Cinquante ans après la Révolution portugaise, l’expérience d’une révolution dans un pays d’Europe apporte encore bien des leçons concernant les rapports entre crise nationale, forces armées et mouvement des masses. En faisant le récit de cette séquence de 19 mois qui commence le 25 avril 1974, avec la chute du régime fasciste, l’historien Fernando Rosas livre une analyse de cette révolution dont les conquêtes démocratiques et sociales furent importantes mais qui fut défaite à l’automne 1975.
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Le mouvement militaire victorieux du 25 avril 1974 a été marqué, dès le premier jour, par l’explosion d’un mouvement révolutionnaire de masse, un véritable tremblement de terre qui a subverti l’ordre établi à tous les niveaux de la société. Il a tenté de créer et d’articuler de nouvelles formes démocratiques d’organisation et d’expression de la volonté populaire dans des milliers d’entreprises, dans les quartiers populaires de la périphérie des villes, dans les campagnes du sud, dans les écoles, dans les hôpitaux, dans les organes locaux et centraux de l’État et même dans les forces armées.
Un mouvement révolutionnaire de masse qui, dans son déroulement, dans ses différentes périodes offensives, a occupé les usines, les terres des latifundia, les habitations vacantes, a découvert l’autogestion et le contrôle ouvrier, a imposé la nationalisation des banques et des principaux secteurs stratégiques de l’économie, a expulsé le patronat et les administrations, créé des Unités de production collective pour la réforme agraire et géré la vie de milliers d’habitant·es pauvres, du nord au sud du pays.
Un mouvement qui, dans son élan, a imposé dans la rue, par sa force et sa capacité d’initiative, les libertés publiques, la démocratisation politique de l’État, la destruction du noyau dur de l’appareil répressif de l’ancien régime et la poursuite de ses responsables, le droit de grève, la liberté syndicale et les fondements d’une nouvelle justice sociale. Un monde qui bascule, dix-neuf mois où l’avenir c’est maintenant, un moment bref et rare où des femmes et des hommes ordinaires, le peuple du travail et de l’exploitation, ont rêvé de prendre leur destin en main.
C’est ce que l’on a appelé, à juste titre selon moi, la révolution portugaise de 1974/1975.
Cette révolution présente une première particularité essentielle à laquelle on prête généralement peu d’attention. Elle a été déclenchée par un coup d’État militaire aux caractéristiques uniques dans la longue histoire des coups d’État militaires des 19e et 20e siècles au Portugal. Un mouvement militaire résultant de l’épuisement de la guerre coloniale qui durait depuis treize ans, sans victoire possible et avec de sérieuses défaites en vue, menée à contre-courant de l’histoire, injuste et à court terme ruineuse. Dans un pays empêché par la dictature de s’exprimer et de décider librement sur ce sujet, le mécontentement contre la guerre, par une de ces ironies dont l’histoire est fertile, allait être exprimé par les jeunes officiers qui la menaient sur le terrain, les capitaines et majors qui commandaient les compagnies, unités matricielles du quadrillage de l’occupation militaire coloniale.
En d’autres termes, il ne s’agit pas d’un complot de généraux, d’amiraux et de colonels – qui sont restés fidèles au régime et à l’effort de guerre jusqu’à la fin, à quelques notables exceptions près. Il s’agit d’un mouvement d’officiers intermédiaires qui seront rejoints par des officiers subalternes et des miliciens[1].
Une conspiration qui, dans un contexte de mécontentement populaire croissant et dans l’environnement politique et idéologique de l’époque, évolue rapidement d’objectifs corporatistes-professionnels (d’ailleurs satisfaits par le gouvernement en octobre 1973) à une finalité politique subversive : de septembre 1973 à mars 1974, de l’assemblée d’officiers d’Evora à celle de Cascais, le mouvement prendra clairement conscience de la nécessité de renverser le régime. Sans démocratisation, il n’y aura pas de solution politique pour mettre fin à la guerre.
L’extension rapide et la politisation de la conspiration des officiers intermédiaires, le contrôle ou la neutralisation de la majorité des principales unités opérationnelles des trois branches des forces armées du pays ont ainsi créé une situation qui n’était pas immédiatement perceptible mais qui a été décisive. L’État et la hiérarchie militaire se sont vus privés du contrôle de l’armée, transformés en une « brigade des rhumatismes »[2], pathétique et inutile. Une tête qui na pas de corps et ne le sait pas. Mais elle a aussi privé de ce pouvoir d’intervention les rares généraux dissidents, convaincus d’avoir entre les mains une sorte de coup d’État militaire privé. Les premières heures du « 25 avril » et ses suites furent une amère surprise tant pour les fidèles hiérarques que pour le général Spínola[3] et les officiers qui le suivaient. Pendant cette longue nuit du 25 au 26 avril, dans la caserne de Pontinha, où s’était réfugié l’état-major du mouvement, les spinolistes ont été en contact étroit avec un Mouvement des forces armées (MFA) disposé à faire quelques concessions programmatiques sur les colonies, mais totalement réticent à céder sa place dans le processus qui allait suivre.
Cela a conduit à une deuxième caractéristique centrale : la neutralisation/annulation du rôle traditionnel des forces armées (FA). La victoire du mouvement des officiers intermédiaires rompt de fait la chaîne de commandement hiérarchique des FA, la soustrait au contrôle traditionnel de l’État et de ses dirigeants désignés, et paralyse ainsi la fonction des FA en tant qu’organe central de la violence organisée de l’État. En ce sens, à proprement parler, les FA cessent d’exister et sont remplacées – ce qui est tout à fait différent – par le MFA, qui contrôlera bientôt l’essentiel du pouvoir militaire opérationnel le plus important par l’intermédiaire du Copcon (Commandement opérationnel du continent). Pendant cette première période de direction spinoliste, au mieux jusqu’à sa défaite le 28 septembre 1974, les restes de l’ancienne hiérarchie (en fait largement assainie pendant la Nuit des généraux par les officiers rebelles le 6 mai) ont mené une lutte désespérée pour éliminer le MFA en tant qu’organe de pouvoir de facto. La défaite du spinolisme a donc consacré cette sorte d’annulation des FA comme colonne vertébrale de la violence d’État.
Il convient d’ajouter que cette circonstance a une autre conséquence importante : la paralysie, la pulvérisation et l’affaiblissement général du pouvoir et de l’autorité de l’État. Le coup d’État militaire a donné naissance à un pouvoir multiple aux compétences contradictoires et affaiblies : une Junte de salut national sans pouvoir réel au sein des FA, un gouvernement provisoire sans pouvoirs sur les FA et avec des forces de police et des ministères paralysés, un Conseil d’État aux pouvoirs essentiellement rhétoriques et, en dehors de cette logique institutionnelle (bien que représenté au Conseil d’État), la Coordination du Programme du MFA, seul siège du pouvoir effectif, mais en profond désaccord avec la faction spinoliste des FA et d’autres organes. L’ancien pouvoir était tombé, il ne menaçait plus personne, et il laissait un champ vacant, vulnérable à un changement drastique des rapports de forces au niveau social et politique.
Enfin, le processus a eu un autre effet : l’arrêt à court terme de la guerre coloniale sur les trois fronts[4] et la formation, tant dans les contingents en Afrique que dans l’opinion publique portugaise, d’un fort mouvement refusant de nouveaux envois de troupes vers les colonies, exigeant le transfert de l’appareil militaire dans les zones littorales des colonies et le rapide rapatriement des troupes, pressant l’ouverture immédiate de négociations avec les mouvements de libération aux conditions présentées par ceux-ci, ou, dans les zones de guerre, remplaçant le combat par la fraternisation avec « l’ennemi ». En toute rigueur, au plan strictement politico-militaire, l’armée coloniale se rend, reconnaissant sa défaite. L’armée coloniale et l’opinion publique refusent de poursuivre la guerre. La décolonisation sera donc négociée par le MFA et le gouvernement provisoire, sans opinion publique favorable à une quelconque forme de prolongation du conflit, sans FA disposées à continuer à se battre et sans que la communauté internationale ne soutienne autre chose que l’autodétermination et l’indépendance des peuples des colonies. La fin de l’empire commençait.
La combinaison des facteurs énumérés ci-dessus (la fin du rôle des FA en tant que garant central de « l’ordre » et la déliquescence du pouvoir d’État) et la forte tension politique et sociale accumulée dans la dernière période du régime de Marcelo Caetano conduisent à l’explosion révolutionnaire. Le mouvement de masse, largement spontané, en vertu d’un de ces « mystères » qui caractérisent les situations révolutionnaires mûres pour l’action, a eu, le matin même du coup d’État – l’issue emblématique de l’affrontement de Ribeira das Naus et de Rua do Arsenal y aura contribué[5] – la double intuition qu’il pouvait et devait prendre l’initiative. L’intuition du moment et de sa propre force : « c’est maintenant, parce qu’ils n’ont plus d’armée : nous sommes plus forts qu’eux ». La compréhension presque intuitive qu’à ce moment, qu’il ne fallait pas laisser passer, le rapport de forces était en faveur de l’initiative populaire. De spectateur, le mouvement de masse devient l’acteur principal. Avant le coup d’État militaire, malgré sa force et son radicalisme, il n’avait pas réussi à renverser le régime. Mais maintenant, il saisissait l’opportunité offerte par ce mouvement militaire particulier, en faisant irruption par les « portes qu’avril a ouvertes ». Le coup d’État, contrairement à la tentative d’Álvaro Cunhal de le ramener au vieux récit du « soulèvement national »[6], n’était pas en soi l’expression armée de « l’insurrection populaire » (au départ, il voulait même l’éviter…), il n’était pas l’explosion révolutionnaire, mais, en raison de ses caractéristiques particulières, il allait contribuer de manière décisive à la déclencher.
Dans son imparable élan initial, entre mai et septembre 1974, le mouvement révolutionnaire populaire a conquis dans la rue, les usines, les quartiers populaires, les écoles et les zones rurales beaucoup de l’essentiel : les bases de la démocratisation politique, les libertés publiques fondamentales, la liquidation des organes de répression politique et de censure ainsi que des milices fascistes, bien avant que tout cela ne soit consacré par la loi. La démocratie politique au Portugal n’a pas été un cadeau du pouvoir. Ce fut une conquête populaire imposée au pouvoir. Il en va de même pour la démocratisation sociale, le droit de grève, la liberté syndicale, le salaire minimum, les congés payés, la réduction du temps de travail, les fondements d’un système universel de sécurité sociale ou l’occupation des logements vacants par les habitants pauvres. Le mouvement de masse a fait tout cela en affrontant – avec ses instances de la volonté populaire élues dans les usines ou les assemblées de quartier – l’opposition systématique de la Junta de Salvação Nacional (JSN), du gouvernement provisoire (GP) et même de la direction du PCP et de l’intersyndicale qui à ce stade s’étaient investis du rôle de gardiens de « l’ordre démocratique » contre le « gauchisme irresponsable ». Cependant, c’est la force de ce mouvement qui s’est avérée décisive pour mettre en échec la première tentative contre-révolutionnaire de spinolisme le 28 septembre 1974, imposant en quelque sorte le MFA comme force politico-militaire hégémonique dans le processus.
À partir d’octobre 1974, la crise économique, la fermeture ou le pillage de nombreuses entreprises par les patrons en fuite, la montée en flèche du chômage, modifient et radicalisent les schémas d’action : les travailleurs occupent les entreprises et, à partir de janvier, les domaines des agrariens de l’Alentejo et du Baixo Ribatejo, expérimentent l’autogestion ou exigent l’intervention de l’État ou du MFA, mettent en place diverses formes de contrôle ouvrier, par le biais de comités de travailleurs ou de comités d’habitants élus par eux. Maintenir les entreprises à flot, vaincre le sabotage économique et garantir l’emploi pose rapidement la question de la nationalisation des secteurs stratégiques de l’économie (à commencer par le secteur bancaire). C’est chose faite au lendemain de la défaite de la deuxième tentative contre-révolutionnaire des spinolistes, le 11 mars 1975. La nationalisation des banques (en pratique, les grands groupes financiers) est approuvée et la réforme agraire, déjà en cours, est légalisée. Le contrôle ouvrier est à l’ordre du jour. Le processus révolutionnaire semble faire un pas en avant. En réalité, ce fut le dernier.
En effet, le camp hétéroclite de la révolution va subir trois défaites successives et décisives dans les mois qui suivent. La première est celle des élections à l’Assemblée constituante en avril 1975. Il ne s’agit pas seulement des modestes résultats du PCP (12,5 %), du PDM (4,1 %), du MES (1,02 %) et de l’UDP (0,7 %), mais de la perception sociale du changement du critère de légitimation du pouvoir en gestation qui en découle de manière incontrôlée. En réalité, avec les élections d’avril 1975, la légitimité électorale s’est définitivement imposée sur la légitimité révolutionnaire. Et la vérité est que le PS a gagné les élections constituantes avec 37,8 % des voix. La révolution ne pouvait ni les reporter ni les ignorer, encore moins les annuler (ce qui était impensable dans un pays où l’opposition avait fait des élections libres son cheval de bataille de toujours). Elle n’avait pas non plus la force de les gagner.
La crise de légitimité qui a frappé le camp de la révolution n’a même pas pu être compensée par la rhétorique tutélaire de l’avant-garde militaire sur les futures institutions démocratiques qui devaient être mises en place dans le premier Pacte MFA/Partis. La stratégie autocentrée du PCP, aggravée près le tournant de mars 1975, s’appuyant sur l’instrumentalisation des idées d’alors d’un certain avant-gardisme militaire à la gauche du MFA (la célèbre alliance peuple/MFA), aggrave doublement les divisions dans le camp révolutionnaire. D’abord entre ses différentes composantes. Certaines organisations maoïstes répondent à l’offensive du PCP en le désignant comme « l’ennemi principal ». Celles qui ne vont pas aussi loin la considèrent avec critique et méfiance.
Mais surtout, cette crise d’hégémonie aliène une grande partie des secteurs sociaux moyens, qui ne reconnaissent pas l’hégémonie totalisante du PCP ou des « démocraties populaires » comme le modèle de société future auquel ils aspirent et ne voient pas la gauche radicale comme une alternative. C’est précisément après les élections d’avril 1975 qu’ils ont commencé à abandonner le camp incertain de la révolution.
Il est cependant absurde de dire que le PCP a renoncé à prendre le pouvoir ou qu’il n’a même pas défini une ligne de conduite pour sa conquête. Le PCP a sciemment appliqué la stratégie dite de Ponomariev pour contrôler le pouvoir : prendre progressivement le contrôle des secteurs vitaux de l’État (les municipalités, les services de renseignement, l’appareil militaire), des médias nationalisés, de l’appareil syndical et appeler à la « mobilisation de la rue » lorsque ce processus « s’engorge » quelque part. Il s’agissait d’une action souterraine, recourant souvent à la force et à des manœuvres administratives de contrôle, qui a commencé à susciter de fortes réactions dans la société, en particulier dans le monde du travail, dans les autorités locales, dans l’opinion publique, dans les milieux militaires, etc. La crise de légitimité du processus révolutionnaire et sa fragmentation interne découlent en grande partie de ce type d’autoritarisme bureaucratique établi par anticipation.
Quoi qu’il en soit, les camps s’exacerbent et le consensus qui avait soutenu les institutions politico-militaires après avril se brise, avec la rupture explicite et ouverte du camp qui, au nom du socialisme démocratique ou du « modèle européen », s’oppose à la révolution socialiste (dont la définition est loin d’être claire et consensuelle). Le quatrième gouvernement provisoire tombe avec le départ du PS et du PSD (en réaction à l’imposition de l’unité syndicale et à « l’affaire República ») et la désintégration croissante et déjà indéniable du MFA devient évidente. Des terroristes d’extrême droite agissent dans tout le pays contre des organisations et des militants de gauche, et la hiérarchie catholique prend ses distances avec le PREC sous prétexte de l’occupation de Rádio Renascença[7] .
La mobilisation de masse contre le processus révolutionnaire commence avec les grands rassemblements et manifestations convoqués par le PS en faveur de la démocratie parlementaire et « européenne » et les rassemblements en faveur de l’épiscopat dans le nord et le centre du pays. En réalité, en juillet 1975, avec la formalisation du « Groupe des 9 »[8], se constitue un camp politico-militaire, dont le noyau est constitué par les « Neuf » et le PS, qui s’oppose au camp révolutionnaire divisé et qui lui dispute, pied à pied, les postes clés de l’appareil militaire et du gouvernement, première étape pour le vaincre sur le plan de la mobilisation sociale. Un camp ouvertement soutenu par la droite politique et d’intérêts, par des secteurs maoïstes qui soulignaient le danger d’un régime sous la tutelle du PCP et, plus dans l’ombre, nous le savons mieux aujourd’hui, par les larges branches de l’extrême droite fasciste et terroriste de l’ELP/MDLP et des groupes similaires.
La deuxième défaite du camp de la révolution socialiste, en août-septembre 1975, a précisément été l’élimination de la « gauche militaire », surtout de l’aile dite « gonçalviste », la plus proche de Vasco Gonçalves et du PCP, non seulement de la direction du gouvernement provisoire, mais aussi des positions fortes qu’elle occupait au sein de l’appareil militaire : la Ve Division est dissoute, Vasco Gonçalves[9] est démis de ses fonctions auprès du Premier ministre et empêché d’occuper le poste de chef d’état-major des FA, Eurico Corvacho est démis de ses fonctions de chef de la Région militaire Nord (RMN), les « gonçalvistes » sont mis en minorité au sein du Conseil de la Révolution, perdant 9 conseillers, les conseillers du « groupe des 9 » sont réintégrés, le nouveau sixième Gouvernement est un net virage à droite. Otelo Saraiva de Carvalho et le COPCON restent, mais le siège de ce dernier noyau du révolutionnarisme militaire commence immédiatement. Ce qui ressort de cet affrontement est un changement substantiel dans le rapport de forces au niveau politique et militaire : dans la direction des trois branches de la FA et dans le gouvernement, il y a maintenant des opposants au cours révolutionnaire. Ce n’était pas la fin, mais c’était la préface de la fin.
Le processus révolutionnaire étant en marche, il ne suffisait pas d’empêcher les dirigeants du pouvoir politique et même le commandement militaire de résoudre la situation. Il y avait un mouvement de masse prêt à se battre pour ce qu’il avait gagné. La « contre-offensive des luttes populaires », comme l’appellera le PCP, sera forte et prolongée, mais elle représente déjà, malgré sa capacité de mobilisation entre septembre et novembre, un processus clairement défensif face à « l’avancée de la réaction » et à l’imminence d’un coup d’État militaire, en réalité préparé par le « groupe des 9 » et depuis le « nettoyage » de l’été. Considérer cette radicalisation terminale, presque désespérée et sans direction claire, comme le « moment insurrectionnel » ou « l’assaut final » contre le pouvoir d’État[10], semble être une approche qui n’a pas grand-chose à voir avec la réalité. Les mobilisations importantes de cette période, en général, ne posaient pas la question de la prise du pouvoir : elles récupéraient les positions perdues (la démission de Corvacho[11], la désactivation du CICAP, le silence de la bombe de Renascença, les attentats…), elles dénonçaient les plans politico-militaires, offensifs, du camp contre-révolutionnaire, bref, elles étaient sur la défensive et tentaient de conserver ce qu’elles avaient obtenu.
Cela n’est pas incompatible, en l’absence d’un mouvement de masse unifié et d’une orientation politique claire, avec le fait de se laisser entraîner dans l’aventure putschiste naissante menée par les parachutistes et les unités COPCON de la Région militaire de Lisbonne (RML) avec le soutien de certains secteurs syndicaux liés au PCP et la militance d’une partie de l’extrême gauche : occupation de bases aériennes, de certains points stratégiques de la capitale, de la RTP et de la Radiodiffusion nationale (EN). Le 25 novembre, ce fut le prétexte tant attendu pour déclencher un véritable contre-coup d’État militaire. Ce qui est précisément révélateur dans ce contexte, c’est la facilité surprenante avec laquelle, sans pratiquement aucune résistance (à l’exception du bref affrontement dans la caserne de la police militaire), le Régiment des commandos a maîtrisé une à une les unités rebelles. Les quelques centaines de personnes qui les « défendaient » se sont dispersées et leurs chefs militaires se sont disciplinés et ont rejoint le palais de Belém. Après avoir consulté les unités militaires du COPCON au sein de la RML et arrêté les fusiliers marins (seule force capable d’affronter les commandos), le PCP ordonne la démobilisation de l’Intersyndicale et des comités de défense révolutionnaire. Cunhal ne voulait pas mettre en risque le parti dans des aventures. Il préférait négocier. La troisième défaite était désormais définitive pour le processus révolutionnaire.
Le novembrisme est à la contre-révolution ce que le mouvement militaire du 25 avril est à la révolution. Il n’était pas la contre-révolution elle-même, mais le changement dans le rapport des forces qu’il imposait lui ouvrait la voie pour s’établir graduellement, progressivement et constitutionnellement comme la politique dominante de la situation post-révolutionnaire. Elle s’est introduite clandestinement et prudemment par les portes que novembre avait ouvertes. Le 25 novembre, le coup d’État ordonne l’arrestation de 118 militaires, licencie 82 travailleurs de la RTP et de l’EN et révoque les administrations et les directeurs de la presse nationalisée, remplacés par des personnes liées au PS et au PSD ou des militaires. Mais contrairement aux souhaits de l’extrême droite et de certains secteurs de la droite, il n’y a pas eu d’arrestations massives de « rouges », d’annulation des libertés publiques, de dissolution de partis ou de fermeture de syndicats ou de leurs publications. Le PCP reste dans le gouvernement provisoire, et la Constitution de 1976 consacre l’objectif du socialisme, l’irréversibilité des nationalisations, la réforme agraire, le contrôle des travailleurs et le rôle des comités de travailleurs.
En réalité, selon plusieurs sources orales concordantes, le Groupe des 9 semble avoir discrètement négocié avec le PCP une limitation convenue du processus révolutionnaire. Álvaro Cunhal préfère parler de frein objectif. La vérité est que le PCP a démobilisé les militants syndicaux, les civils et les militaires entraînés dans l’aventure initiée par les parachutistes. Celle-ci avait été instiguée par une sorte de commandement « invisible » d’officiers gonçalvistes ou du COPCON, moins contrôlables par le parti, du SDCI[12], qui a débouché sur un processus évidemment différent d’une riposte contre-révolutionnaire classique et violente. Il s’agissait d’un accord qui faisait l’économie d’une contre-révolution sanglante, mais dans lequel les vainqueurs changeaient les règles du jeu sur deux aspects cruciaux : ils imposaient la consécration de la légitimité électorale sur la légitimité révolutionnaire comme fondement des nouvelles institutions et, surtout, ils liquidaient le MFA, rétablissaient la hiérarchie traditionnelle de la FA et, en ce sens, annulaient l’alliance essentielle avec ce bras armé dont le mouvement populaire avait disposé au long du processus révolutionnaire. Les FA redeviennent la colonne vertébrale de la violence légale de l’État.
Certes, la révolution s’achevait. Mais elle a laissé à la démocratie parlementaire qui lui a succédé l’empreinte génétique de ses conquêtes politiques et sociales, des droits et des libertés qu’elle avait gagnés dans la lutte révolutionnaire et dont elle avait imposé et défendu le maintien dans la nouvelle situation politique. C’est pourquoi l’équation schématique qui est parfois faite entre la contre-révolution et la démocratie parlementaire[13] ignore le fait que, dans le cas portugais, elle a été le résultat d’un compromis avec un processus révolutionnaire qui l’a profondément marquée. Contrairement à ce que dit la droite politique et historiographique – dans un curieux rapprochement avec le point de vue susmentionné – la démocratie politique n’existe pas au Portugal malgré la révolution, mais parce qu’il y a eu une révolution.
Il y a donc un être et un non-être dans la révolution portugaise de 1974-1975. Elle a eu le pouvoir de renverser l’ordre établi en frappant les fondements mêmes du système capitaliste, mais elle n’a pas pu conserver ces acquis et encore moins les approfondir en un pouvoir socialiste durable. Elle a été stoppée à mi-chemin et a perdu une grande partie de ses conquêtes les plus avancées dans la contre-révolution molle qui s’est instaurée avec la « normalisation démocratique ». En d’autres termes, elle a été contenue par l’ampleur des réactions qu’elle a suscitées tant au niveau national qu’international. D’où la nécessité d’essayer d’analyser, même brièvement, quelques-unes de ses principales difficultés. J’aborderai brièvement trois aspects qui me semblent les plus importants.
Tout d’abord, la situation d’un embryon de « double pouvoir » créé par les milliers d’organes de volonté populaire élus dans les entreprises, les quartiers et les campagnes du Sud par les travailleurs et les habitants. C’est un fait qu’il n’a jamais réussi à constituer une organisation nationale unique et articulée. Encore moins, dans sa dispersion, assumer majoritairement une orientation politique claire ou se poser la question de la prise du pouvoir. Contrairement à ce qui s’est passé dans les soviets russes de 1917 ou dans la révolution des conseils allemands de 1918-1919, il n’y a pas eu, dans la révolution portugaise, de « pouvoir populaire » parallèle et unifié, ce qui explique que la question de « tout le pouvoir aux organes de la volonté populaire » ne s’est jamais posée dans la pratique. Jusqu’en juillet 1975, le PCP et sa structure syndicale s’opposent aux Comités de travailleurs (CT) élus sur les lieux de travail et, avant et après, chaque groupe politique de la gauche radicale a « ses » CT et CM (Comités de résidents élus dans les quartiers), « ses » structures de coordination partielle, souvent en lutte les unes contre les autres, et celles que le PCP a créées, finalement, cet été-là[14] .
Deuxièmement, dans la révolution portugaise, les organes de la volonté populaire ne sont pas armés, là encore en contraste essentiel avec les expériences soviétique et conseillistes mentionnées. Ils sont soutenus par un allié extérieur à eux-mêmes, un mouvement militaire d’officiers subalternes (ou une partie de celui-ci), ou même par certaines unités de cette partie, à mesure que l’aile gauche du MFA se divise et se subdivise. Il n’y a pas d’ouvriers, de paysans ou de soldats en armes, comme le revendiquaient certains secteurs de la gauche radicale. En fait, le PCP et les organisations de la gauche radicale ont maintenu des organisations dans les FA plus pour influencer les officiers du MFA que pour promouvoir l’insurrection parmi les soldats, à l’exception de l’expérience éphémère et désespérément tardive des SUV (Soldats Unis Vaincront), qui a été explicitement combattue par les différents courants du MFA. En d’autres termes, le processus révolutionnaire des travailleurs a été soutenu de l’extérieur, si tant est qu’il l’ait été, par un mouvement d’officiers de plus en plus divisé et affaibli. La vulnérabilité est évidente : si et quand la réaction au processus révolutionnaire réussit à recadrer le MFA dans la chaîne de commandement de la FA, en l’éliminant, le mouvement de masse, même s’il subsiste, perd son expression indirecte armée et subversive, retournant à la nature d’un mouvement revendicatif sans la capacité de poser la question du pouvoir. Il se met sur la défensive. C’est précisément ce qui s’est passé.
Troisièmement, le camp politique de la révolution était profondément divisé politiquement et idéologiquement sur la nature du pouvoir à construire et les moyens d’y parvenir. Et il n’y avait ni force clairement hégémonique capable d’entraîner ou de marginaliser les autres, ni capacité à trouver une plate-forme minimale d’action commune – le Front d’Unité populaire (FUP) lui-même, formé le 25 août 1975 entre le PC et sept autres groupes dans un but clairement défensif et sans la participation des maoïstes, commença à se désagréger trois jours plus tard avec le départ du PCP. La divergence centrale était entre la stratégie cunhaliste d’occupation progressive de l’appareil civil et militaire de l’État, du MFA, des directions des syndicats et des journaux/radio/RTP, des conseils locaux etc., souvent en marge de tout contrôle démocratique réel, du « haut vers le bas », d’une part, et de l’autre l’orientation commune à la gauche radicale de créer dans la lutte de classe un « pouvoir populaire » capable de lancer un assaut révolutionnaire contre l’État, mais sans la moindre lueur de consensus ou de convergence sur la manière de procéder. Mais même dans le sous-champ de l’extrême gauche, la guerre de sectarisme autour de la « pureté » révolutionnaire s’est généralisée. Et tout cela, bien sûr, se reflétait dans la cohésion de la gauche du MFA, qui rompait déjà avec le « groupe des 9 ».
En réalité, une des singularités de la révolution portugaise, que le préjugé idéologique d’une grande partie de l’historiographie sur cette période tend à occulter, est que l’extrême gauche, bien que pulvérisée et en guerre interne, a eu assez de force sociale et politique pour entraver et contester l’hégémonie politico-idéologique du PCP dans le processus, sans toutefois parvenir à imposer une voie alternative, et encore moins une quelconque plateforme commune de compréhension. Cette impasse sur le terrain de la révolution a ouvert une guerre en son sein, où la violence sectaire de part et d’autre a souvent été plus que verbale, donnant lieu à des agressions, des purges, des manipulations, voire des répressions massives pour tenter d’éliminer politiquement le camp maoïste le plus hostile au PCP. Ce blocage conflictuel a naturellement aliéné des alliés sociaux instables ou désabusés, montré l’impuissance de la riposte, exprimé la désunion et la faiblesse, isolé le camp sur lui-même, et on peut y trouver certaines des raisons de l’incapacité à résister avec succès à la contre-offensive de l’été 1975 et à ce qui suivrait.
En conclusion, on peut dire que le novembrisme n’a pas mis fin à la révolution portugaise en 1975. La force tellurique qui a explosé lors de ce « premier jour entier et limpide » n’a pas été suffisante pour gagner, mais elle a permis de marquer et de conditionner fortement ce qui a suivi. En substance, et certainement d’une manière différente aujourd’hui, c’est toujours autour de la défense, de la consolidation et de l’expansion de cet héritage, ou de son contraire, que se définit la lutte politique au Portugal.
Le 25 avril 2014
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Fernando Rosas, historien, professeur à l’université de Lisbonne, est membre du Bloc de gauche au Portugal. Article écrit à l’occasion du 40e anniversaire de la Révolution portugaise.
CICAP : Centre d’instruction et de conduite de Porto. Il s’agissait d’une unité militaire de l’armée.
CM : Comissão de Moradores, Comité des résidents. Organes de la volonté populaire élus par les habitants des quartiers populaires des principales villes du pays.
COPCON : Commandement opérationnel du continent. Il était chargé de coordonner les principales unités opérationnelles chargées du «maintien de l’ordre public». Otelo Saraiva de Carvalho est nommé à sa tête.
CR : Conseil de la révolution. Organe politique et militaire suprême du processus révolutionnaire, créé et élu par l’Assemblée du MFA à la suite de l’échec de la tentative de coup d’État du 11 mars 1975. Il était présidé par le Président de la République. Il est resté un organe constitutionnel dans le texte de la Constitution approuvée en 1976.
CT : Comité des travailleurs. Organes de la volonté populaire élus par les travailleurs dans les entreprises à partir de mai 1974.
ELP : Exército de Libertação de Portugal, Armée de libération du Portugal. Organisation clandestine d’extrême droite composée d’anciens dirigeants fascistes, de militaires contre-révolutionnaires et d’agents de la défunte police politique. Responsable de nombreuses actions terroristes au Portugal à partir de 1975. Basée en Espagne avec le soutien du gouvernement de Madrid. Il a ensuite été intégré au MDLP.
EN : Emissora Nacional, Radiodiffuseur national.
FA : Forças Armadas, Forces armées.
GP : Gouvernement provisoire.
Grupo dos 9 : Groupe de 9 officiers du MFA et du Conseil de la Révolution qui ont signé un document rejetant à la fois la «voie totalitaire» et la «voie sociale-démocrate», prônant une transition progressive vers un socialisme adapté à «la réalité concrète portugaise».
JSN : Junte de salut national. Elle a été nommée par le MAE le 25 avril 1974 et présidée par le général Spínola jusqu’au 30 septembre 1974. Elle est dissoute à la suite de la tentative de coup d’État du 11 mars 1975 et remplacée par le Conseil de la révolution.
MDLP : Mouvement démocratique pour la libération du Portugal. Organisation clandestine d’extrême droite basée en Espagne, dirigée par Spínola et responsable de divers attentats terroristes dans le pays à partir de 1975.
MDP : Mouvement démocratique portugais. Organisation de façade hégémonisée par le PCP et existant depuis 1969.
MFA : Movimento das Forças Armadas, Mouvement des forces armées. Nom adopté par le mouvement des officiers qui a renversé le régime le 25 avril 1974.
MRPP : Mouvement de réorganisation du parti prolétarien. Organisation maoïste fondée dans la clandestinité en 1970.
PCP : Parti communiste portugais.
PREC : Processus révolutionnaire en cours.
Renascença : Radio Renascença, la radio de l’Église catholique.
RML : Région militaire de Lisbonne.
RMN : Région militaire du Nord.
RTP : Rádio Televisão Portuguesa.
UDP : Union démocratique du peuple. Organisation d’extrême gauche issue de la fusion de divers groupes marxistes-léninistes en 1975.
[1] Pour faire face aux nécessités de la guerre coloniale, la dictature militaire a dû faire appel au recrutement de miliciens, membres non permanents des forces armées, formés en deux semestres, contrairement aux officiers de carrière formés sur quatre ans (NdT).
[2] C’est ainsi qu’on désignait l’entourage du président du Conseil de la dictature d’alors, Marcelo Caetano, et en particulier la réunion organisée le 14 mars 1974 par la majorité d’officiers généraux des trois armées pour lui faire serment d’obéissance (NdT).
[3] António de Spinola (1910-1996), général, gouverneur militaire de Guinée-Bissau en 1968 puis en 1972, nommé vice-chef de l’état-major des forces armées le 17 janvier 1974 puis limogé en mars pour ne pas avoir pris part à la réunion des officiers en soutien à Caetano, il reçoit le 25 avril 1974 la reddition du gouvernement, il sera Président de la junte de salut national (25 avril-16 mai 1974), puis président de la République (15 mai-30 septembre 1974). Opposé à l’orientation du MFA et à l’indépendance immédiate des colonies, il tente un coup d’État raté le 28 septembre 1974, démissionne de la présidence, puis il fuit en Espagne et au Brésil à la suite de l’échec d’une tentative de coup d’État de droite en mars 1975. Il sera réhabilité par le président socialiste Mario Soares en 1987.
[4] Angola, Guinée-Bissau et Mozambique (NdtT).
[5] Le matin du 25 avril 1974, dans la rue de l’Arsenal à Lisbonne, les chars de l’École pratique de cavalerie de Santarém, qui avaient rejoint le mouvement militaire, se sont heurtés à ceux du 7e de cavalerie, commandé par le brigadier Junqueira dos Reis, fidèle au régime. Après plusieurs tentatives de pourparlers, le brigadier donne l’ordre de tirer sur le capitaine Salgueiro Maia, qui commande la force de cavalerie de Santarém. L’enseigne responsable de la garnison de chars refuse d’obéir et est arrêté. Le caporal qui reçut l’ordre de faire de même désobéit également. Une partie de la force passa aux insurgés et les autres firent demi-tour. Une situation similaire s’était produite sur l’avenue de Ribeira das Naus, parallèle à la Rua do Arsenal. Il est alors apparu clairement que le régime ne disposait d’aucune force militaire pour le défendre.
[6] Cf. Álvaro Cunhal, A Verdade e a Mentira na Revolução de Abril (a contra-revolução confessa-se), ed Avante, Lx, 1999, p. 101 et suivantes.
[7] La radio Renaissance, propriété de l’Église catholique a été occupée par les travailleurs en lutte courant 1975. Le 7 novembre 1975 pour empêcher la poursuite des émissions sous contrôle des travailleurs, une bombe détruit le centre d’émission. La radio est rendue au contrôle de la hiérarchie catholique en décembre de la même année (NdT).
[8] Neuf officiers modérés soutenant le PS, qui ont publié un manifeste, intitulé « Alliance peuple-MFA, pour la construction d’une société socialiste au Portugal » (NdT).
[9] Vasco dos Santos Gonçalves (1921-2005), colonel et Premier ministre de quatre des six gouvernements provisoires (de juillet 1974 à septembre 1975), était proche du PCP.
[10] Raquel Varela, História do Povo na Revolução Portuguesa (1974-1975), Lisboa, Bertrand editora, 2014, p. 421 et s. et 496 à 498.
[11] Eurico Corvacho, commandant la région de Porto, fidèle de Vasco Gonçalves, qui en mars 1975 avait dénoncé la constitution des groupes d’extrême droite dans sa région, a été remplacé en août « à titre provisoire » par le général Ferreira.
[12] Service de détection et de contrôle de l’information. Cf. Armando Cerqueira, Revolução e Contra-Revolução em Portugal (2015), p. 544 et suivantes.
[13] R. Varela, cf. note 10, p. 482 et suivantes.
[14] Miguel Pérez Suárez, « A autogestão operária no processo revolucionário português de 1974-75 », dans Jorge Fontes, António Simões do Paço, João Carlos Louçã, Miguel Pérez, Entre Outubro e Abril, Estudos sobre trabalho, revoluções e movimentos sociais no século XX, Húmus, Vila Nova de Famalicão 2018, p. 169 et suivantes.