Marseille II : le 39ème congrès du PCF

Que s’est-il passé lors du 39e congrès du Parti communiste français (PCF) qui vient de se tenir à Marseille ? Sans prétention à l’exhaustivité, Laurent Lévy analyse dans ce texte certains des principaux aspects de ce congrès, et ce qu’il révèle de l’état d’un parti qui a fêté son centenaire en 2020. Alors que son actuelle direction insiste à l’envi sur le retour du PCF et « l’affirmation communiste », et alors que la presse n’a retenu de ce congrès que le « triomphe » de Fabien Roussel, ce texte donne à voir les points de tension politiques qui ne manqueront pas de marquer l’organisation au cours des années à venir, notamment dans ses rapports aux autres composantes de la gauche mais aussi aux mouvements sociaux.

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Ah dans ses propres pas que marcher est étrange

Comme tout a changé et comme rien ne change

(Aragon, Le Roman Inachevé, 1956)

Ce n’était pas la première fois que j’assistais aux débats d’un congrès du parti communiste. La fois précédente, j’avais vingt ans, et j’étais délégué. C’était le 22e congrès, en 1976. Beaucoup de choses ont changé depuis : le PCF était alors le plus important parti de France, et le plus influent parti d’une gauche unie qui partait à l’assaut du pouvoir avec un programme d’une audace et d’une radicalité aujourd’hui inimaginables. Elle avait deux ans plus tôt obtenu 49,2 % des voix à l’élection présidentielle. Un an plus tard, elle emportait 57 % des voix lors des élections municipales et s’emparait de la plupart des grandes villes de France. Pour l’heure, le PCF comptait un peu plus de 400.000 membres (il en atteindrait 560.000 deux ans plus tard), et si le congrès était pour l’essentiel composé de militantes et militants aguerri-e-s, leur moyenne d’âge était de trente-deux ans et demi. C’est en tant qu’invité que j’assistais en ce week-end de Pâques 2023 au congrès de Marseille du PCF, comme représentant d’un petit mouvement politique.

Le département des Bouches-du-Rhône accueillait pour la quatrième fois un congrès du parti communiste. C’est à Marseille, déjà, que s’était tenu le premier d’entre eux en décembre 1921. C’est à Arles que s’était tenu le 9e congrès en 1937, en plein Front Populaire, époque que l’on peut considérer comme celle d’une deuxième naissance du Parti. C’est enfin à Martigues qu’avait eu lieu en 2000 le 30e congrès, où triomphait Robert Hue, sur une ligne à tout le moins ambivalente qui compte à présent peu de nostalgiques au sein du PCF, mais qui se présentait à l’époque comme une véritable refondation – dont le caractère en trompe l’œil ne sautait pas forcément aux yeux. Le retour à Marseille pour le 39e congrès apparaissait ainsi à certains égards comme un retour à la case départ.

Pour traiter dans son ensemble de ce que signifie ce congrès, pour le PCF et pour la gauche, il faudrait se plonger dans le détail des textes qu’il y a adoptés. Les comptes-rendus et les analyses ne manqueront pas. Au demeurant, les dés étaient jetés avant l’ouverture du congrès lui-même : le texte de « base commune » sur laquelle les congressistes ont débattu était connu, et n’avait vocation à être amendée qu’à la marge[1]. Dire cela ne met pas en cause l’effort de démocratie interne qui caractérise le PCF depuis plus de vingt ans – mais dont ce congrès « Marseille II » pourrait bien marquer la fin, à travers certains aspects de la réforme de ses statuts.

Sur chaque partie du texte, des centaines d’amendements ont été discutés et adoptés dans les fédérations départementales puis, pour certains, intégrés par une commission spécialisée au texte finalement présenté. Les amendements retenus par les fédérations et écartées par la commission étaient soumis au congrès – qui dans la quasi-totalité des cas retenait le choix de la commission : on peut certes être tenté d’y voir du suivisme, mais on peut aussi considérer que cela montre une certaine unité du Parti, et que la commission avait précisément fait un choix conforme à l’opinion majoritaire. Cela doit toutefois être modéré par le fait que, par hypothèse, le congrès est surtout représentatif de la majorité qui s’est dessinée dans sa préparation, et que les minoritaires en était largement absents : si le filtre n’est pas aussi serré qu’il l’était dans le passé, où les votes à 100 % étaient la norme, il demeure fonctionnel : la plupart des votes ont validé avec un score entre 70 et 90 % les propositions de la direction.

À défaut d’une analyse complète, je me bornerai à évoquer quelques épisodes de la discussion à laquelle j’ai pu assister : elle ne porte que sur certains aspects du texte, et il ne s’agira pas ici de les présenter comme centraux – même si certains le sont effectivement et si l’importance des autres m’apparaît indiscutable.

Commençons par un exemple significatif : un passage du texte soumis à la discussion évoquait la nécessité pour le parti communiste d’être « à l’initiative » de telle ou telle campagne. Une proposition d’amendement tendait à remplacer cette formule pour dire qu’il devait y « contribuer ». Posture à la fois unitaire, rassembleuse et modeste qu’un observateur extérieur aurait pu trouver de simple bon sens. La discussion a abouti à récuser cet amendement : l’important est bien que le PCF soit en première ligne, initie des campagnes, se pose en somme en « avant garde », et non qu’il contribue, avec d’autres, à la réussite de campagnes partagées. Si cet exemple est significatif, c’est que la volonté d’affirmation du PCF, fût-ce au détriment des nécessaires rassemblements, planait sur l’ensemble de son congrès, dont il était lui-même le véritable objet. Cela ne sera pas sans conséquences sur ses stratégies d’alliances : ainsi, le seul amendement retenu à propos de la NUPES, sur un texte en minimisant déjà largement l’importance, consistera à affirmer qu’il convient de rechercher d’autres formes de rassemblements – sans plus s’étendre sur ce que ces autres formes, et même les contours de ces rassemblements, pourraient être.

Il est de ce point de vue frappant que, dans toute la discussion relative à l’analyse de la situation politique, n’ai jamais ou presque – et en tous cas pas dans le rapport général présenté par l’omniprésent Christian Picquet – été mentionnée et appelée par son nom la France Insoumise. La FI planait ainsi comme une ombre absente sur les débats, implicitement évoquée en permanence (avec parfois des formules comme « certains disent », ou « les autres »…) mais jamais sous l’angle de l’importance de sa place dans la gauche, et plutôt pour lui reprocher telle ou telle déclaration ou position, ainsi que son attitude à l’égard du PCF, comme s’il était possible d’analyser et de comprendre la situation de la gauche en France en faisant l’impasse sur sa force la plus importante, au moins électoralement.

Il ressort ainsi des discussions du congrès une impression bien étrange, comme si le Parti flottait dans une bulle artificielle, affirmant sa volonté d’être central dans la vie politique, tout en s’interdisant d’y avoir vraiment prise, le tout dans un sentiment général où se mêlent aveuglement et ressentiment. Aveuglement quant à la place réelle tenue par le PCF dans la vie publique, ressentiment devant le peu de reconnaissance et de respect qu’il reçoit de la part de ses potentiels alliés, et en particulier du plus important d’entre eux.

Ce ressentiment, au demeurant, n’a rien d’absurde. La violence des propos de Jean-Luc Mélenchon identifiant le parti communiste comme étant « la mort et le néant » a laissé des blessures loin d’être en voie de cicatrisation, et la volonté impériale, l’attitude dominatrice, la prétention hégémonique du leader de la FI, outre son ton cassant à leur égard, n’a jamais été admise par les militant-e-s du Parti. Mais au lieu de traiter politiquement ces questions, de s’attacher, dans le rassemblement, à forcer le respect et l’attention par une attitude unitaire intransigeante, le choix fait s’apparente plutôt à celui de l’écolier à qui l’on n’a pas, dans la cour de récréation, laissé le ballon pour lui permettre de shooter, et qui dit « Puisque c’est ça, je ne joue plus ».

Dans les années 1970, il y avait parfois, sous la bannière du thème « l’union est un combat », une valse-hésitation entre des périodes d’union sans combat et des périodes de combat sans union, par un mouvement de balancier dépourvu de dialectique, ou même de simple nuance. Tout se passe comme si, regrettant « l’union sans combat » du Front de Gauche (période qui tient lieu de repoussoir dans les discussions), le PCF était bien décidé à se cantonner à un « combat sans union ». Bien sûr, cette attitude, constante, tangible dans les débats du congrès, et renforcée par les tentatives de LFI de s’adresser aux communistes pour leur dicter leurs choix, est à l’occasion maquillée derrière des formulations contraires, mais totalement abstraites, évoquant le « rassemblement » d’une gauche sans contours précis, prétendant même construire une majorité de gouvernement, mais sans jamais dire avec qui, avec quels partenaires, dans le cadre de quelles alliances, construites comment, etc.

Certes le nom d’un Cazeneuve n’a à aucun moment été explicitement évoqué par un membre de la direction. Et lorsqu’il l’a été depuis la salle, c’est par des déléguées dont le discours était clairement critique, et pour dire qu’il n’était en aucun cas un allié potentiel dans une stratégie de rassemblement large à gauche ; mais ces interventions ont été accueillies pour le moins fraîchement par la salle, à travers des mouvements d’humeur divers, sans qu’il soit possible de dire s’il leur était reproché d’insinuer que Fabien Roussel avait effectivement émis cette hypothèse, ou au contraire, d’écarter une hypothèse jugée admissible.

Aucun mandat clair n’aura donc été donné sur ce point à une direction qui conserve les mains libres pour chercher de nouvelles alliances. Fabien Roussel aura toutefois cultivé l’ambiguïté dans son bref discours d’ouverture, par ailleurs à peu près vide, en invitant la gauche, devant les risques de l’extrême droite, à méditer les vers d’Aragon : « Fou qui songe à ses querelles / Au cœur du commun combat ». Cette invitation n’allait pas sans paradoxe, dès lors que le secrétaire national venait de multiplier les griefs à l’encontre de ses alliés. D’une certaine façon, c’est ainsi à lui-même que l’affirmation d’Aragon pouvait sembler s’adresser ; mais on peut aussi penser qu’il s’agissait de justifier un élargissement sans limite du rassemblement de la gauche, dans laquelle les socialistes réfractaires à la NUPES et demeurés fidèles à l’héritage de François Hollande auraient leur place, et auxquel-les il ne faudrait pas chercher querelle. En outre, si de nombreuses interventions prononcées lors du congrès évoquaient les risques d’une arrivée au pouvoir de l’extrême-droite, le ton est plutôt donné par celles qui dénoncent tout pessimisme en la matière, qui tendrait à freiner l’enthousiasme des communistes pour une victoire prochaine…

Au total, sur les questions de politique générale, en l’absence d’une réelle attention à la situation politique réelle, on a donc pu entendre des thèses contradictoires, mêlant l’idée de rassemblements aussi larges que flous et celle d’un isolationnisme hors sol.

Sur des questions plus particulières, la discussion est également significative, et pour le dire crûment, préoccupante. Ainsi les amendements visant à insérer dans le texte l’expression « violences policières » au lieu de « violences commises par des policiers » ont-ils été écartés par des votes massifs, au profit d’une formule reconnaissant simplement que ces violences sont liées à une volonté d’affrontement de l’État. La jeune déléguée porteuse d’un de ces amendements aura beau expliquer que l’expression « violences policières » est celle retenue par toutes les composantes du mouvement social, et qu’il est difficile de se faire entendre lorsque l’on s’exprime au nom d’un parti refusant de l’employer, rien n’y fera. On lui expliquera que parler de « violences policières » stigmatise l’ensemble des policiers, alors qu’ils ne sont que les instruments du pouvoir qui seul serait réellement en cause.

De façon encore plus manipulatoire, et alors que ce mot figurait dans les résolutions de ses précédents congrès, la direction s’est employée à empêcher l’adoption d’un amendement – porté par une grande fédération de la région parisienne et soutenu par les applaudissements d’autres – au motif qu’il comportait le mot « islamophobie ». La scénographie de ce rejet a été particulièrement violente. À la tribune Amar Bellal (dont les accointances avec le Printemps Républicain, qu’il partage avec d’autres dirigeant-es, sont connues) ira jusqu’à affirmer que l’emploi de ce mot était à l’origine des attentats de Charlie Hebdo. Les conditions du débat ont par ailleurs été outrageusement faussées, empêchant aux militant-es qui – comme le PCF lui-même depuis de nombreuses années – employaient ce mot, d’expliquer la pertinence de son emploi. Dans un esprit voisin, un modeste amendement a également été rejeté, qui tendait à remplacer le verbe « libérer » par le verbe « protéger » dans une phrase disant que la laïcité libérait de l’obscurantisme et « des communautarismes » (sans que cette dernière énormité ne soit même relevée). Plus tard, la référence à l’intersectionnalité sera écartée, car cette théorie élaborée aux États-Unis serait inapplicable en France.

Ces remarques suffiraient à dire de ce second congrès de Marseille qu’il présente un bilan globalement négatif. Si la presse y voit simplement le triomphe de Fabien Roussel, il s’agit plutôt de tirer les conséquences de compromis passés lors du précédent congrès par divers courants hostiles à Pierre Laurent : la bataille entre ces courants n’est pas achevée, et chacun s’attache à tirer sa propre épingle du jeu. Curieusement, d’ailleurs, alors que l’ancien secrétaire national est intervenu dignement depuis la salle – avec courage, et parfois sous les huées – pour tenter d’infléchir une discussion sur telle ou telle question particulière, l’actuel est resté pratiquement absent de la salle du congrès, n’y faisant que de rares et brèves apparitions souriantes, en compagnie de photographes et de caméras. Sa présence dans les débats n’en était pas moins permanente, tant étaient nombreuses les interventions évoquant Fabien, les propos de Fabien, la campagne de Fabien, le programme de Fabien, l’image de Fabien, l’impact de Fabien dans les médias… Fabien Roussel est ainsi plus un simple signifiant de l’équilibre précaire trouvé entre les courants identitaires du Parti que son véritable dirigeant.

N’ayant pu assister aux débats relatifs à la refonte des statuts du parti, je n’évoquerai pas ce point : je me limite ici au témoignage de ce que j’ai effectivement vu et entendu, sans prétendre analyser l’ensemble des travaux. Beaucoup de questions importantes n’ont pas été discutées, et parfois même pas évoquées, tout simplement parce qu’elles ne faisaient pas débat, et que les passages des textes qui les concernaient étaient déjà stabilisés, à la suite de l’étape de préparation du congrès dans les sections et fédérations.

Le texte initial avait été enrichi, parfois infléchi, avant d’arriver à Marseille où ne se déroulait que la phase finale du congrès. Et il serait injuste de ne pas noter sur bien des plans la qualité de cette phase finale : réunir pour plus de trois jours plusieurs centaines de délégué-e-s venu-e-s de toutes la France, veiller à leurs repas et à leur hébergement dans les meilleures conditions, assurer techniquement le confort d’une discussion par ailleurs retransmise dans son intégralité en direct sur certains médias, cela est déjà impressionnant. Et même si, avec 42.000 membres, le parti communiste représente moins de 10 % de ce qu’il était dans les années 1970, il reste une force militante considérable dans le paysage dévasté de la gauche : il est d’autant plus dommage qu’il choisisse de céder aux provocations de son plus important partenaire au sein de la NUPES, et de s’enfoncer dans un repli sectaire sur sa propre existence, privilégiée sur l’impact qu’une attitude unitaire pourrait avoir sur la construction d’une alternative.

Cet attachement à l’identité communiste est d’autant plus étrange qu’il sonne souvent faux. Ainsi, même s’iels aiment à citer Maurice Thorez, les militant-es semblent être dans une large ignorance de l’histoire des élaborations de leur propre parti. On a pu voir tel délégué proposer timidement et comme une idée neuve celle d’un socialisme démocratique, alors que tel était précisément l’objet, longuement élaboré par des années de travail intellectuel et politique, dont nous discutions au 22e congrès en 1976.

De même, le passage du texte évoquant en quelques lignes l’expérience soviétique et son échec est-il très en retrait sur les analyses et réflexions construites à l’intérieur du PCF dans les années 1970-1980. Tout se passe comme si, mises à part quelques références formelles et presque folkloriques à un passé fantasmé, le parti communiste prétendait reprendre à zéro un travail de réflexion riche de décennies d’efforts aujourd’hui oubliés. Mais ce travail serait entrepris sans disposer des moyens culturels nécessaires, sans que la tradition intellectuelle accumulée au XXe siècle, globalement brillante malgré ses limites, ses faiblesses et ses impasses, ait été transmise aux nouvelles générations. Qui a connu ce parti au temps de sa splendeur, même couronnée d’un échec retentissant, ne peut sans un pincement au cœur voir ce qu’il tend à devenir.

La dureté de certains échanges, leur violence parfois, même si elle ne fait pas oublier l’ambiance généralement chaleureuse et enthousiaste du congrès, est en elle-même l’indice d’une certaine fragilité de l’équilibre interne du parti. Si la confiance en la direction, appuyée sur ce qui semble une affection sincère pour le secrétaire national, apparaît forte – et ce d’autant plus que, comme je l’ai souligné, la composition du congrès sur-représente les militant-e-s qui lui sont favorables – cela ne signifie pas un suivisme absolu : par l’argumentation, et au besoin par la manipulation, la direction a besoin de convaincre. Si rares ont été les votes acquis contre son avis (trois ou quatre tout au plus, sur des dizaines de scrutins), l’un d’eux est significatif.

Une déléguée était porteuse d’un amendement relatif à la répression et aux oppressions multiformes subies du gouvernement chinois par les Ouïghours. Sur une question comme celle-là, le sentiment intime des communistes ne fait aucun doute, mais le point était délicat du fait des relations que la direction tient à préserver avec le parti communiste chinois, dont plusieurs représentants assistaient au congrès (avec une assiduité aussi médiocre que celle du secrétaire national). Cette délégation était choyée par l’organisation du congrès, et même si elle était absente au moment de cette discussion, un problème diplomatique était certainement posé. À l’amendement, il a été objecté par la direction qu’il était inutile et n’ajoutait rien au texte, puisque celui-ci disait déjà, en termes généraux, que le Parti condamnait, où qu’elles soient, les atteintes aux libertés et aux droits démocratiques. Le vote a toutefois été sans appel, la direction étant battue à 80 % des voix.

Là encore, la comparaison avec l’attitude de la direction à l’époque du 22econgrès est terrible : en 1976, elle avait elle-même organisé la dénonciation explicite des atteintes aux libertés dans les pays de l’Est et en particulier en Union Soviétique, alors que l’enjeu était, pour le PCF, d’une dimension bien supérieure à celle de ses relations actuelles avec le Parti chinois. Dans la manière de procéder comme dans la fermeté de la défense des libertés dans le monde par la direction, c’est donc un recul de près de cinquante ans. Cela ne signifie pas que la solidarité internationaliste ne se soit pas manifestée. Sont intervenues devant le congrès (sur place ou sous forme de vidéos enregistrées) de nombreuses personnalités, représentant des partis de gauche d’Europe et du monde chaleureusement applaudies, et entre autres, à la tribune, une représentante du PKK, l’ambassadrice de Palestine ou l’ambassadeur en France de Cuba – s’exprimant en français après avoir salué son « compañero Roussel ».

Autre intervention remarquable et remarquée d’un invité : celle du maire de Marseille Benoît Payan, entouré de ses adjoints communistes, parfaitement adaptée à son auditoire, en appelant à l’unité de la gauche et flattant les communistes en évoquant leur histoire, leur disant que depuis leur premier congrès à Marseille en 1921, ils étaient dans cette ville chez eux. Et pour finir, une longue citation – en italien suivie de sa traduction – de l’un des derniers discours… d’Enrico Berlinguer, l’un des symboles sans doute – mais Benoît Payan l’ignorait probablement – de ce que déteste toute la frange la plus extrême des partisans de la ligne Roussel…

Il faut enfin noter que l’une des premières interventions, en ouverture du congrès, était celle d’un invité de marque : le responsable syndical CGT des ports et docks, saluant le congrès en rappelant l’ampleur et l’intensité de la lutte en cours, sur laquelle de nombreux et nombreuses délégué-e-s ont centré leur propre intervention. Car au-delà de leur volonté d’affirmation identitaire, au-delà de leur repli politique sur leur propre parti, les communistes entendent bien consacrer leur énergie aux luttes sociales, même s’ils fondent par ailleurs une part de leurs espoirs sur l’éventualité d’un référendum, insistant sur le fait qu’ils ont été les premiers à le proposer.

En quittant ce congrès enthousiaste, où s’exprimaient des militant-e-s de toutes les générations, je ne pouvais réprimer un profond pessimisme, ni une certaine tristesse, partagée avec les quelques camarades qui tentent, depuis des années, de rendre son utilité à ce parti. Même si la direction annonce 1.800 adhésions depuis le début de l’année, outre 1.000 adhésions à la Jeunesse Communiste, il est difficile de voir dans le PCF qui achève son congrès le parti en pleine croissance et respirant la santé dont il voudrait donner l’image. Il a perdu environ 7.000 membres depuis le congrès précédent, beaucoup de fédérations, et encore plus de sections connaissent un étiolement préoccupant, et toute l’énergie militante qui pourrait être mise en œuvre pour rassembler une gauche d’alternative crédible est stérilisée à travers le retour en force de réflexes sectaires, comme si la fierté d’être communiste devait passer par le repli sur soi.

Sans doute est-il difficile d’assumer que l’on a perdu son panache, que l’on a cessé d’être la force motrice de la gauche, que l’on n’exerce sur le mouvement populaire rien qui puisse ressembler à une influence dirigeante, et que si telle est l’ambition que l’on caresse, cela suppose, moins que des incantations et moins que la méthode Coué, que l’on y travaille, que l’on ouvre ses yeux, ses oreilles et son esprit, que l’on se livre, plus qu’au récit de ses propres rêves, à l’analyse concrète de la situation concrète. Cela ne semble pas être le chemin pris par le 39e congrès du parti communiste français.

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Laurent Lévy est membre de la rédaction de Contretemps et militant du mouvement Ensemble !. Le point de vue exprimé dans cet article n’engage que l’auteur.

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Illustration : « Manial », Hamed Abdalla, 1931.


Note

[1]Pour mémoire, voir les observations de Frédérick Genevée sur les débats préparatoires au Congrès, qui s’étaient soldés par un vote interne donnant au projet de base commune présenté par la direction un score de 82 %, contre 18 % à un projet alternatif.