Parmi les débats oubliés de l’élection présidentielle, les enjeux touchant à l’Université et à la recherche figurent en bonne place. Pourtant, les gouvernements ont enchainé depuis dix ans les réformes, détruisant consciencieusement et progressivement tous les principes de l’Université publique. Dans cette contribution, les auteurs, chercheur·ses et membres du Parlement de l’Union populaire, font un retour sur ces réformes avant d’indiquer quelles propositions alternatives devraient être mises en œuvre, selon eux, afin d’inverser ces tendances et faire de l’Université et la recherche des espaces pour l’émancipation.
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Depuis 2007, chaque gouvernement a réformé l’Université et la Recherche dans le même sens : la Loi relative aux Libertés et aux Responsabilités des Universités (loi L.R.U.) de Valérie Pécresse (sous la présidence Sarkozy), la Loi relative à l’Enseignement Supérieur et à la Recherche de Geneviève Fioraso (sous la présidence Hollande), la Loi relative à l’Orientation et à la Réussite des Étudiants de Frédérique Vidal (sous la présidence Macron) à laquelle s’est ajoutée la Loi de Programmation de la Recherche (L.P.R.). Ces contre-réformes, menées d’abord par la droite, puis les socialistes et leurs alliés et enfin La République en Marche, ont profondément transformé l’Université et la Recherche. Elles correspondent à un projet de société néolibéral, rompant avec le droit à l’éducation et menaçant les fondements même d’une démocratie. Sans surprise, le récent discours du 13 janvier dernier d’Emmanuel Macron au Congrès de la Conférence des présidents d’universités propose d’approfondir cette transformation : professionnalisation des cursus, augmentation drastique des frais d’inscription, endettement étudiant, sélection accrue à l’entrée, etc. Bref, il propose d’augmenter encore les maux dont souffre l’Université depuis plus de quinze ans.
L’Avenir en Commun propose de rompre avec l’esprit de ces réformes. Mais pour mener à bien une telle rupture, il faut analyser de manière précise la nature des transformations que ce nouveau régime législatif, accompagné par un pilotage technico-administratif quotidien, a entraînées. Cette analyse doit permettre d’élaborer une nouvelle Université, conçue comme une institution républicaine, essentielle dans le fonctionnement d’un régime démocratique, et comme un acteur majeur du service public de l’enseignement supérieur et de la recherche. Dès lors, cette politique cesse d’être sectorielle. L’ensemble de ces transformations doit permettre à l’Université et à la recherche d’être des piliers essentiels d’une VIème République, démocratique et sociale. Il ne saurait y avoir de véritable démocratie sans accès du plus grand nombre à tous les savoirs, y compris ceux qui sont en cours d’élaboration, condition d’une intelligence collective et de décisions produites démocratiquement en vue de l’intérêt général.
Au préalable, il convient de préciser que les transformations profondes qu’a connues l’Université se déploient à une triple échelle : législative, réglementaire et pratiques administratives. Le corollaire de ce rappel est que nous devons envisager de donner à la politique universitaire une égale ampleur pour d’une part effacer les réformes précédentes et d’autre part engager un changement radical.
La loi L.R.U. défendue par Mme Valérie Pécresse en 2007 sous la présidence de M. Nicolas Sarkozy est tout à la fois la première étape d’un processus long et un jalon décisif. Avec ses décrets d’application, elle a de manière forte engagé l’Université française dans un processus dont les effets sont de plus en plus visibles. Trois grandes impulsions peuvent lui être associées.
La première concerne le fonctionnement démocratique des établissements universitaires. Cette loi a en effet profondément modifié la modalité des délibérations. Pour l’essentiel, elle a restreint la capacité de décider au seul conseil d’administration – dont les membres élus désignent le président –, affaiblissant les deux autres conseils, le conseil des études et de la vie universitaire et le conseil de la recherche[1]. De plus, le nombre des administrateurs a été réduit (entre vingt et trente membres) et la part des personnalités extérieures accrue. Citons un exemple de composition : 14 représentants des enseignants chercheurs, 3 des personnels administratifs, 5 des étudiants et 8 personnalités extérieures. Comme le plus souvent les personnels comme les étudiants sont sur des listes différentes, la stabilité d’une majorité dépend structurellement des personnalités extérieures. En outre, les simples élus ne disposent d’aucune décharge financée leur permettant de se former et de préparer les délibérations. Le résultat est que les membres de la majorité du moment suivent le plus souvent aveuglément le président qu’ils ont élu. Dans les faits, les universités sont gouvernées par un seul individu et l’administration qui l’entoure, à laquelle il faut ajouter les conseillers du ministère et le Rectorat qui expliquent comment il faut appliquer les réformes.
La deuxième porte sur les finances des établissements universitaires. Au nom de l’autonomie financière, la masse salariale a été intégrée au budget. Comme elle concerne en majorité des personnels statutaires, elle devient une menace permanente, et récurrente. En raison des avancements obligatoires (« glissement vieillesse-technicité »), les universités n’ont pas la maîtrise de cette part de leur budget qui dépend du ministère. Celui-ci n’a eu qu’à décider d’ignorer les changements d’indice des personnels pour rendre obligatoire une austérité budgétaire. De très nombreux établissements ont dû ainsi lancer des plans d’économie, se traduisant par des gels de postes massifs. Une autre solution aurait pu consister à utiliser la dévolution du patrimoine immobilier que cette loi prévoyait. Celle-ci a été rare après 2007 mais, à présent, la tentation de la vente à la découpe se fait plus forte, au nom de supposées et futures marges de manœuvre.
La troisième a affecté les enseignants chercheurs, régis jusque-là par le décret de 1984 issu de la loi Savary. En modifiant ce cadre réglementaire, il s’agissait d’affaiblir leur statut. Jusqu’au nouveau décret de 2008, pour l’essentiel, ils étaient libres de chercher. Désormais, parce que la recherche est décomptée comme un temps de travail (moitié enseignement, moitié recherche), une évaluation des travaux menés peut déboucher sur un déficit horaire. Une recherche mal évaluée (mais menée!) peut se traduire en jargon administratif en sous-service, c’est-à-dire en manque à « gagner » pour l’université par rapport au traitement versé au personnel considéré. Il devient alors possible de lui réclamer des heures d’enseignement, au titre d’une compensation. Inversement, une recherche très bien évaluée s’analyse comme un trop plein d’heures et peut impliquer une baisse des heures d’enseignement. Outre la mise en compétition généralisée que ce processus dit de « modulation des services » implique, il détruit l’idée même de statut d’enseignant chercheur, en individualisant les situations.
La loi L.R.U. prévoyait également la possibilité pour des universités de fusionner pour créer des établissements capables d’entrer dans la compétition mondiale au sein de « l’économie de la connaissance », pour reprendre la formule de la technocratie européenne. Rappelons que les universités américaines, souvent présentées comme des modèles, n’ont jamais eu de telle taille (plus de 60 000 étudiants pour l’Université de Bordeaux, 22 000 pour Harvard…). Il y eut peu de fusions jusqu’en 2012. La loi de 2013 a rendu obligatoires les regroupements universitaires (sauf pour l’Île-de-France). Sans parvenir véritablement à obtenir le paysage universitaire souhaité – une dizaine d’universités mastodontes contre un peu plus de quatre-vingt –, elle a accéléré la disparition du modèle républicain d’une Université française dont les établissements ne sont que des répliques les uns des autres, c’est-à-dire d’un même service public de l’enseignement supérieur et de la recherche dont l’accès doit être garanti au plus grand nombre. C’est désormais une logique de différenciation des universités qui domine, chacune étant encouragée à créer sa propre « marque ». Elle rend possible à terme la mise en cause du caractère national des diplômes puisque ce n’est plus tant le niveau d’études qui compte que l’établissement fréquenté. Le corollaire est qu’elle donne un sens à l’accroissement et la différenciation des droits d’inscription. Pourquoi ne pas payer plus cher un diplôme qui vaut plus car il sera obtenu dans une « bonne » université ?
Pour ce faire, il fallait en finir avec le libre accès à l’Université. Une première remise en cause a été décidée en 2016 avec la restriction à l’entrée en master, accompagnée d’un droit formel à la poursuite d’études qui n’a jamais été suivi d’effets. Le changement déterminant a été initié par la Loi relative à l’Orientation et à la Réussite des Étudiants, à l’origine de la plateforme ParcourSup. Sans entrer dans le détail ici, il faut rappeler que l’argumentaire utilisé par la ministre Frédérique Vidal était constitué par des mensonges. Deux exemples suffiront. Le tirage au sort avait été déclaré illégal par le Conseil d’État en décembre 2017, soit trois mois avant le vote de la loi. Il n’était donc pas nécessaire de changer la législation. En 2017, la France affichait un taux de diplomation (proportion de bacheliers obtenant au minimum une licence) largement supérieur à celui d’autres pays équivalents. Il n’y avait pas de problèmes particuliers de réussite.
Avec ParcourSup, les candidats à l’entrée à l’Université sont devenus des variables d’ajustement au nom des capacités d’accueil, c’est-à-dire des places financées par le budget. Avec leurs parents le plus souvent, ils sont plongés dans la peur d’échouer et se sentent pris dans une implacable logique concurrentielle. En raison de la réforme du lycée et du baccalauréat, la concurrence avec le choix des options, en seconde au plus tard. Ainsi, la différenciation et l’individualisation des parcours s’imposent et affaiblissent d’autant l’idée même d’un diplôme national.
Dans la continuité avec les changements précédents, la Loi de Programmation de la Recherche (L.P.R.) du 24 décembre 2020 conditionne plus encore qu’auparavant l’obtention de financements à la participation à des appels à projets et prolonge l’affaiblissement du statut des personnels. Depuis longtemps, les laboratoires et les équipes de recherche avaient vu leurs financements pérennes baisser. Cette baisse accompagnait l’émergence d’acteurs nouveaux ou en renforçaient, notamment l’Agence Nationale de la Recherche (A.N.R.) créée en 2005, chargés de financer la recherche par le lancement d’appels à projets. Cette dernière est renforcée par la L.P.R.
Cette logique a plusieurs conséquences. Elle oblige les personnels à adapter leurs recherches, voire même leurs objets de recherche, pour qu’ils puissent s’inscrire dans un temps court, quatre ans. Seul le résultat, prévu par le projet, compte. L’idée même de recherche en est pervertie, réduite à l’obligation de résultats. L’autonomie de la science et la liberté académique sont gravement mises en cause puisque tout autant la finalité que la démarche sont validées de manière externe. En imposant le modèle des agences de moyens, l’appel à projets s’accompagne d’une montée de la précarité. Le financement des contrats est garanti sur quatre ans dans le cas de l’A.N.R. Autrement dit, à terme, il s’agit d’imposer l’idée que les chercheurs n’existent que tant que le budget qui finance leurs travaux est alloué. Dans ce cadre, le statut n’a plus de sens.
Loin de résoudre les besoins de financement pérenne de la recherche française, la L.P.R. approfondit l’instabilité budgétaire des laboratoires et des équipes. Les ressources de ceux-ci dépendent désormais plus encore des réponses favorables aux appels à projets. En outre, elle renforce la différenciation des personnels en créant des chaires d’excellence, permettant à quelques personnels, évalués excellents, d’avoir une carrière accélérée. Progressivement, un autre modèle d’enseignement supérieur s’impose. Alors que l’idée même d’Université suppose, depuis le XIXème siècle, un lien consubstantiel entre enseignement et recherche, il s’agit aujourd’hui de les séparer le plus possible en élaborant un nouveau cursus.
Un premier niveau se composerait d’un Bac-3 à Bac+3. Le marché de l’emploi constituerait pour l’essentiel le cadre structurant. La part de la recherche dans les cursus doit être réduite. Telle est l’objet de la réforme annoncée par Emmanuel Macron le 13 janvier dernier. Dans ce cadre, il ne serait plus nécessaire d’avoir des enseignants-chercheurs pour les années de licence. Le deuxième niveau serait constitué par le master (Bac+5) et le titre d’ingénieur. L’introduction de la recherche, et des personnels ad hoc, prend ici son sens. Enfin, troisième et dernier niveau, le doctorat (Bac+8), réservé à une élite, permet le plein accès au savoir en train de s’élaborer.
L’ensemble des transformations engagées en 2007 ont donc conduit à l’affaiblissement, pour ne pas dire la disparition, de l’Université républicaine et de son projet : l’accès du plus grand nombre aux savoirs et à la science en train de se réaliser. Un tel système universitaire n’est pas compatible avec le projet d’une nouvelle République, démocratique et sociale parce qu’il associe les connaissances scientifiques à une logique marchande de rareté. Seul un petit nombre est en situation de les posséder et de pouvoir s’en prévaloir, au nom de l’expertise. Pour nous, la réalité démocratique des nouvelles institutions politiques dépend de la nature du système universitaire parce qu’elle détermine le partage effectif des savoirs.
La nouvelle Université de la VIème République devra se constituer autour du projet démocratique que celle-ci suppose, tant à l’échelle collective qu’à l’échelle individuelle. Parce qu’elle est le service public de l’enseignement supérieur et de la recherche, elle a en charge la production de savoirs scientifiques et leur diffusion au plus grand nombre, c’est-à-dire, sous des formes variées, à l’ensemble de la population. Elle conservera l’esprit de l’article 3 de la loi de 1984 qui évoque pour l’enseignement et la recherche « leurs possibilités de libre développement scientifique, créateur et critique » (article L141-6 du Code de l’Éducation). Elle fera donc toute sa place à la création artistique sous toutes ses formes, conçue comme une manifestation essentielle de l’esprit humain. Elle protègera également la contestation argumentée des opinions, privées comme publiques, sans jamais confondre la critique avec le rejet systématique.
Ces établissements seront institués comme des modèles de démocratie. Leur taille devra être repensée. La participation de tous les membres des communautés universitaires aux délibérations doit être refondée et accrue à tous les échelons, de l’unité de recherche jusqu’aux établissements. Elle sera pensée en tenant compte de la position institutionnelle de chacun. De ce point de vue, l’application d’un raisonnement arithmétique n’aurait aucun sens. Il faut au contraire laisser une place aux différentes temporalités dans lesquelles sont prises les étudiants et les personnels.
Les personnels doivent retrouver un rôle cardinal dans l’élaboration des décisions à moyen terme. Leurs représentants doivent être majoritaires dans toutes les instances de gouvernement des universités. Les étudiants et leurs représentants doivent contribuer de manière renforcée aux réflexions pédagogiques et au contenu des formations, aux côtés des universitaires et personnels administratifs, sans jamais négliger l’articulation essentielle entre enseignement et recherche.
De son côté, l’État garantira aux établissements une stabilité budgétaire établie à partir des besoins en enseignement supérieur et en recherche. Pour la mettre en œuvre, il reprendra la gestion de la masse salariale des personnels, pour en finir avec les mécanismes austéritaires que la prétendue autonomie financière a mis en œuvre avec la loi L.R.U. Pour aller dans le sens d’un dépassement progressif de la dualité universités/Grandes Écoles, il abolira également l’inégalité de financement entre les étudiants et les élèves des classes préparatoires. Il réintroduira le principe d’un financement pérenne aux laboratoires, tout en encourageant l’émergence de recherches nouvelles.
Pour ce faire, il faudra dégager des moyens financiers. Il conviendra d’abord de supprimer la première niche fiscale, le Crédit Impôt Recherche (C.I.R.), qui depuis plusieurs années permet à certains grands groupes de mener des opérations d’optimisation fiscale quand il ne s’agit pas de fraude tout court, comme de nombreux rapports l’ont montré, y compris celui de la Cour des Comptes. Pour ne prendre qu’un seul exemple, Sanofi a pu bénéficier de ce dispositif tout en fermant ses laboratoires de recherche. Ce sont ainsi plusieurs milliards d’euros qui chaque année pourraient être alloués au service public de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Les financements résultant de la suppression du C.I.R. seront complétés par une réforme de la fiscalité sur l’héritage. Au-delà de 12 millions d’euros de patrimoine à transmettre, les droits de transmission seront de 100%. La somme récoltée permettra de financer les mesures en direction des élèves de la voie professionnelle et de la lutte contre la précarité étudiante : allocation mensuelle de 1063 € ; construction de 15 000 logements universitaires supplémentaires par an ; accès à tous les bacheliers sans sélection à la formation de leur choix. Par ce financement, ils deviendront les héritiers de la société.
Ces ressources budgétaires nouvelles permettront de mettre un terme à l’austérité en portant l’effort de recherche et développement à 3 % du PIB, avec 1,5 % du PIB pour le secteur public en 2027. Une hausse massive des crédits pérennes pour les unités sera décidée, ainsi qu’un plan ambitieux de création de 30 000 emplois en 5 ans et 8000 allocations doctorales supplémentaires par an. De même, le point d’indice sera augmenté de 15%, tous les contractuels exerçant des fonctions pérennes seront titularisés et la durée du contrat doctoral sera étendue à 4 ans.
La liberté d’apprendre doit être instituée. Toute forme de sélection doit être abolie à l’entrée des universités, la possession du baccalauréat suffisant. La possibilité de poursuivre librement des études sera un droit acquis avec la possession du diplôme requis. Il faudra également veiller à offrir une grande latitude aux étudiants dans le choix de leur formation, y compris leur contenu. Une relative maîtrise du temps d’apprentissage sera réintroduite. Les dispositions réglementaires concernant le calendrier universitaire seront revues dans l’optique d’une restriction de la semestrialisation et d’un encouragement à l’annualisation des enseignements. Il supprimera les entraves aux redoublements et les limitations au prolongement de l’inscription en doctorat. La durée légale du contrat doctoral sera portée à quatre ans. Les étudiants seront considérés comme des adultes et des citoyens. Ce ralentissement doit s’accompagner d’une diminution des évaluations notées qui constituent aujourd’hui un obstacle dans la réussite étudiante, qui créent un climat permanent de compétition scolaire, qui empêchent d’étudier sereinement et qui plongent tout le monde dans un rythme infernal de travail produisant de nombreuses souffrances.
Puisque la VIème République doit consacrer des droits nouveaux que les citoyens se reconnaissent entre eux, le texte de la nouvelle Constitution instituera la liberté académique comme principe, celle-ci étant entendue comme l’articulation des libertés de chercher, d’enseigner et d’apprendre. Il pourrait apparaître surprenant de constitutionnaliser un droit qui ne vaut que pour une partie de la population. Mais cette constitutionnalisation procède de la finalité reconnue à la liberté académique. Celle-ci ne vise pas à reconnaître un privilège individuel. La conception de l’intérêt général qui la fonde suppose que l’accroissement du savoir constitue un bien collectif et que sa diffusion protège la démocratie.
Ces derniers mois, comme beaucoup d’autres pays, la France a fait l’expérience de ce que produisait la justification prétendument scientifique des décisions politiques prises : un régime autoritaire. La protection constitutionnelle de la production et de la transmission du savoir scientifique constitue une condition préalable des débats démocratiques et de leur finalité : les prises de décision qui engagent ensuite l’ensemble des citoyens. La connaissance scientifique protège d’une conception dogmatique de la vérité. Elle ne peut pour cette raison se substituer aux délibérations collectives. Elle ne doit jamais être conçue comme une vérité définitive. Elle doit accompagner au contraire les discussions politiques qui peuvent alors prendre la forme de confrontations entre des opinions justifiées.
À ce titre, les Centres Hospitalo-universitaires (CHU) devraient être exemplaires dans la manière dont ils remplissent les missions d’une Université républicaine et démocratique. Alliant sur le même site le service rendu à tous les citoyens, la production du savoir scientifique et son élaboration conjointe avec les personnels en formation et avec les patients, ils incarnent les logiques démocratiques qui sous-tendent le savoir quand il est mis au service de la société. En supprimant la corruption induite par la course aux financements, en soustrayant le pilotage de la recherche aux pouvoirs de l’industrie pharmaceutique et des géants des biotechnologies et en annulant la compétition produite par l’injonction à la rentabilité qui détruisent à la fois le système hospitalier et la recherche publique, c’est la notion de service public rendu à la société qu’il s’agit de remettre au cœur de la santé, de l’éducation et de la recherche.
Ce faisant, l’Université doit accepter son inscription dans l’historicité d’une société. Elle n’a pas à prétendre être neutre, ce qu’elle n’a jamais été. Rappelons que Max Weber n’a pas défendu la neutralité de la science en valeur, dite « neutralité axiologique ». Il se préoccupait de la non imposition de valeurs par les professeurs, pendant l’enseignement. Il dénonçait ceux qui profitaient de leur position en chaire pour énoncer des vérités qui ne pouvaient être discutées. Il affirmait également :
« Quand un enseignant remplit correctement sa fonction, sa première tâche est d’apprendre à ses élèves à reconnaître l’existence de faits qui les dérangent, je veux dire qui les dérangent dans leurs partis pris : et tous les partis pris – y compris les miens, par exemple – rencontrent ce genre de faits extrêmement dérangeants. »[2]
Le professeur n’est pas hors du sens commun, pas plus qu’il ne saurait être sans intérêts ; les étudiants non plus. La liberté académique autorise la remise en cause des évidences, sans substituer à celles-ci des vérités indiscutées. Elle implique de sortir tout autant des dogmes que du confort du relativisme.
Ce rappel permet de saisir la singularité de l’Université. Comme l’écrivait Wilhelm von Humboldt au début du XIXème siècle,
« c’est une particularité des établissements scientifiques supérieurs de traiter la science comme un problème qui n’est pas encore résolu et de ne jamais abandonner en conséquence la recherche. »[3]
Il en déduisait une relation particulière entre les professeurs et les étudiants, tous au service de la science qui n’est « pas encore complètement trouvée », réunis dans la liberté d’enseigner et la liberté d’apprendre. Cette conception fait apparaître la véritable nature des attaques diverses que l’enseignement supérieur et la recherche subissent depuis quelques années : une remise en cause radicale de la possibilité même d’une démocratie.
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La production et le partage des savoirs doivent être au cœur de tout projet émancipateur. L’accroissement de nos connaissances individuelles et collectives est d’abord une fin en soi, car pour l’humanité une meilleure compréhension de la réalité physique et sociale est une source de progrès collectif. L’Université et la Recherche contribuent aussi à l’intérêt général, en développant l’esprit critique des citoyens et en accroissant le partage des connaissances scientifiques pour le plus grand nombre. Le service public d’enseignement supérieur et de recherche est pour nous l’un des piliers institutionnels de la VIème République à bâtir, qui garantira la nature démocratique de l’Université et contribuera par ses actions au projet d’émancipation collective et individuelle et de réponse aux besoins sociaux et environnementaux, revenant ainsi aux sources du socialisme républicain authentique et à sa finalité telle que Jean Jaurès la définissait : la République, jusqu’au bout.
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Karin Fischer, est professeure en études irlandaises et britanniques à l’université d’Orléans, co-animatrice du groupe Enseignement supérieur et recherche de la France Insoumise et membre du Parlement de l’Union Populaire.
Hendrik Davi est Directeur de Recherche en Écologie, co-animatrice du groupe Enseignement supérieur et recherche de la France Insoumise et membre du Parlement de l’Union Populaire
Barbara Stiegler est professeure de philosophie à l’université de Bordeaux Montaigne, et membre du Parlement de l’Union populaire.
Tous les trois soutiennent la candidature de Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle. Leur contribution n’engage pas, bien sûr, la rédaction de Contretemps.
Illustration : Université Ouverte
[1]La loi de 2013 a apporté des modifications, marginales pour l’essentiel, au fonctionnement des conseils. La domination du conseil d’administration demeure la norme. Il est à rappeler que depuis cette date les personnalités extérieures participent à l’élection du président ou de la présidente de l’université, ce qui affaiblit d’autant la démocratie universitaire.
[2]Trad. Isabelle Kalinowski.
[3]Trad. Alain Renaut.