Le 10 juillet s’est tenu à Pantin, à l’appel de plusieurs collectifs, organisations et médias alternatifs, dont Contretemps, un meeting sur le thème « Après le 7 juillet, que faire ? ». Nous reprenons ici l’intervention de Théo Roumier. L’enregistrement vidéo de ce meeting est disponible ici.
***
« Il n’y a pas de raccourci électoral pour changer la société ». Ces mots ce sont ceux d’un syndicaliste, d’un militant ouvrier, il s’appelait Charles Piaget, qui nous a quitté en novembre dernier. Dans la situation que nous traversons, ils valent autant comme constat que pour conseil et peuvent inspirer quelques réflexions.
La première, qui relève du constat justement, c’est que nous avons déjà quelques gouvernements de gauche au compteur. Et qu’il faut le dire d’emblée, les précédentes expériences n’ont pas seulement été des déceptions, elles ont été trop souvent des trahisons. Il n’a pas été seulement question de défaillance, mais parfois bel et bien de déchéance.
C’est la présidence d’Hollande, celle de l’Etat d’urgence, de la déchéance de nationalité, des lois Travail. C’est le gouvernement Jospin qui a privatisé plus que tous ceux de droite. C’est la gauche mitterrandienne qui décrète la rigueur en 1983, et qui dans le même mouvement, dénonce les grèves des ouvriers de l’automobile, des travailleurs immigrés et de leurs sections syndicales CGT et CFDT, comme « agités par des groupes religieux » (Pierre Mauroy, premier ministre PS), comme étant de prétendues « grèves saintes d’intégristes, de musulmans, de chiites » (Gaston Deferre, ministre de l’intérieur PS). Et ça alors que le FN remporte ses premiers succès électoraux. C’est la gauche qui l’a tant promis mais qui n’a jamais, jamais, donné le droit de vote aux étrangères et étrangers. Celles et ceux qui vivent ici, qui travaillent ici, et qui doivent pouvoir voter ici. Et dès 2026 aux élections municipales ce serait une bonne chose !
Bien sûr que nous n’avons pas la mémoire courte. Tout ça on s’en souvient. Mais ça n’empêche pas que quand l’espoir à gauche renaît au sein des classes populaires, on n’a pas le droit de lui préférer le désespoir. D’autant plus quand l’élan unitaire a été imposé par en bas, par le terrain.
C’est pour cela qu’on a eu raison, comme syndicalistes, de ne pas se cantonner à dire « pas une voix pour l’extrême droite », et de dire – et la CGT en premier – qu’il fallait « faire front populaire ». Oui, il y avait un calendrier électoral qu’on ne pouvait pas ignorer, une urgence démocratique qu’on ne pouvait pas balayer. Pour empêcher l’extrême droite de l’emporter là, maintenant, l’engagement dans les urnes était la seule réponse immédiate. Le bloc de gauche autour du Nouveau front populaire était la seule alternative.
Mais nous n’y sommes pas allés « malgré nous ». Le Front populaire, il est à nous, ça n’est pas qu’une coalition électorale, ça n’est pas qu’un bulletin de vote. Si le mouvement syndical et social doit prendre toute sa place dans le front populaire c’est justement pour ne pas le laisser aux appareils politiques de la gauche institutionnelle. Il faut mettre l’alliance électorale hier, les groupes parlementaires aujourd’hui et peut-être demain le gouvernement sous contrôle populaire.
Pour ça, ce qui doit toujours nous guider, en toute circonstance, c’est l’intérêt supérieur des classes populaires. Il commandait de s’engager dans cette bataille électorale. Il commande aujourd’hui d’aller au-delà et de se préparer à une bataille politique et sociale décisive.
Il va falloir nous en donner les moyens. Se donner les moyens stratégiques déjà. N’en déplaise à certains, le seul « cap clair » aujourd’hui c’est que notre camp social doit entrer dans la lutte et défendre ses revendications. En gagnant : le retour de la retraite à 60 ans, des augmentations de salaires indexées sur l’inflation, des services publics partout, l’abrogation de l’infâme loi immigration, la reconnaissance immédiate de l’Etat de Palestine, la libération des emprisonnés kanak, le retrait des troupes coloniales armées de kanaky.
Elles sont là les premières victoires à arracher. Pas dans un an, dans les semaines, dans les mois qui viennent. Ça passera par la rue, mais ça passera aussi et même peut-être plus certainement par les lieux de travail, par les lieux de vie, dans les villes comme dans les campagnes. Il ne s’agit pas seulement de manifester. C’est important, c’est une démonstration de la force collective que nous représentons. Mais ça doit être la partie émergée de l’iceberg.
Il y a tout un continent de résistances et de solidarités à installer au cœur du quotidien, de notre quotidien. Le Front populaire de 1936 avait eu ses occupations d’usines, c’est à nous de trouver les moyens d’actions du Nouveau front populaire qui resteront gravés dans l’histoire. Mais il n’y a pas de magie, et il faut le dire, la grève ça n’est pas une histoire de bouton rouge. Il faut des appels clairs. Mais la grève, c’est une affaire de grévistes. Ça ne se décrète pas d’en haut, ça se construit par en bas. Par l’auto-organisation la plus large, gage de démocratie comme de détermination.
Pour que les grévistes soient nombreuses et nombreux, il faut aussi se donner des moyens organisationnels. « Don’t mourn, organize ! » / « Ne vous lamentez pas, organisez-vous ! » chantait Joe Hill.
Je vais vous donner un exemple concret : celui du syndicat ELA au Pays basque sud. C’est un syndicat indépendantiste et socialiste qui a mis la grève au centre de son action syndicale. On y paye des cotisations hautes mais un quart est destiné à une caisse de grève centrale. ELA c’est 100 000 adhérent-es, c’est 10% de la population active. Résultat : le Pays basque sud enregistre la plus haute conflictualité sociale d’Europe. Et les grèves y sont la plupart du temps victorieuses.
Alors il ne s’agit pas de faire du copié/collé. Il y a bien d’autres exemples et tout n’est pas exportable à l’identique. Mais une chose est sûre : elles sont là, sur le terrain, les conditions qui font qu’on ne jouera pas en défense, mais qu’on regagnera le terrain perdu, en passant à l’offensive.
Enfin, s’il faut dire encore quelque chose pour terminer, même si c’est loin de clore le sujet : le syndicalisme, le mouvement social, s’il veut exprimer une autonomie pleine et entière devra renouer avec cette double besogne quotidienne et d’avenir qui animait les premières et premiers syndicalistes. Aux Etats-Unis, le prolétariat révolté du début du XXe siècle exigeait du pain certes, mais aussi des roses, bread & roses.
La question du socialisme (ou de l’éco-socialisme) dans ce qu’il représente de plus entier et sincère doit à nouveau occuper un espace politique de masse et nos organisations, nos collectifs doivent y contribuer pour que – comme le disait encore Piaget – nos luttes portent en elles « des morceaux du monde que nous voulons ».
Je vous remercie.