivement à l’organisation des larges masses populaires dans la lutte pour les intérêts de classe de ces dernières ».

Les éléments les plus radicaux des arguments de Roy, comme le fait de souligner qu’une révolution mondiale n’était possible qu’une fois le colonialisme vaincu, furent discrètement ignorés. Mais en adoptant une version modifiée de ses propositions, Roy a partiellement influencé les bases du Komintern et les politiques futures de l’URSS.

Roy gravit rapidement les échelons du Komintern, devenant membre du Comité exécutif en 1922 et secrétaire de la Commission chinoise quatre ans plus tard. Cette ascension s’arrêta lorsque Joseph Staline prit le pouvoir ; épargné par les purges, Roy fut simplement expulsé en décembre 1929.

Il retourna en Inde pour la première fois en seize ans et fut rapidement arrêté par l’État colonial britannique, privé de procès et condamné à douze ans de travaux forcés, dont il ne purgea que six ans. Il mourut en 1954, mais pas avant de s’être remarié et d’avoir subi un autre changement profond dans sa vision politique et philosophique.

Désillusionné par le communisme après ses expériences au sein du Komintern et méfiant à l’égard du Congrès National Indien dans une Inde nouvellement libre, Roy développa une philosophie alternative qu’il appela « humanisme radical », soutenant que le progrès social doit être mesuré par les libertés individuelles.

Roy n’a finalement pas influencé la lutte pour la liberté en Inde lorsqu’il partit au Japon en 1915. Mais ce qu’il a accompli est tout à fait remarquable. D’un jeune garçon engagé dans la lutte pour la libération à une star du Komintern, d’un nationaliste blasé à un marxiste et philosophe engagé, d’un exilé à un révolutionnaire héroïque de retour au pays, la carrière de M. N. Roy a été étonnante et l’a conduit dans le monde entier.

Comme tant d’autres de ses compatriotes asiatiques, militants anticolonialistes clandestins, tels que Ho Chi Minh ou Tan Malaka, la lutte pour l’indépendance de M. N. Roy a croisé d’autres développements politiques majeurs du vingtième siècle et nous rappelle finalement à quel point la lutte anticoloniale pour la liberté était réellement mondiale.

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Aditya Iyer est un journaliste indépendant dont les articles ont été publiés sur Al Jazeera, Hyperallergic et New Internationalist. Son travail porte sur la culture et l’histoire.

Publié initialement sur Jacobin, traduit par Christian Dubucq pour Contretemps.

Illustration : Jacobinmag.