Interview avec Alda Sousa, membre fondatrice du Bloc de Gauche portugais, membre de la direction nationale et candidate en 4ème position sur la liste pour les élections européennes.
Quels sont les faits marquants de l’histoire politique contemporaine de votre pays ? En quoi participent-ils à la structuration politique actuelle ?
Le 25 avril 1974 marque la chute de la dictature, le début d’un processus révolutionnaire qui a duré un an et demi, mais aussi l’ouverture économique à l’extérieur, après plus de 40 ans d’isolement.
Bien sûr beaucoup d’organisations de gauche ont vu le jour, elles étaient toutes illégales. Le parti communiste (PCP) était la force la mieux organisée, avec une longue tradition de lutte clandestine. Mais d’autres organisations d’origine maoïste ou autre étaient aussi importantes. L’UDP (União Democratica Popular) était de beaucoup la plus importante, avec plusieurs milliers de militants. La LCI (plus tard PSR, Partido Socialista Revolucionário)), section portugaise de la IVème Internationale avait été fondée en décembre 1973, donc juste 4 mois avant la chute de la dictature. Elle a néanmoins joué un rôle important non seulement pendant le processus révolutionnaire mais dans la période de résistance à la normalisation, pendant que d’autres organisations se sont éteintes ou devenues résiduelles.
Le Bloc s’est formé en 1999, après plusieurs mois de discussions politiques entre l’ UDP, le PSR, Política XXI (une scission du PCP du début des années 90) et plusieurs militant(e)s indépendant(e)s qui voulaient une gauche alternative capable non seulement de résister mais aussi d’avoir des victoires. Il faut dire qu’en 1998 il y avait eu un référendum sur la question de l’avortement où le NON a gagné et donc les femmes qui avortaient à leur demande pouvaient encore encourir jusqu’à 3 ans de prison (jusqu’en 2007).
Le Bloc n’est pas une fusion de ces 3 organisations. Il a été constitué comme une nouvelle force politique à laquelle on adhère individuellement. En ce moment le nombre de membres et d’environ 7000, dont la grande majorité ne faisait partie d’aucune des organisations qui étaient à son origine.
En ce qui concerne les relations avec l’Union Européenne, la demande d’adhésion à CEE se fait déjà en 1977 dans la période de normalisation qui a suivi la période révolutionnaire mais ne se concrétise pas avant le 1er janvier 1986. Le financement communautaire devient très important mais son usage est plus que questionnable. Non seulement il y a eu des fraudes et des détournements massifs mais ils ont surtout servi à faire des autoroutes, en même temps que l’agriculture et la pêche ont subi un processus de destruction. Avec ce modèle de développement le Portugal a accentué la divergence avec les pays les plus riches de l’Union, et la bourgeoisie portugaise a été tout a fait incapable d’inverser cette tendance. Il en résulte évidemment un des salaires minima les plus bas de l’Union Européenne (450 euros par mois), un chômage grimpant (600.000 chômeurs, dans un pays de 10 millions d’habitants). Le gouvernement du parti socialiste est tout à fait incapable de faire les choix qui auraient permis de faire face à la crise.
L’Europe : quels sont les rapports de la société et des différents courants politiques à la construction européenne ? Comment se sont positionnés les différents partis lors de l’adoption des traités européens ? Quels ont été les débats ?
On devrait plutôt parler d’absence de débat, depuis toujours. Les deux partis do Bloc Central (Parti Socialiste-PS et parti social-démocrate (libéral)- PSD ont toujours suivi le modèle européen dicté par les grands pays. Ils accusent tous ceux et celles qui proposent des alternatives d’être d’anti-européistes. Il n’y a jamais eu de vrais débats et, bien sûr, jamais de référendums sur aucun des traités. Le plus grave est que le PS et le PSD avaient promis, lors de la campagne électorale de 2005, de faire un référendum sur le traité constitutionnel. Ils ont même voté au Parlement un amendement à la Constitution pour rendre possible un référendum sur un traité. Mais ensuite ils ont refusé le référendum au Traité de Lisbonne, sous le prétexte que ce n’était pas le même traité….
Il en découle que la plus grande partie de la population est indifférente aux questions et aux élections européennes et aussi que le taux d’abstention est beaucoup plus grand que quand il s’agit des autres élections.
Depuis sa fondation, le Bloc s’est toujours défini comme européiste de gauche , rejetant ce modèle libéral et proposant une refondation démocratique de l’Union européenne. Des mouvements sociaux plus jeunes sentent aussi le besoin d’avoir au moins des échanges avec d’autres mouvements du même type en Europe.
Quelles sont les conséquences économiques et sociales de la crise globale du capitalisme ? Quelles sont les mesures adoptées par le gouvernement et comment les analysez-vous ? Comment se positionnent les différents partis ? Est-ce qu’il y a des résistances politiques qui se développent dans d’autres contextes ?
La crise globale du capitalisme se fait sentir de façon très dure dans un pays où le modèle reposait sur les bas salaires : le chômage et la précarité ont monté, il y a plus de 2 millions de pauvres et parmi ceux et celles-ci, 1/3 ne sont pas des chômeurs, mais les salaires sont si bas qu’ils (elles) n’arrivent pas à surmonter le seuil de pauvreté. Comme partout, le gouvernement aide les banques pour empêcher leur faillite, relance des programmes de travaux publics mais refuse de prendre des mesures de soutien aux chômeurs (dont plus d’un tiers ne reçoit aucune allocation) et aux retraités qui touchent des pensions misérables.
Le résultat est que dans les sondages et le PCP et le Bloc ne font que monter. La plupart des enquêtes nous donnent comme la 3ème force politique (les derniers sondages nous donnent 8 à 9%) …. Mais il faut attendre le résultat et rester prudents.
Les principales propositions du Bloc face à la crise sont : 1) augmentation des retraites et du salaire minimum (pour que dans 2 ans il arrive à 600 euros) 2) allocation chômage pour tous et toutes les chômeurs/euses 3) réduction de l´horaire de travail pour 35 heures ; 4) interdiction des licenciements dans toutes les entreprises qui font des profits 5) impôt sur les grandes fortunes pour financer la sécurité sociale ; 6) clôture de tous les offshores. 6) Nationalisation du secteur de l´énergie 7) fin du secret bancaire.
En ce qui concerne les résistances à la crise la situation est très contradictoire. La plupart des licenciements collectifs ont eu lieu sans résistance, les syndicats se limitant à négocier les meilleures conditions de dédommagements. Par contre, il y a eu récemment des grèves des infirmiers et les enseignants se sont très fortement mobilisés ces deux dernières années contre les réformes du gouvernement PS. À deux reprises il y a eu des manifs nationales de 100.000 et 120.000 enseignants du primaire et du secondaire.
En même temps des mouvements de précaires se sont constitués et jouent un rôle important dans la dénonciation et la mobilisation : environ 70% des jeunes travailleurs entre 16 et 30 ans sont des précaires
Dans quel contexte politique prennent place les élections européennes ? Quels sont les thèmes et les enjeux principaux de la campagne électorale ? Quelles sont les forces en présence ? Quels sont les objectifs que vous visez sur cette campagne ? Quel rôle jouent ces élections dans la perspective de votre courant politique ? Considérez-vous ces élections comme une étape pour en renforcer la construction ?
Ces élections européennes se déroulent, pour le Portugal, non seulement sous le signe de la crise, mais aussi dans un contexte particulier où nous aurons trois élections au long de l‘année. Tout d’abord les européennes, le 7 juin, ensuite des élections pour le parlement national (députés) en septembre/octobre et les municipales en octobre/novembre. Tout se passe sous le signe de la crise et de l´incapacité du gouvernement du parti socialiste, qui non seulement ne peut faire face à la crise mais a pris pas mal de mesures qui l’ont aggravée. En fait quelques-unes des mesures antisociales du gouvernement du PS ont même précédé l’éclatement de la crise. La loi du travail a rendu plus facile les licenciements (dans le public comme dans le privé) et les ruptures de contrat de travail. Le recours à l’allocation chômage est devenu plus difficile. En ce moment, environ 180000 des 600000 chômeurs n’ont pas d’allocation chômage. Il s´agira donc de faire un bilan sérieux de 4 années de gouvernement socialiste, et en même temps de faire comprendre aux gens qu’il n’y a pas de problèmes d’ici et des problèmes d’ Europe, ce sont les mêmes problèmes parce que le modèle économique et financier est le même.
La campagne électorale se déroule sous la toile de fond de la gigantesque fraude du BPN (Banque Privée d’Affaires) qui représente environ 2% du PIB ( !!), c’est-à-dire, qu’elle pèse 9 fois plus dans l´économie portugaise que celle de Madoff dans l’économie américaine. Il y a des figures de tête du PSD qui sont liées à cette fraude. Le gouvernement du PS a « nationalisé » cette banque, ce qui correspond à un trou financier de 2000 millions d’euros que nous tous et toutes sommes en train de payer.
En ce qui concerne les deux grands partis (PS et PSD) ils n’ont pas de divergences en ce qui concerne l’Europe, ni maintenant ni dans le passé : ils ont toujours été d’accord pour signer tous les traités, pour ne pas faire de référendum et sont aussi d’accord pour soutenir la nouvelle candidature de Barroso “parce qu’il est portugais”.
Le PCP qui a en ce moment 2 députés au Parlement Européen (et qui a bien sûr été contre le traité de Lisbonne) fait une campagne encore plus nationaliste qu’avant. D´après leur tête de liste, Ilda Figueiredo, « le PCP est porteur d’une position qui défend la souveraineté et l’affirmation de l’autonomie du peuple portugais au sein du projet européen ».
Le Bloc se présente seul mais beaucoup d’indépendants font partie de la liste ou la soutiennent. La question de listes communes avec d’autres forces ne se posait pas. Le Bloc a maintenant 8 député(e)s (4 hommes, 4 femmes) au Parlement National, est représenté aussi dans les parlements de plusieurs villes. On nous regarde de plus en plus comme un parti non seulement d’opposition mais aussi comme ayant des propositions alternatives sur la crise, sur le système bancaire, sur les lois du travail, sur les services publics. Pour nous il ne s’agit pas seulement de renforcer notre présence au PE mais aussi et surtout de faire le pont entre l‘enjeu européen et national. Un de nos slogans est “Qui nous a mis dans la crise ne pourra jamais nous en sortir”.
Propos recueillis par Raphaëlle Marx