L’antisémitisme littéraire et la fiction antisémite contemporaine 

Les médias dominants et le personnel politique – de Renaissance au FN/RN en passant par LR – prétendent que l’antisémitisme serait passé à gauche. Outre son manque de fondement repéré de longue date par les chercheurs en science politique, cette stratégie de disqualification – promue il y a déjà une vingtaine d’années par Pierre-André Taguieff ou Alain Finkielkraut – a pour effet de dissimuler la persistance, et même le développement, d’un « énorme édifice antisémite », composé de plusieurs dizaines de maisons d’édition, qui prospère à l’ombre des droites radicales. 

La littérature antisémite écrite, aujourd’hui en France, ce sont des centaines d’ouvrages, des livres réédités ou produits et diffusés par des équipes discrètes liées à différents courants de l’intégrisme catholique et des droites radicales contre-révolutionnaires ou nationales-socialistes. Dans une série d’articles que vous propose Contretemps, le spécialiste des extrêmes droites René Monzat, auteur de nombreux ouvrages au cours des quatre dernières décennies, donne un aperçu de cette littérature, à laquelle contribuent sept familles de thématiques antisémites entrecroisées. 

Dans ce huitième volet, il donne quelques indications concernant lantisémitisme littéraire et la fiction antisémite contemporaine.

***

L’antisémitisme littéraire renvoie toujours à Louis Ferdinand Céline et ses Pamphlets[1], réédités ensemble ou séparément, mais aussi à Les Tribus du théâtre et du cinéma, brochure de Lucien Rebatet, publiée séparément ou avec la série Les Juifs en France dont elle faisait partie, ainsi que Les Décombres[2] du même. On peut également penser aux Articles de Je suis Partout, 1941-1943 de Robert Brasillach, Pardès, 2021 (405 pages).

Dans la même veine, la mini-anthologie Florilège pour la fin d’un monde – Guide de survie à l´usage des microcéphales talmudisés de René-Louis Berclaz, les éditions de Cassandra (48 pages) « Recueil d´extraits des œuvres d´écrivains « maudits » : Lucien Rebatet, Elemir Bourges, Giovanni Papini, Calixt de Wolsky, Edouard Drumont, Hermann Goedsche, Marcel Jouhandeau, Jean et Jérôme Tharaud, Louis-Ferdinand Céline. »

La fiction antisémite contemporaine s’illustre par Les Carnets de Turner, qui décrivent une guerre civile raciale déclenchée par des suprémacistes blancs. La violence extrême du ton[3] a fait de ce texte un mythe, traduit en français puis plusieurs fois réédité. Du même auteur, Hunter[4] raconte l’itinéraire d’un tueur raciste (il assassine au hasard des couples mixtes : homme noir/femme blanche), qui s’allie avec les membres d’un groupuscule nazi et développe une relation de coopération/manipulation avec le chef d’une structure « antiterroriste » gouvernementale. Ses assassinats et attentats visent à déclencher une guerre raciale aux États-Unis.

Sans intérêt littéraire, ce mauvais roman d’apprentissage montre comment le racisme épidermique du héros se mue en une vision du monde structurée dans laquelle l’antisémitisme tient une place centrale, au fil des discussions méthodiques et des lectures sélectives.

L’apprentissage antisémite semble cocher toutes les cases des thématiques antisémites, avec la particularité que dans Hunter, le comportement des juifs ne se déduit pas du Talmud, mais directement du texte de l’Ancien Testament[5]. En effet, une bonne partie du milieu néo-nazi américain professe un antisémitisme accompagné d’un anti-christianisme rabique.

En revanche les fictions françaises comparables par la violence, celles écrites par Papacito[6] ou les rééditions du Camp des saints de Jean Raspail[7], ne reflètent pas cet antisémitisme obsessionnel. Le roman/manifeste du leader du groupe nationaliste blanc « Les Braves », Daniel Conversano, qui se déroule comme Hunter dans les milieux suprémacistes blancs mais en France[8], est tangent : si Conversano lui-même a une attitude assez ambiguë sur le sujet[9], son livre évoque en passant l’antisémitisme des milieux nationalistes ou suprémacistes blancs, mais l’antisémitisme n’y est ni central, ni une clé de lecture.

La France a néanmoins connu précocement des auteurs combinant un antisémitisme biologique et un anti-christianisme rabique, anticipant sur ce point les discours nazis. Ainsi, dès 1878[10], Jules Soury (1842-1915) ; mais il n’y a pas suffisamment de demande pour d’autres rééditions que celle de son pamphlet tardif (1902) et antidreyfusard Campagne Nationaliste[11] dans lequel le militant de l’Action française a gommé l’anti-christianisme pour des raisons politiques mais conservé son antisémitisme biologique.

Hitler ou Juda ?, roman posthume et peu connu de Saint-Loup, mérite de conclure notre panorama. Ses 256 pages, dans une couverture à large rabat, sont impeccablement composées, corrigées et imprimées en 2017. Comme les autres ouvrages prétendument édités par La Sfinge à Rome, on ne trouve ni adresse, ni ISSN ou ISBN, et pas plus d’adresse mail. Le livre n’est donc répertorié ni enregistré nulle part. 

Une recherche Google indique que l’ouvrage serait disponible sur Amazon : oups c’est bien Hitler ou Juda ? un second procès de Nuremberg, mais à 95 €, et c’est un exemplaire d’occasion d’une édition précédente : Éditions du Cercle du Chêne, Prague, 2007. Prague ? Il existe bien, depuis 1981, un Cercle du Chêne, à Montcresson dans le Loiret. Le cercle est dirigé par Maurice Etienne, né en 1946, adhérent du Front National depuis 1972. Il y a été formateur au sein de la délégation générale. Secrétaire départemental du Loiret, il a été élu au Conseil Régional de 1992 à 2004. Il a rejoint le MNR de Bruno Mégret.

En 1994, Maurice Etienne ainsi que le Cercle du chêne qu’il préside, participent à la fondation de la SCI Temenos qui gère la propriété qui abrite les camps d’Europe Jeunesse[12]. Maurice Etienne cédera ses actions à ses enfants en 2015. Le Cercle du chêne éditera d’ailleurs un Message aux jeunes Européens, un texte de référence d’Europe Jeunesse. 

Hitler ou Juda ? est bien disponible pour 20 € via la maison d’édition révisionniste Akribeia, qui est très probablement l’éditeur matériel tant de la version dite de Prague, que de l’édition prétendument de Rome. La « Note de l’éditeur »signée « Docteur C. Cercle du chêne » donne d’autres indications. Celui qui s’exprime ici pour le « Cercle du chêne » est selon toute vraisemblance le docteur Claude Nancy (1931-2010), un militant national-socialiste belge, dont certains ouvrages ont été édités par Le Cercle du chêne. Ainsi Vers un matérialisme biologique, 2021, ouvrage distribué par Akribeia.

En revanche La Pieuvre mondialiste attestée par les Protocoles des sages de Sion, a d’abord été édité sous le pseudonyme de Georges Sulkos dans une édition à reliure cartonnée par les éditions Samizdat-2000 au début des années 2000, puis a été réédité sous la signature Claude Nancy en 2019 par les éditions du Lore.

Par ailleurs Claude Nancy a publié Hitler contre Juda, un essai indigeste, « dédié à tous ceux, qui ont combattu sous l’emblème de la Croix Gammée ». « Le moment est venu d’éclairer la jeune élite indo-européenne, qui se lève, pour que tous comprennent le sens du combat de leurs aînés et de leurs ancêtres contre la pieuvre malsaine du mondialisme apatride, qu’ils devront combattre à leur tour s’ils veulent rester des hommes libres. »[13].

Hitler ou Juda ? de Saint Loup (et non Hitler contre Juda de Claude Nancyraconte un deuxième procès de Nuremberg, dont les protagonistes sont Hitler et Juda (qui représente les Juifs). Saint-Loup présente méthodiquement les arguments pour défendre Hitler. Dans la bouche des avocats, il évoque toutes les thématiques et éléments qui concourent à ce but. Hitler et les Allemands se seraient trouvés en état de légitime défense devant l’agressivité juive telle qu’elle serait exposée dans les Protocoles des Sages de Sion : ceux-ci se seraient si bien réalisés, que leur authenticité en serait démontrée.

Les divers chapitres du livre, autant de séances du tribunal, correspondent aux centres d’intérêt des négateurs du génocide, et spécialement du groupe Akribeia[14]. À l’exception notable de la défense de l’authenticité des Protocoles des sages de Sion, qui intéresse aujourd’hui surtout les néo-nazis revendiqués et les catholiques complotistes.

N. B. À propos des réseaux musulmans de littérature antisémite

On trouve facilement à se procurer un petit nombre des titres cités plus haut via des diffuseurs musulmans, des titres qui sont par ailleurs déjà diffusés par Amazon. Il s’agit des ouvrages d’Alain Soral, et de l’Autre visage d’Israël d’Adam Shamir qui, sous un titre anti-israélien, est un livre relayant un antisémitisme virulent imprégné d’antisémitisme chrétien et de critique de la domination juive[15]. Ce titre présente la particularité d’être publié par un éditeur de littérature musulmane.

En revanche je ne connais pas d’ouvrages diffusés aujourd’hui en langue française, dont l’objet soit essentiellement antisémite, qui ressortiraient d’un antisémitisme musulman[16]. La somme de Gilbert Achcar, Les Arabes et la Shoah, la guerre israélo-arabe des récits, ou les nombreux travaux de Pierre-André Taguieff, n’en signalent pas non plus[17].

Je dispose d’une édition en français des Protocoles des Sages de Sion diffusée par l’ambassade d’Iran[18], d’une autre édition des Protocoles provenant de la bibliothèque d’une université catholique de Beyrouth[19], et d’une édition de l’Azyme de Sion du général Tlaas imprimée en français à Damas avant 2000. Il s’agit donc surtout de tentatives d’exportation de l’antisémitisme européen chrétien vers des pays arabes via Beyrouth à son époque syrienne.

Notes

[1] Pamphlets, Louis-Ferdinand Céline, Omnia Veritas, 2018, 564 pages.

[2] Les Décombres, Lucien Rebatet, Omnia Veritas, 2018, 524 pages.

[3] Les Carnets de Turner décrivent la prise du pouvoir aux Etats unis par une secte néonazie, à la suite d’une guerre civile impitoyable. Ainsi les néonazis détruisent « la région de New York avec ses deux millions et demi de youpins » en faisant exploser dans la ville des dizaines de têtes nucléaires. Ils massacrent les noirs et les métis, tuent les juifs jusqu’au dernier, pendent aux réverbères en une nuit les « traîtres blancs » et spécifiquement des femmes blanches avec un écriteau « j’ai souillé ma race »« Ce soir, il y avait plusieurs milliers de cadavres de femmes blanches pendus ainsi dans la ville. Toutes portaient des pancartes semblables autour de leur cou. C’étaient celles qui s’étaient mariées ou qui avaient vécu avec des noirs, des Juifs, ou tout autre métèque. » P 234 de l’édition Barricade books, Toronto, 1999. (302 pages). Réédition récente (s.d.), par la Bibliothèque dissidente « rajout des pages oubliées de la version française, correction et augmentation de la traduction française. » « Expédition rapide et discrète » précise l’éditeur.

[4] Hunter, Andrew Macdonald, White Révolution Books, Londres, 2009. (318 pages). Mention d’un copyright National Alliance. Autre édition en 2018 sous le titre Chasseur, traduction française de Hunter, sous la signature « William Pierce dit Andrew Mac Donald », par les Editions Bibliothèque Dissidente (503 pages). L’auteur est William Luther Pierce III (1933-2002) qui fut chef de la National Alliance. Pour un aperçu du contexte voir l’article de Nicolas Lebourg dans Slate. A rapprocher de Siège. Traduction française, James Mason, Bibliothèque Dissidente, 2020. (544 pages). Version issue d’une traduction automatique mal relue d’articles du néo nazi James Mason (1952- ). Les Carnets de Turner et Hunter étaient des références du terroriste d’Oklahoma City en avril 1995, qui fit 168 morts, 680 blessés, tandis que Siège, se réfère à cet attentat. Les trois ouvrages font partie du bagage idéologique des milieux pro-terroristes d’extrême droite avec deux idées, celle d’une conspiration sans leader, un loup solitaire terroriste peut agir plus efficacement qu’un groupe par définition plus vulnérable, et d’autre part le souhait d’accélérer les crises, déclencher des affrontements raciaux, en se servant au besoin, comme détonateurs, d’attentats commis sous un faux-nez.

[5] Les citations de la Bible dans Hunter sont exactes, les passages se retrouvent dans les Bibles utilisées par les églises chrétiennes (p ex La Bible de Jérusalem éditions du Cerf 1988).

Imputer aux chrétiens et au juifs de calquer leurs comportements sur une lecture littérale de leurs textes sacrés, est christianophobe et antisémite, puisque selon cette lecture myope, l’Ancien Testament contient des justifications de massacres, pillages, esclavage sexuel, prône la lapidation. Et le Nouveau Testament, soumis à la même lecture littérale, sélective et anachronique, recommande de tondre les femmes qui ne veulent pas se voiler en signe d’obéissance à Dieu comme d’obéissance aux hommes et accepte expressément l’esclavage.

[6] Expédition punitive, Papacito, Ed. Ring, 2020 (303 pages).

[7] Le Camp des saints, Jean Raspail, initialement publié en 1973 chez Robert Laffont, réédité en 1974, 1978, 1981, 1985, 1989, 2002, en 2011 la réédition est précédée d’un texte de 2011 Big Other (396 pages).

[8] Désolé Jean-Pierre, Daniel Conversano, les éditions Petit Jean, 2018. (250 pages). Ruth el Krief rebaptisée « Ruth El Crif » est « Eternellement garce. Eternellement juive » (p.156), « Jésus est l’antithèse idéologique du Juif commerçant », (p. 129), « Les salopes de Bruxelles et de l’internationale youde ne pouvaient pas compter pour cette fois sur un seul parti, pour priver avec certitude les nationalistes de succès. » (p. 80), etc.

[9] Voir p. 214-215 d’Au Nom de la race, Valentin Pacaud et Delphine -Marion Boulle, Robert Laffont, 2022. (287 pages).

[10] Jésus et les évangiles, Jules Soury, 1878, disponible seulement en reprints académiques américains.

[11] Campagne Nationaliste 1899-1901, Jules Soury, Æncre, 2019. (200 pages).

[12] Europe Jeunesse est une troupe de scouts au sein de laquelle les enfants de cadres du GRECE sont baignés dans les valeurs du paganisme tel qu’il fut pratiqué par l’Ahnenerbe de la SS. Europe Jeunesse a été fondé par les cadres du GRECE admirateurs de Saint-Loup.

[13] La réédition de l’ouvrage qui circule sous le manteau : « Hitler contre Judas (sic) » signé Sam Izdat annoncée chez Omnia Veritas, est parue sous le titre Hitler contre Juda chez Vettaz Edition Ltd- S+B, 2021 (350 pages).

[14] Selon le catalogue d’Akribeia« Une fiction intégralement révisionniste ! A ne pas manquer. »

[15] Ce titre est paru aux Editions Balland/Editions Blanche en 2003, qui en ont stoppé la diffusion du fait de son contenu antisémite, sur ce retrait et des citations de l’ouvrage voir https://phdn.org/antisem/antision/shamircitations.html. L’ouvrage a été rapidement réédité par Al Qalam, en 2004 (416 pages).

[16] Il y a bien sûr les revues francophones de l’État Islamique (Daesh). Mais ce ne sont pas des livres, il n’en existe pas de version papier achetables en deux clics.

[17] Pierre-André Taguieff cite de nombreux articles sur le net, ou des textes et propos qui n’ont pas été diffusés en français. Ses travaux, ou ceux qu’il a dirigés, sur la diffusion internationale des Protocoles des sages de Sion, sont utiles à consulter, en particulier : Les Protocoles des sages de Sion, Pierre-André Taguieff et alii, Berg International, 1992, (2 vol., 1224 pages), les intéressantes contributions publiées dans le volume 2 n’ont hélas pas été reprises lors des rééditions ultérieures. Sur la rédaction des Protocoles lire Il manoscritto inesistente· I « Protocilli dei savi di Sion », Cesare de Michelis, Marsilio, 1998 (311 pages), qui nuance les affirmations de Taguieff.

[18] Mise en vente par la librairie néo-nazie Ogmios dans les années 1980 qui était en contact commercial et politique avec l’ambassade d’Iran. La vérité sur les plans d’Israël révélée par un document israélite. Protocoles des sages de Sion. Texte complet conforme à l’original adopté par le congrès sioniste réuni à Bâle (Suisse) en 1897, introduction de Roger Lambelin (rédigée en 1925), Organisation de propagation islamique, Bureau des relations internationales, pas de lieu d’édition, s.d. (166 pages). L’introduction rédigée par l’OPI précise, page 7 : « nous réimprimons, tel quel, et sans exprimer notre opinion, l’ouvrage présent, d’après l’édition libanaise, afin d’exposer la vraie nature de ceux dangereux ennemi ». Pierre-André Taguieff mentionne « l’édition libanaise des Protocoles (Beyrouth, Les Presses islamiques, novembre 1967) », dont il souligne qu’elle constitue une « simple reprise de l’édition française de Roger Lambelin, parue chez Grasset en 1921 », https://www.cairn.info/revue-revue-d-histoire-de-la-shoah1-2004-1-page-172.htm

[19] Il s’agit des photocopies de mauvaise qualité de l’édition de La Vieille France (1920) Conspiration Juive contre les Peuples. « Protocols » Procès-verbaux de réunions secrètes des sages d’Israël (144 pages dont 64 pages d’annexes commençant par « La marque juive : crimes rituels ; satanisme » (1920). Ouvrage portant les tampons de la Bibliothèque orientale de l’Université (Jésuite) Saint Joseph de Beyrouth (Syrie), photocopies vendues lors d’un meeting de la tendance catholique du Front National dans les années 1980 (Journées d’amitiés françaises).