L’antifascisme noir et la lutte contre l’extrême droite d’aujourd’hui

Aux États-Unis, les militant·es afro-américain·es ont analysé et combattu la menace d’un fascisme singulier, enraciné dans l’histoire et les structures socio-raciales du pays. La mobilisation de cette tradition de l’antifascisme noir est essentielle à la confrontation stratégique avec l’extrême droite aujourd’hui, aux États-Unis et au-delà. 

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« Vos pétitionnaires prouveront que le crime dont nous nous plaignons est en fait un génocide au sens de la Convention des Nations Unies pour la prévention et la répression de ce crime.  Nous présenterons des preuves, tragiquement volumineuses, « d’actes commis dans l’intention de détruire, en totalité ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux », en l’occurrence les 15 millions de Noir·es des États-Unis » (We Charge Genocide)

La défaite de Donald Trump a peut-être calmé temporairement les discussions sur la progression d’une droite autoritaire aux États-Unis. L’élection de Trump en 2016 a bénéficié du soutien des nationalistes blancs, des suprémacistes blancs et d’un éventail hétéroclite d’associations d’extrême droite qui comprenaient des milices armées et des groupes d’autodéfense. Trump a suffisamment attisé leurs aspirations pour qu’à la fin de son mandat le groupe antigouvernemental d’extrême droite Wolverine Watchmen planifie l‘enlèvement de la gouverneure du Michigan, Gretchen Whitmer, afin de déclencher une guerre civile, un fantasme entretenu par les suprémacistes blanc.he.s étatsunien.e.s.

Le projet d’annihilation raciale affiché par l’extrême droite d’aujourd’hui devrait cependant attirer notre attention dans une autre direction, à savoir sur la tradition de l’antifascisme noir. Par antifascisme noir, nous entendons les mouvements contre l’autoritarisme, la suprématie blanche, le nationalisme blanc et le fascisme, organisés, théorisés et dirigés par des personnes d’origine africaine aux États-Unis. Dans la discussion ci-dessous, nous évoquerons cette tradition, en accordant une attention explicite à la manière et aux raisons pour lesquelles sa récupération et sa mobilisation sont essentielles à la confrontation stratégique avec l’extrême droite d’aujourd’hui. En résumé, notre argument est que l’extrême-droite contemporaine reste principalement, sinon totalement, obsédée par le contrôle, la répression, la suppression ou l’élimination de la vie des Noir.e.s et des protestations des Noir.e.s dans la société civile étatsunienne. Nommer et comprendre cela nous aide à comprendre les antécédents et les motifs de la montée historique du mouvement Black Lives Matter aux États-Unis, ainsi que la raison pour laquelle ce mouvement doit être au centre de toute conception de ce à quoi pourrait ressembler un mouvement antifasciste renaissant aux États-Unis.

Aux sources de l’antifascisme noir

En 1951, le Civil Rights Congress, une coalition de militant.e.s radicaux.les noir.e.s et blanc.he.s dirigée par William Patterson, un avocat, membre du Parti Communiste, a soumis aux Nations Unies une pétition publique intitulée « We Charge Genocide« . Sous-titrée « Le crime du gouvernement contre le peuple noir« , la pétition se fondait sur l’article II de la Convention des Nations Unies pour la Prévention et la Répression du Crime de Génocide, adoptée seulement trois ans auparavant. La Convention de l’ONU définit le génocide de manière générale comme « l’intention de détruire, intégralement ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ».

Le Civil Right Congress (Congrès des Droits Civiques) utilisa cette définition pour affirmer qu’une histoire continue de lynchages et de violences extralégales, de meurtres commis par la police et de diminution de l’espérance de vie des Noir.e.s aux États-Unis constituait une tentative d’extermination raciale des Afro-Américain.ne.s, « intégralement ou en partie ». Ils firent également valoir un point qui n’a été que récemment développé par les historien.nes : les nazis ont ouvertement attribué au système juridique américain le mérite d’avoir fourni des modèles pour leur propre législation raciste en Allemagne, y compris les sanctions contre le métissage dans les États du Sud et la ségrégation spatiale des « minorités proscrites ». We Charge Genocide se terminait par l’argument selon lequel ce n’est qu’en empêchant le génocide des Noir.e.s que le fascisme aux États-Unis pourrait être évité et la « démocratie populaire » restaurée.

Les États-Unis avaient refusé de signer la Convention en 1948 parce qu’ils craignaient que cela ne permette à l’ONU de poursuivre les lyncheurs du Sud qui avaient été acquittés par les tribunaux américains. C’est précisément ce que le Congrès des Droits Civiques tenta de faire.

We Charge Genocide est le texte de référence de l’antifascisme noir. C’est le document le plus fouillé et le plus complet sur la manière dont les radicaux.les afro-américain.ne.s ont analysé de façon systématique et combattu la menace d’un fascisme autochtone aux États-Unis. Dans U.S. Antifascism Reader, que nous avons récemment publié, nous définissons le fascisme comme

« un mouvement largement issu de la classe moyenne, animé par un élan hautement symbolique, populiste et mythique de renouveau national, fondé sur le militarisme ou la violence masculine, l’anti-marxisme, le racisme et l’autoritarisme. Il mobilise, en outre, activement la population dans une guerre culturelle contre les minorités nationales et/ou la gauche politique. »

C’est surtout la dernière partie de cette définition qui avait motivé les pétitionnaires de We Charge Genocide. Selon eux, les fondements des États-Unis, et en particulier le droit étatsunien, reposaient sur une terreur physique, économique, sociale et idéologique contre la population afro-américaine. L’esclavage, Jim Crow, les lynchages, le KKK, le maintien de l’ordre, la violence des groupes d’autodéfense, les viols, la violence sexiste, les gangs, les milices étaient autant de manifestations par l’État d’une « intention de détruire, intégralement ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux en tant que tel ».

We Charge Genocide était également une interprétation directe non seulement de l’histoire des États-Unis en général, mais aussi des rencontres des Noir.e.s avec l’État pendant la Seconde Guerre mondiale. Les soldats noirs combattirent dans des armées régies par la ségrégation pendant la guerre. Ils furent lynchés dans les États du Sud où ils avaient été envoyés pour effectuer leur formation militaire. Le premier programme de surveillance à grande échelle des Afro-Américains par le FBI, le FBI RACON (Racial Conditions in the United States), débuta pendant la guerre ; des agents furent envoyés dans les églises, les associations politiques et les groupes sociaux noirs pour s’assurer que les Afro-Américain.ne.s ne profitaient pas de la guerre pour fomenter la résistance. La fin de la guerre fut également marquée par une forte augmentation des attaques contre les soldats noirs rentrant chez eux. Pour faire comprendre que le fascisme était un problème intérieur potentiel, les journaux noirs défendirent pendant le conflit la campagne « Double Victoire » : vaincre le fascisme à l’étranger, vaincre le racisme à l’intérieur.

Appropriations et continuités dans le mouvement noir

Avançons maintenant un peu dans les années 1960, à peine dix ans plus tard. Les militant.e.s afro-américain.e.s mettent à jour les arguments de We charge genocide pour les adapter à l’époque, avec l’aide de son architecte, William Patterson, qui exerçait une influence tactique et théorique essentielle ; Patterson dirigeait (avec sa femme Louise Thompson Patterson) le comité Free Angela Davis après la machination qui l’avait visée et son arrestation dans le comté de Marin (Californie) en 1970. Pendant et après son incarcération, Angela Davis commença à reformuler d’un point de vue théorique les conditions raciales aux États-Unis que le marxiste allemand Herbert Marcuse (le mentor d’Angela Davis) décrivait comme un fascisme naissant et préventif. Dans un article récent de Boston Review[1], Alberto Toscano décrit ce moment comme suit :

 « Angela Davis fut séduite par l’affirmation de Marcuse selon laquelle « le fascisme est la contre-révolution préventive à la transformation socialiste de la société » en raison de sa résonance avec les communautés et les militant.e.s racisé.e.s. Dans l’expérience de nombreux radicaux noirs, l’aspect de leur politique révolutionnaire qui menaçait le plus l’État n’était pas l’approbation de la lutte armée, mais plutôt les « programmes de survie », ces enclaves de reproduction sociale autonome facilitées par les Black Panthers et plus largement mises en place par les mouvements noirs. Bien que nominalement mobilisés contre la menace de l’insurrection armée, la cible ultime de la contre-insurrection était ces expériences de vie sociale en dehors et contre l’État racial, surtout lorsqu’elles tendaient vers ce que Huey P. Newton appelait « l’intercommunalisme révolutionnaire« . »

De 1968 à 1972, cette notion de « fascisme imminent et préventif » est devenue le point central d’une grande partie du travail politique des radicaux.les noir.e.s. En 1968, Kathleen Cleaver, dirigeante du Black Panther Party, publie l’article Fascisme, racisme et meurtre politique dans The Black Panther, le journal du parti. Dans le sillage de l’arrestation de nombreux.ses camarades du BPP, de l’assassinat de Megdar Evers, de Malcolm X et de Martin Luther King Jr, de la répression et de la violence policières contre les manifestations noires à Los Angeles, Watts, Detroit et Newark et de l’infiltration du Black Power Movement par le FBI, Fascism, Racism and Political Murder qualifiait le fascisme de contre-révolution :

« L’avènement du fascisme aux États-Unis est le plus clairement visible dans la suppression de la lutte de libération des Noir.e.s par l’emprisonnement politique et l’assassinat de dirigeant.e.s noir.e.s dans tout le pays, qui vont de pair avec la concentration d’un pouvoir policier massif dans les ghettos de la communauté noire à travers le pays. Les services de police de tout le pays se préparent à une lutte armée contre la communauté noire et sont dirigés et coordonnés au niveau national avec l’armée étatsunienne et les groupes d’autodéfense racistes clandestins en vue d’une attaque massive contre le peuple noir. »

Un an plus tard, le Black Panther Party publiait un « Appel à un front uni contre le fascisme » et organisait une conférence de quatre jours sur ce thème à Oakland. La conférence s’inspirait de la stratégie du « Front Unique » de l’Internationale Communiste contre le fascisme dans les années 1930 qui, pour les auteurs de We Charge Genocide, devait être adaptée aux nouvelles conditions raciales aux États-Unis. Répondant directement à l’appel à la « loi et à l’ordre » lancé par Richard Nixon dans son discours attaquant le mouvement Black Power, le BPP énuméra

« une histoire flagrante de meurtres et de violences qui nous ont été infligés par la classe oppressive de cette société : la brutalité de l’esclavage, le lynchage des années 1920 et 1930 et la brutalité quotidienne constamment infligée à notre peuple par les forces de police racistes. »

Il est fort instructif de penser à We Charge Genocide et aux manifestes des Black Panthers dans les débats actuels de la gauche américaine  sur la montée de l’extrême-droite et du Trumpisme. Les deux montrent clairement que la montée de la nouvelle extrême droite et sa résistance, sont ancrées principalement dans les conditions raciales étatsuniennes et surtout dans la répression d’une nouvelle vague potentielle de lutte de libération noire.

Même si de nombreux facteurs contribuent à la montée de la nouvelle extrême droite, le militarisme étatsunien, le crash financier de 2007-2008, la montée du Tea Party Movement, le 11 Septembre 2001, il ne fait aucun doute que le facteur principal est la lutte des Noir.e.s aux États-Unis et la réaction contre celle-ci. En effet, si l’on date la montée du mouvement Black Lives Matter au hashtag lancé par Patrice Collors, Alicia Garza et Opal Tometi après l’assassinat de Trayvon Martin par George Zimmerman en février 2012, on constate une symétrie presque parfaite entre la montée de la nouvelle extrême droite et ce moment charnière.

Prenons les exemples suivants :

Le Center for Strategic and International Studies a indiqué que les attentats terroristes commis par des extrémistes de droite aux États-Unis ont augmenté. Entre 2007 et 2011, le nombre de ces attaques était de cinq ou moins par an. Ils sont ensuite passés à 14 en 2012 ; ils se sont maintenus à un niveau similaire entre 2012 et 2016, avec une moyenne de 11 attaques et une médiane de 13 attaques ; puis ils ont bondi à 31 en 2017.

Ces attaques comprennent à la fois des meurtres isolés d’Afro-Américain.ne.s par des suprémacistes blancs, comme l’assassinat de Donald Smart par Kenneth James Gleason à Bâton Rouge, en Louisiane et des accès plus spectaculaires de génocide racial, comme le massacre par Dylann Roof de neuf paroissien.ne.s noir.e.s à Charleston, en Caroline du Sud.

Plus récemment, Adam Turl a documenté les nombreux meurtres individuels d’Afro-Américain.e.s (et de Blanc.he.s) participant aux manifestations de Black Lives Matter. Ces meurtres vont de l’exécution publique par Kyle Rittenhouse d’Anthony Huber et de Joseph Rosenbaum à Kenosha, au meurtre de James Scurlock par un propriétaire de bar blanc à Omaha, dans le Nebraska.

Les manifestations de Black Lives Matter en 2020 ont été à de très nombreuses reprises les cibles d’attaques de la police et des suprémacistes blancs ; plus de 100 d’entre elles ont été le théâtre de voitures-béliers par des civils et des policiers. D’autres attaques sans véhicule sont également monnaie courante.

Le groupe d’extrême droite le plus visible et le plus agressif, les Proud Boys, a pris l’habitude d’attaquer les manifestations de Black Lives Matter.

Donald Trump a publiquement qualifié les manifestants de Black Lives Matter de « terroristes » et a refusé de condamner les suprémacistes blancs qui les attaquent (y compris les Proud Boys).

La montée en puissance de nouvelles milices et de patrouilles de citoyen.ne.s à travers les États-Unis correspond directement à la réaction contre les manifestations de Black Lives Matter.

La milice suprémaciste blanche qui connaît une grande croissance, Boogaloo Movement, fonde son action sur la « guerre raciale » qui vient, en réaction aux protestations politiques des Noir.e.s.

Les services de police étatsuniens continuent non seulement à tirer et à tuer des Afro-Américain.ne.s, mais aussi à protéger les suprémacistes blancs qui cherchent à briser les manifestations de Black Lives Matter.

Les fascistes et les néonazis continuent d’essayer d’infiltrer les services de police.

Antifascisme, anticapitalisme et front uni

Cette chronique partielle pourrait être considérée comme un équivalent contemporain des arguments que We Charge Genocide défendait il y a près de 70 ans. Pour les militant.e.s antifascistes contemporain.ne.s, ils signifient une chose en particulier : la survie et de l’extension du mouvement Black Lives Matter devrait être une priorité des antifascistes aux États-Unis aujourd’hui. En d’autres termes, l’une des tâches principales des antifascistes ou de ceux et celles qui s’engagent dans le combat antifasciste est de rejoindre, protéger et faire progresser le travail de Black Lives Matter.

Dans cette perspective, il est important de rappeler certaines des revendications plus larges du mouvement qui n’ont pas été suffisamment débattues ou mises en avant. La publication de la plateforme du Movement for Black Lives de 2016, qui ne reçut pas toute l’attention qu’elle méritait, fut rédigée au départ à partir d’une exigence de « démilitarisation des forces de l’ordre » pour inclure ensuite des revendications plus complètes et totalisantes face à l’État : la fin de la guerre contre les drogues (la fameuse « War on Drugs »), l‘abolition de la peine de mort, la suppression de la détention provisoire et du système de cautions ainsi que « la fin de toutes les prisons et de la détention des immigrant.e.s ».

Nombre de ces revendications ont refait surface dans l’ère post-George Floyd. Ce qui pourrait renforcer la résistance à ce moment de résurgence du pouvoir de l’extrême droite serait une déclaration encore plus explicite et une concentration au sein de Black Lives Matter contre la menace du fascisme.

Pour atteindre cet objectif, le mouvement pourrait imiter ses prédécesseurs et prendre en compte plus explicitement le rôle du capitalisme. Cette tâche, les Panthers l’ont eux-mêmes entreprise dans leur appel au Front Uni de 1969. Ressuscitant la définition du fascisme du Front populaire de 1935, ils écrivaient que le fascisme est le pouvoir du capital financier lui-même :

 « Le capital financier se manifeste non seulement sous la forme de banques, de trusts et de monopoles, mais aussi sous la forme de la propriété humaine du capital financier, l’homme d’affaires avare, le politicien démagogue et le flic, ce porc raciste. Le fascisme est l’organisation de la vengeance terroriste contre la classe ouvrière, l’organisation révolutionnaire et l’intelligentsia. »

Si cette déclaration sur le fascisme était très proche de la célèbre définition de Georgi Dimitrov de 1935, elle en diffère sur un point essentiel : elle faisait du racisme et de la violence policière les éléments centraux de la terreur fasciste. Cette déclaration établissait ainsi que, dans les conditions des Etats-Unis, étant donné la fusion historique de la police, de l’action militaire et de la « fabrication de la race » (pour reprendre la formulation de Nikhil Pal Singh), la violence policière serait une avant-garde du militarisme fasciste.

Non pas en dépit mais du fait de ses orientations anticapitalistes, la Conférence pour un Front Uni Contre le Fascisme organisée par les Black Panthers le 19 Juillet 1969, à Oakland, Californie, permit effectivement la mise sur pied d’un Front Uni temporaire. Comme le raconte l’historienne Robyn Spencer, « près de 5 000 militant.e.s d’organisations telles que la Black Students Union, le Parti Communiste, Los Siete de la Raza, la Southern Christian Leadership Conference, Students for a Democratic Society, Third World Liberation Front, Young Lords, Young Patriots, Youth Against War and Fascism, et le Progressive Labor Party » assistèrent à cette réunion de quatre jours. La réunion permit le succès du lancement de la campagne du BPP pour des Comités Nationaux de Lutte Contre le Fascisme (NCCF, National Committee to Combat Fascism).  « Après la conférence », écrit Robyn Spencer, « des demandes d’informations sur la construction de sections du NCCF affluèrent à Oakland de Salt Lake City (Utah), Albany (New York), Las Vegas (Nevada), Toledo (Ohio), Sunflower (Mississippi), Keatchie (Louisiane), Erie (Pennsylvanie), Richmond (Virginie), St Louis (Missouri) et Austin (Texas). »

Les NCCF offraient à un groupe multiracial de militant.e.s locaux.les de tout le pays un nouveau cadre d’engagement pour le Black Power, à une époque où les Black Panthers s’étaient lancé dans des purges internes et avaient arrêté les adhésions au Parti pour combattre l’infiltration policière du FBI dans le cadre du programme COINTELPRO. En avril 1970, le FBI recensait 18 à 22 NCCF dans le pays.

Dans la pratique, les sections du NCCF à travers le pays devinrent des branches locales du Black Panther Party plutôt que des organisations multiraciales. Il est néanmoins significatif, et souvent oublié, que les Black Panthers se mobilisèrent pendant plusieurs années sous la bannière de l’antifascisme. Cela permit de démontrer la force d’attraction de l’antifascisme à l’heure d’organiser des coalitions dans une période de danger et cela offre également un modèle pour la mise sur pied de coalitions antifascistes pour les générations futures.

Depuis la disparition du NCCF, ce qui s’est rapproché le plus d’une renaissance consciente de l’histoire que nous décrivons a été la formation en 2014 de We Charge Genocide, un mouvement de jeunes de Chicago qui s’est organisé pour dénoncer les actes de violence policière raciste commis par le célèbre département de police de cette ville. Prenant son nom et son inspiration du document avec lequel nous avons commencé cet article, We Charge Genocide a rédigé et publié un rapport parallèle aux Nations Unies sur la violence de Chicago contre les communautés noires sur une période de plusieurs semaines. L’association a ensuite collecté 20 000 dollars pour envoyer une délégation de huit personnes témoigner devant le Comité des Nations Unies contre la Torture à Genève. La Commission des Nations Unies a, à son tour, publié un rapport condamnant le racisme de la police de Chicago.

We Charge Genocide a officiellement mis fin à ses activités en 2016. Ce n’est pourtant pas trop, ou trop peu, pour comprendre à partir du récit esquissé dans cet article que l’histoire de l’antifascisme noir aux États-Unis constitue des fondations qui aideront à la construction d’un nouveau mouvement de masse antifasciste. Il n’est pas non plus exagéré de comprendre que le moment est venu de rajeunir la campagne « Front Uni » du Black Panther Party et que les personnes qui, sur cette planète, possèdent une conscience antifasciste doivent s’associer à cette campagne. Comme les militant.e.s de We Charge Genocide de Chicago, nous pouvons commencer par reconnaître dans les soubassements de Black Lives Matter une histoire de l’antifascisme étatsunien qui a toujours affronté les structures du pouvoir d’État pour se donner les moyens de l’abolir et de le transformer.

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Ce texte a d’abord été publié sur le site des éditions Verso, les deux auteurs y ayant publié un indispensable US Antifascism Reader.

Bill V. Mullen est professeur émérite de civilisation américaine à l’Université Purdue. Il est l’auteur de James Baldwin : Living in Fire , Pluto Press) ; UnAmerican : W.E.B. Du Bois and the Century of World Revolution et Afro-Orientalism. Il est co-auteur, avec Ashley Dawson, de Against Apartheid : The Case for Boycotting Israeli Universities. Ses articles ont été publiés dans Social Text, African-American Review et American Quarterly. Il est membre du collectif d’organisation de USACBI (U.S. Campaign for the Academic and Cultural Boycott of Israel) et membre fondateur du Campus Antifascist Network.

Chris Vials est professeur d’anglais et directeur de civilisation américaine à l’Université du Connecticut. Il est l’auteur de Haunted by Hitler : Liberals, the Left, and the Fight against Fascism in the United States (2014) ainsi que de nombreux articles sur le fascisme et l’antifascisme aux États-Unis. Il a été invité à la CBC radio, à PBS et à NPR pour discuter de l’histoire des mouvements fascistes et antifascistes étatsuniens. Il est également cofondateur du Neighbor Fund, un organisme à but non lucratif consacré à la défense juridique des immigrant.e.s sans papiers dans le Connecticut.

Notes

[1] Ici en français : https://acta.zone/alberto-toscano-spectres-du-fascisme-racial/