« A man got to have a code ». Hommage à Michael K. Williams

Michael K. Williams, qui fut notamment l’interprète d’Omar Little, personnage phare de la série « The Wire », n’était pas seulement l’un des acteurs les plus talentueux des États-Unis. Il prenait également des positions politiques de plus en plus affirmées, s’exprimant sur toute une série de sujets, de la réforme de la police à la lutte contre la pauvreté. Nous publions cet hommage de Ryan Zickgraf, initialement paru dans la revue Jacobin, auquel nous nous associons. 

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Lorsqu’on évoque Michael K. Williams, on pense presque immédiatement à Omar Little. C’était un acteur versatile, mais il est certain que le rôle de ce Robin des Bois de l’Ouest de Baltimore ouvertement gay, armé d’un fusil, est l’un des plus emblématiques de l’histoire de la télévision. Même un certain ex-président étatsunien est d’accord pour dire qu’Omar était le meilleur et l’interprétation de Williams magistrale.

Après avoir lu autant d’articles et d’interviews que possible après l’annonce de la mort prématurée de Williams le 6 septembre dernier, je me rends à l’évidence : nous avons également été privé·es d’un homme dont l’engagement politique de gauche, plein de bon sens anti-langue de bois, s’était manifesté récemment.

L’acteur à l’origine d’Omar Little et d’autres personnages mémorables dans les séries de HBO était une personne complexe, en constante évolution, qui parlait souvent ouvertement de ses propres cicatrices, au-delà de celle qui marquait son visage. À ce titre, Williams, âgé de 54 ans, admettait ouvertement que ses idées politiques lui étaient venues sur le tard.

Dans une interview accordée au podcast Useful Idiots de Rolling Stone l’année dernière, l’acteur a noté qu’il regrettait de s’être endormi politiquement pendant les années Barack Obama (il faut reconnaître que cela doit être terriblement difficile de détester son plus grand fan) mais qu’il s’était récemment réveillé. Il n’a cependant pas suivi la voie typique des « libéraux » d’Hollywood, devenu·es soudain « woke » comme pour se refaire une image de marque, pour ensuite apporter leur soutien au Comité National Démocrate (DNC), à de vagues causes progressistes ou à des ONG très rémunératrices.[1] « Je ne suis pas un politicien », a déclaré Williams dans une interview au début de cette année.

« Je suis un New-Yorkais, né et élevé à New York et je suis un homme adulte, merde (excusez-moi) ; il est temps de faire en sorte que ma voix et la tribune qui m’est offerte servent à quelque chose. »

Cette formation politique s’est appuyée sur sa propre expérience en tant que jeune homme ayant grandi au milieu des cités sous forte pression policière à East Flatbush, Brooklyn, et également en tant que fin observateur de la pauvreté (qu’elle touche les personnes de couleur ou non) et des quartiers défavorisés d’autres régions.

« Je voyage beaucoup à travers le pays y compris dans la campagne profonde et j’ai remarqué une chose : il y a un Wire dans chaque ville de chaque État de ce foutu pays ! Tu me parles de Rhode Island ? J’ai vu les quartiers à Rhode Island ; j’ai vu les quartiers à Boston ; j’ai vu les quartiers à Pittsburgh ; j’ai vu les quartiers à Harrisburg ; tu sais, c’est la même merde dans tout ce putain de pays ! » a-t-il dit à une autre occasion.

Ou prenez sa réponse incisive à une question de Time sur son rôle dans The Night Of de HBO et sur l’impact que la série aurait sur « le débat à propos de la race ». Williams a refusé de donner une réponse toute faite.

« De mon point de vue, la série a très peu à voir avec la race et tout à voir avec la classe. J’ai réalisé que la question raciale n’est qu’un écran de fumée. La vraie guerre est une guerre de classe », a-t-il déclaré. « Il s’agit de savoir combien d’argent vous avez dans votre poche. Dans ce pays, malheureusement, vous pouvez littéralement tuer en toute impunité si vous avez suffisamment d’expérience ou d’appui politique derrière vous. Vous êtes présumé innocent jusqu’à être reconnu pauvre. »

Il a également critiqué l’accent mis par les « libéraux » sur des gestes symboliques creux au lieu de changements qui feraient une réelle différence matérielle pour les enfants pauvres et noirs. C’est la leçon d’un discours qu’il a prononcé un jour à Harvard. Dans une interview accordée au Hollywood Reporter en 2011, Michael K.Williams s’est souvenu que toutes les personnes dans la salle avaient levé la main avec enthousiasme pour dire qu’elles avaient vu The Wire, mais qu’elles l’avaient baissée lorsqu’il leur avait demandé si elles faisaient du soutien scolaire avec des enfants des quartiers pauvres de Boston.

« « Vous êtes tous ici, à Harvard, à recevoir la meilleure éducation de ce putain de monde ». Je leur ai dit : « Les rues de Boston sont parmi les pires de ce putain de pays ! J’ai dit : « Prenez un enfant. Peu importe sa couleur. Prends un gamin, mec et enseigne-lui du droit, enseigne-lui de ces trucs que vous apprenez tous ici. Soutenez-les ! » »

Pour lui, il fallait faire moins de bruit sur la représentation médiatique et plus sur la redistribution des ressources. Par exemple, il s’est interrogé sur l’utilité de simplement déclarer que la vie des Noir·es compte (« Black Lives Matter ») sans se battre pour des politiques qui améliorent la vie des Noir·es.

« Si vous dites « Black Lives Matter« , la façon de le montrer est de donner aux Noir·es les ressources nécessaires pour que nous les Noir·es puissions faire les choses par et pour nous-mêmes », a-t-il déclaré.

Quelles ressources, exactement ? Il en a donné quelques exemples dans un tweet adressé au maire de New York, Bill de Blasio, en avril dernier. À une époque où la violence armée était en hausse à New York, Michael Williams a dit à De Blasio que l’incarcération était une mauvaise stratégie de prévention de la violence armée.

« S’attaquer aux préjudices hérités du passé de génération en génération, OUVRIR les écoles, investir dans les programmes artistiques, garantir l’accès à la santé mentale et aux soins de santé de base, mettre fin à l’apartheid alimentaire, offrir des logements abordables et renforcer le système de gestion des crises, voilà ce qui constitue [une stratégie de prévention de la violence] », a-t-il posté.

Le fait qu’il ait adressé son message à De Blasio témoigne de son intérêt aigu pour les problèmes et les hommes politiques locaux de sa ville natale, New York, et plus particulièrement de Brooklyn. Il a assisté, par exemple, à une réunion du conseil municipal de New York, en Juin 2020, déclarant que la police de New York ne devrait pas exactement être supprimée, mais qu’une partie substantielle de ses fonds devrait être réaffectée aux services sociaux.

Puis, en février 2021, il a soutenu un membre peu connu de l’assemblée de l’État de New York, Dan Quart, dans la primaire démocrate qui opposait huit personnes dans la course au poste de procureur du district de Manhattan, parce qu’il avait été séduit par les promesses de réforme de la justice pénale de Quart. Dans une vidéo de promotion de la campagne, il a déclaré :

« Nous méritons un système judiciaire qui voit les gens, pas seulement les criminels. Et nous avons besoin de dirigeant·es qui voient la différence ».

Il a également estimé que ces mêmes dirigeant·es devaient s’adresser directement aux populations les plus affectées par le système de justice pénale de la ville. En juin, Michael Williams a aidé une organisation de quartier appelée Crew Count à organiser un débat entre les candidats à la mairie dans le cadre des primaires.

Sept des candidat·es à la mairie sont venu·es répondre aux questions de Williams et des bénévoles de Crew Count sur le maintien de l’ordre et la violence armée dans les rues de Brownsville, le quartier le plus violent de New York. Dans une vidéo mise en ligne, Michael Williams a polémiqué avec Eric Adams, l’ex-flic maintenant candidat à la mairie, en insistant sur le fait que sa rhétorique sur la justice pénale ressemblait trop à celle des conservateurs du passé, les durs contre le crime (ces fameux tough-on-crime.)

Cette vidéo n’a été vue que 5 200 fois, soit à peine une fraction des millions de personnes qui l’ont regardé jouer le rôle d’Omar Little dans la série télévisée que certains critiques considèrent comme la meilleure de tous les temps. Pourtant, Michael Williams était là, non pas comme une star de la télévision, mais comme un homme ordinaire qui voulait finalement assumer un devoir civique envers sa propre communauté.

« Mec, je veux juste que les gens se souviennent de moi comme d’un mec cool, tu vois ? Quelqu’un qui se souciait des autres. Et je ne voudrais jamais que quelqu’un dise : « Oh, il a oublié d’où il vient ». C’est ce qui me ferait le plus mal. »

Qu’on se le dise, Michael K. Williams est mort en mec cool, ses prises de position politiques ont prouvé que jamais il n’oublia d’où il venait.

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Ryan Zickgraf est un journaliste basé en Alabama. Il est le rédacteur en chef de Third Rail Mag.

Traduction revue par Mathieu Bonzom

Illustration : OCS

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Note 

[1]      La politique dite « libérale » aux États-Unis, depuis les années 1930, est une sorte de social-libéralisme plus ou moins centriste, qui a longtemps tenu lieu (voire tient encore lieu) de gauche à une échelle de masse (et de caution au parti démocrate sur sa gauche). Le nouveau mouvement « socialiste » actuel tente de percer à grande échelle en s’en démarquant. Certaines formes de politisation actuelles, qualifiées de « woke » (porteuses d’une conception libérale de la lutte pour l’environnement ou contre les discriminations par exemple), sont parfois présentées comme de nouveaux avatars de cette sensibilité politique « libérale » (NDLR).