Jusqu’à très récemment, le triomphe d’un tel projet semblait un exploit impossible en Colombie. Mais les luttes ne sont jamais vaines et les protestations accumulées ces dernières années ont rendu l’impensable possible. Le dimanche 19 juin 2022 restera une date importante dans l’histoire de la Colombie. Le triomphe du ticket progressiste mené par Gustavo Petro et Francia Márquez aux élections présidentielles rompt avec un continuum de deux siècles de gouvernements élitistes, la plupart de droite et, dans certains cas, criminels.
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Ces gouvernements ont gouverné principalement en faveur des intérêts privés nationaux et transnationaux, en tournant le dos au peuple colombien et latino-américain. Leur hégémonie, qui commence enfin à se fissurer et à céder la place à d’autres expressions politiques plus progressistes et populaires, a laissé un triste héritage en faisant de la Colombie l’un des pays les plus inégalitaires et mafieux du monde, sans parler de l’un des plus violents sur le plan politique. Gustavo Petro et Francia Márquez ont su incarner l’espoir et le désir de millions de Colombien.nes de surmonter la guerre, l’autoritarisme, l’exclusion sociale et la faim.
Le Pacte Historique l’a emporté avec 11 281 002 voix (50,44 %), ce qui en fait le ticket présidentiel le plus voté de l’histoire de la Colombie. Si l’on regarde la carte des résultats par département, il est clair que les régions qui ont montré leur préférence pour Petro et Márquez correspondent aux territoires qui, historiquement, ont été le plus durement touchés par la violence, l’exclusion sociale et la négligence de l’État, comme la région du Pacifique, les territoires du sud-ouest du pays, la côte caraïbe et l’Amazonie, dans les départements desquels ils ont gagné avec des pourcentages élevés qui, dans certains endroits, ont atteint jusqu’à 80%.
Un autre fait pertinent est le résultat à Bogotá, où 58% des votes ont été remportés. Rappelons que la capitale colombienne, qui compte près de 10 millions d’habitant.e.s, a été gouvernée par Gustavo Petro durant la période 2011-2015, mettant en œuvre des politiques sociales qui, à ce jour, continuent d’être critiquées par les secteurs de droite qui n’ont jamais approuvé la gestion de la capitale par la Bogotá Humana. En tout cas, les résultats semblent montrer que la majorité des habitants de la capitale ne pensent pas la même chose, puisqu’ils ont renouvelé leur vote de confiance, cette fois pour gouverner la nation.
Ce qui est certain, c’est que la Colombie a élu son nouveau gouvernement et que le pays sera dirigé pour la première fois par un progressiste comme Gustavo Petro, un homme issu des secteurs populaires métis et ayant fait ses preuves dans la lutte politique depuis plus de quarante ans. Petro est quelqu’un qui connaît le pays en profondeur, avec toutes ses complexités, ses problèmes et ses richesses, et qui, à partir de là, a réussi à formuler une proposition claire et réalisable : une feuille de route vers une ère de paix.
Il exprime ainsi un type de leadership organisé par une politique de l’amour, en correspondance avec les secteurs populaires ; il brandit les drapeaux de la justice sociale et donne la priorité à l’environnement, en cherchant à freiner le changement climatique, tout en incarnant, tout au long de sa vie, la lutte contre la corruption. Un démocrate radical, qui parle de la politique de l’amour, du pardon social et qui voit dans la Colombie le pays qu’elle pourrait devenir : une « puissance mondiale de la vie ».
En outre, pour la première fois, le pays aura une vice-présidente comme Francia Márquez : afro-descendante, féministe et écologiste. Elle est une dirigeante sociale issue de l’une des régions les plus touchées par le conflit armé, l’exclusion et la pauvreté. Au milieu de la guerre, depuis l’âge de16 ans, Francia est une leader dans la défense du territoire, de la vie, des femmes et des communautés afro.
Jusqu’à il y a quelques années, elle gagnait sa vie en tant qu’employée domestique dans les maisons des familles de l’élite de Cali. Aujourd’hui, elle est avocate, lauréate du Prix Goldman, vice-présidente de la République et, comme annoncé ces dernières heures, prochaine ministre de l’Égalité.
Dans un pays profondément classiste, raciste et patriarcal, gouverné depuis vingt ans par l’extrême droite, l’arrivée au pouvoir de ce duo ébranle les structures pourries du pouvoir hégémonique jusque dans leurs fondements et inaugure sans conteste une nouvelle ère dans l’histoire politique colombienne.
Jusqu’à très récemment, le triomphe d’un tel projet indépendant semblait un exploit impossible dans un pays gouverné par un régime corrompu qui utilisait systématiquement la violence, l’achat de votes, la fraude électorale et la démagogie de la terreur médiatique pour se perpétuer au pouvoir élection après élection.
Bien que cette fois, l’uribisme ait déployé tout son appareil et que l’on ait même découvert un plan d’assassinat de Petro pendant l’une de ses tournées de campagne, ils n’ont pas pu empêcher la victoire populaire. Bien qu’ils conservent le pouvoir économique et politique, les uribistes ont largement perdu leur légitimité. Il existe une génération mieux informée qui n’est pas prête à supporter davantage d’oppression, comme l’ont démontré la grève de 2019 et l’explosion sociale de 2021. Mais arriver à ce moment fut loin d’être facile.
Une grande partie de la légitimité de l’uribisme s’est construite sur la peur des fantômes du communisme, du castro-chavisme et du terrorisme. Le discours de haine s’articulait autour de la fausse thèse selon laquelle tous les problèmes de la Colombie étaient dus à l’existence de la guérilla et qu’il fallait donc l’éliminer militairement à tout prix.
Le cas colombien est reconnu par les spécialistes des conflits pour sa complexité, son caractère multicausal, la diversité de ses acteurs, sa dynamique territoriale et sa longue durée. Cette complexité a facilité la manipulation par les médias du récit national sur la guerre et les conflits sociaux, politiques et économiques qui ont fracturé le pays. Il convient de rappeler que, pendant sa présidence, Álvaro Uribe a même pu nier l’existence même du conflit armé et définir les guérillas, l’opposition politique, la protestation sociale et les individus et mouvements de gauche comme des « menaces terroristes ».
Ce discours s’est poursuivi jusqu’à ce jour, et une partie de la population colombienne reste convaincue que les maux du pays sont dus à des dirigeants de gauche comme Gustavo Petro. Cependant, ces dernières années, de nombreux faits pertinents ont été mis en lumière, rompant avec les dogmes absurdes et les versions trompeuses de la réalité développées par les expert.e.s d’en haut.
Au cours des négociations de paix entre le gouvernement de Juan Manuel Santos et les FARC, la société a pu franchir des étapes importantes dans la reconnaissance de sa propre histoire. Grâce au travail du Centre National de la Mémoire Historique, par exemple, les récits de victimes jusqu’alors réduites au silence ont commencé à être connus. Par la suite, les témoignages des paramilitaires et des militaires admis à la Juridiction Spéciale pour la Paix (JEP) ont mis à jour la réalité que le régime a tenté de cacher par tous les moyens.
En outre, les scandales de corruption en cours, les liens avec le trafic de drogue et les violations des droits de l’homme ont progressivement sapé la confiance de la population dans le projet pro-Uribe. Une partie de plus en plus importante de la population a donc compris l’ampleur et la dimension de la tragédie colombienne et l’urgence de sortir de ce régime de terreur qui était malheureusement devenu habituel après des décennies de vie quotidienne ensanglantée.
Malgré la manipulation, la répression et l’adversité, il y a toujours eu de la résistance en Colombie : des mouvements sociaux et politiques, des processus d’organisation populaire et communautaire qui ont œuvré pour transformer la réalité. Ceux qui ont décidé de se battre ont payé un prix élevé pour avoir affronté le pouvoir criminel, et la violence et la répression ont laissé des blessures profondes qui prendront sans doute du temps à guérir.
Ce sera peut-être l’une des tâches les plus importantes et les plus difficiles pour le nouveau gouvernement : parvenir à une véritable réconciliation nationale qui garantisse la justice pour les victimes et crée les conditions permettant d’éviter de nouveaux cycles de violence. Et bien que les douleurs soient nombreuses, aujourd’hui, c’est enfin à nous de documenter l’espoir. Cet espoir que nous avons ressenti dimanche dernier lorsque nous avons entendu Francia Márquez dire au pays que
« le gouvernement de ceux qui ont les mains calleuses est arrivé, le gouvernement des gens ordinaires, le gouvernement des sans-culottes de Colombie. Allons-y, frères et sœurs, pour réconcilier cette nation. Allons-y pour la paix, résolument. Sans peur, avec amour et avec joie. Allons-y pour la dignité, allons-y pour la justice sociale, allons-y en tant que femmes pour éradiquer le patriarcat de notre pays. Défendons les droits de la communauté LGBTIQ+ dans toute sa diversité. Défendons les droits de notre mère la Terre, de la « grande maison », pour prendre soin de notre grande maison, pour prendre soin de la biodiversité. Allons ensemble pour éradiquer le racisme structurel. »
Le gouvernement du Pacte Historique sera un gouvernement de transition, axé sur la promotion de certaines réformes structurelles qui ont été historiquement reportées et qui cherchent aujourd’hui à inverser le cours de notre navigation en tant que peuple, mais pour y parvenir, il devra relever de grands défis.
Tous les écarts d’inégalité ne seront pas comblés en quatre ans et tous les dommages causés par une guerre de six décennies et deux cents ans de mauvais gouvernement ne seront pas surmontés. Gustavo Petro et son équipe recevront un pays souffrant d’une profonde crise politique, économique et sociale et devront faire face à une opposition féroce et peut-être violente de la part des secteurs mafieux et extrémistes qui refusent de perdre le pouvoir.
On craint même, par exemple, qu’un secteur des forces militaires ne se prête à l’organisation d’un coup d’État. Dans tous les cas, la citoyenneté active et engagée jouera un rôle fondamental dans la défense du gouvernement populaire. Pour cela, le lien entre les institutions et la rue doit rester fort. Les mouvements sociaux et les citoyen.nes sont appelé.e.s à accompagner de près ce processus, tout comme la communauté internationale.
D’autre part, bien que le Pacte Historique ait obtenu le plus grand nombre de voix lors des élections au Congrès du 13 mars, il n’a pas la majorité et devra donc nécessairement travailler pour parvenir à des accords avec d’autres secteurs, dans ce qui a été appelé la construction d’un Front Large (Frente Amplio) qui permettra d’obtenir les majorités nécessaires à une gouvernabilité optimale. Il sera également important d’atteindre les 10 millions d’électeurs et d’électrices de Rodolfo Hernández qui se méfient encore du changement et en ont peur.
Avec ce panorama en tête, ce que propose Gustavo Petro, c’est d’avancer avec détermination vers l’horizon fixé, qui n’est autre que celui de la démocratie réelle et profonde, afin de jeter les bases et les fondements solides de la nouvelle Colombie. Pour y parvenir, son programme gouvernemental se concentre sur la mise en œuvre de cinq transformations majeures et sur la promotion d’un axe transversal : l’égalité des sexes.
En commençant par ce dernier, lorsqu’une société commence à comprendre que la paix et le bien-être ne peuvent être atteints sans nous les femmes, un énorme horizon s’ouvre. La Colombie est un pays dans lequel le machisme est une marque culturelle très présente et profonde qui entraîne un niveau élevé de violence à l’égard des femmes. La violence physique, avec presque deux féminicides par jour ; la violence sexuelle, qui commence à être subie presque dès la naissance d’une fille ; la violence symbolique, économique et psychologique, que toutes les femmes subissent quotidiennement dans tous les domaines de leur vie : dans nos foyers, dans la rue, au travail, à l’école, en politique. Une violence subie à plus grande échelle, enfin, par les femmes racisées, pauvres ou diverses en termes de sexualité et de genre.
La proposition programmatique de Petro et Márquez comprend une approche sexospécifique et différentielle ainsi que des axes politiques spécifiques visant à réduire le fossé des inégalités et à lutter contre la violence sexiste. Citons par exemple la proposition d’un Système National de Soins, la création d’une politique globale de prévention et d’attention à la violence contre les femmes et les filles, au féminicide et à la violence sexuelle, la création du Ministère de l’Égalité, dirigé par une femme féministe comme Francia Márquez et la parité du Pacte Historique. Tout cela est très remarquable, même si ce n’est qu’un début et fera sans aucun doute une différence dans la vie de millions de femmes en Colombie.
En ce qui concerne les cinq transformations proposées, il convient de noter que la première s’articule autour de la transition énergétique, de la lutte contre le changement climatique, de la protection de l’eau et de la biodiversité. La recherche d’une société qui se développe en harmonie avec la nature est considérée comme une condition sine qua non de la continuité de la vie sur la planète. Pour cette dernière raison, cet objectif ne se limite pas à la politique intérieure. Dans son premier discours en tant que président élu, dimanche dernier, Gustavo Petro a adressé un message fort au monde :
« Nous voulons que la Colombie, et ce sera la priorité de notre politique diplomatique, soit à l’avant-garde de la lutte contre le changement climatique dans le monde. La science nous a dit qu’en tant qu’espèce humaine, nous pouvons périr à court terme, que la vie sur cette belle terre peut périr à court terme. Que la dynamique d’accumulation d’un marché débridé, qu’un désir effréné d’avidité et de profit, qu’un processus débridé de consommation sont sur le point de détruire la base même de l’existence. La gauche ne nous dit pas ça, la droite ne nous dit pas ça, la science nous dit ça. Si la science nous le dit, il est temps d’agir maintenant. »
La deuxième transformation est liée au passage d’une économie extractiviste à une économie productive et inclusive, générant les conditions nécessaires à la prospérité du pays. Ces conditions comprennent la démocratisation de l’accès au crédit, aux connaissances et à l’information ; la démocratisation de la terre afin de donner, par le biais de la réforme agraire, des terres fertiles à la paysannerie, ainsi que les infrastructures et les technologies nécessaires, permettant à la Colombie de devenir une puissance agricole. Elle cherchera à produire de la richesse dans les campagnes, dans l’industrie et dans le tourisme afin de la redistribuer. Produire sur la base des connaissances et de manière réglementée sans porter atteinte à la dignité humaine et en respectant la nature.
La troisième transformation consiste à passer d’un des pays les plus inégalitaires du monde à une société qui garantit les droits. Dans ce domaine, l’accent est mis sur les enfants et les jeunes, secteurs dans lesquels Gustavo Petro, lorsqu’il était maire de Bogota, a obtenu des résultats historiques en termes de renversement des taux très élevés de malnutrition, de mortalité infantile et de criminalité, autant de problèmes directement liés à l’inégalité.
Le programme envisage des changements structurels qui visent à combler les écarts en matière d’inégalité socio-économique, ethnique et de genre, en garantissant les droits fondamentaux à l’éducation, à la santé, au travail, aux pensions et à un logement décent aux secteurs historiquement exclus. La lutte frontale contre la faim et la justice fiscale font également partie des objectifs prioritaires. La création du Ministère de l’Égalité aura pour tâche de dynamiser et d’articuler tous les efforts institutionnels dans la recherche d’une société plus égalitaire.
La quatrième transformation vise à passer de l’autoritarisme à la démocratisation de l’État et à la garantie des libertés fondamentales. Cet axe, qui donne également la priorité à l’assainissement des institutions et à l’éradication de la corruption, envisage des changements radicaux dans la politique de sécurité et la politique internationale. L’approche du nouveau gouvernement s’éloigne de doctrines telles que la « Sécurité Démocratique » hautement militariste et autoritaire d’Uribe, ainsi que la guerre contre le terrorisme et la guerre contre la drogue adoptées dans le passé sous l’influence des États-Unis. Ces trois approches ont été testées en Colombie sous différents gouvernements et ont échoué dans leurs objectifs. Le trafic de drogue continue à augmenter et la violence persiste dans de nombreuses régions du pays. Il est temps d’essayer d’autres stratégies, ainsi que d’autres moyens de traiter le problème des drogues illicites.
La vocation internationaliste et latino-américaniste du Pacte Historique est un autre élément important. Il est bien connu que la Colombie a toujours été un instrument stratégique de la politique étrangère étatsunienne envers l’Amérique Latine. Cette forte influence a fait que la Colombie est longtemps restée en dehors de la dynamique régionale. L’arrivée au pouvoir de Petro indique un changement dans la nature des relations avec les États-Unis, qui, selon Gustavo Petro sur son compte Twitter, ont été décrites par le président Biden lui-même comme « plus égalitaires » et bénéfiques pour les deux peuples.
S’il a adopté une attitude amicale et coopérative à l’égard des États-Unis, M. Petro a également montré un intérêt manifeste pour le renforcement des relations avec l’Amérique latine. Affirmant que le moment est venu pour le grand rendez-vous des Amériques, il a invité tous les gouvernements du continent à s’orienter vers une véritable intégration et à œuvrer pour une économie décarbonée. Ces dernières heures, il a écrit qu’il avait reçu des appels de tous les présidents d’Amérique latine et a annoncé qu’après avoir parlé avec le président du Venezuela, ils ont accepté de rouvrir la frontière entre les deux pays, fermée pendant le gouvernement Duque.
En ce qui concerne la question du dépassement de la guerre et de la construction de la paix, qui constitue la cinquième et dernière transition, il est prévu de mettre en œuvre et de respecter pleinement l’accord de paix avec les FARC et d’entamer des négociations avec la guérilla de l’ELN ; de développer une politique visant à promouvoir la soumission collective à la justice des structures illégales dédiées au crime organisé. Elle envisage également de promouvoir un changement culturel en faveur de la paix, qui nous permettra de transformer la mentalité façonnée par des décennies de violence, ainsi qu’un changement de paradigme dans la lutte contre les économies illégales, et la réparation effective et complète des victimes du conflit armé.
Le nouveau président colombien a insisté sur le fait que la politique de l’amour et du changement réel consiste à laisser la haine derrière soi. Il parle de « pardon social », en termes de réconciliation, afin de parvenir à ce qu’il appelle un « grand accord national », un accord dans lequel se construit un consensus qui nous permettra d’atteindre la paix, en reconnaissant notre diversité culturelle, ethnique et idéologique.
A proprement parler, la victoire de Petro s’explique, en partie, par une stratégie d’ouverture idéologique au-delà de la gauche, qu’aucun autre leader n’avait tenté de mettre en pratique dans le passé. En articulant une proposition populaire nationale suffisamment large, il est parvenu à rassembler des secteurs politiques et sociaux d’une grande partie du libéralisme et du centre-droit. Au cours de sa campagne, le candidat a construit des ponts et engagé le dialogue avec des acteurs de tous bords, y compris les conservateurs, les invitant à adhérer à sa proposition de rechercher un accord national incluant l’ensemble de la société colombienne afin de mettre un terme définitif à la guerre et d’avancer vers une ère de paix.
La construction de ces ponts lui a coûté de vives critiques et une remise en question de la part de certains secteurs politiques et intellectuels. Mais la vérité est que non seulement il a eu raison électoralement, tant au Congrès qu’à la présidence, mais qu’il semble réussir à dissiper les craintes infondées de secteurs particulièrement hostiles à ses propositions, comme le patronat lié au secteur industriel (ANDI) et bancaire (ASOBANCARIA), dont les porte-parole ont déjà publié des déclarations publiques reconnaissant les résultats du 19 juin 2022, avec des messages positifs qui ouvrent la porte au dialogue avec le nouveau gouvernement.
Petro a compris que la paix ne se fait pas entre égaux mais entre adversaires, c’est-à-dire entre ceux qui sont en désaccord. Fort de cette conviction, il a osé tenter ce qui semble être deux épopées en une : unir la gauche colombienne et dialoguer avec la droite et le centre, afin de s’accorder sur un avenir commun. Tout ceci dans un pays où la gauche et la droite ont traditionnellement pris les armes pour régler leurs différends.
Ainsi, malgré le scepticisme et les critiques de certains milieux, la Colombie respire aujourd’hui un air nouveau. Seuls ceux et celles qui ont vécu la guerre et en ont gardé des souvenirs peuvent comprendre ce que signifie l’espoir, surtout lorsqu’il nous a été enlevé tant de fois.
Il y a quatre ans, pendant la campagne présidentielle de 2018 au cours de laquelle Petro perdit au second tour face au candidat pro-Uribe Iván Duque, le philosophe slovène Slavoj Žižek a déclaré qu’une victoire de Petro enverrait un puissant signal d’espoir au monde, un monde confronté à une crise civilisationnelle sans précédent qui a besoin d’urgence de nouveaux modèles pour l’aider à la traverser de la manière la plus pragmatique et la plus solidaire possible, loin de tout autoritarisme et avec suffisamment de détermination pour mettre en œuvre les changements nécessaires, mais en même temps avec sagesse, dialogue et adaptabilité. Espérons que dans quelques années, nous pourrons dire que nous sommes un exemple pour le monde entier, que l’humanité a la capacité de construire d’autres mondes possibles et que le moment est venu de le faire avec détermination.
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Tamara Ospina Posse est politologue, féministe et militante de Colombia Humana et du Centro de Pensamiento Colombia Humana (CPCH). Elle tweete à @OspinaPosse.
Article initialement publié par Jacobin América Latina. Traduction par Christian Dubucq pour Contretemps.