Au cœur de la littérature antisémite (2) : les mythes de la subversion juive

Les médias dominants et le personnel politique – de Renaissance au FN/RN en passant par LR – prétendent que l’antisémitisme serait passé à gauche. Outre son manque de fondement repéré de longue date par les chercheurs en science politique, cette stratégie de disqualification – promue il y a déjà une vingtaine d’années par Pierre-André Taguieff ou Alain Finkielkraut – a pour effet de dissimuler la persistance, et même le développement, d’un « énorme édifice antisémite », composé de plusieurs dizaines de maisons d’édition, qui prospère à l’ombre des droites radicales. 

La littérature antisémite écrite, en 2023, ce sont des centaines d’ouvrages, des livres réédités ou produits et diffusés par des équipes discrètes liées à différents courants de l’intégrisme catholique et des droites radicales contre-révolutionnaires ou nationales-socialistes. Dans une série d’articles que vous propose Contretemps, le spécialiste des extrêmes droites René Monzat, auteur de nombreux ouvrages au cours des quatre dernières décennies, donne un aperçu de cette littérature, à laquelle contribuent sept familles de thématiques antisémites entrecroisées.

Le cinquième volet de notre voyage dans l’antisémitisme contemporain concerne la thématique de de la subversion juive, quatrième des sept familles de la littérature antisémite. La mythologie de la subversion s’articule, se combine ou fusionne avec les mythologies de la domination juive étudiées dans un article précédent : les juifs ne se contenteraient pas d’organiser « par en haut » leur domination sur les sociétés traditionnelles, elles les dissoudraient aussi « par en bas ». Ce discours repose sur le même préjugé développé en panique morale : les juifs cohérents et volontaires chercheraient à subvertir, désagréger et amollir les sociétés en vue de rester demain le seul groupe homogène apte à les dominer. 

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La description des juifs comme force de subversion trouve ses racines dans le moment[1] où l’antisémitisme fusionne avec l’anti-maçonnisme. L’incorporation de l’anti-communisme dans cette rhétorique l’élargit en dénonciation des juifs comme fauteurs de révolutions et plus seulement d’hérésies, fauteurs de désorganisation matérielle, morale, voire de dilution ethnique afin de rester eux-mêmes le seul groupe cohérent. De multiples publications et republications récentes illustrent cette thématique.

L’étonnante résilience des « Protocoles des Sages de Sion »

Les Protocoles des sages de Sion, qui décrivent la subversion juive visant à dominer le monde, restent publiés et diffusés en français[2], alors que leur fabrication par agrégation de divers textes de fiction ne fait aujourd’hui aucun doute. Au point que les algorithmes d’Amazon ont proposé à plusieurs reprises de me fournir telle ou telle édition française de ce texte[3]. Ils ont été défendus et illustrés en 1920 par Henry Ford (1863-1947), le patron automobile, dans une série d’articles du Dearborn Independant, journal de la Ford Motor Company, réunis sous le titre Le Juif international. Ouvrage traduit et réédité plusieurs fois dans des versions parfois différentes[4]

Une sorte d’illustration des Protocoles se trouve dans La Clé du Mystère, (XXX), Prœlium Veritatis, s.d. (179 pages) : « Un recensement de textes d’auteurs judéo-maçonniques, où ces messieurs, pensant être à l’abri pour l’éternité dévoilent leurs objectifs, leurs crimes, leurs moyens, etc. ». Publiée au Canada en 1938 par Adrien Arcand, c’est une étrange compilation. Elle comprend d’une part des forgeries comme Le Discours du rabbin, la Lettre des juifs de Constantinople, la Lettre de Baruch Levi à Karl Marx, les délibérations secrètes d’une société juive à Paris en 1936 ; d’autre part, des prétendus rapports de services secrets, des citations de Bernard Lazare, de Disraeli, de rabbins de province ainsi que du très étrange Samuel Roth (18893-1974)[5].

La thématique de la subversion juive donne aussi lieu à l’écriture d’ouvrages mieux insérés dans leur époque ; ainsi la britannique Nesta Webster 1876-1960), proche de la RISS, publia en 1921 The World Revolution. The plot against civilisation, voyant l’action des juifs dans presque toutes les révolutions. Néanmoins, évoquant le bolchevisme, elle précisa que le considérer « comme une conspiration purement juive semble contraire aux faits et à l’histoire ». C’en était trop pour les éditions Saint Rémi qui traduisent l’ouvrage en 2016[6] : une note furieuse de l’éditeur remet les points sur les i à l’attention du lectorat francophone « si certains juifs réprouvent sa politique, cela ne change rien au fait : le peuple juif est responsable dans ses leaders, de leur choix, de leurs actes et donc de leur subversion mondiale… Cela même si l’auteur [Nesta Webster] se refuse à l’admettre. » (p. 492 n.)

Les documents censés émaner de services secrets, sont utilisés comme preuve ultime de la « subversion juive ». C’est apparemment mieux encore si les auteurs eux-mêmes peuvent se targuer d’une expérience militaire. C’est le cas de La Guerre sans nom, le pouvoir juif contre les nations de l’ancien officier britannique Archibald Ramsay[7] (1894-1955). Archibald Ramsay multiplie les développements sur le thème des juifs fauteurs de guerre (ici la Deuxième Guerre mondiale). Il y entrecroise le récit et les pièces de ses démêlés avec les autorités britanniques lors qu’il monta fin 1939 une sorte de société secrète antisémite (le Right Club). Il utilise avec une candeur sans pareille la rhétorique auto-validatrice. Il raconte ainsi qu’après les concessions faites à Hitler par Neville Chamberlain signant fin 1938 les accords de Munich, « la fureur juive n’était nulle part aussi évidente, bien sûr, qu’à Moscou » : 

« J’ai devant moi un tract de ma propre conception [souligné par RM] publié en octobre 1938. Il y est écrit : ”Savez-vous que M. Chamberlain a été brûlé en effigie à Moscou dès que l’on a su qu’il avait obtenu la paix ; ce qui montre très clairement QUI voulait la guerre, et QUI travaille encore sans cesse à attiser les conflits dans le monde entier” »[8]

Archibald Ramsay affirme ensuite que la Deuxième Guerre mondiale est une conséquence de « l’absurde traité de Versailles » dont les décisions ont été élaborées lors de réunions vespérales des juifs de chaque délégation ![9] Quand il ne se cite pas lui-même, Ramsay se réfère à de grands noms, mais à de faux textes. Il reproduit ainsi la « prophétie de Franklin »[10], texte d’un antisémitisme virulent écrit au XXe siècle mais attribué à Benjamin Franklin qui l’aurait prononcé lors de la Convention Constitutionnelle à Philadelphie[11].

William-Guy Carr, l’imaginatif sous-marinier canadien

Plus emblématique, son contemporain William-Guy Carr (1895-1959), sous-marinier puis membre des services de renseignements canadiens, auteur prolixe, souvent utilisé, traduit et publié par plusieurs des éditeurs cités ici (Editions DelacroixESRHadesBaglis)[12]La Conspiration visant à détruire toutes les religions et tous les gouvernements existants[13], résume sa démarche, développée notamment dans Des Pions sur l’échiquier[14].

La courte brochure Les plans de la Synagogue de Satan, donne un aperçu de sa méthode : traduite et publiée en 2007 par les ESR, la brochure indique en couverture 1952Un voyage à travers des textes tous authentiquesTraduction André Saugera Suivie du texte anglais. Ces textes prétendument « tous authentiques » valent le voyage.

Le premier texte, Le Mémoire (Bolchevisme et Judaïsme), est extrait d’un journal anglais, le British Guardian, qui reproduit un prétendu mémoire communiqué par l’ambassadeur des USA à Paris, provenant du, ou transmis par le 2ebureau de l’état-major états-unien. Que ce soit dans la traduction ou dans le texte anglais, il est strictement impossible de savoir qui est censé être l’auteur de ce texte. Quoi qu’il en soit, le traducteur tient à préciser que « ce texte célèbre est en partie cité par le lieutenant général Netchvolodov, général en chef de l’Armée Blanche, dans un ouvrage magistral : « l’Empereur Nicolas II et les Juifs (ESR) »[15]« Ce même texte vient soutenir « L’Enquête judiciaire sur l’assassinat de la famille impériale russe » (ESR 2007) par le juge d’instruction Nicolas Sokolov ». Le fait d’avoir été cité par d’autres semble donc, aux yeux du préfacier, accréditer le document.

Très étrangement, le traducteur insère de son propre chef une note sur une réunion secrète tenue à New York en 1916, au cours de laquelle 62 délégués, « surtout des juifs » préparèrent la Révolution Russe. Dans le corps de la note, il croit renforcer l’authenticité du « Mémoire » en rapportant que selon le journal A Moscou de septembre 1919, « l’authenticité de ce document ne peut faire de doute, vu qu’il est extrait des archives d’une des hautes institutions gouvernementales de la République Française ». Tandis qu’un supplément de La Vieille France en dit que « tous les gouvernements de l’Entente avaient connaissance du ”Mémoire”, composé d’après les données du service secret américain et transmis en son temps au haut-commissaire de la France et à tous ses collègues ». 

Le deuxième texte composant les Plans de la Synagogue de Satan, est « le discours […] du Rabbin Emmanuel Rabinowitch prononcé lors d’une réunion du Conseil des Rabbins d’Europe, tenu en Hongrie le 12 janvier 1952, compte rendu d’une réunion mondiale des rabbins qui se serait tenue à Budapest en 1952, qui aurait comploté pour déclencher une Troisième Guerre mondiale et développer l’anticommunisme aux États-Unis[16] ! Carr donne comme source le Canadian Intelligence Service, et « M Eustin Muffins » (p. 21), orthographié « Eustus Mullins » à la page suivante. Il s’agit en fait d’Eustace Mullins, que nous évoquerons plus bas, qui est probablement le vrai rédacteur de ce faux discours.

Le troisième texte est un pot-pourri de citations, le traducteur avouant n’avoir « pu en trouver trace », dont celles attribuées au « révolutionnaire sioniste » Léon Trotskyou au « savant sioniste » Albert Einstein, qu’une pittoresque note de l’éditeur qualifie d’ « agitateur », nous apprenant que celui-ci, « après des études médiocres (même en mathématiques), […] avait obtenu grâce à ses appuis sionistes un poste à Zurich », et que « quant à la théorie de la relativité, il n’y comprenait rien ». 

Ni Carr, ni ses éditeurs ne semblent percevoir la bizarrerie de ses écrits ; seules ses lacunes religieuses (il est protestant) doivent être palliées « par l’étude de la doctrine catholique sur ces questions »[17] expliquent ses éditeurs catholiques traditionalistes. Carr s’emploie à dénoncer le complot luciférien des Illuminati, lesquels sont à ses yeux un groupe qui, en lien direct avec le diable, gouverne le monde, bien au-delà des « Illuminés de Bavière » de la fin du XVIIIsiècle.

Évoquant leur chef, Adam Weishaupt (1748-1830), et son « plan » miraculeusement découvert en 1785, Carr affirme « Weishaupt stipulait que les illuminati devaient organiser, financer, diriger et contrôler le communisme, et plus tard, le nazisme et le sionisme politique pour faciliter leur tâche consistant à diviser la population mondiale en partis opposés de plus en plus nombreux »[18]. Pareille capacité à prédire l’avenir ne semble pas spécialement troubler les éditeurs et traducteurs francophones de Carr[19].

D’un « officier d’état-major britannique » anonyme, La Huitième Croisade, publiée en 1939, rééditée en 2021[20], constitue une analyse de la politique britannique au Moyen-Orient et du rôle qu’y jouèrent les organisations sionistes. La thèse principale, selon laquelle la politique des puissances occidentales concluant des traités et accords contradictoires entre eux provoqua le chaos dans la région est défendable, et l’analyse selon laquelle l’action des organisations sionistes ne poussa pas à plus de stabilité n’aurait rien de spécialement antisémite.

Mais l’auteur anonyme tend à faire porter aux organisations juives la responsabilité de tout ce qui est négatif dans cette période, ce qui leur prête une influence négative démesurée. Les premières lignes du premier chapitre donnent le ton : « La ”Communauté” juive, ordre social particulier à la Juiverie, constitue une puissance sans scrupule pour le mal, laquelle, pendant vingt siècles, a miné la civilisation dans chaque partie du globe »[21].

Très proches dans leur logique, les ouvrages d’Eustace Mullins (1923-2010), déjà cité par Carr, sont apparemment cautionnés par la qualité alléguée de bibliothécaire de la bibliothèque du Congrès de leur auteur. Celui-ci après avoir étudié la genèse de la Réserve Fédérale américaine[22], voit la responsabilité des juifs dans tout ce que le système financier états-unien présente de traits négatifs. Il développe ensuite une conception anti-mondialiste, L’Ordre Mondial[23], puis complotiste ; il est d’ailleurs un précurseur, avec Meurtre par injection[24], du conspirationnisme anti-vaccins.

En fait ce disciple d’Ezra Pound compile les sources les plus ahurissantes de ses prédécesseurs et invente de surcroît des « documents » absolument baroques. Mullins explique ainsi en 1987 que pendant « quarante ans d’étude patiente », « pour retracer les machinations de la conspiration matérialiste, je m’étais délibérément limité à des sources matérialistes : des documents de référence sur la banque, la politique, l’économie et les biographies de ceux qui étaient profondément impliqués dans ces affaires ». Puis lisant la Bible, « j’ai été submergé par son immédiateté, par son caractère direct et par l’applicabilité de ces paroles aux évènements actuels »

Ces prophéties rétrospectives lui permirent de rédiger La malédiction de Canaan, une démonologie de l’histoire[25], où il rend compte d’analyses improbables sur la base de méthodes pour le moins originales, ainsi évoque-t-il « l’émergence d’Adolf Hitler en Allemagne. Son parti politique, le National-Socialisme, a reçu l’appellation mondiale de ”nazi” parce qu’il était le parti politique des Ashkenazim, les juifs allemands (Ashkenazim signifie Allemagne en hébreu) »[26].

Il publiera une Nouvelle Histoire des Juifs[27], traduite et éditée en 2018 puis en 2020. Mullins y développe une étrange théorie biologisante des juifs comme parasites des autres sociétés. « Depuis 5000 ans, les dirigeants politiques ont gouverné suivant les calomnies des juifs ».

Quand le goupillon veut conseiller le sabre

Les Juifs dans le mystère de l’histoire constituent une version argentine et théologique de la même thématique. Rédigé par l’Abbé Julio Meinvielle (1905-1973), un prêtre militant, figure centrale de l’antisémitisme catholique argentin qui influença les militaires, l’ouvrage fut publié en 1936 à Buenos Aires. La traduction française fut éditée plusieurs fois[28]. L’abbé Meinvielle prône les discriminations anti-juives dans le domaine temporel : 

« Aussi l’Église, avec une grande sagesse et suivant la doctrine des Apôtres sur les interventions de la Synagogue, quand elle était forte dans le domaine temporel, s’est opposée à l’entrée des juifs dans les peuples chrétiens. Elle savait que c’était un peuple dangereux, qui complotait la perte des chrétiens. Peuple sacré, sans doute, on ne devait pas le persécuter, et il devait être traité avec respect, ainsi qu’il convenait à la grandeur de ses pères. Mais peuple ennemi, dont il était nécessaire de se mettre en garde et de se défendre. La discipline du ghetto correspondait à leur triste condition. »[29]

« C’est ainsi que le Saint-Siège mit en vigueur, avec énergie, la discipline du ghetto, c’est à dire l’isolement des juifs et la restriction de leurs droits civils »[30]

Les Pires ennemis de nos peuples, signé Jean Boyer, est une version durcie de la même thématique, destinée expressément aux « gouvernements patriotes et à leurs chefs militaires et policiers »[31]. D’autres ouvrages tentent de montrer la responsabilité des juifs dans le marxisme, dans le déclenchement de la Première Guerre mondiale, dans la Révolution russe, dans le stalinisme, dans la Deuxième Guerre mondiale. Ces livres relèvent de la compilation cumulative : les juifs sont auteurs, ou financiers, ou manipulateurs de tous les mouvements révolutionnaires. 

Ainsi dans Les Origines secrètes du bolchevisme. Henri Heine et Karl Marx, Salluste (Flavien Brenier)[32] illustre le rôle des juifs dans le marxisme par « la lettre du rabbin Levy à Karl Marx ». Il s’agit manifestement d’une invention ; il n’existe pas la moindre trace dudit rabbin, et rien non plus dans la volumineuse correspondance – publiée – de Karl Marx. Salluste ne fournit aucune source et n’en fournira pas plus lors de la controverse qui a fait suite à la publication de Les Juifs et le Talmud

Salluste (Flavien Brenier) a fait le tour de tous les groupuscules antisémites et était connu comme le loup blanc en tant que provocateur qui attisait les querelles des groupes auxquels il participait et traînait de surcroît une tenace réputation d’indicateur de police. Malgré tout, son opuscule a bénéficié au XXIe siècle d’une réédition par au moins quatre éditeurs différents !  Ladite lettre se retrouve citée dans des ouvrages ultérieurs, notamment dans Les Pires ennemis de nos peuples. 

Avec Symphonie En Rouge Majeur. Une radiographie de la révolution, des moyens intellectuellement plus sophistiqués sont mis en œuvre pour exposer la même thèse. Ce chapitre édité séparément par plusieurs éditeurs contemporains[33] de l’imposant ouvrage éponyme publié à Madrid en 1950[34], est censé reproduire le procès-verbal d’un interrogatoire de l’ancien diplomate soviétique Christian Rakovski par le NKVD stalinien en 1938[35]. Le texte n’a rien à voir avec les vrais aveux de Rakovski en 1937-38 devant le NKVD, dans lesquels il confirma les accusations les plus invraisemblables. 

Le texte de la Symphonie en Rouge Majeur montre un Rakovski extrêmement lucide au point de prédire (en janvier 1938) le pacte germano-soviétique d’août 1939, et reprenant par ailleurs les thèses propagées par les complotistes antisémites sur le financement tant des communistes que des nazis par les banquiers juifs. L’auteur, dans les 41 chapitres que comporte l’ouvrage complet, brode à partir d’une certaine connaissance du mouvement communiste et de ses cadres. 

Le texte appartient donc au contingent très fourni des découvertes récentes d’anciennes prophéties prédisant étonnamment bien des évènements contemporains : des prophéties rétrospectives[36]

La justification de l’antisémitisme par l’argument de sa permanence

Pour appuyer la thèse de l’agressivité juive vis-à-vis de la société environnante, un argument est tiré de la permanence de l’antisémitisme : comme depuis des millénaires les juifs suscitent l’hostilité de leurs voisins, c’est que la source de l’antisémitisme vient des juifs[37]. En d’autres termes ce sont les juifs qui sont responsables de ce qui leur arrive, et il est justifié d’être antisémite aujourd’hui parce qu’il y a eu des antisémites hier et avant-hier.

À l’appui de cet argument viennent les histoires de l’antisémitisme, peu importe alors si leurs auteurs sont juifs, leur témoignage n’en a que plus de valeur[38] : L’Antisémitisme, son histoire et ses causes[39], de Bernard Lazare, a été réédité à plusieurs reprises par des antisémites. En 2011, ce fut le premier titre publié par Kontre Kulture, la maison d’édition d’Alain Soral. Dans l’avant-propos Soral mit en exergue des propos pour lesquels il fut poursuivi pour antisémitisme, expliquant ensuite que Bernard Lazare avait en fait dit la même chose[40].

L’Histoire de l’Antisémitisme en France de Jean Drault, publié en 1941, s’appuie sur Bernard Lazare pour tenir un propos d’un antisémitisme radical. Réédité en 2006 par ESR (321 pages), l’ouvrage est doté de nombreuses notes de l’éditeur renvoyant aux rééditions des livres cités par Jean Drault[41] effectuées au XXIe siècle par ESR ! 

Les histoires des Juifs ont plus ou moins la même fonction. Ainsi s’explique la réédition de l’Histoire des Juifs de Heinrich Graetz[42], exception non antisémite dans une profusion d’ouvrages antisémites, tel Du Yahvisme au sionisme. Dieux jaloux, peuple élu, terre promise : 2500 ans de manipulations[43]. Le pavé de Laurent Guyenot affirme en conclusion : 

« En dernière analyse ce destin n’est-il pas programmé dans la Bible ? Si Israël semble ensorcelé par un destin sociopathique, n’est-ce pas la faute de son mauvais génie Yahvé ? La manipulation sioniste ne remonte-t-elle pas à la création par les anciens lévites de cet égrégore tribal particulièrement xénophobe, qui a usurpé le titre de Créateur de l’Univers et Père de l’Humanité »« Le Dieu jaloux est le virus métaphysique concocté pour et par le Peuple élu, et il a été injecté dans le christianisme et dans l’Islam dès leurs naissances »[44].

Comparable dans son architecture, mais évitant de faire résonner des invectives, Aux sources judaïques de l’antisémitisme, de André Gaillard (1922 -) a été édité par L’Æncre en 2010 (338 pages) et réédité par Edilivre en 2018 (434 pages) « nous verrons ici qu’il existe, structurellement lié au judaïsme-culture, un élément causal commun à toutes les formes d’antisémitisme. L’entité juive, ouverte théoriquement à toutes les catégories raciales mais culturellement différenciée à l’extrême de par les mythes ancestraux qui à la fois la conditionnent dans son être et assurent sa survie, est ainsi génératrice du racisme le plus prégnant de l’histoire. » et c’est ce racisme au cœur de l’identité juive qui produit l’antisémitisme. CQFD.

De ce fait une mise en rapport de la Bible ou de l’idéologie religieuse avec la société israélienne d’aujourd’hui ou la politique de l’état d’Israël ne peut échapper à une réédition par ces courants, c’est le cas d’Histoire juive/religion juive. Le poids de trois millénaires, d’Israël Shahak[45].

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Illustration : Affiche de propagande des armées blanches, dépeignant le juif Léon Trotsky avec autour du cou une étoile rouge ressemblant à l’étoile de David. La légende indique : « Paix et Liberté en Sovdepie » (Sovdep était l’abréviation de Soviet des Députés : les Russes blancs désignaient ainsi l’État soviétique qui, pour eux, n’était plus la Russie) / Wikimedia.

Notes

[1] Paul Copin-Albancelli, (1851-1939), fondateur de la Ligue française anti-maçonnique, a publié Le Drame maçonnique. La conjuration juive contre le monde chrétien en 1909. Un de ses autres livres Le Drame maçonnique. Le Pouvoir occulte contre la France (1908) a été réédité en fac-similé par les Editions Barruel (290 pages) puis par les ESR en 2005 (427 pages), et par les éditions Saint Sébastienen 2016 (432 pages).

[2] Les ESR ont réédité plusieurs versions des Protocoles notamment Protocoles des Sages de Sion, traduction anonyme de l’édition de Sergueï Nilus (1911), précédés de Les Protocoles des Sages de Sion constituent-ils un faux par Herman de Vries de Heekelingen, nouvelle édition à partir de l’édition de 1943 des éditions C.E.A. Paris, ESR, 2020, 142 pages, Kontre Kulture de Soral la version Butmi, Baglis la traduction Lambelin en 2019, L’Homme libre la version RISS en 2020, Déterna la version de Serge Nilus en 2010.

[3] Les algorithmes renfoncent et accentuent les opinions comme les lectures. Ainsi, lors des recherches pour la rédaction de cet article, Amazon me propose en permanence de nouveaux textes, éditeurs, voire des brochures à compte d’auteur dont j’ignorais l’existence. Ainsi, (début 2022) les trois premiers livres « que vous pourriez aimer aussi » sont, selon Amazon, dans l’ordre : Principes d’Actiond’Adolf Hitler, Baglis (280 pages), le Mythe du XXe siècleS & B 2021, 496 pages, L’Allemagne renaît de Hermann Göring, Baglis (102 pages). Chaque ouvrage, couverture quadrichromie, arrivera le lendemain ou en deux -trois jours annonce la librairie en ligne.

[4] Notamment en 2001, sans nom d’éditeur, traduction par l’association suisse Vérité et Justice du militant négateur René-Louis Berclaz (198 pages), puis en 2008 aux Editions de Cassandra, (188 pages).

[5] Samuel Roth, éditeur américain proche d’Ezra Pound, en butte à la censure, diffusa de la littérature pornographique, connut la prison pour ces motifs et, bien que né juif galicien, publia en 1934 un ouvrage antisémite, Jews must live ; an account of the persecution of the world by Israel on all the frontiers of civilization, chez The golden hind press (319 pages).

[6] La Révolution mondiale, Nesta Webster, ESR, 2016 (620 pages).

[7] La Guerre sans nom, le pouvoir juif contre les nations d’Archibald Ramsay, Omnia Veritas, 2021 (224 pages). Archibald Ramsay, (1894-1955), ancien officier puis députe unioniste écossais écrivit La Guerre sans nom en 1952. « Le présent ouvrage, accompagné de nombreuses preuves supplémentaires et d’un contexte historique plus complet, est le résultat des expériences personnelles d’un personnage public qui, dans l’exercice de ses fonctions, a découvert de première main l’existence d’une conspiration vieille de plusieurs siècles contre la Grande-Bretagne, l’Europe et l’ensemble de la chrétienté.

La Guerre sans nom révèle un lien insoupçonné entre toutes les grandes révolutions en Europe – de l’époque du roi Charles Ier à la tentative avortée contre l’Espagne en 1936. Il est démontré qu’une source d’inspiration, de conception et d’approvisionnement est commune à toutes ces révolutions. Ces révolutions et la guerre mondiale de 1939 sont considérées comme des parties intégrantes d’un seul et même plan directeur. (…) « le projet d’un pouvoir mondial supranational, le rêve messianique séculaire de la juiverie internationale. »

[8] La Guerre sans nomop. cit. p. 88.

[9] La Guerre sans nomop. cit. p. 89.

[10] La Guerre sans nomop. cit. p. 179-181.

[11] La notice Wikipédia sur cette prophétie fait le tour de la question https://fr.wikipedia.org/wiki/Proph%C3%A9tie_de_Franklin. Oussama Ben Laden fait référence à ce texte en 2002 dans sa Lettre au peuple américain.

[12] Les Editions Saint-Rémi apprécient suffisamment cet auteur pour en proposer les œuvres en un coffret réunissant 9 volumes, pour un total de 1593 pages, au prix de 102,4 €.

[13] La Conspiration mondiale dont le but est de détruire tous les gouvernements et religions en place, nouvelle édition revue et corrigée ESR, 2013 (47 pages) ; La Conspiration visant à détruire toutes les religions et tous les gouvernements existants, Ethos/Hades, 2020 (55 pages).

[14] Des pions sur l’échiquier, a été édité par quatre éditeurs différents en seulement 3 ans : lulu.com, 2017, (244 pages), ESR, 2019, (331pages), Ethos, 2019 (319 pages), Baglis, 2020 (418 pages).

[15] L’Empereur Nicolas II et les Juifs, A. Netchvolodow, Prœlium Veritatis, (408 pages).

[16] Il y a sans doute eu des réunions de rabbins en Hongrie en 1952, il est en revanche strictement impossible que quelque réunion que ce soit ait pu appeler à développer des politiques antisoviétiques. En 1952, Mátyás Rákosi, secrétaire général du PC devient également président du conseil des ministres.

[17] P. 26 de La Conspiration internationale, William Guy Carr, Biographie et traduction d’Ernest Larisse, ESR, 2009, (53 pages dont 9 de la conférence inédite de William Guy Carr).

[18] La Conspiration visant.., p. 9 et 10 de l’édition ESR, traduction légèrement différente (p. 9) dans l’édition Ethos (Hades).

[19] Sur les Illuminati leur réalité et leur postérité fantasmatique voir Les Illuminati, de la société secrète aux théories du complot, Pierre-Yves Beaurepaire, Tallandier, 2022. (336 pages). L’auteur consacre quelques pages aux inventions de William-Guy Carr. Ou, du même : The Conversation 15 Juin 2022 Comment les illuminati sont devenus synonymes de complotisme : https://theconversation.com/comment-les-illuminati-sont-devenus-synonymes-de-complotisme-184684.

[20] La Huitième Croisade. Libres révélations d’un officier d’Etat-Major britanniqueOmnia Veritas, 2021. (212 pages). Une précédente édition de 2017, avec une autre couverture (éd. inconnu) comportait 226 pages. L’ouvrage mentionne la date de 1940 et la ville de Londres, l’édition originale précise : Berlin, Maison Internationale d’Editions, 1940, in-16, br. edit., X. p. 218 .

Celle-ci est la traduction de The Eighth Crusade – Uncensored Disclosures of A British Staff Officer, sans nom d’auteur, Internationaler Verlag, Berlin, 1939. L’ouvrage a aussi été publié sous le titre Eight Crusade, by Lt Col. Waters Taylor, par Sons of Liberty, Hollywood, 1940. (205 pages). 

L’édition allemande en langue anglaise prenait place dans la bibliothèque de groupes antisémites et d’autres exemplaires d’occasion proposés à la vente portent le tampon de la bibliothèque d’Oflag (camp de prisonniers de guerre). L’ouvrage était donc un instrument de la propagande nationale-socialiste.

Le nom d’auteur figurant sur l’édition américaine de langue anglaise est celui du colonel Bertie Waters Taylor, chef d’état-major du général Allenby, qui aurait joué un rôle dans le déclenchement des émeutes antisémites de Nabi Moussa à Jérusalem en avril 1920. Sur ce point voir l’article Wikipedia : Emeutes de Jérusalem de 1920.

Par ailleurs la huitième croisade est celle lancée par Saint Louis en 1270, et une neuvième croisade a été menée par le Edouard d’Angleterre en 1271-1272. Le titre Huitième Croisade est donc bien mal choisi tant pour un public français que britannique. Mais des éditeurs ou auteurs allemands auraient pu choisir ce titre sans se rendre compte qu’il était mal adapté.

[21] Ibid. (p13)

[22] Les Secrets de la réserve Fédérale, Eustace Mullins, Le Retour aux Sources, 2020. (248 pages).

[23] L’Ordre mondial, Eustace Mullins, Kontre Kulture, 2021. (448 pages). Aussi L’Ordre mondial, nos dirigeants secrets Une étude sur l’hégémonie du parasitisme, Eustace Mullins, Omnia Veritas, 2021. (364 pages).

[24] Meurtre par injection, Eustace Mullins, Kontre Kulture, 2021. Aussi Meurtre par injectionhistoire de la conspiration médicale contre l’Amérique, Eustace Mullins, Omnia Veritas, 2021. (320 pages).

[25] La malédiction de Canaan, une démonologie de l’histoire, Eustace Mullins, traduit de l’américain par Omnia Veritas, Omnia Veritas, 2021. (296 pages).

[26] La Malédiction.. p 242.

[27] Nouvelle Histoire des Juifs, Eustace Mullins, traduite et éditée par Omnia Veritas en 2018 (293 pages) puis en 2020 (306 pages).

[28] Les Juifs dans le mystère de l’histoire, Abbé Julio Meinvielle, Editions Sainte Jeanne d’Arc en 1983, puis DFT en 2015 (114 pages). Autre édition, avec le titre Le Juif dans le mystère de l’histoire par ESR en 2007, IRIS en 2022. IRIS est lié au séminaire lefebvriste d’Ecône en Suiise et diffuse de nombreuses traductions des ouvrages de Juio Meinvielle.

[29] Les Juifs dans…p.80.

[30] Les Juifs dans…p.45.

[31] Jean Boyer, Les pires ennemis de nos peuplesHades, 2016. (104 pages). Précédemment Editions Delacroix, 2014. (94 pages), éditions Libertad, Bogota, 1969. Probablement rédigé par l’abbé Jean Emile Maurice Boyer (1923-1992), sympathisant OAS, qui fonda, dans les Landes en 1958 une communauté Action Fatima la Salette, destinée à servir de refuge au moment de la future guerre civile. 

[32] Les Origines secrètes du bolchevisme. Henri Heine et Karl Marx, par Salluste (Flavien Brenier) publié en 1929, rééd. 2005, ESR (178 pages), réédition en fac-similé, préface de Bernard Plouvier, chez Déterna, en 2014 (318 pages).

[33] Publié en français dans l’ouvrage Le Complot mondial, mythe ou réalité?, Jacques Delacroix, Editions Delacroix, 2005. (258 pages). L’ouvrage comprend la traduction de l’espagnol du supposé interrogatoire (mené en français mais traduit aussitôt en russe) ainsi que des annexes ajoutées par Jacques Delacroix. Edition plus récente : Symphonie en Rouge Majeur. Une radiographie de la révolution, Josef Landowski, Omnia Veritas, 2015. (161 pages). L’ouvrage précise « Chapitre XL : Une radiographie de la révolution »de Sinfonia in rojo mayor « de Josef Landowky, traduction de Mauricio Carlavilla ». Mauricio Carlavilla (Julián Mauricio Carlavilla del Barrio) (1896-1982) essayiste pro Franco, anticommuniste et anti maçon est probablement l’auteur du texte. Puis La Symphonie Rouge, préface de Georges Knupffer, série d’articles de Henry Makov, Hades éditions, 2016. (174 pages). Symphonie en rouge majeur, Josef Landowsky, Vettaedizion Oü, 2020 (102 pages).

[34] La version complète, éditée une première fois à Madrid en 1950 aux éditions Nos (586 pages), n’est disponible aujourd’hui qu’en espagnol : Sinfonía in rojo mayor, José Landowsky, Omnia Veritas, 2015. (562 pages). Le chapitre XL « Radiografia de la revolucion »se trouve p. 514-570.

[35] Selon Mauricio Carlavilla le manuscrit aurait été trouvé « sur le corps du Dr Landowsky, qui fut découvert mort dans une cabane sur le front de Petrograd (Léningrad) par un volontaire espagnol (un membre de la Légion Azul qui combattait le Bolchevisme aux côtés des Armées Allemande au cours de la dernière guerre). » Symphonie … Omnia Veritas, p 8. Le texte espagnol dit « isba » qui a le même sens qu’en français et pas « cabaña » qui serait traduit par cabane.

[36] Expression utilisée par Wu Ming 1 dans Q comme Qomplot op cit. 

[37] L’argument est l’un des plus fréquemment utilisés aujourd’hui. Or l’universalité des discriminations et de l’hostilité visant des groupes minoritaires est établie à toutes les époques. La pérennité remarquable du peuple juif/ des communautés juives et sa dispersion en groupes minoritaires dans (presque) toutes les nations, suffit à expliquer ces spécificités de l’antisémitisme. Il ne serait pas difficile de formuler pareil argument en ce qui concerne « les noirs » ou « les musulmans » qui connaissent, quand ils forment des groupes minoritaires, des discriminations dans des sociétés diverses et à des époques différentes.

[38] Ces auteurs sont alors valorisés. De manière générale les antisémites perdent ce qu’il leur reste d’esprit critique quand ils citent des auteurs juifs : la pire niaiserie ou fanfaronnade publiée par un collaborateur occasionnel dans le bulletin d’une association juive locale devient alors « parole d’évangile ».

[39] L’Antisémitisme, son histoire et ses causes, Bernard Lazare, Kontre Kulture, 2011. (224 pages), La Vieille Taupe en 1985, Documents et Témoignages (Henry Coston) en 1969.

[40] Voir sur ces rééditions par les droites radicales : « L’antisémitisme, son histoire et ses causes de Bernard Lazare » Philippe Oriol p. 41-85 de Réflexions sur l’antisémitisme, Dominique Schnapper, Paul Salmona, Perrine Simon-Nahum, éd. Odile Jacob, 2016. (298 pages).

[41] L’une d’entre elles précise p. 198 : « la liste de titres et de noms d’auteurs est à conserver pieusement. Certains de nos lecteurs qui disposent de l’un ou l’autre de ces titres ne doivent pas jeter l’ouvrage : nous nous proposons, le cas échéant, de le rééditer, si ce n’est déjà fait. »

[42] Histoire des Juifs, Heinrich Graëtz, 5 volumes, Omnia Veritas, 2016.

[43] Du Yahvisme au sionisme. Dieu jaloux, peuple élu, terre promise : 2500 ans de manipulations, Laurent Guyenot, Kontre Kulture, 2017. (403 pages).

[44] Ibid. p. 398-399.

[45] Histoire juive/religion juive. Le poids de trois millénaires. Israël Shahak, Omnia Veritas, 2020. (236 pages). Dans son ouvrage, Israel Shahak qui fut un dirigeant de la ligue israélienne des droits de l’homme se livre à une vigoureuse polémique anti religieuse. Son érudition en matière de religion fut néanmoins critiquée.