Les élections qui viennent d’avoir lieu au Portugal ont signé la défaite de la gauche après 9 ans de domination du Parti socialiste (PS), qui était seul au pouvoir depuis deux ans après avoir gouverné pendant 7 ans avec le soutien parlementaire du Bloc de gauche et du Parti communiste portugais (PCP). Catarina Príncipe propose ici un bilan de ces élections, insistant sur les difficultés rencontrées par la gauche.
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En cette année qui marque le 50e anniversaire de la révolution portugaise, l’extrême droite est la grande gagnante de la soirée. Chega, le parti dirigé par André Ventura qui s’inspire des Salvini, Le Pen et Abascal (le leader du parti d’extrême droite espagnole Vox, qui était au Portugal pour participer à la campagne), a obtenu plus d’un million de voix et s’est imposé comme la troisième force sur la scène politique portugaise.
Le 10 mars, le Portugal est retourné aux urnes, deux ans seulement après les élections qui ont donné au Parti socialiste (PS) une majorité absolue, qui avait été précédées par six années de gouvernements PS avec le soutien parlementaire des partis de gauche : le Bloc de gauche (Bloco de Esquerda) et le Parti communiste portugais (PCP).
Le scandale de corruption qui a conduit à la démission du premier ministre précédent, António Costa, doit encore faire l’objet d’une enquête et d’une explication, mais la vérité est qu’après 8 ans de gouvernance, qui ont inclus l’ère post-austérité, la pandémie du COVID-19, la guerre en Ukraine, la crise de l’inflation et divers petits scandales au sein du gouvernement lui-même, l’image du PS était usée. Le coût d’un scandale supplémentaire, qui aurait cette fois-ci impliqué le premier ministre lui-même, ne pouvait être supporté. Le 7 novembre 2023, le gouvernement tombe et des élections anticipées sont annoncées.
La tâche est difficile pour le nouveau secrétaire général du PS, Pedro Nuno Santos, un homme politique connu pour avoir représenté l’aile gauche du PS portugais pendant de nombreuses années, qui a été élu seulement deux mois avant les élections. De son côté, le centre-droit, représenté dans ces élections par la coalition de l’Alliance démocratique (AD), composée du Parti social-démocrate (PSD), du Parti populaire (CDS-PP) et du Parti populaire monarchiste (PPM), avait la possibilité de s’affirmer comme une alternative au PS.
Cependant, les résultats à ce jour (il manque encore les voix de l’immigration qui représentent 4 sièges à l’Assemblée de la République) montrent un écart réduit entre les deux partis : 29,5% pour l’AD avec 79 députés et 28,7% pour le PS avec 77 députés. En troisième position, on trouve Chega, avec 18% des voix et 48 députés élus, suivi du parti libéral de droite, l’Initiative libérale (IL) qui, avec 5% des voix, conserve ses 8 députés. Viennent ensuite le Bloc de gauche avec 4,5%, qui conserve ses 5 députés, la coalition emmenée par le PCP (Parti communiste portugais) avec 3,3% des voix et 4 députés (elle en perd deux), le parti Libre avec 3,3% et 4 députés et le PAN (Personnes-Animaux-Nature) avec 1,9% des voix et 1 député.
Les partis représentés à l’Assemblée à l’issue de ce scrutin sont les mêmes qu’en 2022. Le grand changement est la nette majorité de la droite : AD, IL et Chega remportent 53% des voix. En termes de sièges (et en gardant à l’esprit qu’il reste encore 4 sièges qui ne seront pourvus que dans les deux prochaines semaines avec le décompte des voix des électeurs de l’étranger), les partis de droite remportent au moins 135 sièges, soit bien plus que les 116 nécessaires pour garantir la majorité absolue.
Cependant, le leader d’AD, Luís Montenegro, a répété tout au long de la campagne électorale qu’il n’accepterait pas de conclure des accords de gouvernement avec Chega, ce qui laisse entrevoir la possibilité d’une crise politique prochaine ou le non-respect de cette promesse électorale de Montenegro, par des négociations avec le parti d’extrême droite. Pedro Nuno Santos (PS) est également clair : il ne fera pas partie d’un gouvernement de bloc central avec AD. Le scénario de gouvernance au Portugal est donc difficile et potentiellement instable.
L’un des faits les plus intéressants de ces élections est le faible taux d’abstention (moins de 34 %), qui a entraîné un élargissement de l’électorat et une plus grande dispersion des votes. Par exemple, le Bloc de gauche a conservé le même pourcentage de voix qu’en 2022, bien qu’il ait obtenu environ 34 000 voix de plus.
La faible abstention explique en partie la croissance de Chega, qui a pu, grâce à un discours axé sur la dénonciation de la corruption mais avec un programme économique profondément néolibéral, attirer les votes de ceux qui avaient déjà renoncé à participer au processus électoral. Le discours anti-système, actuellement totalement dominé par l’extrême droite, a également conduit de nombreux jeunes à voter pour ce parti. Mais la position de l’AD et de Montenegro pendant la campagne, à savoir qu’ils ne concluront jamais d’accord de gouvernement avec Chega, a également fait de ce parti le dépositaire de votes de protestation.
C’est un fait important qui peut expliquer en partie sa progression : en 2022, le leader du parti de centre-droit PSD ne s’était pas engagé dans ce sens. Cela avait entraîné une dynamique de vote utile pour le PS qui a fini par lui garantir une majorité absolue (pour éviter que Chega n’arrive au pouvoir) et un faible résultat pour le PSD. C’est une raison supplémentaire pour laquelle il est nécessaire de s’assurer que Montenegro tienne sa promesse électorale d’écarter l’extrême droite du pouvoir.
Le nouveau secrétaire général du PS, bien qu’il ait représenté la faction la plus à gauche de son parti pendant de nombreuses années (il était en fait une figure centrale de la gouvernance du PS avec le soutien du Bloc de gauche et du PCP), a été élu à la tête du parti seulement deux mois avant les élections.
Cette réalité l’a placé devant un dilemme difficile : d’une part, essayer de maintenir un discours plus ferme et radical, et d’autre part, ne pas perdre la structure et le soutien du parti qu’il venait de gagner (une dynamique qui me semble similaire à celle que Corbyn a connue au moment du référendum sur le Brexit). Ce dilemme a créé une campagne confuse de la part du PS, qui révèle également la situation complexe de la gauche portugaise.
Ce fut en particulier le cas lors des élections de 2022, lorsque, suite à leur décision de ne plus soutenir le gouvernement PS élu en 2019 (ce qui a conduit à des élections anticipées), les deux partis ont été sanctionnés pour des raisons fondamentalement différentes : d’une part, pour avoir soutenu un gouvernement qui n’a pas répondu aux attentes qu’il avait suscitées, et, de l’autre, pour avoir cessé de soutenir ce même gouvernement et, ce faisant, pour avoir précipité une crise politique.
Les élections de dimanche confirment cette tendance, même si le Bloco a obtenu plus de voix qu’en 2022 : la gauche est prise entre l’affirmation et le compromis avec le PS dans un contexte de progression de l’extrême droite. La campagne menée par les deux partis démontre cette même tension : bien qu’ils aient réussi à introduire dans le débat politique les questions du droit du travail, du service national de santé, de l’éducation publique et de la brutale crise du logement au Portugal, la tactique adoptée a été d’affirmer leur volonté totale de négocier un gouvernement avec le PS. Le parti Livre partage la même tactique.
Il s’agit d’une situation très difficile à renverser, qui nécessitera une profonde réflexion stratégique de la part de la gauche, ainsi que le besoin de renforcer l’organisation de la base pour combattre la peur, l’insécurité et le mécontentement qui nourrissent l’extrême-droite. En cette année où nous célébrons le 50e anniversaire de la révolution des œillets, nous avons plus que jamais besoin de cette force et de cette organisation.