L’élection d’Elly Schlein à la tête du Parti Démocrate italien, une bonne nouvelle pour la gauche ?

Dimanche dernier, la victoire inattendue d’Elly Schlein aux primaires du Partito Democratico (PD) en Italie a fait renaître, pour certains, l’espoir d’un ré-ancrage à gauche de ce grand parti du centre, celui de la trahison libérale anti-populaire à la François Hollande et Emmanuel Macron. Pas sûr cependant que cette victoire soit une bonne nouvelle pour la gauche.

***

Un résultat imprévu mais pas très étonnant

Commençons par clarifier ce qui s’est vraiment passé lors de ces primaires. Au premier tour du scrutin, le 11 février, c’est Stefano Bonaccini, l’actuel président de la Région Émilie-Romagne incarnant l’aile droite néolibérale du parti, qui arrivait en tête avec 53,75% des votes, et 18 points d’avance sur Elly Schlein, arrivée seconde. Le second tour du scrutin ce 26 février, contrairement au premier, avait la particularité d’être ouvert à tous.tes les électeurs.ices italien.nes, et non pas seulement aux inscrit.es du PD.

Autrement dit, si aujourd’hui Elly Schlein l’a emporté avec 53,8% des suffrages et 587 000 voix, en réalité cette victoire ne reflète pas, ou peu, un véritable glissement vers la gauche des inscrits et des militants du parti. Il est surtout le résultat d’un mode de scrutin insolite, et de la mobilisation de l’électorat de centre-gauche, dont une partie ne vote d’ailleurs pas ou plus pour le PD. En effet, les militant.es et électeurs.ices du parti écologiste modéré de Angelo Bonelli et du parti Sinistra italiana de Nicola Fratoianni, des formations qui depuis toujours jouent le rôle de béquille du PD, ont été nombreux.ses à se déplacer aux urnes, comme certain.es électeur.ices du Mouvement cinq étoiles (M5S).

L’élection d’Elly Schlein n’est pas pour autant seulement le résultat d’un hold up externe sur le parti. Schlein, bien qu’elle se présente comme une « outsider », a su rallier une grande partie de la classe dirigente du PD. Elle était en fait soutenue par le secrétaire sortant et ancien Premier Ministre Enrico Letta, par les deux influents chefs de courants internes que sont l’ex-Démocrate chrétien et ex-secrétaire Dario Franceschini et l’ex-Démocrate de gauche Andrea Orlando, par l’ex-scission Articolo 1-Mdp guidée par Roberto Speranza, et par un autre ex-secrétaire important, Pierluigi Bersani. De son côté, l’« insider » Bonaccini était soutenu uniquement par le courant Base Riformista et celui de Matteo Orfini, tous deux anciennement liés à l’ex-secrétaire et ex-Premier Ministre libéral Matteo Renzi. Mais Bonaccini avait aussi avec lui la grande majorité des dirigeants et cadres régionaux et locaux du Parti, et une floppée de maires guidés par le florentin Dario Nardella. Cette division des dirigeants du parti risque de donner du fil à retordre à Schlein si elle souhaite vraiment changer la direction du parti, d’autant qu’elle ne dispose pas non plus du soutien du groupe parlementaire du PD.

Le soutien de la majorité des dirigeants nationaux à Elly Schlein s’explique assez simplement : le PD traverse une crise profonde, qui s’est manifestée notamment par son plus bas résultat lors des élections législatives de septembre 2022, autour de 19% des suffrages (alors qu’il se présentait comme le vote utile contre l’extrême droite). Ses électeurs.ices proviennent essentiellement des classes les plus éduquées et les plus aisées, alors que les classes populaires s’en éloignent de plus en plus. Le nombre de participants aux primaires, qui reste élevé, est lui aussi en nette baisse, puisqu’il est passé de 3,5 millions d’électeurs en 2007 ; 3,1 millions en 2009 ; 2,8 millions en 2013 ; 1,8 million en 2017 ; 1,6 million en 2019 ; à 1 million en 2023. À un moment où le PD se trouve à l’opposition face au gouvernement le plus à droite de l’histoire de l’Italie depuis la chute du régime fasciste, et alors que le M5S ratisse de plus en plus à gauche, il semblait nécessaire d’abandonner pour une temps le néolibéralisme agressif porté par le parti depuis sa création en 2008. Elly Schlein était donc la candidate idéale pour tous ceux et toutes celles qui souhaitaient relooker le parti.

Femme, jeune, bisexuelle… et outsider ?

Indéniablement, Elly Schlein est la première femme à prendre la tête du PD. À 37 ans, elle est aussi la plus jeune, et la première à se déclarer LGBT+. Au-delà du symbole, il s’agit d’un changement non négligeable par rapport au profil sociologique des hommes qui ont dominé l’histoire du PD et, avant lui, celle du Parti communiste italien (PCI) dont il est le principal héritier. Par ailleurs, les prises de position de Schlein sur les questions des droits civils, des droits des femmes et personnes LGBT+, des migrants, mais aussi de l’écologie et du travail, la place nettement à gauche par rapport au reste des dirigeants du parti.

ll faut cependant souligner que le récit qui tend à présenter Elly Schlein comme « outsider » au sein du parti et plus généralement dans le paysage politique italien est pour le moins trompeur. À regarder sa biographie de plus près, elle apparaît solidement ancrée dans l’appareil de pouvoir du parti. Elly Schlein a fait ses débuts en politique à l’occasion des campagnes électorales de Barack Obama à Chicago (elle a la citoyenneté américaine), puis a été élue en 2014 députée au Parlement européen dans les rangs du PD. Elle se fait remarquer sur la scène politique italienne en 2013 grâce à la campagne #OccupyPD, qui mobilise des jeunes militants du parti en dissidence avec la direction de l’époque qui avait contribué à l’échec de l’élection à la Présidence de la République de Romano Prodi (ancien premier ministre de centre-gauche décidément modéré). En 2014, elle manifeste contre le « Jobs Act », la loi de détricotage du droit du travail italien promue par le gouvernement de Matteo Renzi, alors secrétaire du PD. Elle abandonne le parti en mai 2015 car elle est en désaccord avec la ligne politique de Renzi, qu’elle définit de « centre-droite ».

En 2020, Schlein se présente aux élections régionales d’Émilie-Romagne, soutenue par une liste « Courageuse, écologiste et progressiste » de gauche modérée qui soutient le candidat de la droite du PD, le même Stefano Bonaccini. Sa liste obtient 3,77% des suffrages, et le nouveau président Bonaccini, qui a nettement bénéficié de son soutien, la nomme alors vice-présidente de la Région. Pendant presque trois ans, le gouvernement Bonaccini-Schlein se caractérise par une gestion néolibérale de l’Émilie-Romagne et par une série de mesures anti-écologistes (grands travaux inutiles et nocifs, re-gazéifieur, plans de transports « cimentificateur », etc.). Schlein quitte finalement la vice-présidence de la Région pour se présenter, et être élue, sur les listes du PD, aux élections législatives de septembre 2022.

Plus généralement, si l’on compare les programmes de Schlein et de Bonaccini pour l’élection au poste de secrétaire du parti, on ne trouve pas de différences substantielles, à l’exception de certaines déclarations sur les questions de droits civils et d’un timide et générique propos de dépassement de certaines mesures néfastes adoptées par le parti, comme le Jobs Act. Du reste, le cadre politique actuel avait poussé tous les candidats à la primaire à se présenter sous un jour plus radical, par exemple en revendiquant l’instauration d’un salaire minimum et du mariage égalitaire, deux mesures qui n’ont jamais été portée par le PD lorsqu’il a été au pouvoir.

La nouvelle secrétaire, qui d’ailleurs ne manque jamais une occasion de répéter qu’elle n’est pas communiste, maintient malgré ses accents radicaux une ligne compatible avec les prérogatives du capitalisme, et un positionnement européiste et atlantiste. En ce qui concerne la guerre en Ukraine, surtout, Schlein se range parmi les fervents partisans de l’OTAN et ne s’est jamais prononcée contre l’envoi d’armes, une question qui a pourtant été au centre de plusieurs mobilisations en Italie, dont la plus récente est celle des travailleurs du port de Gênes la semaine dernière.

Tout changer pour que rien ne change

À supposer cependant qu’elle le veuille, Schlein serait-t-elle à même d’engager le PD sur une ligne politique de rupture avec le capitalisme néolibéral ? Sa victoire a été permise, on l’a vu, par des électeurs qui ne sont pas inscrits au parti, et par un bon résultat dans les sièges du centre-nord du pays, où certains secteurs liés au PD (associations, ONG, réseaux civiques, etc.), dont la nouvelle secrétaire a toujours été proche, sont plus profondément enracinés. Le succès du rival Bonaccini au premier tour du scrutin, son succès au second tour dans le sud du pays, territoire où les inégalités sociales sont plus élevées, sera difficile à contourner pour la direction du parti. D’autant plus qu’une bonne partie de la nouvelle Assemblée nationale reflètera plutôt les équilibres du premier tour.

Les observateurs de gauche qui se réjouissent de l’élection de Schlein négligent un aspect essentiel : il ne suffit pas d’un changement de leadership pour inverser la vapeur au sein du PD. En l’absence de conflit interne, d’une mobilisation de la base militante et d’une volonté de rupture avec l’establishment du parti, et d’une vraie majorité, il y a peu d’espoir que Schlein puisse changer les choses.

Il reste que l’élection de Schlein éloigne la possibilité d’accords électoraux du PD avec le « Troisième pôle » néolibéral à la Macron lancé par Renzi et son acolyte Carlo Calenda à l’occasion des dernières élections. Et elle rend plus probable le rapprochement avec le M5S de Giuseppe Conte, qui pourrait finir par se fondre dans un centre-gauche reformé, avec l’appui des satellites du PD comme Sinistra italiana et le parti écologiste, qui ne manqueront pas de persister dans l’erreur de se subordonner (pour subsister) au parti de la gouvernance néolibérale, qui a promulgué les pires réformes du travail et des retraites de l’histoire du pays, et qui est désormais détesté par la majorité des secteurs populaires du pays.

Par conséquent, l’élection de Schlein pourrait bien, sur le court terme, retarder encore un peu plus la formation d’un bloc contre-hégémonique d’organisations autonomes qui représentent les classes populaires et les classes moyennes travailleuses du pays. Pour ce faire, il faudra travailler sans relâche à la construction d’une organisation anticapitaliste, éco-socialiste et féministe enracinée dans les territoires locaux, à la définition d’un programme commun clair et compréhensible, à la formation de militants, à la mobilisation des classes populaires et à la formation d’alliances avec les voix encore actives et antagonistes du monde syndical et des mouvements sociaux. C’est le travail laborieux entamé ces dernières années par Potere al Popolo et l’Union Populaire, et qui demandera du temps. Ainsi, seulement, lorsque les contradictions sociales et les politiques anti-populaires du gouvernement de Giorgia Meloni apparaîtront clairement, et lorsqu’une nouvelle saison de mobilisation et d’activation politique verra enfin le jour en Italie, une « vraie gauche » pourra peut-être renaître en Italie. Mais pas avant.