Le PCF et le marxisme (1960-1980). 1re partie : culture et philosophie marxiste

Nous publions en trois parties une étude de Laurent Lévy sur les rapports du PCF avec le marxisme au cours des deux décennies de sa plus grande influence, les années 1960 et 1970, qui sont celles de sa lente « déstalinisation » : comment ce parti, qui se considérait comme étant « le parti de la classe ouvrière » considérait-il la théorie marxiste ? Quelle importance accordait-il à son développement ? Quel contrôle entendait-il exercer sur ce dernier ? Quel rôle a-t-il joué dans sa production ? Quelles étaient dans les différents domaines du marxisme les contributions respectives de la direction et des intellectuel·les militant·es ? Quelle était la place de la théorie dans l’élaboration de la politique du Parti ?

Cette étude conduit à nuancer l’idée suivant laquelle au XXe siècle le « marxisme occidental » se serait développé essentiellement en dehors du mouvement ouvrier. Elle est divisée en trois parties : la place de la culture marxiste et des débats philosophiques ; la théorie marxiste dans le domaine économique ; la place de la théorie dans les réfexions stratégiques du Parti.

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On connaît le lieu commun consistant à dire après Maurice Merleau-Ponty ou dans des termes différents par Perry Anderson que le marxisme, né du mouvement ouvrier, s’en serait plus ou moins émancipé au XXe siècle avec l’émergence d’un marxisme occidental produit par des théoriciens désormais indépendants ou marginalisés dans leurs partis et coupés de la vie militante, une version ossifiée du marxisme classique perdurant dans l’Union Soviétique stalinisée. Cette conception fait bon marché de la persistance de recherches marxistes bien vivantes au sein même des partis communistes, à travers leurs directions et leurs intellectuel·les militant·es. C’est l’exemple du Parti communiste français (PCF) et de ses rapports avec le marxisme qui sera ici étudié.

Il n’est pas question de dresser ici un panorama, même partiel, de la riche production de travaux, recherches, études et publications diverses effectuées par les nombreux et nombreuses intellectuel·les communistes se réclamant du marxisme. Cette production, certes inégale mais très variée, s’est déployée de façon parfois contradictoire dans la période considérée et au-delà dans de multiples domaines[1]. Il n’est pas plus question de discuter le fond de celles des questions qui seront évoquées. Il s’agira plutôt d’étudier les rapports que le PCF en tant que tel, à travers sa direction et comme « intellectuel collectif », a entretenu avec la théorie marxiste.

Le choix de la séquence chronologique envisagée n’a rien d’arbitraire : c’est la période de vingt ans qui commence avec la création par le PCF d’un Centre d’études et de recherches marxistes (CERM), en 1959, et s’achève par sa fusion avec l’Institut Maurice Thorez (IMT), créé en 1966, au sein d’un Institut de recherches marxistes (IRM) en 1979. Même en se limitant à ces deux décennies, on ne saurait traiter dans un volume raisonnable l’ensemble de la question. On tâchera donc simplement de débroussailler à la serpe le terrain à travers trois questions, qui se superposent pour partie et dont les chronologies sont partiellement distinctes : celle de la philosophie marxiste ; celle de l’analyse économique ; et celle de la réflexion historique et stratégique. Pour dresser ce tableau, on évoquera d’abord la « culture marxiste » qui prévaut dans ce parti.

Le PCF et la culture marxiste

Le 15 janvier 1968, un cheminot écrit à deux paysans et trois ouvriers. Il leur adresse un texte de philosophie, une lettre inédite rédigée à propos de Gramsci par « le camarade Althusser » et adressée au « camarade Gruppi », philosophe marxiste italien. Et il précise : « La lecture de cette lettre présente de l’intérêt[2]. » Ce cheminot s’appelle Roland Leroy, les paysans Gaston Plissonnier et Waldeck Rochet, les ouvriers André Vieuguet, René Piquet et Georges Marchais : ensemble, ils composent le secrétariat du Bureau politique du Parti communiste français.[3] On pourrait commenter longuement la signification d’un tel document. Il illustre en tous cas l’intérêt manifesté pour la théorie par un parti se définissant comme « parti de la classe ouvrière ».

La formule de Lénine dans Que faire ? est bien connue : « Sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire ». L’idée que le communisme résulte de la fusion du mouvement ouvrier et du marxisme est depuis l’origine acquise dans le parti communiste. Puisque le marxisme est la théorie du mouvement ouvrier il considère que ses élaborations politiques sont en conséquence, par définition, marxistes. Le marxisme serait en somme la « propriété » du parti qui considère être « le parti de la classe ouvrière ». Cette conception ne sera officiellement mise en cause qu’à partir de 1979. L’idée que les communistes doivent être marxistes demeurera bien sûr. Par contre, l’idée que l’on ne saurait être vraiment marxiste sans être communiste, c’est à dire sans être membre du parti communiste, qui prévaut au début de la période, disparaîtra petit à petit.

Le PCF multiplie les efforts pour populariser, d’abord dans ses rangs, la théorie marxiste. Cela se traduit par la place de la théorie marxiste dans ses publications ou celles qui lui sont liées, en particulier La Nouvelle critique (Revue du marxisme militant) et Les Cahiers du communisme ou Économie et politique ainsi que dans La Pensée, toutes revues qui, même d’inégales valeurs, produisent à l’occasion des travaux théoriques remarquables. Par ailleurs, il fait la part belle au marxisme dans sa maison d’édition, les Éditions sociales[4], que ce soit pour publier des études marxistes de membres du Parti dans différents domaines, et parfois des études préalablement parues dans ses revues, ou pour publier et diffuser, souvent dans des traductions nouvelles et parfois avec un appareil critique savant, les œuvres de Marx et d’Engels, ainsi que les œuvres de Lénine, coéditées avec les Éditions du Progrès, basées à Moscou. Enfin, il accorde une place essentielle à l’enseignement des fondements du marxisme dans son système très élaboré de formation des militant·es : écoles élémentaires pour les nouveaux adhérents et nouvelles adhérentes, écoles fédérales pour les responsables locaux, et écoles centrales d’un mois et de quatre mois pour les cadres politiques et militant·es devenant permanent·es.

Au fil des décennies et des années précédant la séquence considérée, il s’était construit une culture marxiste du PCF. Tous ses cadres et la plupart de ses militant·es ont reçu au minimum une formation marxiste de base, et beaucoup l’ont enrichie par un effort personnel d’étude. Longtemps, cette formation a aux niveaux élémentaires, des aspects rudimentaires, mais elle n’est pas dépourvue d’efficacité. Les militant·es sont parfaitement convaincu·es que « le moteur de l’histoire est la lutte des classes » et que tel est l’enseignement du marxisme. Ils et elles apprennent à penser en matérialistes, même si ce matérialisme est volontiers teinté d’un certain positivisme simpliste, et insistent sur l’idée de « l’unité de la théorie et de la pratique ». Ils et elles apprennent tant bien que mal à penser de façon dialectique, mobilisant la notion de saut qualitatif et s’attachant à penser les choses dans leurs contradictions et dans leur mouvement, même si c’est parfois à travers des formules stéréotypées comme « il faut être attentif à ce qui change, à ce qui naît, à ce qui bouge, aux évolutions plus qu’aux permanences ». La formation dispensée dans les écoles centrales d’un mois et de quatre mois, effectuée en internat, est quant à elle d’un niveau plutôt élevé, avec souvent l’intervention d’intellectuel·les marxistes très compétent·es.

Dans l’enseignement de base de la philosophie, le manuel de référence pour la formation des militant·es reste le livre publié sous le nom de Georges Politzer, Principes élémentaires de philosophie, adaptation pédagogique régulièrement rééditée par les Éditions sociales du Matérialisme dialectique et matérialisme historique de Staline. Cet ouvrage, s’il n’est pas sans mérites, est surtout d’un dogmatisme sommaire. Son souci d’être à la portée d’un public sans formation scolaire de base tend à gommer la subtilité dont l’auteur prétendu a montré dans ses publications à quel point il en était capable[5]. Dans les débats théoriques, toutefois, de simples citations, parfois approximatives, de Marx, d’Engels ou de Lénine – et jusqu’en 1956 de Staline – tiennent souvent lieu d’arguments et mettent fin aux discussions.

Les militant·es apprennent également la théorie de l’exploitation, à partir du Salaires, prix et profits de Marx et de manuels simplifiés, et l’histoire du mouvement ouvrier à travers une littérature plus ou moins hagiographique, synthétisée dans un Manuel[6], expliquant, fût-ce au prix de manipulations historiques, que « le Parti » ne s’est jamais trompé.

C’est fort·es de cette culture de base partagée, de ce marxisme parfois élémentaire et pour partie intuitif et qu’ils et elles appuient sur leur enracinement dans la classe ouvrière, que les cadres et militant·es du PCF se considèrent à même d’animer les luttes de celle-ci.

Philosophie marxiste

Dialogue théorique et lutte philosophique

Le tournant des années 1960 est le moment d’un « dégel » désordonné de cette culture communiste, en prise sur des luttes sociales intenses, que viennent bousculer plusieurs séismes. C’est d’abord la déstalinisation entreprise en URSS, ponctuée en particulier par les XXe et XXIIe Congrès du parti communiste de l’Union soviétique, le PCUS (1956 et 1961). C’est parallèlement, en pleine guerre d’Algérie, l’arrivée au pouvoir de De Gaulle en 1958 et l’isolement dans lequel, sur fond d’affaissement électoral, se retrouvent les communistes. C’est également le début du schisme sino-soviétique et la pause dans la guerre froide avec le mot d’ordre de coexistence pacifique.

Si le rapport Khrouchtchev et la dénonciation du stalinisme (désigné comme « culte de la personnalité ») en 1956 a pour partie déstabilisé le secrétaire général Maurice Thorez à la direction du PCF, et si l’invasion de la Hongrie la même année a entraîné une certaine hémorragie de militant·es, surtout intellectuel·es entré·es au Parti dans les dix ou vingt années précédentes, les bouleversements de la vie politique ont également solidifié le noyau du Parti, y compris parmi les intellectuel·les, dont de nouvelles générations ont commencé à s’impliquer dans le militantisme communiste.

L’attitude de la direction à leur égard connaît alors une inflexion. Naguère surtout considéré·es pour leur prestige, comme vitrines ou faire-valoir, les intellectuel·les communistes sont de plus en plus intégré·es à la vie même du Parti. En plus des questions politiques et sociales, et des débats idéologiques sur les questions culturelles, les questions philosophiques deviennent un enjeu interne.

En 1959, est créé le Centre d’études et de recherches marxistes, CERM, sous la direction de Roger Garaudy, philosophe marxiste médiocre et superficiel, membre du Bureau politique et proche de Maurice Thorez. Ce Centre, qui produira de nombreux travaux de recherche, dont certains de grande qualité, organise des « semaines de la pensée marxiste », plus orientées vers le « dialogue » avec des intellectuel·les non-marxistes, en particulier socialistes et chrétien·nes, que vers les débats entre les marxistes eux-mêmes. Garaudy, dont la direction est très autoritaire, et pour qui le marxisme est d’abord une « vision du monde » plutôt qu’une théorie scientifique, tend à centrer son propre travail sur l’idée d’un « humanisme marxiste » qui se rapprocherait de « l’humanisme chrétien ».

Dans le comité de rédaction de La Nouvelle critique (naguère très dogmatique, mais qui s’est ouverte depuis la fin des années 1950) de jeunes philosophes communistes contestent de front cette orientation, en particulier Lucien Sève, Michel Verret, Michel Simon, Jean-Jacques Goblot ou Jacques Milhau. Le débat, qui oppose ainsi le comité de rédaction de la revue, et la direction du CERM, est si vif que la direction du Parti y intervient. Le 16 février 1961, le Bureau politique décide : « Sur la discussion en cours au comité de rédaction de La Nouvelle critique (sur le principe des rapports entre marxistes et non-marxistes ) », d’organiser une réunion commune de ce comité de rédaction et des sections de travail correspondantes du CERM et que les documents afférents lui soient communiqués[7].

La discussion se poursuit. Le 11 octobre de la même année, le Bureau politique s’en félicite, sur la base d’un rapport du secrétaire général adjoint, successeur désigné de Thorez et qui le remplacera deux ans plus tard : Waldeck Rochet.[8]Évoquant explicitement le litige entre Roger Garaudy et Lucien Sève, Rochet se veut équilibré mais, sans désavouer Garaudy[9], il conteste fermement la manière dont ce dernier critique Sève. En définitive, la direction « considère que la discussion qui s’est engagée dans le comité de rédaction de La Nouvelle critique sur les questions philosophiques a été utile et a atteint un niveau idéologique élevé », et qu’elle contribuera « à affermir la démarche des philosophes communistes et leur permettra une participation plus active à la bataille idéologique du Parti en même temps qu’elle facilitera leur travail créateur en vue d’enrichir la philosophie marxiste de nouveaux ouvrages. »

Sur le contenu même des débats philosophiques, la direction entend prendre parti. Le Bureau politique considère que le travail des philosophes communistes doit partir de ce qui constitue la base relativement rigide du marxisme orthodoxe :

« La philosophie marxiste, c’est le matérialisme dialectique et le matérialisme historique – conception du monde du prolétariat, fondée sur l’étude des lois les plus générales du mouvement dans la nature, l’histoire et la pensée. » Il insiste : « C’est la seule philosophie scientifique. Elle a un caractère de classe : elle est la philosophie du prolétariat. » Il ajoute que « le noyau de vérité absolue que la philosophie marxiste comporte […] présente deux caractères indissolublement unis » : « il ne peut être remis en cause » mais toutefois « il peut et il doit être constamment enrichi et développé. »

Surtout, puisque l’enjeu du débat est celui du « dialogue » avec les philosophies non marxistes, il insiste sur le fait que son but ne peut pas être de trouver avec eux d’improbables conciliations, mais bien de les réfuter, tout en reconnaissant l’utilité de chercher ce qu’il peut y avoir chez eux de « parcelles de vérité », qu’il convient dès lors de « dégager de leur gangue mystificatrice » et de les « intégrer à la pensée marxiste, en montrant qu’ils ne sont pas solidaires de l’erreur globale de la doctrine dans laquelle elles sont apparues et ne peuvent lui servir de caution. » En conséquence, il convient selon le Bureau politique de « faire preuve de la plus grande vigilance et fermeté dans la rédaction des études et ouvrages en se gardant de toute tendance à la conciliation avec les idéologies opposées au marxisme, à l’éclectisme ou au dogmatisme. »

Une réunion à laquelle participent de nombreux philosophes communistes est organisée en janvier 1962 par le Bureau politique, dont les conclusions, visant à apaiser les tensions, sont tirées par Waldeck Rochet et seront publiées dans Les Cahiers du communisme et dans La Nouvelle critique, puis sous forme d’un petit livre publié aux Éditions Sociales sous le titre Qu’est-ce que la philosophie marxiste ? Ce texte constitue une bonne synthèse des questions posées dans le débat, exprimant la position officielle du Bureau politique sur celles qui sont en litige. Dans l’esprit de la décision du Bureau politique, il donne pour l’essentiel, mais implicitement, raison aux jeunes philosophes de La Nouvelle critique qui, contestant le magistère de Garaudy, sont rétifs à la tentation de rapprocher la philosophie marxiste d’autres traditions. Garaudy en ressort affaibli :

« Le matérialisme dialectique rompt avec toutes les autres philosophies en tant qu’il est une philosophie scientifique, une philosophie pratique et une philosophie de parti, c’est à dire de la classe ouvrière. Cela signifie qu’il ne peut y avoir aucune synthèse ou conciliation entre la philosophie marxiste et les autres philosophies, pas plus qu’il ne peut y avoir de convergence des intérêts de classe du prolétariat et de la bourgeoisie. »[10]

La déstalinisation en cours en URSS, quelles que soient ses limites, contribue à faire renaître dans le  PCF, l’idée d’un « marxisme créateur ». Après une longue période où le marxisme était implicitement considéré comme pour l’essentiel achevé – l’ouvrage soviétique Histoire du parti communiste de l’URSS, dans lequel est inséré l’opuscule Matérialisme dialectique et matérialisme historique était présenté comme l’indépassable « chef d’œuvre du marxisme-léninisme » – il est admis que le marxisme est vivant, et peut et doit être développé. Waldeck Rochet, tout en affirmant nettement que le « culte de la personnalité » avait « créé de sérieux obstacles sur le chemin du développement de la théorie marxiste-léniniste », cite un article de La Pravda affirmant que « l’élaboration des questions théoriques n’est pas le monopole de quelques personnes mais l’affaire de tout le Parti, de son bon sens collectif. » Le livre est publié avec une préface de Jacques Duclos, personnage central du groupe dirigeant du Parti. Il s’agit d’insister sur le fait qu’en matière de théorie en général, comme de philosophie en particulier, c’est le Parti, incarné par sa direction, qui a le dernier mot.

Le dernier chapitre du livre s’intitule Les tâches des philosophes marxistes. Ces tâches sont pour l’essentiel :

« La diffusion et l’enseignement des principes et de l’acquis de la philosophie marxiste à des milieux toujours plus larges, c’est à dire non seulement à de larges milieux intellectuels, mais aussi aux militants de la classe ouvrière. » Diffusion et enseignement : il n’est pas question ici de développement, de recherche, d’enrichissement ou moins encore d’innovation. Leur tâche est aussi, indissociablement, de militer dans le Parti : « Les philosophes membres du Parti […] ne peuvent oublier que la lutte idéologique trouve tout naturellement son prolongement dans l’action politique. »

La direction reste néanmoins ambivalente à l’endroit de La Nouvelle critique, revue officielle du Parti : elle n’en partage pas nécessairement l’orientation et s’inquiète à l’occasion de ce qui s’y publie. Ainsi, le 9 janvier 1964, alors que se prépare le XVIIe congrès du Parti au cours duquel seront mis en place les premiers linéaments de la politique unitaire qu’il développera au cours des quinze ou vingt années qui suivront, une discussion au sein même du Comité central s’en émeut[11] : Waldeck Rochet y regrette que « malgré des avertissements sur le contenu des articles » La Nouvelle critique a « persisté à publier » certains numéros spéciaux, dont l’un sur « le culte de la personnalité ». Garaudy, mais aussi Thorez, interviennent pour critiquer la revue. Ce dernier « ne comprend pas que ces numéros […] aient pu paraître malgré les avertissements » de la direction, et insiste : « Il faut respecter les directives du Bureau politique et du Comité central, c’est le principe du centralisme démocratique, même si les militants ont droit de discussion. » Mais Jacques Chambaz – jeune historien, lui-même membre du comité de rédaction – reconnaît et justifie son rôle dans la parution des numéros incriminés[12].

Ces reproches à La Nouvelle critique sont d’autant plus significatifs qu’ils concernent des analyses et réflexions marxistes sur le « culte de la personnalité », en fait sur le stalinisme, aux lendemains du XXIIe Congrès du parti soviétique (1961) qui avait prolongé et accentué la déstalinisation entreprise au XXe (1956), où avaient été pour la première fois dénoncées les « erreurs » et les crimes de Staline. Ainsi, alors que les débats en cours sur « l’humanisme marxiste » sont à l’évidence corollaires de cette déstalinisation, la direction communiste – et spécialement Maurice Thorez – marque le pas devant la réflexion théorique sur toute cette question[13].

Les articles de Michel Verret, Michel Simon ou Francis Cohen mettaient le doigt sur un point sensible. Verret évoquait par exemple, à propos du passé récent du PCF, « des formes d’esprit cultuel à l’égard des dirigeants : abus des portraits, rituels d’applaudissements, etc…, » et « des formules fausses comme « Le parti de Maurice Thorez » », et même s’il soulignait qu’il s’agissait là d’une « expression critiquée depuis lors par le Comité central et Maurice Thorez lui-même », répéter cette critique avait de quoi agacer le secrétaire général[14].

En un sens, donc, les reproches faits à la revue participent des réticences de la direction devant la déstalinisation en cours, ce qui n’est pas sans portée théorique, puisqu’il est aussi question, avec le stalinisme, du dogmatisme en la matière. Ce que les historiens du PCF, comme sa direction, analyseront quinze ans plus tard comme le « retard de 1956 » se poursuivait ainsi toujours en 1964[15], et se poursuivra quelques années encore, sans jamais être vraiment rattrapé.

La querelle de l’humanisme

Quoi qu’il en soit, ni la réunion des philosophes ni les conclusions de Waldeck Rochet ne mettent fin aux débats ni aux polémiques entre philosophes communistes, et en particulier la thèse de Roger Garaudy selon laquelle « le marxisme est un humanisme » reste entière. Elle va agiter les années qui suivent.

Lucien Sève, tout en admettant la pertinence du mot « humanisme » dans la théorie marxiste, conteste le rôle central que lui accorde Garaudy, au profit d’une tentative de construction d’une anthropologie philosophique fondée sur les écrits de Marx – sur laquelle il produira ultérieurement de nombreux travaux. Ces critiques théoriques apparaissent sérieuses, même si elles visent un membre du Bureau politique. Louis Althusser de son côté, qui écrit plutôt dans La Pensée, et s’inspirant d’un structuralisme alors en vogue, affirme que non seulement « l’humanisme » n’est pas un concept marxiste, mais que le marxisme est même un « antihumanisme théorique ». Ce genre de formulation fait grincer des dents au sein de la direction : s’il est « licite » de discuter une thèse d’un membre du Bureau politique, affirmer qu’il n’est tout simplement pas marxiste l’est moins.

Au delà de leurs approches théoriques différentes, les deux philosophes, qui se connaissent bien[16], ont un rapport très différent à leur parti. Sève est très intégré à sa vie, militant actif et volontiers « suiviste », et élu au Comité central dès 1961[17] malgré son opposition à Garaudy. Il quittera plus tard l’enseignement pour devenir permanent. Althusser, même s’il participe à la vie du Parti dans sa cellule de l’ENS de la rue d’Ulm en est plus distant, plus observateur que protagoniste de sa politique, malgré des efforts en ce sens et sa volonté de contribuer à l’organisation de l’éducation marxiste des communistes, voire d’être reconnu comme le philosophe du Parti[18].

Dans le débat qui s’ensuit, Sève fait mine de renvoyer Garaudy et Althusser dos à dos – même si, tout en la formulant différemment, il partage la position d’Althusser sur le fond de sa critique de Garaudy. Les philosophes communistes sont divisé·es, chacun·e prenant à des degrés divers parti pour l’un où l’autre des deux théoriciens. Et ce débat en percute d’autres, dont l’importance politique est croissante : ceux qui concernent l’alliance de la classe ouvrière avec les intellectuel·les ou les questions culturelles, entre autres celle du « réalisme socialiste », sujet clivant dans un parti où Aragon (membre du Comité central, proche de Garaudy et de Thorez et très hostile à Althusser) en récuse les conceptions les plus dogmatiques. Mais l’influence de Garaudy est en déclin, et Thorez, remplacé au poste de secrétaire général par Rochet, meurt en 1964.

De nouvelles rencontres des philosophes communistes sont organisées, en particulier début 1966[19]. Le Bureau politique en tire le sentiment, à sa réunion du 27 janvier, que « le Parti dispose de nombreux camarades philosophes capables » et qu’il « importe de créer les conditions pour associer tous les camarades philosophes au travail philosophique du Parti, sur la base des positions fondamentales du Parti ». Il ne parvient pas pour autant à tirer de la discussion une synthèse consensuelle, et ce sera à la réunion du Comité central sur la question « des intellectuels et de la culture », qui se tiendra en mars 1966 à Argenteuil, de trancher : cette réunion constitue un tournant dans l’attitude du PCF sur ces questions.

La session d’Argenteuil n’est pas introduite par un rapport du Bureau politique : ce choix exceptionnel et contraire aux usages du PCF indique qu’il est divisé. En lieu et place, la première intervention est celle de Roger Garaudy, s’exprimant à titre personnel. Les membres du Comité central seront ainsi plus librement critiques, et en contestant les positions de Garaudy, n’apparaîtront pas comme contestant celles de la direction. Les actes de ce Comité central seront – fait également exceptionnel, et même unique dans l’histoire du Parti – intégralement publiés dans un numéro spécial des Cahiers du communisme. Mais les interventions seront à cette occasion lissées et leurs aspérités gommées pour ne pas faire trop apparaître la vivacité des débats.[20]

La résolution finale porte essentiellement sur la liberté de création, ce qui en fera un marqueur de l’aggiornamento en cours du PCF, mettant fin à l’exigence du « réalisme socialiste ». Pourtant, les questions proprement philosophiques et théoriques sont celles qui sont le plus discutées lors de la session : les questions générales mais surtout celle de l’humanisme représentent quatre cinquièmes des interventions. Et si ce sont surtout les intellectuels membres de cet organisme dirigeant du Parti qui s’y expriment, ils sont loin d’y être les seuls. Des dirigeants « ouvriers » y apportent aussi leur contribution, y compris théorique : on peut mentionner ici le cas significatif d’Henri Krasucki[21], insistant entre autres sur la nécessaire autonomie du travail théorique et intervenant sur certaines des controverses en cours.

La philosophie tient donc une grande place à Argenteuil. Lucien Sève rapportera néanmoins plus tard cette anecdote : à la pause faisant suite à son intervention, fortement axée sur les questions philosophiques, Jean Kanapa, collaborateur du secrétaire général pourtant lui-même agrégé de philosophie et d’une grande culture marxiste[22], qui deviendra dans les années suivantes un important théoricien du Parti, lui avait reproché de façon caustique : « Tu crois encore à la philosophie… »[23]

Si personne à Argenteuil ne soutient expressément la thèse d’Althusser – qui fait au contraire l’objet de critiques explicites, souvent à l’emporte-pièce – c’est Garaudy qui polarise le plus les débats, entre les interventions qui le soutiennent et celles qui lui adressent divers reproches : ce sont les plus nombreuses.

De façon significative, le discours de conclusion de Waldeck Rochet sera publié sous un titre qui n’évoque pas les questions culturelles et la liberté de création : Le marxisme et les chemins de l’avenir. Il y pointe d’abord les questions théoriques et politiques. Sur les rapports entre le PCF et la théorie marxiste, la résolution finale retient, conformément à la conception exprimée dans les statuts du Parti, que « la responsabilité de la théorie incombe aux partis marxistes-léninistes qui représentent la classe ouvrière, dirigent ses luttes et incarnent son expérience. » 

Quant à la question controversée de l’humanisme, elle retiendra une formule de compromis apparent entre les positions en présence. Si l’idée garaudienne que « le marxisme est un humanisme » ne sera pas reprise, ce qui constitue une concession à la position d’Althusser, il est affirmé, pour des raisons plus politiques et même plus rhétoriques que théoriques, qu’il existe un « humanisme marxiste », le mot « marxiste » étant en réalité ici pris comme synonyme de « communiste ». Malgré des précautions oratoires destinées à arrondir les angles et à donner à chacun une porte de sortie, c’est sur le fond une défaite de Garaudy.

Dans les temps qui suivent, il lui sera d’ailleurs reproché une interprétation biaisée de la résolution. Cette interprétation est adroitement liée aux questions politiques sur lesquelles le PCF a ajusté son orientation lors de son précédent congrès en se déclarant pour la première fois favorable au pluripartisme, tant dans la conquête du pouvoir que dans le socialisme à venir. Le Bureau politique exprimera ces reproches dans son relevé de décisions du 31 mai :

« Constater que Roger Garaudy interprète cette ligne de façon unilatérale; il ne dénonce que le sectarisme, ce qui crée la confusion et donne prise aux positions dogmatiques, alors qu’il importe de mener la lutte sur les deux fronts […]. Roger Garaudy veut étendre la thèse sur la pluralité des partis au pluralisme dans tous les domaines (philosophiques, politiques), y compris à une diversité d’orientation dans le Parti lui-même. Rappeler qu’en philosophie, pour les communistes la vérité est celle du marxisme et que l’unité du Parti doit se manifester fermement dans tous les domaines de son activité. »

Peu après Argenteuil, en juillet, Waldeck Rochet rencontrera Louis Althusser. Ce dernier expliquera plus tard que même si le secrétaire général avait pu sembler convaincu par ses arguments sur « l’antihumanisme théorique » du marxisme, il lui apparaissait politiquement impossible pour un parti visant « le bonheur de l’homme » de renoncer à se dire « humaniste ». Althusser termine ainsi son compte-rendu : « Politesses. Il me dit : faudrait qu’on se revoie de temps en temps. Je dis oui. Il met de la chaleur dans sa poignée de mains. »[24]

Le travail des philosophes

Bien que le principe d’une prérogative du Parti sur les questions théoriques soit maintenu à Argenteuil, la tonalité « libérale » qui y est affirmée en matière culturelle, littéraire et artistique produira des effets jusque dans la théorie. D’une part, les philosophes du Parti ont expérimenté le fait que leur travail et leurs débats pouvaient infléchir les choix de la direction ; d’autre part, la direction a vu qu’elle pouvait s’appuyer sur les travaux et réflexions des intellectuel·les du Parti, y compris dans le domaine théorique.

La place des intellectuel·les communistes dans le Parti s’en trouve confortée, et tant le CERM, qui échappe désormais à l’autoritarisme d’un Roger Garaudy marginalisé (et bientôt exclu[25]), que La Nouvelle critique, vont multiplier leurs travaux de façon relativement ouverte à la contradiction et aux débats. Ce qui frémissait dès la première moitié des années 1960 va bouillonner après Argenteuil. Le courant althussérien, qui n’a pas été formellement condamné[26], va continuer à travailler et à se diversifier, influençant directement ou indirectement nombre de philosophes communistes. Ceux-ci – qu’ils subissent ou non cette influence – poursuivent librement leurs recherches et leurs travaux marxistes, tant l’intérieur qu’à l’extérieur des structures institutionnelles du Parti.

Parmi eux, le cas de Lucien Sève mérite une attention particulière[27]. S’il a montré dans le débat sur l’humanisme son aptitude à résister à la direction, alors dominée sur le plan théorique par Garaudy, il a par ailleurs toujours été, sur le plan politique, un fidèle allié de cette direction. Il poursuit ses propres recherches, en particulier à travers un grand livre, Marxisme et théorie de la personnalité. Ayant acquis, sans jamais se considérer comme tel et même en le récusant vigoureusement, le statut informel de « philosophe officiel »[28] du Parti après l’éviction de Garaudy, mais demeurant simple membre du Comité central, il polarisera moins que ce dernier les débats, même si les mécanismes de fonctionnement du Parti conduiront toujours les théoriciens les moins novateurs à le considérer comme la référence « orthodoxe ».

Il publiera en 1980 une importante Introduction à la philosophie marxiste aux Éditions Sociales dont il assure la direction depuis 1970. Ce livre, écrit alors que le PCF a renoncé à toute « philosophie officielle », n’en insiste pas moins sur le fait que c’est la recherche « induite » par le parti communiste qui « est parvenue, de façon plus ou moins tâtonnante » aux « résultats théoriques » dont il cherche à donner la synthèse[29]. Il contribuera aussi à accélérer et à améliorer la publication des œuvres de Marx, et donnera à Gramsci une place, même modeste, dans le catalogue des éditions du Parti[30]. En 1976, les Éditions sociales publieront, pour la première fois, un recueil de textes essentiels de Louis Althusser, Positions. Elles publieront aussi dans les temps qui suivent divers travaux de philosophes marxistes moins intégrés à la vie du Parti, comme le premier grand livre d’André Tosel, Praxis (1984), et même deux livres de Henri Lefèbvre[31], exclu du Parti en 1958[32], mais qui s’en était rapproché depuis 1978.

Plus jamais après Argenteuil la direction du Parti ne prendra, au-delà des lieux communs, de position officielle sur les questions philosophiques du marxisme, se bornant à l’occasion à évoquer avec satisfaction l’important travail des philosophes communistes, désormais considérés comme partie prenante de l’intellectuel collectif que le Parti veut être. Il convient ici de noter que pour l’essentiel, ces intellectuel·les (qu’il s’agisse d’ailleurs de philosophes, d’économistes ou de sociologues…) ne sont pas mu·es par un genre de soumission à la direction du Parti, mais bien plutôt par leur adhésion, assumée, constatée et reconnue par cette direction, à sa politique.[33] La remarque précitée du Bureau politique sur la présence dans le Parti de nombreux philosophes « capables », qu’il faut « associer » à la réflexion collective prend ici tout son sens. Les travaux de philosophie marxiste (comme ceux de théorie politique ou de sociologie) nés en dehors du Parti seront par contre largement ignorés ou méprisés.

Les travaux du CERM, comme ceux de la plupart des rédacteurs de La Nouvelle critique resteront néanmoins largement enfermés dans le ghetto des éditions du PCF. Un projet des éditions Christian Bourgois de publier dans la collection 10/18 des recueils d’articles de La Nouvelle critique, échouera et ce sont les Éditions sociales qui se chargeront ponctuellement de le faire dans un nombre limité de livres. Elles publieront également divers ouvrages issus des travaux du CERM.[34]

[La partie suivante traitera de l’économie marxiste]

Notes

[1]Des éléments d’un tel panorama ont été proposés, sans se limiter aux productions des seuls marxistes membres du PCF, par Jacques Milhau dans un petit livre, Le marxisme en mouvement, PUF, 1975.

[2]Ce texte de Louis Althusser a été publié dans la revue en ligne Période, mars 2018, par Laurent Lévy et Panagiotis Sotiris.

[3]La vérité est bien sûr que si le PCF aimait à rappeler avec fierté que ses dirigeants étaient pour un très grand nombre, « ouvriers » ou parfois « paysans », ils avaient depuis longtemps quitté l’établi ou l’exploitation agricole ; c’est le cas des six personnes ici mentionnées, tous de longue date permanents de leur parti.

[4]Ancêtre des actuelles Éditions sociales, cette maison d’édition était, sur la période considérée, depuis sa création en 1947 (elle faisait suite aux Éditions sociales internationales crées en 1927 sous le contrôle du Komintern), dépendante du PCF.

[5]Georges Politzer était un philosophe communiste actif dans les années 1920-1930, cofondateur de La Pensée, et résistant fusillé en 1942. Certains de ses travaux ont fait date. Le livre Principes élémentaires de philosophie a été composé à la Libération d’après les notes prises par ses élèves dans les cours qu’il dispensait à L’Université Ouvrière. Il a plusieurs fois été réédité, non sans corrections et modifications.

[6]Collectif, Manuel d’histoire du Parti communiste, Éditions sociales, 1964.

[7]Décision du Bureau politique du PCF, 16 février 1961. Toutes les décisions du Bureau politique citées le sont d’après leur reproduction sur le site de la MSH de Dijon.

[8]Modeste paysan sans éducation scolaire, mais formé aux écoles du PCF et du Komintern, Rochet était très curieux de philosophie (Louis Althusser évoquera plus tard les échanges qu’il a pu avoir avec lui à propos de Spinoza…) Bernard Pudal regrette à juste titre « que l’histoire traditionnelle des idées qui s’attache aux recherches et aux textes des philosophes communistes occulte le plus souvent le rôle de Waldeck Rochet ». Bernard Pudal, La note [d’Althusser] à Henri Krasucki (1965)Revue Nouvelles fondationS éditée par la Fondation Gabriel Péri, mars 2006. Cet article comporte de nombreuses indications sur les débats philosophiques dont il est ici question.

[9]«Je pense, dit-il ainsi, que les affirmations de Garaudy selon lesquelles il n’y a pas de noyau immuable et définitif, ni de philosophie achevée dans un monde qui ne l’est pas, ni d’énoncé immuable des principes du matérialisme dialectique, sont des idées justes en elles-mêmes. » 

[10]Waldeck Rochet, Qu’est-ce que la philosophie marxiste ?, Éditions sociales, 1962.

[11]Résumés des débats du Comité central, publiés dans Réunions du Comité central du PCF 1921-1977 – État des fonds et des instruments de recherche, tome 3, 1954-1964, édité par la Fondation Gabriel Péri et le Département de la Seine-Saint-Denis, 2007.

[12]Simple membre « suppléant » du Comité central depuis 1961, il risque ainsi sa « titularisation » qui interviendra néanmoins au congrès – celui-là même où Maurice Thorez cède à Waldeck Rochet son poste de secrétaire général. Il deviendra plus tard membre du Bureau politique.

[13]L’exclusion en 1961 des trop « krouchtchéviens » Marcel Servin et Laurent Casanova, par ailleurs jugés trop proches des Italiens, et dont Chambaz avait été collaborateur, l’illustre à sa façon.

[14]L’article en cause, intitulé Quelques remarques sur le culte de la personnalité, Publié dans La Nouvelle critique en décembre 1963, sera repris dans un livre : Michel Verret, Théorie et politique, Éditions sociales, 1967.

[15]A noter qu’en 1962, Aragon avait publié une volumineuse Histoire de l’URSS (Presses de la Cité), d’inspiration très « khrouchtchévienne », abondamment invoquée dans les articles litigieux parus dans La Nouvelle critique.

[16]Voir Louis Althusser et Lucien Sève, Correspondance – 1949-1987, Éditions sociales, 2018.

[17]Il y rejoint Guy Besse, autre philosophe de La Nouvelle critique, élu en 1956. D’autres membres de la revue entreront au Comité central, comme Jacques Chambaz (1961) Michel Simon (1964) ou François Hincker (1976).

[18]Voir Anthony Crezegut, Althusser, étrange lecteur de Gramsci, Décalage, Vol II, Iss. 1, 2016. Althusser était en particulier en contact avec Henri Krasucki, membre du Bureau politique et Guy Besse, directeur des Éditions sociales.

[19]Louis Althusser, ne pouvant matériellement pas y participer, y fera lire sa contribution par Michel Verret (référence citée note 8).

[20]Le texte intégral des interventions originales sera publié plus de cinquante ans plus tard par Roger Martelli, Une dispute communiste : le Comité central d’Argenteuil sur la culture, Éditions sociales, 2017.

[21]Henri Krasucki, alors responsable du travail du PCF auprès des intellectuels, et déjà dirigeant de premier plan de la CGT dont il sera une quinzaine d’années plus tard le secrétaire général, a été l’un des rédacteurs de la résolution adoptée à Argenteuil, avec Louis Aragon, Guy Besse, Jacques Chambaz et Jean Suret-Canale, tous militants intellectuels.

[22]Il publiait au même moment deux volumes de choix de textes de Marx et Engels dont il avait assuré l’édition et qui laissaient toute leur place à la philosophie… Dans les années 1940, il avait écrit pour La Pensée des chroniques philosophiques tout à fait pointues.

[23]Lucien Sève, commencer par les fins – La nouvelle question communiste, La Dispute, 1999

[24]Notes publiées dans Les annales de la Société des amis de Louis Aragon et Elsa Triolet, 2000, n°2, Aragon et le Comité central d’Argenteuil.

[25]Au XIXe Congrès début 1970 ; la direction du CERM sera alors confiée au philosophe Guy Besse, qui avait dirigé les Éditions sociales de 1955 à 1969 et accédé au Bureau politique en 1967.

[26]Au sein du PCF, les courants plus hostiles à Althusser lui imputeront néanmoins – ainsi, parfois non sans fondement, qu’aux jeunes théoriciens qui le suivent – un tropisme pour le maoïsme, accusation délégitimante à l’heure où le PCF prenait parti pour l’URSS dans le conflit sino-soviétique.

[27]Sur Lucien Sève, on consultera avec intérêt le bel article que lui a consacré à sa mort Isabelle Garo, paru sur Contretemps le 3 avril 2020.

[28]Sur l’idée d’un « philosophe officiel » du Parti, Sève écrira : « Le parti communiste n’a connu ce fléau que de manière épisodique et embryonnaire dans le courant des années 60, mais les dégâts qu’il a causé donnent idée de ses effets destructeurs là où il est chronique et en quelque sorte statutaire. » Visant clairement le cas de Garaudy, il développe l’idée qu’il faut « rejeter dans son principe même l’institution du philosophe officiel » (Une introduction à la philosophie marxiste, Éditions sociales, 1980)

[29]Lucien Sève, Une introduction à la philosophie marxiste, op.cit.

[30]Un volume des Œuvres choisies de Gramsci avait déjà été publié par les Éditions sociales en 1959, avec une préface critique rédigée par Georges Cogniot et Guy Besse lui reprochant de négliger la Dialectique de la nature d’Engels, mais dès cette année, la direction du Parti avait décidé de limiter sa diffusion. Le secrétariat du Bureau politique avait ainsi pris le 6 novembre 1959 la décision suivante  : « En ce qui concerne l’œuvre de Gramsci, ne pas faire d’efforts particuliers pour sa diffusion en direction des intellectuels, des cadres du Parti et de l’immigration italienne en France. »

[31]Henri Lefèbvre, Logique formelle, logique dialectique, Éditions sociales, 1982 (réédition d’un ouvrage paru en 1946 aux Éditions sociales, mais retiré de la vente après avoir fait l’objet d’attaques en Union soviétique), et Le retour de la dialectique, Éditions sociales 1986.

[32]Lucien Sève lui avait alors consacré un brûlot féroce et médiocre, qu’il regrettera plus tard avoir écrit : La différence, Éditions sociales, 1960. Le titre de ce livre est une réponse à celui d’Henri Lefèbvre, La somme et le reste, La Nef, 1959.

[33]Voir les critiques adressées plus tard par Lucien Sève à la thèse développée par Frédérique Matonti dans son livre Intellectuels communistes. Essai sur l’obéissance politique: La Nouvelle Critique (1967-1980) , La Découverte, 2005, dans Contretemps, n°15, février 2006.

[34]De son côté, Louis Althusser mettra à profit les tergiversations des Éditions sociales pour publier ses premiers livres dans une collection spécialement créée par lui aux éditions Maspero.