De la haine de l’écologie au greenwashing nationaliste ? Le RN et l’environnement

Le FN devenu RN peut bien proclamer que l’écologie est dans son « ADN », l’examen de ses positions montre qu’il n’entend en aucune manière rompre avec le modèle productiviste et se sert de l’argument écologique pour alimenter la xénophobie. Ce qu’il nomme « patriotisme écologique », « écologie nationale », ou que d’autres encore baptisent « écologie identitaire » n’a donc rien d’écologique, puisqu’il ne cible jamais les causes véritables du basculement climatique et de la destruction environnementale (à savoir le mode de production capitaliste), mais a tout à voir avec la promotion d’une idéologie nationaliste et raciste. 

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Les questions liées à l’écologie ont été portées, à l’extrême droite, par la Nouvelle Droite et le GRECE. Sceptique par rapport à la question dans les années 1970-1980, Alain de Benoist refusait ce qu’il percevait comme catastrophisme tout en reconnaissant la dégradation de l’environnement depuis le début du XXe siècle et la responsabilité de la société marchande. Pour la Nouvelle Droite, les écologistes idéalisaient la nature dans une optique rousseauiste :

« Les écologistes ne retiennent de la‘ ‘’nature‘’ que les aspects correspondant à leur désir et refusent des faits de la nature aussi élémentaires que la sélection, l’inégalité, la hiérarchie[1] ».

À la fin des années 1980, la Nouvelle Droite évolue vers un discours écologique structuré avec la dénonciation du développement occidental basé sur une exploitation intense des ressources représentant un mode de destruction de la planète. Pour la Nouvelle Droite des années 1990, l’écologie représente un des enjeux importants de notre époque (désertification, baisse des rendements agricoles, retombées acides, diminution du niveau des nappes phréatiques, déforestation, raréfaction des terres arables, épuisement des ressources minières, diminution de la couverture végétale…).

En 2000, Alain de Benoist et Charles Champetier publient le « Manifeste du GRECE », qui se prononce « pour une écologie intégrale contre la démonie productiviste [2]». En 2006, Alain de Benoist devient un des chantres de la décroissance[3]. Plus récemment, un nouveau courant est apparu, animé par des jeunes issus des Veilleurs et de la Manif pour Tous, qui s’exprime dans la revue Limite et qui défendent une « écologie intégrale », entre décroissance et militantisme pro-vie ( protection de la vie, de la planète à l’embryon humain)[4].

 

Une prise en compte tardive de la question écologique

Si l’on en croit Marine Le Pen, l’écologie était déjà inscrite dans l’ADN du parti : « Quand on est patriote, on est écolo ; quand on est mondialiste, on ne peut pas être écolo ». Une fois de plus, Marine Le Pen tord le coup à l’Histoire, puisque l’écologie n’a trouvé que très récemment sa place dans le programme du RN, qui s’est longtemps contenté de dérouler des propositions vagues concernant la défense du paysage urbain et du paysage rural. Défendant un mode de production productiviste, le RN est aux antipodes de l’analyse d’Alain de Benoist.

En 1973, le FN publie son premier programme : « Défendre les Français, c’est le programme du Front national[5] ». Un point est consacré à « défendre l’embellissement de la vie [6] » :

« réhabiliter les villes et développer une urbanisation qui ne se fasse pas au détriment de la vie urbaine, en associant les usagers », développer « une politique du logement compatible avec les emplois, les transports, les centres d’enseignement, les équipements culturels » et « rapprocher le pouvoir local du citoyen ».

Quant au paysage rural, sa préservation doit représenter « un objectif essentiel dans la politique d’embellissement de la vie ». Il est nécessaire de maintenir et de développer la population rurale (agriculteurs, artisans, commerçants), de défendre « le patrimoine naturel de Français » (eaux, forêts, villages, sites). Cet objectif doit donner un « véritable sens à la lutte contre la pollution et les nuisances ».

Des généralités, sans aucune remise en cause du système de production. En 1985, le FN publie « La Charte verte du Front national », sous la direction de François Agostini, alors secrétaire national. Ce texte est essentiellement en défense du monde agricole, en défense de la PAC, car « il ne peut y avoir pour l’instant de solution de rechange » et qui réclamait un revenu décent pour les agriculteurs français, qui se positionnait contre les quotas laitiers, soutenait les producteurs de viande et de céréales, de vin et l’agro-alimentaire face à la concurrence internationale et réclamait le développement de la recherche pour la production d’énergies nouvelles (biomasse, éthanol, biogaz).

La Charte ne se prononçait pas sur la question du nucléaire et la référence à l’écologie était absente. La même année est créé un cercle : le Cercle pour la défense de la vie, la nature et l’animal, qui ressemble plus à une coquille vide qu’à une véritable structure d’action. Il faut donc attendre les années 1990 pour que le thème de l’écologie, version FN, soit abordé lors du 8e congrès à Nice, le 1er avril 1990, sous l’impulsion de Bruno Mégret. Selon ce dernier, pour apparaître crédible dans « sa marche pour le pouvoir », le FN est obligé d’envisager l’avenir en précisant ses positions sur l’écologie et le social.

D’où l’organisation de deux colloques : « Défendre la vie » et « La fraternité nationale[7] ». Le FN entend démontrer, à partir de « ces deux thèmes clef, qu’il est prêt à régler d’autres problèmes que l’immigration » et à affirmer « une volonté globale de préserver l’environnement et le patriotisme du peuple français ». Le FN met alors en avant le concept d’ « écologie nationale » :

« L’écologie est en effet une préoccupation qui s’inscrit dans la défense de notre identité. Vouloir la sauvegarde des sites naturels, la préservation de notre patrimoine, la survie de la faune et de la flore, la qualité de l’air et de l’eau, c’est au fond défendre ce que nous sommes en tant que nation enracinée sur un territoire. Et lorsque nous défendons l’intégrité française, nous ne faisons rien d’autre que de défendre l’écologie ethnique et culturelle de notre peuple et en cela nous sommes dans le droit fil de la démarche écologique : la préservation des milieux nécessaires à la survie et au développement des espèces […]. Pour survivre, les espèces animales ne se mélangent pas et la plupart ont un territoire qu’elles défendent ».

 

Une conception raciale de l’écologie

En novembre 1991, Jean-Marie Le Chevallier organise un colloque sur l’écologie à Saint-Raphaël : « Main basse sur l’agriculture et l’écologie ». Jacques Bompard, spécialiste des questions agricoles déclare : « Le programme qu’imposent les mondialistes est celui de la mort intellectuelle et physique de l’Occident ». Hubert Fayard qui est le premier adjoint à la mairie de Vitrolles, affirme que le « consensus a été trouvé au Front national entre les écologistes et les chasseurs ».

Le clou de la soirée revient à Bruno Mégret qui dénonce les Verts comme « ersatz du marxisme qui trahit l’écologie » et dont la fonction est de « diffuser un message intrinsèquement cosmopolite ». Citant Barrès, Maurras ou Alexis Carrel, Bruno Mégret affirmait que « l’écologie rentable va de pair avec la défense de l’identité », et qu’ « elle pose comme essentielle la préservation du milieu ethnique, culturel et naturel de notre peuple ». Il accusait le parti d’Antoine Waechter « d’accepter une immigration massive qui veut transformer nos cités en villes arabes » et dénonçait « le principe de ladisparition des races humaines par un métissage généralisé ».

À Lyon, en juin 1995, Mégret déclarait : « le Front national est le seul mouvement authentiquement écologiste de France ». Le discours de Mégret traduit une conception raciale de l’écologie et de la société, très marquée par les thèses du GRECE qui se sont imposées au FN via d’ex-grécistes dont Pierre Vial et son association « Terre et Peuple » qui incarnait l’aile völkisch du GRECE basée sur l’enracinement, le racisme, l’écologie, l’éloge des communautés, le paganisme. En quittant le GRECE, ces militants (Pierre Vial, Jean Haudry…) ont emmené dans leurs bagages une partie de la doctrine gréciste dont l’écologie identitaire.

On y retrouve également l’influence de l’ex-Waffen SS Robert Dun (pseudo de Maurice Martin), un des représentants de ce courant dans l’extrême droite. Il a été un précurseur du néo-paganisme identitaire, raciste, écologique et un défenseur du « ré-enracinement des individus et des sociétés[8]. Pour celui-ci, il est vital de « garder votre conscience de Français, d’Européens, de Blancs, soyez si vous le pouvez, une partie de notre race, de notre sang, de notre âme qui continuerait à vivre quand tout croulera autour de nous ». Il oppose « le psychisme de la forêt propre à l’indo-européanité au psychisme du désert propre au sémitisme ».

Pour Mégret, le peuple français serait « une race, une espèce humaine » aussi menacée que les pandas. Donc « pourquoi se battre pour préserver des espèces animales et accepter, dans le même temps, la disparition des races humaines par le métissage généralisé ? ». C’est une nouvelle version de la défense de la « race blanche [9] ». En 1990, Jean-Claude Martinez et Alexis Arette fondent le Cercle national des Agriculteurs et le journal Le Paysan français qui s’oppose « au mondialisme (qui) organise la spéculation pour priver la France de l’arme alimentaire » afin d’arriver à « l’élimination par la misère du monde rural français et son remplacement par des populations immigrées ». Où l’on voit que Renaud Camus est loin d’avoir inventé la théorie complotiste du « remplacement »…

 

L’écologie comme « totalitarisme de demain »

Durant ces mêmes années, Samuel Maréchal, patron du Front national de la jeunesse, publie une brochure : « Écologie. Dépolluons les esprits ». L’argumentation développée par Samuel Maréchal repose sur trois postulats : l’Homme maître de la nature doit lui dicter sa volonté, la nature est reine, l’Homme doit se plier à sa volonté, l’Homme et la nature sont indissociablement liés et il en résulte une interdépendance et des arrangements ponctuels. Il attaque ceux qu’il nomme « les idéologues à la vue basse », (Rousseau, Marx, Freud) pour qui l’Homme n’est qu’un simple instinct sexuel ou économique » et qui sont en opposition aux analyses de Charles Maurras et d’Alexis Carrel.

L’écologisme des Verts représenterait selon lui « le totalitarisme de demain, pour qui l’Occident est forcément coupable ». Plus que la pollution, la véritable cible des « écolos-mondialistes » est le monde industrialisé, c’est-à-dire l’Occident. Les « écolos-mondialistes » sont « comme la pastèque : vert au dehors, rouge au-dedans ». Ils sont passés de la tutelle soviétique à la tutelle américaine, d’où leur opposition aux essais français dans le Pacifique alors qu’à l’opposé, le Front national défend le nucléaire. « Totalitarisme de demain », l’écologisme se prononcerait pour « une France sans frontière, une émigration sans entraves, la détestation de la civilisation, le droit d’adoption pour les couples homos ».

A l’inverse, une véritable écologie devrait défendre selon lui « la France avant tout », car « l’écologie est une valeur nationale » en opposition totale avec l’internationalisation de la question. En conclusion, Samuel Maréchal prône « une écologie enfin débarrassée de ses présupposés idéologiques, une écologie n’ayant d’autre but que le Bien commun dans le respect de l’héritage que nos pères et nos mères nous ont légué […] et que nous devons transmettre à notre tour », c’est-à-dire la défense « d’un ordre naturel ».

Quant à la question de l’effet de serre et du réchauffement climatique, Maréchal s’appuyait sur les travaux de deux scientifiques, le météorologiste américain Solow qui affirmait que rien ne prouvait que le climat terrestre se soit réchauffé depuis l’industrialisation de la planète et sur les travaux du biologiste James Lovelock pour qui « si l’effet de serre existe, il n’est pas dû aux gaz émis par nos voitures et nos usines mais au méthane produit par le troupeau de vaches et les rizières[10]». Véritable salmigondis de banalités pseudo doctrinales, le pensum de Samuel Maréchal ne remettait donc nullement en cause le productivisme.

Après la scission mégrétiste, le thème de l’écologie est remisé au profit de la critique des Verts. En 2001, « Pour un avenir français[11]», le programme de gouvernement du Front national reprend quelques vieux poncifs déjà développés par le parti :

« Les Verts ont perverti ces idéaux (sauvegarder l’ordre naturel) et y ont mêlé le tiers-mondisme, la culpabilisation de l’Occident, le brassage des populations en totale opposition avec le respect des légitimes diversités humaines et un catastrophisme s’appuyant sur l’analyse discutable des phénomènes comme ‘’l’effet de serre’’ pour imposer des solutions mondialistes, la négation de notre civilisation et de notre identité […]. Les milieux mondialistes veulent ainsi accélérer le dessaisissement des souverainetés nationales et parvenir au gouvernement mondial sous couvert d’écologie, prônant en quelque sorte une ‘’dictature du planétariat’’. Le vrai combat écologiste est abandonné par ceux qui se prétendent ’’Verts’’ depuis l’éviction en 1993 des waechteriens par les marxistes de madame Voynet ».

En 2010, Jean-Marie Le Pen affirme que l’écologie représente un « passe-temps pour les bobos » et le FN s’oppose à « l’écolo-gauchisme », dénonçant lors d’un colloque « la manipulation du prétendu réchauffement climatique[12] ». Quant à Éric Zemmour, il pousse le curseur plus loin et dénonce un complot en quelque sorte islamo-écologiste :

« Le vert des Verts correspond comme par hasard au vert de l’islam. Il y a une alliance composite entre tous ces gens ».

 

Marine Le Pen et la stratégie du greenwashing nationaliste

On avait pris l’habitude de voir le FN imposer ses sujets et son vocabulaire (sécurité, terrorisme, immigration) dans le débat public. Avec Marine Le Pen, il se lance sur un terrain qui est loin de lui être familier : « l’écologie politique ». Cet intérêt est récent : en 2012, le programme frontiste était pratiquement silencieux sur la question de l’écologie, limitée à la question de la protection de la faune, de la flore, des paysages, des terroirs. En février 2013, Marine Le Pen mène une campagne en défense de la ruralité.

La position du FN en matière d’écologie est aux antipodes de celle d’Alain de Benoist. L’écologie est subordonnée au productivisme et « ne doit en aucun cas être synonyme de décroissance ». Le FN s’oppose à toute création d’un impôt au nom de l’écologie et soutient, sans grand succès, les Bonnets rouges.

En janvier 2011, Laurent Ozon, un écologiste de tendance néo-droitiste, païen et amateur de solstices adhère au FN. Après un rapide passage chez les Verts et sa collaboration à la revue Le recours aux forêts et à l’association Nouvelle écologie dans le sillage gréciste, Laurent Ozon est censé développer la sensibilité écologiste absente du programme du parti. Prise de guerre éphémère, il quitte le FN en août 2011 à la suite de son soutien à Breivik, ce militant fasciste auteur d’un massacre de masse en Norvège contre des membres de la jeunesse socialiste.

Au sein du mouvement, Ozon a occupé le poste de délégué national à la formation, responsable du secteur écologie et membre de la commission d’investiture. Il entendait « faire en sorte que les personnes qui parlent au nom du FN aient une vision claire des idées de leur mouvement et puissent l’exprimer clairement ». Sa fonction était de développer une analyse qui soit écologiquement compatible avec le logiciel frontiste : préservation de la communauté et de l’identité, fondée sur le postulat que la population n’est pas interchangeable.

Ozon est un adepte du « Grand Remplacement ». Il défend, en coulisse, le principe du théoricien nazi, Walther Darré : « une terre, un sang, un peuple » (Blut und Boden : Sang et Sol) et préfère, côté public, développer le principe du « droit des peuples à vivre chez eux selon leurs coutumes et leurs droits » ce qui n’est rien d’autre qu’une version soft de l’ethno-différencialisme gréciste. Pour lui, s’il y a trop d’immigrés ou si les couples homos sont autorisés, il y a un risque d’introduction d’un désordre, car il y a « des différences d’espèces dans le règne des humains comme dans celui des animaux ».

En 2014, Marine Le Pen recrute Philippe Murer, un économiste qui prend en charge un nouveau collectif lancé par le mouvement, le Collectif Nouvelle Écologie, et rédige, en janvier 2017, le discours de Marine Le Pen sur le développement durable. Le FN tente d’incruster une touche de vert dans sa palette politique. Il dénonce les « menaces que font peser le dérèglement du climat, la pollution de l’air, de l’eau, des terres et l’extinction des espèces ». Pour Marine Le Pen, même si l’activité humaine y contribue, le changement climatique n’est pas un dogme donc « il est utile qu’il puisse y avoir des débats » (sous-entendu d’autres causes que l’activité humaine).

Le parti se prononce pour « une France durable », la transition énergétique, la défense des territoires ruraux, une agriculture plus écologique[13] avec le passage de l’agriculture chimique aux nouvelles formes (permaculture, biologique, agriculture forestière, agriculture de conservation). Toutefois, le virage écolo a ses limites[14] : « Nous pensons que l’écologie doit être constructive et non punitive. L’interdiction abrupte des pesticides aurait des effets désastreux sur la partie la moins prospère de la population ».

Le « patriotisme écologique » est mis en avant, il faut transformer la PAC en PAF (politique agricole française) et défendre les produits français « contre les importations provenant de l’étranger qui ne respectent pas les normes imposées aux produits français[15]», car « le supranational n’apporte aucun résultat, le vrai levier d’action c’est la nation ».

La défense des principes de « l’ordre naturel » constitue la colonne vertébrale de la pensée frontiste dans le domaine de l’écologie et les questions environnementales sont traitées dans le cadre national : référendum local et initiative populaire dans le but de provoquer un référendum au niveau national, abandon progressif du nucléaire de fusion (Tchernobyl) au profit d’une filière nucléaire plus propre (thorium…). Pour le FN, « Il y a une cohérence complète entre la défense de notre identité et celle de notre environnement […]. Le respect de l’harmonie naturelle s’impose donc ». Au passage, le FN dénonce « le mépris de la société industrielle envers la vie animale » qui n’est « qu’un aspect particulier du mépris général de la vie et de la création » (ce qui renvoie ici à son opposition traditionnelle au droit à l’avortement).

 

Un parti pro-nucléaire

Dans le domaine énergétique, le FN défend l’idée que « la véritable écologie consiste à produire et à consommer au plus près et à retraiter sur place ». Si le RN se prononce donc contre la fermeture de la centrale de Fessenheim, il précise qu’il est nécessaire de « moderniser et de sécuriser » la filière grâce au contrôle de l’État sur EDF en « lui redonnant une véritable notion de service public ». Pour Philippe Murer : « vouloir sortir du nucléaire est une position idéologique en totale contradiction avec les objectifs du climat [16]». Marine Le Pen insiste sur la consolidation de l’industrie nucléaire qui est « une priorité absolue […]. Sur le plan environnemental, le consensus scientifique est simple, l’électricité nucléaire est sûre, constante, abondante et surtout quasi intégralement décontaminée. Le stockage des déchets ne représente aucun problème de sécurité[17] ».

Le recours au gaz de schiste reste interdit tant que « les conditions satisfaisantes ne sont pas réunies ». L’utilisation du diesel est maintenue et l’avenir repose sur la voiture hydrogène. Il faut développer massivement les filières des énergies nouvelles renouvelables sauf l’énergie éolienne. L’hydrogène est considéré comme une source d’énergie propre, le développement d’une filière française de production diminuerait, pour Marine Le Pen, la dépendance pétrolière de la France.

Sur la question des éoliennes, le RN demande un moratoire immédiat et Marine Le Pen salue le travail des associations anti-éoliennes et « compatit à la souffrance des Français » suite à leur installation car, « il est inconcevable de détruire, au nom de l’écologie, le cadre de vie de nos concitoyens ». Les éoliennes sont « inefficaces, contre-productives car la production est intermittente et nécessite de « faire fonctionner en support des usines aux énergies fossiles […]. Pourquoi dilapider plusieurs centaines de millions d’euros pour un système électrique aléatoire, inutile » Marine Le Pen cite un rapport parlementaire qui note que « les éoliennes et leur financement n’ont pas d’impacts sur la réduction des gaz à effet de serre ».

Même opposition en ce qui concerne les parcs éoliens installés en mer : « L’électricité éolienne étant subventionnée a des prix deux fois supérieurs au prix normal sur terre et jusqu’à six fois pour les six premières centrales éoliennes en mer, s’ensuit une augmentation notable de nos factures d’électricité ». L’installation d’éoliennes serait donc tout bénéfice pour les sociétés étrangères qui les fabriquent[18]. Dernier argument, les éoliennes « sont des machines qui défigurent le paysage », alors que le RN se proclame « le défenseur du patrimoine immatériel français » que seraient les paysages. Marine Le Pen défend donc les barrages et les centrales nucléaires comme solutions à privilégier.

 

Le racisme en guise d’écologie

Le FN prétend placer la question écologique dans un cadre international en rendant les flux migratoires responsables de la crise environnementale et en faisant de la « maîtrise » de ces flux (comprendre la fermeture des frontières et le renvoi des immigré·es) la clé de voûte de son « écologie » :

« Maitriser les phénomènes migratoires, couplé à une politique ambitieuse de coopération avec les pays souffrant d’une émigration massive pour permettre de favoriser les perspectives de croissance et de développement harmonieux des zones de la planète menacées par un saccage des ressources naturelles et l’anarchie liée aux flux migratoires et à la pauvreté[19] ».

Quant aux réfugiés climatiques, le RN rejoue sa partition anti-immigrés, bien rôdée depuis près de 50 ans. Philippe Murer considère que « chaque peuple a le droit de décider qui rentre et qui sort de son territoire et qui s’y maintient ». Il omet de dire dans quel encrier il a trempé sa plume : dans l’Action française du 6 juillet 1912, Charles Maurras écrivait : « Nous avons le droit absolu de faire nos conditions aux nomades que nous recevons sous nos toits et nous avons aussi le droit de fixer la mesure dans laquelle se donne une hospitalité que nous pourrions ne pas donner ».

L’adoption d’une posture écologique est aussi l’occasion d’alimenter la haine des musulman·es au nom de la défense des animaux et du refus de l’abattage rituel. Fustigeant « le mépris de la société industrielle envers le monde animal », le parti lepéniste avait créé en 1985 le Cercle national de la défense de la vie, de la nature et de l’animal dirigé par Alika Lindbergh[20]. Ce cercle avait un double objectif : « le souci de préservation et de restauration de la nature et des forces vivantes qui assurent son équilibre et la recherche d’une éthique faites de respect et d’amour vis-à-vis des autres espèces ». Suite à son élection à la direction du FN et en vue des élections de 2012, Marine Le Pen va lancer des collectifs thématiques dont le Collectif de défense des animaux : « Belaud Argos » dirigé par Sophie Montel et salué par Brigitte Bardot[21]. Ce collectif dénonce l’abattage rituel et vise particulièrement les musulmans.

Lors de sa campagne électorale en 2012, Marine Le Pen fait de ce thème l’un de ces axes de propagande, affirmant que « l’ensemble des viandes distribuées en Ile de France, à l’insu des consommateurs, est exclusivement de viande halal ». En 2017, dans ses « 114 engagements », elle entendait « faire de la protection animale une priorité nationale. Défendre le bien-être des animaux en interdisant l’abattage sans étourdissement ». Elle entend prendre la défense des agriculteurs « qui paient en termes d’image une méthode qui est majoritairement rejetée par les Français parce qu’elle est affreusement cruelle pour les animaux. Ça fait des années que l’on aurait dû interdire cet abattage sans étourdissement ». En déplacement à Rungis, elle déclarait que « 90% des abattoirs sont halal en Ile-de-France ».

La dénonciation de l’abattage rituel n’est qu’une arme supplémentaire dans l’arsenal raciste du RN. Elle n’est d’ailleurs pas la seule sur de créneau. L’association « Vigilance halal » (sic), d’Alain de Peretti, vétérinaire bordelais joue la même partition[22]. « Vigilance halal » entend agir sur trois axes : dénonciation de la souffrance animale, des risques sanitaires dus à l’abattage sans étourdissement et la défense les consommateurs. De son côté, le média d’extrême droite Riposte Laïque se prononce également contre l’abattage rituel, dénonce un « financement direct ou indirect de structures religieuses (islamique et judaïque) », pointe les « risques sanitaires[23] » dont les enfants pourraient être victimes. Ce type d’abattage serait selon Riposte laïque « une bombe sanitaire qui favorise la contamination par bactéries ».

 

Un tournant localiste-identitaire ?

Marine Le Pen a recruté un nouveau « penseur écologiste » en la personne d’Hervé Juvin. Ecolo-identitaire, développant une pensée qui allie l’écologie et le nationalisme, partisan du « Grand Remplacement », Hervé Juvin a participé en 2010 au colloque organisé par le Bloc identitaire sur le thème « Localisme-identité, la réponse au mondialisme ». Il a été un des rédacteurs, en 2017, du discours de Marine Le Pen portant sur l’environnement. Il a fondé avec André Kotarac le Parti localiste[24].

Collaborateur à la revue Éléments, il a mené la liste du RN dans les Pays de Loire en juin 202, il a déclaré, au micro de France-Inter le 4 avril 2019 que « la bio-diversité animale et végétale est essentielle mais la diversité des sociétés humaines est encore plus importante à mes yeux et cette diversité est protégée par les frontières ». S’il se déclare opposé au capitalisme « nomade », à l’ouverture des frontières financières, migratoires, commerciales, cela ne l’empêche pas d’avoir un portefeuille d’actions chez Total, Air liquide, Royal Dutsch ( Shell), Vinci, Amazon, Microsoft, d’après la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.[25]en 2019 Hervé Juvin, un vrai anti mondialiste…

En avril 2019, Marine Le Pen a présenté un Manifeste européen appelant à « l’émergence d’une civilisation écolo européenne, localiste, enracinée » à l’opposé de « l’idéologie du nomadisme hors sol pour bobos mondialistes, globalistes et sans frontières ». Complétant sa panoplie « écologiste » le RN a publié, en mai 2021, en vue des futures élections présidentielles, un contre-projet de référendum. Ce document présente « 15 questions à faire trancher par les Français, la proposition de loi pour organiser cette consultation, la proposition de loi constitutionnelle visant à traduire les résultats des votes populaires sur l’écologie » et reprend l’ensemble des éléments déjà développés par le RN.

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Jean-Paul Gautier est historien des extrêmes droites, auteur du livre Les extrêmes droites en France, de 1945 à nos jours (Syllepse, 2017). 

Photo : Blandine Le Cain / Wikimedia Commons / Meeting en 2012.

 

Notes

[1] Se reporter à l’article de Robert de Herte (Alain de Benoist), « Les équivoques de l’écologie », repris in Pierre Vial : « Pour une renaissance culturelle », éditions Copernic, 1979, p 75.

[2] Page 92.

[3] Dossier Éléments : « Le salut public par la décroissance pour empêcher le capitalisme de pourrir la planète ». Alain de Benoist a publié de nombreux articles sur l’écologie à partir de 1993 dans Éléments, la revue de la Nouvelle Droite et différents livres : « Objectif décroissance », Éléments, n° 119, hiver 205-2006, « Demain la décroissance. Penser l’écologie jusqu’au bout », éditions Edite, 2007 et réédition 2018 aux éditions Pierre-Guillaume de Roux, « Contre le libéralisme, la société n’est pas un marché », éditions du Rocher, 2019. Se reporter à Stéphane François : «Comment l’écologie est-elle conçue à l’extrême droite », Fragments du Temps présent, 12 octobre 2017 et « La Nouvelle Droite et ses dissidences : identité, écologie, paganismes », éditions du Bord de l’eau, 2021, « L’écologie politique, une vision du monde réactionnaire ? » éditions du Cerf, 2012. « La Nouvelle Droite et l’écologie : une écologie néo-païenne ? », Parlement(s), revue d’histoire politique, n° 12, 2009, p 132-143.

[4] La revue Limite a été lancée en 2015. Eugénie Bastié, Marianne Durano, Gaultier Bès de Bec, Paul Piccaretta, Jacques de Guillebon (directeur de l’Incorrect) sont les principaux animateurs de ce courant. Marianne Durano, Gaultier Bès de Bec et Norgaard Roknam ont publié aux éditions Centurion : « Nos limites. Pour une écologie intégrale ». Se reporter au site La Horde, 11 décembre 2017.

[5] « Défendre les Français, c’est le programme du Front national », février 1973, supplément au n° 3 de Front National.

[6] « Défendre les Français, c’est le programme du Front national », Chapitre IV : « Nous voulons que les Français soient responsables », p 22-24, « L’embellissement de la vie », point 3

[7]« Les objectifs politiques du Congrès », conférence de presse de Carl Lang, Bruno Mégret, Jean Tauran, Congrès de Nice. Cité par Valérie Igounet : Le Front national de 1972 à nos jours. Le parti, les hommes, les idées, Seuil, 2014, p 244.

[8] Robert Dun, sous le pseudo d’Adler Von Scholle, a traduit Le Mythe du XXe Siècle du théoricien nazi Alfred Rosenberg. Robert Dun a publié en 1995 : « Non l’écologie n’est pas de gauche ».La revue identitaire Réfléchir et Agir se réclame de lui.

[9] René Fougerolle : « Vert-de-gris », Rouge, 14 janvier 1993.

[10]  Le FN veut apparaître comme le parti des automobilistes, cela lui permet de faire le lien avec de nombreuses thématiques dont le matraquage fiscal. Florian Philippot a déclaré, en 2012 : « On est plus souvent persécuté quand on est automobiliste que quand on est délinquant ». Quant à Wallerand de Saint-Just, en 2015, il utilise un argument en béton : « Il faut arrêter d’emmerder le monde […]. C’est fini les vieilles guimbardes, aujourd’hui les voitures ne polluent presque plus ». Le FN est contre la limitation de vitesse à 80 kms/h, la circulation alternée, les radars : « Stop à la politique du tout radar » qui ne sert qu’à remplir les caisses de l’État

[11] Pour un avenir français. Le programme du Front national, éditions Godefroy de Bouillon, 2001.

[12] Colloque : « Le réchauffement climatique : mythe ou réalité », Paris 2010.

[13] Dans les 144 engagements proposés dans le programme de Marine Le Pen pour les élections présidentielles de 2017, dans le chapitre VII : « Une France durable », elle se prononce contre les OGM, contre les fermes-usines (ferme des 1000 vaches) et reprend l’interdiction de l’abattage sans étourdissement préalable (ciblant la communauté musulmane).

[14] Le programme de 2012 contenait des propositions similaires : reprise en main de la politique agricole au niveau français, protectionnisme, relocalisation économique, sécurisation nucléaire. Se reporter à Reporterre : le quotidien de l’écologie, 10 avril 2017. Sur le terrain, les élus de la Région Centre-Val de Loire n’ont pas voté les mesures de soutien au bio. Dans la Somme, ils se sont opposés aux budgets concernant l’agriculture bio.

[15] Dans un communiqué daté de mars 2013, Florian Philippot se prononce pour « un protectionnisme intelligent ». Il préconise l’application de droits de douane ciblés sur les produits fabriqués dans les pays qui ne respectent aucune norme environnementale, le seul moyen efficace « pour défendre la nature et la santé des hommes ».

[16] Le RN défend le nucléaire hexagonale alors que la France importe par an 8000 tonnes d’uranium naturel du Canada, du Maroc et du Kazakhstan…

[17] Marine Le Pen, site officiel du RN, 27 janvier 2021. Le programme du RN prévoit le lancement de 3 nouveaux EPR afin « de consolider le savoir-faire de l’industrie française et de développer les travaux de recherche sur le réacteur à neutrons.

[18] Ces arguments ne sont pas nouveaux, ils apparaissent déjà en 2017 et vont figurer dans le programme pour les élections présidentielles de 2022. Se reporter à l’article de Lisa Guillemin : « Régionales, le RN surfe sur le mouvement anti éolien », Huffington post, 2021. Le RN n’est pas le seul sur ce créneau, se reporter à Reporterre, le quotidien de l’écologie : Le RN et Les Républicains confisquent le débat sur l’éolien, 25 juin 2021. Certains auteurs, comme Patrice Cahart qui utilise le qualificatif de « Peste éolienne » (Hugo Doc 2021) ou Fabien Bouglé qui dénonce « La face noire de la transition écologique » (éditions du Rocher 2019).

[19] Se reporter à Guyet, Ornella, « Décryptage du programme écologique du FN », site confusionnisme.info et à Médiapart, Décryptage des propositions du RN sur l’écologie », 13 février 2012.

[20]Anika Lindbergh, auteure et artiste belge, ex épouse du zoologiste Scott Lindbergh fils de l’aviateur Charles Lindbergh décoré par Göring de l’ordre de l’aigle allemand et qui qualifiait Hitler de « Grand homme ». Lors d’un meeting organisé par le mouvement isolationniste América First, Charles Lindbergh répondait à la question « qui sont les agitateurs bellicistes ? Les Britanniques, les Juifs et l’administration Roosevelt ».

[21] Encartée au FN en 1987, Sophie Montel a été membre de la direction, Conseillère régionale de Franche-Comté puis de Bourgogne-Franche-Comté, députée européen de 2014 à 2019. Elle a quitté le RN et suivi Philippot chez Les Patriotes et occupa le poste de vice-présidente. En 2018, elle rompt avec Philippot et quitte les Patriotes. Elle a publié en 2019 un brûlot anti FN et anti mariniste : Bal tragique au FN. Trente ans au coeur du système Le Pen

[22] Alain de Peretti a publié, en 2014 aux éditions G de Bouillon, « Vérités sur la viande halal ». Il est en contact avec Riposte laïque.

[23] En réalité il a été démontré que l’abattage sans étourdissement, s’il est condamnable, ne représente aucun danger sanitaire.

[24] Se reporter à l’article de Benjamin König : « De l’écofascisme à l’écologie d’extrême droite », L’Humanité, 5 novembre 2020.

[25] Le Parisien.fr : « Hervé Juvin, l’anti mondialiste du RN est actionnaire de plusieurs multinationales », 4 novembre 2019