Le Front national fut créé pour l’essentiel à l’initiative d’Ordre nouveau. Ce groupuscule fasciste voulait utiliser Jean-Marie Le Pen – un ancien député élu lors de la vague poujadiste de 1956 – pour respectabiliser les vieilles obsessions ultra-nationalistes et racistes de l’extrême droite. Le Pen apparaissait alors comme une figure très à droite mais paraissait moins ancrée dans le fascisme français et les réseaux des nostalgiques du Troisième Reich.
Le FN, devenu entretemps Rassemblement national (nom qu’il utilisa déjà en 1986 pour son groupe parlementaire), fut pourtant bien créé par un certain nombre de personnages dont la trajectoire était connue : anciens collaborationnistes proches de Déat ou Doriot, anciens membres de la Waffen SS, ex-membres de l’OAS (Organisation Armée Secrète, qui organisa de nombreux attentats en Algérie et en France), néofascistes de toutes variétés, et autres négationnistes.
Trois constellations se détachent, qui se recoupent en partie seulement : les nostalgiques du IIIe Reich et autres pétainistes tout d’abord ; les nostalgiques de l’Algérie française ensuite ; les néofascistes des années 1960 enfin. Dans un premier article, nous passons en revue quelques figures de la première constellation.
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Né en 1919, Pierre Bousquet adhère en 1935 au Parti Franciste de Marcel Bucard. En 1941, il occupe le poste de délégué général du bureau de commandement de la Jeunesse Franciste. Il endosse l’uniforme de la Waffen-SS et devient caporal (Rottenfürher) de la 38e division de grenadiers de la Charlemagne[2]. Il fait partie des trois cent SS français qui participent à la « défense » de Berlin face à l’Armée rouge. Après la défaite de l’Allemagne nazie, il parvient à se faire passer pour un travailleur forcé du STO auprès des troupes américaines et est affecté au service chargé de l’arrestation et du renvoi vers la France des collaborateurs.
Quand il rentre, il est condamné à mort mais n’effectue que deux ans et demi de prison. En 1946, il tente sans succès d’intégrer des organisations anticommunistes. Il adhère à Jeune Nation des frères Sidos qui se transforme, après son interdiction en mai 1958, en Parti nationaliste dont la vie est brève. Son congrès constitutif se tient les 6, 7 et 8 février 1959 et sa dissolution est décrétée par le gouvernement le 13 février. Bousquet est écroué en 1960 pour « atteinte à la sûreté de l’Etat » et « reconstitution de ligue dissoute ». Secrétaire général d’Europe-Action (E-A), il est administrateur des éditions Saint-Just (liées à E-A).
Après la disparition d’E-A, il milite au Mouvement nationaliste populaire (MNP) fondé par Dominique Venner en 1966, après l’échec de la campagne présidentielle de Tixier-Vignancour en 1965[3]. Le Rassemblement européen de la liberté (REL) succède au MNP. Le REL mène campagne pour une amnistie générale en faveur des partisans de l’Algérie française, le soutien à la « lutte de l’Occident » en Angola, en Rhodésie et au Sud-Vietnam. Après son échec aux élections législatives de mars 1967, le REL disparait de la scène politique.
Pierre Bousquet et Pierre Pauty publient le bulletin Militant qui deviendra plus tard (1973-74) l’organe officiel du Front national. Bousquet en est le directeur politique et François Duprat, autre grande figure néofasciste de l’après-guerre, y collabore. En 1970, Bousquet et Pauty (sous le pseudo de Jean Denipierre) militent au Parti national populaire de Roger Holeindre. Le PNP a des activités très confidentielles. Son programme prône « la renaissance française, la paix en Europe (face à la menace soviétique), la défense de la civilisation européenne, le droit aux Européens de disposer d’eux-mêmes, le corporatisme, un État autoritaire, populaire, décentralisateur ». En 1971, le PNP devient le Parti pour l’Unité française, tout aussi discret et éphémère.
En 1972, Bousquet dépose avec Jean-Marie Le Pen les statuts du Front national. Il est membre du bureau politique et trésorier jusqu’en 1981. Il est candidat à différentes élections (législatives en mars 1973, 1977, municipales Paris, 1978, législatives, 9e circonscription à Paris). En 1984, lors de l’émission d’Antenne 2 « L’heure de vérité », Le Pen interrogé sur la personnalité de Pierre Bousquet répond « Monsieur Bousquet a peut-être eu les responsabilités que vous dites, il a peut-être été un ancien SS, moi je suis de ceux qui sont pour la réconciliation des Français ».
Avec l’arrivée de Jean-Pierre Stirbois et de son groupe au FN en 1977, le groupe Militant est marginalisé et crée en 1983 le Parti nationaliste français (PNF), avec Pierre Pauty, des nationalistes révolutionnaires proches de François Duprat et des ex de la LVF (Henri Simon, Jean Castrillo). Pierre Pauty signe dans Militant l’article « Pour en finir avec les équivoques ». Pauty se déclare « écœuré par les manigances talmudiques de l’équipe solidariste. Le Pen se rend-il compte qu’il devient le jouet entre les mains des sionistes »[4]. Le FN lui répond : « Pauty n’est qu’un nostalgique du Grand Reich de l’Atlantique à l’Oural ».
En 1986, Bousquet déclare « ne pas considérer son passé SS comme une erreur de jeunesse » et il ajoute : « en admettant, je dis bien en admettant qu’il y ait eu des chambres à gaz et des tortures, je les condamne » ; tout est dit dans le mot « en admettant ». Il continue à militer « pour l’Europe blanche de Brest à Vladivostok ». À partir de 1987, il prend langue avec le leader des skins parisiens, Serge Ayoub dit « Batskin », et les Jeunesses nationalistes révolutionnaires de Ayoub entrent au PNF en 1990 puis rompent avec lui en 1991.
La revue Militant diffuse des publicités pour des ouvrages nazis : Le mythe du XXe siècle de l’idéologue du IIIème Reich, d’Alfred Rosenberg, les livres de Léon Degrelle, chef de la division SS belge « Wallonie » et des articles du négationniste Robert Faurisson. Jean Castrillo, membre de la direction du PNF et ex-militant du PPF de Doriot, affirme que « pour combattre l’immigration sauvage, il faut être raciste »[5]. Le pseudo antisionisme du PNF dissimule mal son antisémitisme. Pierre Bousquet reprend les vieilles analyses véhiculées par la propagande nazie contre le complot juif :
« Les sionistes […] ont déclenché une révolution en 1917 et une guerre mondiale. Ils sont parfaitement capables […] de déclencher un conflit atomique […]. En 1939, la Grande Bretagne et la France déclenchèrent la guerre à l’Allemagne hitlérienne, non point tant parce que celle-ci avait attaqué leur allié la Pologne […], mais bel et bien parce que Hitler avait nommément désigné la communauté juive internationale comme étant l’ennemi n°1 du IIIe Reich »[6].
Le complot juif international serait donc toujours à l’œuvre puisque l’URSS est une entité « euro-asiatique enjuivée » et que « la direction politique des États-Unis est elle aussi « enjuivée »[7]. Lorsque Bousquet décède le 27 août 1991, Roger Holeindre et Roland Gaucher sont présents à ses obsèques.
Né en 1906, Victor Barthélémy a soutenu dans sa jeunesse l’Action française. En 1925, il rejoint le Parti communiste français et milite au Secours Rouge International. Après un stage en URSS en 1928, il travaille pour l’Internationale Communiste (IC) sous la direction de Palmiro Togliatti (dirigeant du Parti communiste italien) et effectue des missions en Espagne et en Italie pour le compte de l’IC. En 1930, il prend ses distances avec le PCF et adhère au Parti populaire français (PPF) de Jacques Doriot. Déçu par le communisme, il se déclare attiré par « l’authenticité révolutionnaire » du fascisme et du national-socialisme. Dans ses mémoires, il explique sa démarche :
« J’avais voulu comprendre les raisons des échecs de l’Internationale, j’avais abouti à une justification du fascisme, à la reconnaissance de son authenticité révolutionnaire ».
En 1936, il est nommé secrétaire fédéral du PPF des Alpes-Maritimes, puis il entre au Comité central et au Bureau politique du parti. Installé à Paris, il devient, en 1939, secrétaire général du PPF et collabore aux journaux doriotistes L’Emancipation nationale et Le Cri du Peuple. En 1941, il occupe le poste de secrétaire général pour les deux zones. Il participe à la création de la Légion des Volontaires français contre le Bolchévisme (LVF) dont les membres qui vont appartenir à la Waffen SS font le serment « d’obéir strictement au chef des armées allemandes et alliées, Adolph Hitler ». Il siège à son comité central.
Après le débarquement, il se réfugie à Sigmaringen avec le « gratin » de la collaboration. En novembre 1944, il représente le PPF auprès de la République sociale italienne (République de Salò), gouvernement fantoche de Mussolini. Après la mort accidentelle de Doriot, le PPF est dirigé par le triumvirat : Victor Barthélémy, Simon Sabiani, Marcel Marschall. En avril 1945, il est à Milan pour prendre en charge le Kommando Tosca dont le but est de créer un « maquis blanc » en France. Il est arrêté, remis aux autorités françaises, jugé par un tribunal militaire et condamné à plusieurs années de prison.
Une fois libéré, il poursuit son activité militante. Il participe avec Maurice Bardèche (qui va fonder la revue néofasciste Défense de l’Occident en 1952) à la création du Mouvement social européen (embryon d’une Internationale noire). Pendant la guerre d’Algérie, il adhère au Front national pour l’Algérie française (FNAF), créé en juin 1960 par Jean-Marie Le Pen. Le FNAF, pendant l’été 1960, après l’indépendance du Congo, mène campagne sur le thème « Algérie française = Congo congolais ».
Sa ligne politique est de garder l’Algérie française et de détruire le régime républicain : « On ne sauvera pas l’Algérie, on ne sauvera pas la Patrie sans briser le système, ses cadres, ses organisations, ses idéologues ». Après l’épisode des barricades d’Alger, en janvier 1960, le FNAF (SPES) se donne pour rôle de venir en aide aux prisonniers de l’OAS. En 1965, on le retrouve au Comité de soutien à Tixier-Vignancour (ancien avocat de Pétain à la Libération) pour la campagne présidentielle. Il devient membre du bureau politique de l’Alliance républicaine pour les Libertés et le Progrès présidée par Tixier-Vignancour.
En 1972, il participe à la création du Front national dont il est le premier secrétaire administratif[9]. Il est celui qui va structurer le FN jusqu’à sa démission en 1978. Il publie un livre de souvenirs, intitulé Du communisme au fascisme, histoire d’un engagement politique[10]. Il décède à Marseille en 1985.
Emmanuel Allot, dit François Brigneau[11], est né en 1919. Il adhère en 1939 au Parti Frontiste fondé par l’ex-membre du Parti radical Gaston Bergery, futur membre du PPF (le parti de Doriot) et du Conseil national de Vichy, et se montre favorable avec Marcel Déat à la création du Parti unique. Brigneau écrit dans La Flèche, journal du Parti Frontiste, et adhère pendant l’occupation au Rassemblement National Populaire de Déat. Après le débarquement en Normandie, il intègre la Milice.
Il explique son engagement par la grande admiration qu’il a pour « le vieux Joseph » Darnand, le Chef de la Milice il précise son engagement :
« Le Maréchal avait dit un jour : Miliciens vous êtes mes soldats. Il m’a paru évident qu’en ces périodes troublées, il me fallait devenir soldat du Maréchal, même en cas de défaite allemande, surtout en cas de défaite allemande »[12].
Arrêté, il est écroué à Fresnes où il partage la cellule de Robert Brasillach, rencontre d’autres collaborateurs, Benoist-Méchin, Henri Béraud. Acquitté et libéré en décembre 1945[13], il se lie à Maurice Bardèche et Antoine Blondin avec lequel il fonde une feuille clandestine, La Dernière Lanterne. Il travaille à Paroles Françaises, journal fondé par André Mutter (compagnon de la Libération) et le Parti républicain de la Liberté qui milite pour l’amnistie des épurés au nom d’une unité nationale structurée par le péril communiste.
Dès le début des années 1950, il collabore à la grande presse : France-Dimanche, Constellation, Paris-Presse,l’Aurore, Ciné-Monde, l’Auto-Journal, Télé Magazine. Sous le pseudo de François Brigneau, il participe à des journaux militants comme La Fronde avec Maurice Gaït (ancien commissaire général à la jeunesse à Vichy et fondateur de Rivarol) et Léon Gaultier (ex Waffen SS). Le manifeste de La Fronde condamne le fait que « des nomades plus ou moins francisés par le Journal officiel […] fassent la loi chez nous avec la complicité de cosmopolites au grand cœur ».
Il côtoie des maurassiens (Pierre Boutang, Philippe Ariès, François Léger), rencontre Jean-Louis Arfel (ex secrétaire de Maurras, catholique intégriste plus connu sous le pseudonyme de Jean Madiran, fondateur de la revue Itinéraires, fondateur ave Romain Marie et François Brigneau du quotidien Présent). En 1947, il écrit dans l’Indépendance Française dont la ligne éditoriale est « de tirer Maurras des griffes d’un régime moribond. Pour le Maréchal de France. La France seule ». En janvier 1951, on le retrouve à Rivarol dont il devient rédacteur en chef.
Pro « Algérie française », il milite en 1958 au Front national pour l’Algérie française de Jean-Marie Le Pen. Il devient rédacteur en chef de Minute, soutient Tixier-Vignancour en 1965, supervise le film des comités TV « Sept ans de malheur ». Il fonde les Editions du Clan, qui publient Les Mémoires de Porthos (pseudo du chef milicien Henri Charbonneau) et édite Le Courrier du Clan. Membre d’Ordre nouveau, il développe sa conception du rôle du parti lors d’un meeting du groupuscule à la Mutualité le 13 mai 1970 : « Il faut être un parti révolutionnaire blanc comme notre race, rouge comme notre sang et vert comme notre espérance ».
Le 9 mars 1971, au Palais des Sports, il dénonce « l’invasion algérienne ». Adepte du complot judéo-bolchévique, il déclare également qu’il faut abattre « la bête rouge qui porte la tête du veau d’or et les sabots fourchus des faux prêtres ». Il est un élément moteur de la création du Front national, dont il est vice-président de 1972 à 1973 et qu’il quitte en 1974 pour rejoindre le Parti des Forces nouvelles (PFN). Quelques années plus tard, il se rapproche à nouveau du FN et dans les années 1980-90, il écrit dans le journal frontiste National-hebdo où il s’occupe de la rubrique « Journal d’un homme libre », signant Mathilde Cruz.
Partisan de Monseigneur Lefebvre, il dénonce « un certain racisme juif ». Il est plusieurs fois condamné pour écrits antisémites et négationnistes[14]. À la question « est-ce que votre xénophobie va jusqu’au racisme, à l’antisémitisme ? », il répond « Oui, dans la mesure où les Juifs représentent un danger à l’intérieur d’un pays, bien sûr ». De 1987 à 1991, François Brigneau est cofondateur du mensuel d’extrême droite, Le Choc du Mois. Il écrit dans la lettre d’informations d’Emmanuel Ratier (ex responsable du Front de la Jeunesse de Normandie, ex PFN, ancien rédacteur du bulletin nationaliste révolutionnaire Balder à Rouen). Lors du bicentenaire de la Révolution française, il écrit dans la publication l’Anti 89, dont il est le directeur de publication et prend la parole, place du Louvre, lors de la manifestation contre-révolutionnaire, le 15 août 1989. À partir de 1991, il publie les Cahiers FB[15]. Il publie également ses Derniers cahiers.
En 1998, lors de la crise du FN opposant Le Pen à Mégret, il refuse de choisir et quitte National-hebdo, se brouille avec Le Pen, assure une chronique régulière dans Le Libre journal de la France courtoise de Serge de Beketch (ex-rédacteur en chef de National-hebdo, de Minute, ex vice-président de l’Alliance générale contre le racisme, pour le respect de l’identité chrétienne et nationale-AGRIF, de Romain Marie). En 1999, il édite un ouvrage au titre significatif : « Jean-Marie m’a tuer » dans lequel il règle ses comptes avec Le Pen. Il décède en 2012.
Né en 1918, il adhère à la CGT en 1931 et occupe le poste de secrétaire adjoint à Nice. Il démissionne de la CGT en 1936. Il adhère alors au Parti populaire (PPF) de Doriot. Il s’engage à la Légion des Volontaires français contre le Bolchévisme et sert dans une division blindée sur le front de l’est. Il est emprisonné en 1946. Son engagement à la LVF lui vaut le surnom de « Tonton Panzer ».
En 1956, il est secrétaire général du mouvement de jeunesse de l’UDCA de Pierre Poujade. La jeunesse poujadiste est présidée par Jean-Marie Le Pen. Partisan de « l’Algérie française », il est membre du Front national des Combattants, créé en 1957 par Le Pen, puis, en 1960, du Front national pour l’Algérie française (FNAF) fondé par Le Pen. En 1961-1962, il est emprisonné au camp de Thol puis à La Santé. Il suit Le Pen au Front national (avec sa compagne Martine Le Hideux (ex vice-présidente du FN, actuellement au Parti de la France), il est candidat, lors de plusieurs élections : en mars 1973 aux législatives dans le Nord, en 1977 lors des municipales à Paris, en 1978 pour les législatives.
En 1982, il est nommé au Bureau politique et en 1983, il dirige de la fédération de Paris. Il est responsable, en 1985, d’Entreprises modernes et Libertés, une structure frontiste qui regroupe des cercles catégoriels en direction des PME françaises[16]. Au congrès de Nice, en 1990, Franz Schönhubert, président des Republikaner allemand et ex instructeur de la division Charlemagne, le présente comme « Mein Waffen Bruder » (mon frère d’arme). André Dufraisse décède le 8 mars 1994. Jean-Marie Le Pen prononce son éloge funèbre : « Et toi, tu marches avec les anges, avec tes copains disparus. Ceux de ta jeunesse et de ton âge mûr : Jacques, Victor, Pierre ». Le Pen fait ici référence à Doriot, Barthélémy, Bousquet.[17]
Né Rolland Goguillot en 1919, il milite dans les années 1930 au sein d’organisations trotskystes et adhère à la Fédération des Etudiants révolutionnaires (FER) puis aux Jeunesses socialistes ouvrières (pivertiste du nom de Marceau-Pivert, dirigeant de la gauche de la SFIO). Pendant l’occupation, il rompt avec le trotskisme et la gauche pour adhérer au parti collaborationniste de Marcel Déat, le Rassemblement national populaire (RNP). II collabore au National populaire, organe de presse du RNP. Le RNP engage ses militants à « rejoindre les formations miliciennes de Joseph Darnand » et à « s’enrôler dans la LVF ». Le National populaire titre : « National populaire égale national-socialisme ».
Roland Gaucher se montre critique par rapport aux lois antisémites de Vichy car il les considère insuffisantes : « La législation antisémite pèche par de grands défauts. Elle n’est pas suffisante, elle n’est pas appliquée »[18]. Arrêté fin 1944 et condamné pour « intelligence avec l’ennemi » en octobre 1946, il est libéré en 1949. De 1949 à 1961, il collabore à la revue Est et-Ouest (bulletin mensuel d’études et d’informations politiques internationale : BEIPI) aux côtés de Georges Albertini[19] et de Boris Souvarine.
Dans les années 1950-60, Gaucher signent des articles dans Carrefour, le Journal des Indépendants, Ecrits de Paris, l’Auto Journal, en 1969, il entre à Minute avec François Brigneau. Il participe à l’UDCA de Poujade et aux comités Tixier-Vignancour. Il appartient au comité de patronage de Nouvelle Ecole. Il assiste aux réunions préparatoires à la création du Front national et, en 1972, il est membre du comité directeur du FN qu’il quitte en 1974 pour le Parti des Forces nouvelles (PFN) où il siège au comité central et au bureau politique, tout en écrivant dans la revue du parti : Initiative nationale.
En 1978, il participe à la campagne de l’Eurodroite qui regroupe le MSI (parti néofasciste italien) et Fuerza Nueva (parti franquiste). En 1979, il quitte en compagnie de Brigneau le PFN et réintègre le FN. Il est élu député européen en 1989 et conseiller régional de Picardie puis de Franche-Comté. Il est tête de liste FN dans le XIXe arrondissement de Paris en 1983 et 1989. En 1984, il fonde avec Michel Collinot National-Hebdo et occupe les fonctions de rédacteur en chef jusqu’en 1993. En 1991, il rachète Le Crapouillot, journal satirique d’extrême droite et publie une lettre confidentielle : « Dans la Coulisse ». En 1993, il quitte le FN en raison d’un désaccord avec ce qu’il considère comme l’autocratie de Jean-Marie Le Pen. Il décède en juillet 2007.[20]
Né en 1915, il adhère en 1936 au Parti populaire français (PPF) de Doriot. Pendant la guerre, il est un proche collaborateur de Paul Marion (ex-fondateur du PPF et rédacteur avec Doriot du programme du parti, secrétaire général à l’information à Vichy). Léon Gaultier est chroniqueur à Radio Vichy, membre de la commission de censure cinématographique. Il est un des fondateurs de la Milice. Il s’engage à la LVF et suit les cours de formation à Bad Tölz (qualifié par Jean Mabire de « saint des saints de la Waffen SS »). Lieutenant d’une unité combattante de la Waffen SS en Galicie, il est blessé en août 1944. Arrêté à son retour en France, il est incarcéré au camp du Strühof en Alsace. Condamné à 10 ans de travaux forcés en 1946, il est libéré en juin 1948.
Il participe, en 1965, au comité de soutien à la candidature de Tixier-Vignancour. Il cofonde avec Jean-Marie Le Pen la SERP (Société d’études et de relations publiques, maison d’édition de disques historiques : chants militaires, discours politiques, etc.)[21]. En 1972, il est aux côtés de Le Pen lors de la création du Front national. Il milite quelques temps au FN tout en écrivant épisodiquement dans l’hebdomadaire Rivarol. Puis il se consacre à l’écriture de ses mémoires et publie en 1991, aux éditions Perrin, Siegfried et le Berrichon : Parcours d’un collabo. Il meurt en 1997[22].
Blessé lors de la manifestation du 6 février 1934, il adhère aux Camelots du roi (service d’ordre de l’Action française). En janvier 1938, il organise l’antenne du Rassemblement antijuif (RAF) de Darquier de Pellepoix (antisémite notoire) à Strasbourg. Désormais, il fait partie « des hommes de Darquier »[23]. De retour à paris, il collabore aux publications du RAF : l’Antijuif puis La France enchainée. Il entre au Service de contrôle des administrateurs provisoires (SCAP), créé dans le cadre de la politique d’aryanisation de Vichy, puis il devient numéro 2 de la Direction générale de l’aryanisation économique. L’évolution de sa carrière et sa promotion sont liées à la montée en puissance de Darquier de Pellepoix, qui est nommé à la tête du Commissariat général aux questions juives (CGQJ) en mai 1942. Il aide Darquier à créer l’Union française pour la défense de la race (UFDR). Au début de l’année 1943, il se voit confier la direction de la propagande du CGQJ par Darquier.
Pierre Gérard est l’auteur de notes qui se veulent théoriques sur l’antisémitisme (Le Juif notre maître, publication du RAF en 1938 ; Le Juif : ce qu’il est, ce qu’il veut en 1943 ; Les Juifs et la guerre. Notre plus grand trésor national, c’est notre race en novembre 1943, brochure de l’UFDR non diffusée). L’UFDR a en charge une émission de radio qui s’ouvre et se ferme par la phrase : « Nous avons tout perdu. La seule richesse qui nous reste est désormais notre race ». En 1939 il comparait, suite à un article publié dans La France enchaînée (1-15 juin 1939), en correctionnel pour avoir écrit que la plupart des avortements étaient pratiqués par des médecins juifs étrangers : « Les Juifs nous empêchent d’avoir des enfants ». En 1949, Pierre Gérard est condamné à l’indignité nationale à vie.
En 1978, il met sa plume au service du Front national et publie « Doctrine économique et sociale du Front national », à l’occasion du 5e congrès du FN[24]. En juin 1980, il réapparait publiquement et il est nommé au poste de secrétaire général du FN après la démission d’Alain Renault et le départ des « nationalistes-révolutionnaires ». Pierre Gérard se heurte aux comités Le Pen (CLP), dirigés par le tandem Stirbois-Collinot issus de la mouvance solidariste. Les CLP ont été mis en place en 1979 dans l’objectif de la candidature de Jean-Marie Le Pen à l’élection présidentielle de 1981. Pierre Gérard s’oppose à la tentative du contrôle du FN par Jean-Pierre Stirbois. Fin 1981, il cède sa place à Stirbois. Il peut être considéré comme le moins connu des secrétaires généraux du FN. Il décède en 1989[25].
Né en 1927, Paul Malaguti a adhéré jeune au Parti populaire (PPF). Il a appartenu au Groupe d’Action sociale pour la justice sociale du parti doriotiste. Ces groupes sont créés pour renseigner Albert Beugras, membre du bureau politique et chef du service de renseignement du parti. Replié en Allemagne avec les restes du PPF, il met sur pied des écoles de guérilla pour former des combattants susceptibles d’être parachutés en France, et est un agent particulièrement efficace au service de l’Abwehr, le contre-espionnage allemand.
À Cannes, le 15 août 1944, Malaguti montait la garde devant la villa Montfleury, QG de la Gestapo, pendant qu’à l’intérieur des Allemands et des miliciens français abattaient 8 résistants membres des FFI et des FTPF. Condamné à mort par contumace en mars 1945, il s’est engagé dans la Légion étrangère, sous le nom de Menz, et combat en Indochine. Rentré en France, il est acquitté par la cour d’assises des Alpes-Maritimes.
Pendant la guerre d’Algérie, il est trésorier du Front national pour l’Algérie française (FNAF) dirigé par Le Pen. Membre de l’OAS, il est incarcéré à la prison de la Santé. Membre du FN depuis sa création, élu au comité central, responsable d’Europaris-Conseil (bureau d’études servant au financement du FN). En 1986, il est élu conseiller régional en région Centre et une polémique éclate sur son action pendant la guerre, notamment à propos de son rôle dans l’assassinat des huit résistants. Malaguti quitte ses responsabilités au sein du FN. Il décède en 1996[26].
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Jean-Paul Gautier est historien des extrêmes droites, auteur du livre Les extrêmes droites en France, de 1945 à nos jours (Syllepse, 2017).
[1] Consulter, Coston, Henry, Dictionnaire de la politique française, Librairie française, 1979, t 3, p 95-96.
[2] Jean Mabire, dans son livre : « La Division Frankreich », le dépeint sous le pseudo de Pierre Mousquet.
[3] Le MNP regroupe des militants de la Fédération des Etudiants nationalistes (FEN) dont François d’Orcival, Alain de Benoist, Georges Schemlz, des ex membres de JN, des ex-poujadistes, tel Pierre Pauty et Jean Ribaillier, ex-JN, ex Comités de soutien d’Europe-Action, fondateur en 1963 du groupe nationaliste aux usines Renault « Unité et Travail ». Le « Manifeste pour la défense de la civilisation occidentale (celle de l’homme blanc) » rédigé par le MNP est très marqué par E-A. Il faut lutter contre « la marée démographique du monde de couleur […], contre le brasage universel (qui entraine) la disparition de notre spécificité génétique, la fin du monde blanc et de sa civilisation. L’union des Blancs est nécessaire pour lutter et assurer leur survie ».
[4] Militant, n° 127, décembre 1981.. Jean-Pierre Stirbois et son groupe soutiennent Israël, d’où l’accusation de « manigances talmudiques» utilisée par Pauty.
[5] Le Monde, 24 juin 1986.
[6] Cité par Fouillet, Catherine, Moi j’aime l’extrême droite, Librairie française, 1982, p 129-130.
[7] Militant, janvier 1986.
[8] Se reporter au livre de Jean-Yves Camus et René Monzat : Les droites nationales et radicales en France, PUL, 1992, p 73-74.
[9] Lebourg, Nicolas, Beauregard, Jean, Dans l’ombre des Le Pen : une histoire des numéros 2 du FN, Nouveau Monde poche, 2012, p 23-62 : « Victor Barthélémy, le passeur » .
[10]Barthélémy, Victor, Du communisme au fascisme. Histoire d’un engagement politique, A. Michel, 1978.
[11]Well Allot a utilisé de nombreux pseudonymes: Julien Guernec, Mathilde Cruz, Caroline Jones, Edmund W. Eallot
[12]Interview de François Brigneau par Jean Cochet, Présent, 1985.
[13] Se reporter à Brigneau, François, Mon après-guerre, Editions du Clan, 1966, Camus, Jean-Yves, Monzat, René, Les droites nationales et radicales en France, PUL, 1992, p 61-62. Le Pape, Anne, Brigneau, Editions Pardès, collection Qui suis-je ?,2014.
[14] En 1981 pour un article dans Minute « Les silences de l’Holocauste », en 1988, il traite, dans les colonnes de National-hebdo le journaliste Philippe Alexandre de marchand de bretelles à RTL, juif assimilé de tendance centriste, reçu à 19 heures par la mama Haine Sinclair, marchande de soutiens gorge à TF1, juive de tendance socialiste. Rares sont les émissions de l’épanouie boulangère azyme où le FN, son président, ses amis ne soient pas agressés ». En 1989, lors d’une émission télévisée, Le Pen avait demandé à Lionel Stoléru (centriste, secrétaire d’Etat au Plan dans le gouvernement Rocard) si « il avait la double nationalité », Brigneau, écrit dans National-hebdo : « Oser demander à Stoléru s’il avait la double nationalité, c’est une offense aux 6 millions de petits porteurs de la Grande banque d’Israël ».
[15] Parmi quelques titres : « Un certain racisme juif », « Philippe Pétain », « La haine anti-Le Pen », « Mais le professeur Faurisson », » Xavier Vallat et la question juive »…
[16] La Fédération nationale EML, obtient 8 sièges aux élections prudhommales en décembre 1997. Après son départ, Dufraisse est remplacé à la direction d’EML par Jean-Marie Dubois. Camus, Jean-Yves, Le Front national : Histoire et analyses, éditions Olivier Laurens, 1996, p 55.
[17]Se reporter à Ratier, Emmanuel, Encyclopédie de la politique française, éditions Faits et Documents, 1992, p 221-223.
[18]Cité par Le Monde, le 7 mars 1992.
[19]Georges Albertini a été secrétaire général du RNP de 1942 à 1944, chef de cabinet de Marcel Déat (Ministre du travail dans le gouvernement Laval en février-août 1944). Il considère que les nazis sont « frères en socialisme ». En juin 1942, dans un éditorial du National Populaire, il qualifie le communisme d’« entreprise juive ».Il crée l’Institut d’Histoire Sociale (IHS). Aux côtés d’Albertini se retrouvent Guy Lemonnier (alias Claude Harmel), ex secrétaire général adjoint du RNP, Branco Lazitch, opposant à Tito, Pierre Celor et Henri Barbé (ex-communistes). Barbé a fondé sous Vichy le Front national révolutionnaire proche du RNP. L’IHS sert à recycler d’ex militants d’Occident comme Hervé Novelli, Gérard longuet, Patrick Devedjian, Xavier Raufer, Alain Madelin (qui signe des articles dans Est et Ouest sous le pseudonyme d’Alain Burgonde). Albertini met sur pied une véritable centrale anticommuniste qui transmet des analyses à la CIA. Il est en contact avec des dirigeants syndicalistes (André Bergeron, secrétaire de Force ouvrière) et politiques (Guy Mollet, n°1 de la SFIO), marqués par leur anticommunisme. Véritable « éminence grise », il devient conseiller de Georges Pompidou quand ce dernier était Premier Ministre de de Gaulle et on le retrouve dans l’entourage des conseillers de Jacques Chirac : Pierre Juillet et Marie-France Garaud. Se reporter à Lévy, Jean, Le dossier Albertini. Une intelligence avec l’ennemi, L’Harmattan, 1992 et Charpier, Frédéric, Génération Occident, Seuil, 2005, p. 177-190, p 308-324.
[20] Roland Gaucher a publié de nombreux livres parmi lesquels : Le réseau Curiel, éditions Jean Picollec, 1981 ; Proche des catholiques intégristes, Monseigneur Lefebvre, combat pour l’Eglise, Editions Albatros, 1976 ; et Les Finances de l’ Eglise de France, Albin Michel, 1981 ; Les nationalistes en France : La traversée du désert (1945-1983), Roland Gaucher ,t1, 1995 et t2 La montée du Front , 1983-1997, éditions Jean Picollec, en collaboration avec Philippe Randa, Des rescapés de l’épuration : Marcel Déat et Georges Albertini, éditions Dualpha, 2007.
[21] La SERP édite « Chants de la Révolution allemande ». Dans la présentation du disque, on peut lire la notice suivante : « La montée vers le pouvoir d’Adolf Hitler et du parti national socialiste fut caractérisée par un puissant mouvement de masse somme toute populaire et démocratique ». Le Pen, directeur de la SERP a été condamné à 2 mois de prison avec sursis et à 10 000F d’amende pour apologie de crime de guerre, le 18 décembre 1968.
[22] Se reporter à Dely, Renaud, Le FN, côté collabos », Libération.fr, 17 juin 1996.
[23] Voir : Joly, Laurent, Darquier de Pellepoix et l’antisémitisme français, Berg international 2002.
[24] Cette publication qui développe les positions libérales en matière économique du FN et son opposition à l’interventionnisme de l’Etat, va bénéficier de plusieurs rééditions, notamment en 1984 sous un nouveau titre « Droite et démocratie économique » qui remplace le programme économique rédigé par Gérard Longuet en 1973.
[25] Concernant la carrière politique de Pierre Gérard , consulter : Joly, Laurent, Dénoncer les juifs sous l’occupation, Paris, 1940-1944, CNRS-Editions, 2021, nouvelle édition revue et augmentée, p. 53,170, 251. Joly, Laurent, Vichy dans la « solution finale » : histoire du Commissariat aux questions juives, 1941-1944, Grasset, 2006.Joly, Laurent, Une tentative de propagande raciste dans la France de 1943. Darquier de Pellepoix et l’Union française pour la défense de la race, Revue d’histoire de la Shoah, vol 1, n° 198, p. 195-225. Valode, Philippe, Shoah française, les responsables impunis : Vallat, Darquier, Bousquet et tous les autres ,p. 60, p ; 203, Acropole, 2016. Ory ; Pascal, Les Collaborateurs, Seuil, 1976. Callil, Carmen, Darquier de Pellepoix ou la France trahie, Buchet-Chastel, 2007.
[26]Se reporter à Historia, hors-série, n° 27, « La Gestapo en France », volume 2, Taillandier, 1971, p. 44-45. Jerosme, Pierre, De l’engagement de la nation française dans la triste aventure du gouvernement de Vichy, L’Harmattan, 1994.