La Palestine et les révolutions au Moyen Orient et en Afrique du Nord

Les récentes attaques d’Israël contre les Palestinien·nes en Israël, en Cisjordanie et à Gaza ont démontré, une fois de plus, la nature coloniale, raciste et d’apartheid brutale de l’État sioniste. Mais le soulèvement palestinien du printemps dernier, inédit par de nombreux aspects, a rappelé une fois de plus l’incapacité d’Israël à écraser le combat du peuple palestinien pour ses droits nationaux. Celui-ci a une double portée internationaliste et démocratique, dans la mesure où il pose la question de la libération des peuples de la région vis-à-vis de l’impérialisme et de régimes oppressifs. 

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Le remplacement du gouvernement du Premier ministre israélien Netanyahu par une coalition dirigée par l’ultranationaliste Naftali Bennett ne changera rien pour les Palestinien·nes. La politique du nouveau gouvernement n’est pas différente de celle de Netanyahou. Preuve en est que Bennett a ordonné de nouvelles frappes aériennes sur Gaza quelques jours seulement après son arrivée au pouvoir. Ces nouveaux actes de violence et de répression démontrent s’il en était besoin pourquoi la gauche internationale doit être solidaire de la résistance palestinienne de manière inconditionnelle.

Mais nous devons également nous engager dans les débats stratégiques sur la manière de gagner la libération et sur notre rôle dans ce processus. Les socialistes doivent considérer que la lutte palestinienne est inextricablement liée aux processus révolutionnaires au Moyen-Orient et en Afrique du Nord (MOAN) contre tous les États de la région, en particulier Israël. Cette combinaison de résistance en Palestine et de révolution régionale est le seul moyen réaliste de libérer la Palestine et tous les peuples de la région.

 

Israël : un État colonial de peuplement

Le mouvement sioniste, depuis ses origines en Europe jusqu’à la fondation d’Israël en 1948 et le déplacement des Palestinien.ne.s aujourd’hui, a été un projet de colonisation. Pour établir, maintenir et étendre son territoire, l’État israélien a dû procéder à un nettoyage ethnique des Palestinien.ne.s de leurs terres, de leurs maisons et de leurs emplois. Tout au long de ce processus, il s’est allié aux puissances impérialistes, et a reçu leur soutien, d’abord l’empire britannique, puis les États-Unis, qui ont utilisé Israël comme leur agent dans la lutte contre les différentes formes de nationalismes arabes et de socialismes dans la région.

Ainsi, le soutien de l’État israélien à l’expropriation par les colons sionistes des maisons des Palestinien.ne.s de Sheikh Jarrah doit être considéré comme une continuation de la Nakba (« catastrophe » en arabe) qui a chassé plus de 700 000 Palestinien.ne.s de leurs maisons en 1948. Ce processus de colonisation continue est la raison pour laquelle plus de 5 millions de réfugié.e.s palestinien.ne.s vivent dans des camps et des villes au MOAN.

Même des organisations plus traditionnelles et « mainstream » reconnaissent désormais la nature réactionnaire de la colonisation israélienne. Par exemple, Human Rights Watch et l’organisation israélienne B’Tselem ont récemment dénoncé la saisie continue de terres palestiniennes par Israël. Ils ont documenté la manière dont Israël a violé les lois internationales pour soutenir 620 000 colons construisant des colonies dans les territoires occupés de Cisjordanie et de Jérusalem-Est. Ils ont également conclu qu’Israël est un État d’apartheid qui accorde des privilèges spéciaux aux Juifs et réduit les Palestinien.ne.s à une citoyenneté de seconde zone.

Étant donné la nature totalement réactionnaire d’Israël, l’hégémonie politique de l’extrême droite au cours de la dernière décennie ne devrait pas surprendre. Il s’agit en quelque sorte du prolongement logique du mouvement sioniste, de son ethnonationalisme, du racisme institutionnel d’Israël et de plus de sept décennies d’oppression et de dépossession des Palestinien.ne.s. Ces éléments créent les conditions propices à l’épanouissement des foules sionistes d’extrême droite qui défilent dans les quartiers palestiniens en scandant « Mort aux Arabes« .

 

Des alliances erronées avec des régimes autoritaires

Comme toute autre population sous occupation coloniale et apartheid, les Palestinien.ne.s ont le droit de résister, y compris par des moyens militaires.[1] Le soutien à ce droit ne doit cependant pas être confondu avec l’appui aux perspectives politiques des différents partis politiques palestiniens. Aucun de ces partis – le Fatah, le Hamas, le Jihad islamique, le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), le Front démocratique de libération de la Palestine (FDLP) et d’autres – ne propose une stratégie politique capable de mener à la libération de la Palestine.

Les partis politiques palestiniens dominants ne considèrent pas les masses palestiniennes, les classes ouvrières régionales et les peuples opprimés comme les forces capables de gagner la libération de la Palestine. Au lieu de cela, ils cherchent des alliances politiques avec les classes dirigeantes de la région et leurs régimes pour soutenir leur lutte politique et militaire contre Israël. Ils collaborent avec ces régimes et plaident pour la non-intervention dans leurs affaires politiques, alors même que ces régimes oppriment leurs propres classes populaires et les Palestinien.ne.s à l’intérieur de leurs frontières.

L’un des exemples clés de l’évolution de cette approche se situe en Jordanie en 1970, et a culminé avec les événements connus sous le nom de Septembre noir. Malgré la force, l’organisation et la popularité de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) en Jordanie – un pays dont la population est composée à 70 % de Palestinien.ne.s – la direction du Fatah de Yasser Arafat a d’abord refusé de soutenir une campagne visant à renverser le dictateur du pays, le roi Hussein. En réponse, et avec le soutien des États-Unis et d’Israël, Hussein a déclaré la loi martiale, et avec les gouvernements arabes régionaux largement passifs, Hussein a attaqué les camps de l’OLP, tué des milliers de combattants et de civils palestinien.ne.s, et finalement chassé l’OLP de Jordanie vers la Syrie et le Liban.

Malgré cette histoire, et ses expériences ultérieures en exil, l’OLP a poursuivi cette stratégie de collaboration et de non-intervention dans les affaires internes pendant des décennies. Aujourd’hui, le président de l’Autorité palestinienne (AP), Mahmoud Abbas, soutient la dictature d’Abdel Fattah al-Sisi en Égypte. Autre exemple choquant, Abbas a récemment envoyé un message de félicitations au despote syrien Bachar al-Assad pour « sa réélection » en mai 2021, malgré la répression brutale exercée par Assad contre les Palestinien.ne.s participant au soulèvement syrien et la destruction du camp de réfugiés de Yarmouk.Le Hamas poursuit une stratégie similaire ; ses dirigeants ont cultivé des alliances avec les monarchies du Golfe, en particulier le Qatar plus récemment, ainsi qu’avec le régime fondamentaliste d’Iran. En 2012, Ismail Haniyeh, premier ministre du gouvernement du Hamas à Gaza à l’époque, a fait l’éloge des « réformes » de Bahreïn alors que le régime, avec le soutien de ses alliés du Golfe, a écrasé le soulèvement démocratique du pays. De nombreux dirigeants du Hamas y voyaient un coup d’État « confessionnel » des chiites de Bahreïn soutenus par l’Iran.

En avril 2018, l’ancien dirigeant du Hamas Khaled Mashal a fait l’éloge de l’invasion et de l’occupation d’Afrin en Syrie par la Turquie lors d’une visite à Ankara. Il a déclaré que « le succès de la Turquie à Afrin sert d’exemple solide », en espérant qu’il sera suivi par des « victoires similaires de l’oumma islamique dans de nombreux endroits du monde. » L’occupation d’Afrin par les forces armées turques et ses mandataires syriens réactionnaires a chassé 200 000 personnes, principalement kurdes, et réprimé celles qui sont restées.

Malheureusement, la gauche palestinienne a, pour l’essentiel, mis en œuvre sa propre version de la même stratégie. Elle aussi s’est abstenue de critiquer la répression de son peuple par ses alliés. Le FPLP, par exemple, n’a émis aucune objection aux crimes du régime syrien et a même soutenu son armée contre les « conspirations étrangères », déclarant que Damas « restera une épine dans le pied de l’ennemi sioniste et de ses alliés ». Les relations du FPLP avec la théocratie iranienne et la dictature militaire égyptienne suivent un schéma similaire.

 

Les régimes trahissent la lutte de libération

Plutôt que de faire avancer la lutte, les États autoritaires et despotiques de la région l’ont trahie à plusieurs reprises et ont même réprimé les Palestinien.ne.s. Comme indiqué précédemment, la monarchie jordanienne a écrasé le mouvement palestinien en 1970, tuant des milliers de personnes et expulsant l’OLP pendant le Septembre noir.

En 1976, le régime syrien d’Hafez al-Assad est intervenu au Liban contre les organisations palestiniennes et libanaises de gauche pour soutenir les partis libanais d’extrême droite. Il a également mené des opérations militaires contre des camps palestiniens à Beyrouth en 1985 et 1986. En 1990, environ 2 500 prisonniers politiques palestinien.ne.s étaient détenus dans les prisons syriennes.[2]

L’Égypte collabore au blocus de Gaza par Israël depuis 2007. L’Iran cherche de manière opportuniste à utiliser la cause palestinienne comme outil de politique étrangère pour atteindre ses objectifs plus larges dans la région.

Si le régime syrien a accueilli et soutenu le Hamas, il a radicalement réduit l’aide qu’il lui apportait lorsqu’il a refusé de soutenir la contre-révolution du régime contre le soulèvement démocratique en 2011. L’Iran n’a repris des liens officiels avec le Hamas qu’après l’élection d’Ismail Haniyeh et de Saleh al-Arouri à la tête du mouvement.

Téhéran a collaboré avec l’impérialisme américain en Afghanistan et en Irak. C’est pourquoi, lors du récent soulèvement irakien, les manifestant.e.s ont défilé sous le slogan « Ni les États-Unis, ni l’Iran ». Ces seuls exemples déconstruisent l’idée que l’Iran est un allié fiable de la cause palestinienne ou qu’il est un État anti-impérialiste.

La Turquie, malgré les critiques de Recep Tayyip Erdogan à l’égard d’Israël, entretient des liens économiques étroits avec ce pays. Erdogan a augmenté le volume des échanges avec Tel Aviv, qui est passé de 1,4 milliard de dollars à son arrivée au pouvoir à 6,5 milliards de dollars en 2020. Ainsi, les régimes limitent leur soutien à la cause aux domaines où elle fait avancer leurs intérêts régionaux et la trahissent quand ce n’est pas le cas. Plus récemment, la Turquie et Israël ont également trouvé un terrain d’entente lors de la récente agression militaire de l’Azerbaïdjan contre le Haut-Karabakh contrôlé par les Arménien.ne.s, principalement peuplé d’Arménien.ne.s. Les drones israéliens et turcs, ainsi que le soutien des services de renseignement des deux pays, se sont avérés essentiels à la victoire de l’Azerbaïdjan sur les forces armées arménien.ne.s.

 

L’impasse des accords de paix négociés par l’impérialisme américain

Après l’échec de sa stratégie consistant à s’appuyer sur le soutien politique des régimes régionaux et à s’allier avec eux, l’OLP s’est tournée vers une approche encore plus ruineuse consistant à rechercher un accord de paix négocié par les États-Unis et d’autres grandes puissances. L’espoir était d’obtenir un règlement à deux États par le biais des accords d’Oslo conclus en 1993.

Au lieu de mener vers la libération palestinienne, cet accord a abouti à une véritable capitulation, acceptant le colonialisme israélien dans la Palestine historique, tout en gagnant au mieux un État palestinien croupion, et trahissant le droit des réfugié.e.s palestinien.ne.s à retourner sur leurs terres volées en Israël. En dernière analyse, le processus de paix a réduit l’Autorité Palestinienne à régner sur un bantoustan entièrement sous le contrôle d’Israël.

Ce résultat désastreux ne devrait pas être une surprise. Les États-Unis et d’autres puissances impérialistes ont soutenu Israël comme leur force de police locale contre la transformation révolutionnaire de la région, un événement qui remettrait en cause leur contrôle sur ses réserves énergétiques stratégiques.

Israël a servi cet objectif à plusieurs reprises depuis sa fondation. En 1956, il a participé à l’attaque de la France et de la Grande-Bretagne contre l’Égypte de Nasser après la nationalisation du canal de Suez. En 1967, la guerre des Six Jours d’Israël a visé l’Égypte de Nasser ainsi que l’État syrien pendant leur phase nationaliste radicale.

Depuis lors, les États-Unis ont soutenu Israël. Washington a versé en moyenne 4 milliards de dollars par an à Tel Aviv, soutenant sa colonisation de la Palestine et ses guerres d’agression contre les gouvernements et mouvements progressistes de la région. Washington a soutenu l’intervention militaire d’Israël au Liban en 1978 et 1982 qui a supervisé le terrible massacre de Sabra et Chatila, détruit les forces progressistes palestiniennes et libanaises, et installé un régime ami à Beyrouth.

Les victoires d’Israël contre les États nationalistes arabes et son intervention au Liban ont entraîné le recul du radicalisme dans la région, isolant l’OLP. Cette situation difficile a conduit, en 1978, la faction du Fatah de Yasser Arafat à adopter la solution des deux États, une étape nécessaire sur la voie de la signature des accords d’Oslo de 1993.

Pour beaucoup de militant.es palestiniens et en soutien à la cause palestinienne, les accords d’Oslo étaient la mise en œuvre du plan Allon de 1967, mais au lieu que ce soit la Jordanie qui gère la Cisjordanie et la bande de Gaza occupées, ce serait l’Autorité palestinienne (AP) dirigée par Arafat. Le plan Allon a été conçu en 1967, à la suite de la guerre des Six Jours. Ce plan prévoyait la construction de colonies et de bases militaires, afin d’assurer un contrôle stratégique des territoires palestiniens occupés, sans annexer les zones où se concentre la population palestinienne (villages, villes, etc.). Le plan consistait toutefois à les placer sous le contrôle d’une autorité arabe collaborationniste. Initialement, il était prévu de rendre ces zones à la monarchie jordanienne.

Dans les faits, cela signifiait l’abandon de la lutte pour la libération de la Palestine historique et la transformation du Fatah en Autorité palestinienne (AP), qui administre les territoires occupés.L’intellectuel palestinien Edward Saïd, qui s’est opposé à l’accord d’Oslo, a déclaré qu’il représentait « un abandon massif des principes, des principaux courants de l’histoire palestinienne et des objectifs nationaux » et « reléguait les Palestinien.ne.s de la diaspora à l’exil permanent ou au statut de réfugié ».

Les États-Unis et Israël ont soutenu l’AP qui contrôle les Palestinien.ne.s en Cisjordanie ainsi qu’à Gaza (avant que cette dernière ne soit prise par le Hamas en 2007). L’AP a été heureuse d’agir comme une forme de police au profit deWashington et Tel Aviv. Par exemple, lors du soulèvement populaire en juin, l’AP a arrêté plus de 20 activistes pour leurs publications sur les médias sociaux et pour avoir organisé des manifestations en Cisjordanie. À la fin juin, Nizar Banat, militant palestinien de premier plan et critique de l’AP, a été tué lors d’un raid des forces de sécurité de l’AP sur sa maison à Dura, à Hébron.

Avec l’AP fonctionnant comme un régime au service de l’occupation, les États-Unis ont encouragé l’intégration politique et économique d’Israël avec les États de la région, plus récemment par le biais des accords d’Abraham de l’administration Trump.[3] Cette normalisation des relations entre Israël et plusieurs États arabes isole davantage la lutte de libération palestinienne.

Le président nouvellement élu Joe Biden a réaffirmé le soutien indéfectible de Washington à Israël, quels que soient ses crimes contre les Palestinien.ne.s. En plein milieu des derniers bombardements sur Gaza, une vente d’armes à guidage de précision d’une valeur de 735 millions de dollars à Israël a été adoptée par le Congrès et les milliards d’aide annuelle continueront d’affluer. La stratégie de l’AP consistant à collaborer avec les États-Unis implique une capitulation devant l’occupant et son sponsor impérial.

 

La faiblesse de la classe ouvrière palestinienne

Si les stratégies basées sur les États de la région et les accords de paix négociés par les États-Unis sont des impasses, qu’en est-il d’une orientation alternative sur la classe ouvrière palestinienne ? Cela aussi est exclu par la nature particulière d’Israël en tant qu’État colonial de peuplement.

Contrairement à l’apartheid d’Afrique du Sud, qui comptait sur la main-d’œuvre noire dans ses usines et ses mines, Israël a écarté les travailleurs.euses palestinien.ne.s de tout rôle central dans son économie et les a remplacés par des travailleurs.euses juifs.ves. En conséquence, les travailleurs.euses palestinien.ne.s n’ont pas les moyens d’arrêter l’économie israélienne par des grèves comme l’ont fait les travailleurs.euses noir.e.s en Afrique du Sud.

Cela ne signifie pas que la résistance palestinienne est impuissante au sein de l’État d’Israël et en Cisjordanie et dans la bande de Gaza occupées. La lutte des travailleurs.euses reste centrale pour le mouvement.

La vague la plus récente de la lutte palestinienne démontre sa puissance ainsi que son potentiel à forger une nouvelle stratégie pour supplanter cellequi a échoué, consistant à compter sur le soutien des régimes de la région. La classe ouvrière ainsi que/au sein de nouveaux groupes de jeunes et de féministes, tels que Tal’at, ont été au cœur de la résistance populaire récente.

La grève générale des travailleurs du 18 mai a été déclenchée et dirigée par en bas à la base. Elle a paralysé des pans entiers de l’économie, d’Israël à la Cisjordanie et à la bande de Gaza. Comme le note le journal israélien Haaretz : « L’Association des constructeurs d’Israël a observé que les travailleurs palestiniens ont suivi la grève, et que seuls 150 des 65 000 travailleurs palestiniens de la construction étaient venus travailler en Israël. Cela a paralysé les chantiers de construction, causant des pertes estimées à 130 millions de shekels (près de 40 millions de dollars). »

Le caractère de la grève, bien qu’extrêmement important, ne doit cependant pas être exagéré. Comme l’a fait remarquer Assaf Adiv, directeur de l’Association des travailleurs de MAAN – le seul syndicat israélien qui organise les Palestinien.ne.s dans les zones industrielles des colonies de Cisjordanie (dont les syndicats palestiniens sont interdits) – le suivi de la grève par les Palestinien.ne.s qui travaillent en Israël était en partie « due à la fermeture des points de contrôle et à l’incertitude sur les routes de Cisjordanie« .

En outre, environ 90 000 Palestiniens de 48 (à l’intérieur d’Israël) travaillent également dans le secteur de la construction, mais aucune information n’a été publiée pour savoir s’ils ont suivi la grève ou non. La grève a néanmoins été largement appuyée par les Palestinien.ne.s de 48 et les habitant.e.s de Jérusalem-Est, qui sont représentés de manière disproportionnée dans les secteurs de l’assainissement, de l’hôtellerie, de la construction et de la restauration, ainsi que parmi les chauffeurs de taxi et de bus. Environ 90 % de tous les chauffeurs de bus étaient par exemple en grève. En revanche, la plupart des Palestinien.e.s de 48 dans le secteur de la santé, dans lequel ils-elles représentent 17 % des médecins, 24 % des infirmières et 47 % des pharmaciens, n’ont pas observé la grève. Les hôpitaux, le ministère de la Santé et les organisations de maintien de la santé (HMO) ont déclaré que seuls 1 494 travailleurs.euses médicaux étaient absents en raison de la grève. En outre, de nombreux travailleurs.euses. palestinien.ne.s ont été menacés et attaqués par des groupes israéliens s’ils prévoyaient de faire grève ou cherchaient à le faire.

Quelle que soit l’ampleur de la participation à la grève, l’économie israélienne a été relativement épargnée, ce qui montre que la classe ouvrière palestinienne et les autres mouvements sociaux ont besoin de la solidarité d’autres travailleurs.euses, paysan.ne.s et peuples opprimés. La question est de savoir sur lesquels les Palestinien.ne.s doivent s’orienter pour gagner une démocratie laïque dans la Palestine historique.

 

La classe ouvrière israélienne n’est pas un allié stratégique

La première orientation stratégique, et peut-être la plus évidente, semble être celle de la classe ouvrière israélienne. Mais elle a toujours placé la loyauté envers Israël au-dessus de la solidarité de classe avec les masses palestiniennes.

Ce n’est pas seulement le résultat d’une dévotion idéologique mais aussi d’un intérêt matériel pour l’État israélien, qui fournit aux travailleurs.euses israélien.ne.s des maisons volées aux Palestinien.ne.s ainsi que des niveaux de vie gonflés. La classe dirigeante et l’État israélien intègrent ainsi la classe ouvrière israélienne en tant que collaboratrice dans un projet commun de colonialisme de peuplement.

Les institutions de la classe ouvrière, comme son syndicat, la Histadrut, ont joué un rôle central dans le nettoyage ethnique de la Palestine. Les dirigeant.e.s sionistes ouvriers ont créé la Histadrut en 1920 en tant que syndicat exclusivement juif et l’ont utilisée comme fer de lance du déplacement des travailleurs.euses palestinien.ne.s.

Son slogan « Terre juive, travail juif, produit juif » résume parfaitement son projet ethnonationaliste de collaboration de classe et souligne à quel point il est fondamentalement hostile à la solidarité avec les Palestinien.ne.s. En appliquant ces slogans pendant et après la fondation d’Israël, il a contribué à faire en sorte que les terres ne soient louées qu’à des Juifs, que les fermes et les industries n’engagent que des Juifs et que les fermes et les industries palestiniennes soient boycottées.

En outre, l’État israélien a militarisé l’incorporation des travailleurs.euses israélien.ne.s par le biais de la conscription obligatoire. Cela les oblige à participer à la répression des Palestinien.ne.s, à faire respecter l’occupation et à défendre le vol des maisons et des terres palestiniennes par les colons sionistes.

Compte tenu de cette incorporation dans le projet colonial, il n’est pas surprenant que, à quelques exceptions près, les travailleurs.euses israélien.ne.s aient soutenu l’assaut le plus récent contre Gaza. Pour ne citer qu’un exemple parmi tant d’autres, le syndicat de l’Israeli Electric Corp (IEC) est allé jusqu’à déclarer qu’il ne réparerait pas les lignes électriques de la bande de Gaza tant que deux soldats israéliens et un civil israélien disparu ne seraient pas revenus.

Cela signifie-t-il que les Palestinien.ne.s ne doivent pas chercher à collaborer avec les secteurs progressistes de la classe ouvrière israélienne ? Bien sûr que non. Des exemples de solidarité à petite échelle existent, mais ils sont rares.

Il est difficile d’imaginer qu’ils deviennent un contrepoids au modèle écrasant d’unité ethnonationaliste des travailleurs.euses israélien.ne.s avec l’État sioniste. Une stratégie axée sur la construction d’une unité de la classe ouvrière contre le sionisme entre les travailleurs.euses israélien.ne.s et palestinien.ne.s est donc irréaliste.

La stratégie révolutionnaire régionale

La clé pour développer une meilleure stratégie de libération est de placer la Palestine dans le contexte régional. Parce que les réfugié.e.s palestinien.ne.s par millions sont intégrés au Moyen-Orient et dans une moindre mesure en Afrique du Nord, leur lutte nationale et de classe est nécessairement entrelacée avec celle des masses de la région.

Ces travailleurs.euses et ces paysan.ne.s se souviennent de la lutte des générations précédentes contre le colonialisme, s’opposent aux « puissances impérialistes » qui soutiennent les régimes qui les oppriment, s’identifient à la lutte des Palestinien.ne.s et considèrent donc que leur propre combat pour la démocratie et l’égalité est lié à sa victoire. C’est pourquoi il existe une relation dialectique entre les luttes ; lorsque les Palestinien.ne.s se battent, cela déclenche unmouvement régional de libération, et le mouvement régional alimente en retour celui de la Palestine occupée.

Leur révolte unie a le pouvoir de transformer toute la région, en renversant les régimes, en expulsant les puissances impérialistes, en mettant fin au soutien des deux forces à l’État d’Israël, en l’affaiblissant au passage, et en prouvant aux travailleurs.euses israélien.ne.s que la transformation régionale peut mettre fin à leur exploitation. Le ministre d’extrême droite Avigdor Lieberman a reconnu le danger que représente les soulèvements populaires régionaux pour Israël en 2011 lorsqu’il a déclaré que la révolution égyptienne qui a renversé Hosni Moubarak et ouvert la porte à une période d’ouverture démocratique dans le pays était une plus grande menace pour Israël que l’Iran.

La puissance et le potentiel de cette stratégie régionale ont été démontrés à plusieurs reprises. Dans les années 1960 et 1970, le mouvement palestinien a suscité une montée de la lutte des classes dans toute la région.[4] En 2000, la deuxième Intifada a ouvert une nouvelle ère de résistance, inspirant une vague d’organisation qui a finalement explosé en 2011 avec des révolutions de la Tunisie à l’Égypte en passant par la Syrie.

À l’été 2019, les Palestinien.ne.s du Liban ont organisé des manifestations massives pendant des semaines dans les camps de réfugiés contre la décision du ministère du Travail de les traiter comme des étrangers, un acte qu’ils considéraient comme une forme de discrimination et de racisme à leur égard. Leur résistance a contribué à inspirer le soulèvement libanais plus large d’octobre 2019.

Pour mettre en œuvre une stratégie fondée sur cette solidarité régionale, les groupes et mouvements palestiniens doivent abandonner la politique de non-intervention dans les affaires des pays de la région adoptée par l’AP, le Hamas et la majeure partie de la gauche. Cette non-intervention était la condition préalable à l’obtention de l’aide de divers régimes. Accepter cette politique signifie couper les Palestinien.ne.s des forces sociales qui peuvent les aider à gagner leur libération.

Au lieu de cela, la lutte palestinienne doit retrouver la stratégie révolutionnaire régionale qui était poursuivie par les mouvements de gauche dans les années 1960. Malheureusement, la plupart ont abandonné cette stratégie pour suivre l’OLP en s’alliant avec les États réactionnaires de la région.

La stratégie de la révolution régionale basée sur la lutte des classes par en bas à la base est le seul moyen de gagner la libération contre Israël, l’Arabie Saoudite et la Syrie, ainsi que de leurs soutiens impérialistes, des États-Unis à la Chine et à la Russie. Dans ce combat, les Palestinien.ne.s et ceux des autres pays doivent embrasser les revendications de tous ceux et celles qui souffrent d’oppression nationale, comme les Kurdes[5] et d’autres qui souffrent d’autres formes d’oppression ethnique, confessionnelles et sociale.

Le moment est venu de ressusciter la stratégie régionale. L’ensemble du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord est engagé dans un processus révolutionnaire à long terme, enraciné dans les aspirations politiques et économiques bloquées des masses.[6] Il y a déjà eu deux vagues de soulèvements populaires, la première en 2011 qui a secoué toute la région et une seconde en 2018 et 2019 qui a balayé le Soudan, le Liban, l’Algérie et l’Irak.

Aucune des doléances populaires n’ayant été gagnée, nul doute qu’une troisième vague est en route. Et la Palestine peut et doit être au centre de cette prochaine vague dans un combat pour sa libération et celle de toute la région.

 

La Palestine dans le processus révolutionnaire

Ce n’est qu’à travers cette stratégie révolutionnaire régionale que nous pouvons envisager l’établissement d’un Etat démocratique, socialiste et laïc dans la Palestine historique, avec des droits égaux pour les peuples palestinien et juif, au sein d’une fédération socialiste à travers le MOAN. Dans le nouvel État palestinien, tous les Palestinien.ne.s auraient le droit de retourner sur leurs terres et dans leurs maisons d’où ils ont été chassés de force en 1948, 1967 et après. En outre, la libération de la Palestine doit également inclure un projet global de développement économique et de reconstruction pour garantir aux Palestinien.ne.s leurs droits sociaux et économiques.

Pour mettre en œuvre cette stratégie, les Palestinien.ne.s doivent forger une nouvelle direction politique engagée dans l’auto-organisation par le bas au sein de la Palestine historique et de la région. Ils ne peuvent pas le faire seuls, mais doivent le faire en collaborant avec les socialistes en Égypte au Liban, en Syrie, en Iran, en Turquie, en Algérie et dans tous les autres pays.

La tâche la plus importante pour ceux et celles qui sont en dehors de la région est de gagner la gauche, les syndicats, les groupes et mouvements progressistes à la bataille pour soutenir la campagne de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) contre Israël. En imposant cela aux institutions et aux entreprises des puissances impérialistes, en particulier les États-Unis, nous contribuerons à bloquer leur soutien à Israël et à d’autres régimes despotiques et à affaiblir leur emprise dans la région.

La libération de la Palestine passe donc par la libération de tous les peuples vivant sous les tyrans de Damas, Riyad, Doha, Téhéran, Ankara, Abu Dhabi, Le Caire, Amman, et tous les autres. Comme l’écrivait un révolutionnaire syrien depuis le plateau du Golan syrien occupé par Israël à l’été 2014, « la liberté, un destin commun pour Gaza, Yarmouk et le Golan. » Ce slogan porte l’espoir d’une transformation révolutionnaire régionale, seule stratégie réaliste de libération.

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Article publié initialement le 5 juillet 2021 en anglais – Tempest Mag

Illustration : https://unsplash.com/photos/D9lCSvUcErk Image / via Wikimedia Commons. 

* Je tiens à remercier Ashley Smith et Sai Englert pour leur aide dans la rédaction de cet article.

 

Notes

[1] De même, il ne faut pas condamner les armes envoyées à la résistance palestinienne provenant d’Etats autoritaires; sur un plan tactique, cet apport à la résistance est utile et incontestable. La discussion est ici sur les choix stratégiques des organisations palestiniennes. Tu ne veux pas le mettre dans le texte ?

[2] Pour plus d’informations sur les collaborations entre des mouvements de gauche syriens et palestiniens en Syrie à cette période voir https://www.contretemps.eu/parti-laction-communiste-syrien/

[3] Il s’agit également de la poursuite de la volonté des États-Unis de promouvoir l’intégration politique et économique d’Israël dans la région, par l’intermédiaire de ses alliés, qui a débuté à la suite de l’accord de paix égyptien de 1981 et s’est particulièrement accélérée avec l’accord d’Oslo en 1993, avec la création de zones industrielles qualifiées en Jordanie et en Égypte en 1996. En 1996, le Congrès américain a créé la zone industrielle qualifiée, qui permet à l’Égypte et à la Jordanie d’exporter des produits vers les États-Unis en franchise de droits, à condition que ces produits contiennent des intrants d’Israël.

[4] Voir quelques exemples dans cet article: https://www.contretemps.eu/parti-laction-communiste-syrien/

[5] Davantage de collaborations devraient notamment avoir lieu entre les mouvements de libération palestiniens et kurdes. Tout en reconnaissant qu’il existe des différences entre les deux causes, elles sont liées notamment par leur nature émancipatrice et national et leur défi au système régional et impérialiste. Les classes dirigeantes régionales et internationales se sont en effet opposées à toute libération des populations kurdes et palestiniennes.

[6] Pour plus d’informations voir : https://www.contretemps.eu/revolutions-arabes-soulevements-imperialisme-autoritarisme/