Les marxistes sont souvent accusés d’ignorer ou de minimiser le racisme, voire de le « réduire » à la classe sociale. Mais une telle critique occulte une riche tradition de théorisation marxiste de l’oppression raciale, connue sous le nom de « marxisme noir ».
La tradition de la pensée marxiste noire – qui comprend W. E. B. Du Bois (1868-1963), C. L. R. James (1901-1989) et Frantz Fanon (1925-1961), entre autres – insiste à la fois sur l’importance historique du capitalisme dans l’oppression raciale et sur les conséquences destructrices de cette oppression pour les travailleurs·ses noirs et l’ensemble de la classe travailleuse.
Jonah Birch, collaborateur de Jacobin, s’est récemment entretenu avec Jeff Goodwin, professeur à l’Université de New York et spécialiste des révolutions et des mouvements sociaux, qui a écrit sur Du Bois et la tradition marxiste noire (voir notamment cet article), afin d’échanger sur l’apport durable des marxistes noirs à la pensée critique et révolutionnaire.
Leur discussion a porté sur le rôle central du capitalisme dans l’oppression raciale, sur l’hétérogénéité de la pensée marxiste noire et sur la pérennité de cette tradition théorique aujourd’hui.
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Jonah Birch – Vous avez récemment fait l’éloge du marxisme noir dans Catalyst. Qu’entendez-vous exactement par « marxisme noir » ?
Jeff Goodwin – Ce terme fait référence aux écrivains, organisateurs et révolutionnaires africains, afro-américains et afro-caribéens qui se sont appuyés sur la théorie marxiste pour comprendre – et mieux, détruire – à la fois l’oppression raciale et l’exploitation de classe, y compris le colonialisme. Il s’agit donc d’une tendance théorique et politique au sein du marxisme. Elle est analogue au féminisme marxiste, qui s’inspire lui aussi de la théorie marxiste pour analyser l’oppression des femmes.
On entend parfois dire que le marxisme a un « problème de race », sous-entendant que les marxistes ne prennent pas la question raciale au sérieux. Mais honnêtement, je ne vois aucune autre tradition théorique ou politique — qu’il s’agisse du libéralisme, du nationalisme noir ou de la théorie critique de la race — qui offre plus d’éclairages sur l’oppression raciale que le marxisme. Et cela est largement dû à la tradition marxiste noire. Bien sûr, on trouve aussi une opposition à l’oppression raciale et au colonialisme dans les écrits de marxistes classiques comme Rosa Luxemburg et Vladimir Lénine, ainsi que chez Karl Marx lui-même. Pourtant, cette tradition marxiste noire reste méconnue, y compris au sein de la gauche.
Jonah Birch – Quels sont, selon vous, les principes fondamentaux du marxisme noir ?
Jeff Goodwin – Le marxisme noir n’est pas homogène, mais son idée centrale est que le capitalisme a été historiquement le principal pilier de l’oppression raciale à l’ère moderne. Par oppression raciale, j’entends la domination ou le contrôle politique, juridique et social des peuples africains et noirs.
Que signifie dire que le capitalisme est le principal pilier ou fondement de l’oppression raciale ? Les marxistes noirs mettent en avant deux caractéristiques fondamentales du capitalisme :
1/ La recherche incessante de main-d’œuvre et de ressources bon marché par les capitalistes
2/ La concurrence entre les travailleurs pour l’obtention d’un emploi
Ces deux dynamiques sont, selon eux, les causes profondes de l’oppression raciale.
L’oppression raciale ne se confond pas avec l’exploitation de classe, mais elle la facilite: elle permet d’exploiter le travail des Noirs et, par extension, de l’ensemble des travailleurs.
Affirmer que le racisme, dans sa forme moderne, est un produit du capitalisme ne revient en aucun cas à minimiser ses conséquences horribles. Bien au contraire. Les marxistes noirs soulignent que les peuples noirs, à l’ère moderne, ont été confrontés à une domination politique et sociale ainsi qu’aux formes extrêmes d’exploitation économique que cette domination a rendues possibles. L’oppression politique des peuples noirs est une injustice en soi, mais elle permet également des formes d’exploitation du travail particulièrement brutales.
Pour être plus précis, l’une des caractéristiques inhérentes au capitalisme est la recherche incessante, par les capitalistes, d’une main-d’œuvre et de ressources bon marché. Cette quête découle du fait que les capitalistes sont en concurrence les uns avec les autres et cherchent donc constamment à réduire leurs coûts de production. L’un des moyens de maintenir une main-d’œuvre bon marché et docile est de l’opprimer politiquement — c’est-à-dire de la dominer et de la contrôler afin de l’empêcher de s’organiser et de résister efficacement. Les capitalistes préféreraient oppresser l’ensemble des travailleurs, mais une alternative consiste à exercer une domination plus marquée sur une partie significative de la classe ouvrière — qu’il s’agisse des femmes, des immigrés ou des travailleurs noirs.
Les marxistes noirs affirment que les Noirs ont été soumis à une oppression terrible de la part des capitalistes, de l’État et de la police, non pas comme une fin en soi ou par pure malveillance raciale. Là où existent des formes massives de domination et d’inégalité raciales, l’objectif est généralement de faciliter l’exploitation et le contrôle du travail noir – pensons à l’esclavage dans les plantations, au métayage ou encore aux emplois précaires et faiblement rémunérés aux États-Unis. Dans de nombreux cas, la domination raciale repose aussi sur la dépossession des terres et des ressources contrôlées par des groupes raciaux spécifiques. Le colonialisme, de toute évidence, s’inscrit dans cette logique : il implique une telle dépossession et est alimenté par la quête incessante des capitalistes de ressources et de main-d’œuvre bon marché.
L’oppression raciale est également souvent soutenue et mise en œuvre par des travailleurs blancs. C’est là qu’intervient une autre caractéristique fondamentale du capitalisme : la concurrence entre les travailleurs pour l’emploi. Mais il est important de souligner que, pour les marxistes noirs, les systèmes d’oppression et d’inégalité raciales à grande échelle ont généralement été des projets portés par de puissantes classes dirigeantes — en lien avec les États qu’elles contrôlent ou influencent — et que ces classes ont un intérêt matériel à dévaloriser et exploiter le travail des peuples africains et noirs, ou à s’emparer de leurs ressources. L’oppression raciale est d’autant plus brutale et durable que ces classes dirigeantes et ces États y trouvent un intérêt économique direct.
Bien sûr, les motivations derrière les actes individuels de racisme sont complexes et ne peuvent pas toujours être expliquées uniquement en ces termes. Mais le marxisme noir ne cherche pas à analyser les comportements individuels : son objectif est d’identifier les forces motrices des institutions de domination raciale à grande échelle. Et son postulat central est que l’exploitation du travail — l’exploitation de classe — constitue généralement cette force motrice. Il est donc essentiel de distinguer le racisme institutionnalisé du racisme interpersonnel.
Jonah Birch – Je remarque que vous parlez des peuples noirs au pluriel. Je suppose que c’est pour souligner l’hétérogénéité des groupes culturels et ethniques d’Afrique qui ont été colonisés ou réduits en esclavage et amenés dans le Nouveau Monde.
Jeff Goodwin – Oui, tout à fait, et cela vaut aussi pour l’ensemble des peuples colonisés. W. E. B. Du Bois écrit quelque part – dans Color and Democracy, je crois – que les peuples colonisés possèdent des histoires, des cultures et des caractéristiques physiques extrêmement variées. Ce qui les unit, ce n’est pas leur race ou leur couleur de peau, mais la pauvreté issue de l’exploitation capitaliste. Leur race, explique Du Bois, est la justification apparente de leur exploitation, mais la véritable raison est la recherche de profits à travers une main-d’œuvre bon marché, qu’elle soit noire ou blanche. Il insiste d’ailleurs sur le fait que l’oppression des travailleurs noirs a aussi eu pour effet d’abaisser le coût de la main-d’œuvre blanche.
Jonah Birch – Comment l’idéologie raciste s’inscrit-elle dans ce contexte ?
Jeff Goodwin – L’idéologie raciste, ou idéologie suprémaciste blanche — c’est-à-dire le racisme en tant que construction culturelle — est généralement élaborée, diffusée et institutionnalisée par les classes dirigeantes et les institutions étatiques afin de justifier et rationaliser l’oppression et les inégalités raciales. L’animosité ou la haine raciale en tant que telles ne sont pas la principale motivation de l’oppression raciale ; l’élément central est la richesse et les profits générés par l’exploitation du travail des Noirs. Mais le racisme légitime cette oppression et contribue à sa perpétuation.
Cela ne signifie pas pour autant que certaines idées racistes et suprémacistes n’aient pas précédé le capitalisme. Cependant, leur portée et leur influence sont longtemps restées limitées, jusqu’à ce qu’elles soient associées aux intérêts matériels des capitalistes et des États puissants. À partir de ce moment, elles ont été systématisées, institutionnalisées et sont devenues une force matérielle à part entière.
Ainsi, la race devient à la fois un critère social et une justification morale de l’oppression politique et sociale, rendant l’exploitation de la main-d’œuvre noire plus facile et plus intensive qu’elle ne pourrait l’être autrement. Mais il y a plus encore. Comme je l’ai mentionné, les travailleurs qui ne sont pas directement opprimés sur le plan racial voient néanmoins leur propre travail dévalorisé et leur pouvoir collectif amoindri par la fracture raciale créée par l’oppression des travailleurs noirs. Pour les marxistes noirs, le racisme est donc un enjeu fondamental, ce qui contredit l’idée que le marxisme aurait un « problème racial ». En aucun cas, les marxistes noirs ne sont des « réductionnistes de classe ».
Lorsque la domination et l’inégalité raciales sont institutionnalisées à grande échelle, elles visent généralement à faciliter l’exploitation et le contrôle de la main-d’œuvre noire.
L’oppression politique des Noirs est en elle-même une injustice, mais elle favorise aussi certaines des formes les plus brutales d’exploitation du travail. Historiquement, les travailleurs blancs ont été exploités, parfois de manière assez impitoyable, mais aux États-Unis, ils n’ont jamais été confrontés à une oppression politique, juridique et sociale comparable à celle des travailleurs noirs.
Le grand socialiste américain Eugene V. Debs (1855-1926) a un jour déclaré que « nous n’avons rien de spécial à offrir aux Noirs », c’est-à-dire rien d’autre que la politique de classe que le Parti Socialiste proposait aux travailleurs blancs. Mais comme l’a démontré William Jones, cette phrase été sortie de son contexte. En réalité, Debs était un fervent adversaire du racisme et il critiquait les socialistes qui ignoraient le racisme ou qui pensaient que la lutte des classes « oblitérait » la nécessité d’affronter les lois et aux institutions racistes. Le racisme constituait un obstacle à la solidarité de classe, pensait Debs, et devait donc être combattu par tous les travailleurs.
L’ouvrage Class Struggle and the Color Line, édité par Paul Heideman, rassemble les écrits de nombreux socialistes et communistes étatsuniens, noirs et blancs, y compris ceux de Debs, illustrant à quel point il était crucial de combattre et de démanteler le racisme au sein de la classe ouvrière et dans la société en général.
Aujourd’hui, il est clair que la plupart des marxistes, en grande partie grâce aux travaux des marxistes noirs, reconnaissent que les diverses institutions, lois et normes d’oppression raciale ne se limitent pas à l’exploitation de la main-d’œuvre noire, mais sont tout aussi néfastes – tout en contribuant à renforcer cette exploitation. Les pratiques racistes sont profondément enracinées dans les lieux de travail, où elles se manifestent directement « au point de production », mais elles s’étendent également à l’ensemble de la société et influencent les relations entre les gouvernements et leurs citoyens. Ces institutions, lois et pratiques racistes doivent être combattues de concert avec la lutte contre l’exploitation de classe.
Jonah Birch – Vous avez mentionné précédemment que les marxistes noirs considèrent que la concurrence entre les travailleurs pour les emplois dans les sociétés capitalistes est liée au racisme. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
Jeff Goodwin – Certains marxistes noirs soulignent que les travailleurs blancs peuvent adopter un racisme violent, bien que celui-ci soit différent de celui des capitalistes. L’un des principes fondamentaux du marxisme noir est que le racisme n’est pas uniforme – il prend différentes formes selon les contextes économiques et politiques. Pour les travailleurs blancs, le racisme est souvent motivé par la crainte que les travailleurs noirs – ou certains groupes ethniques, ou encore les immigrés – ne prennent leurs emplois ou ne fassent baisser leurs revenus parce qu’ils sont prêts à travailler pour des salaires inférieurs soit par contrainte, soit par nécessité.
Les capitalistes exploitent naturellement cette peur. Par conséquent, certains travailleurs blancs cherchent à exclure les Noirs (ainsi que certains groupes ethniques blancs) des emplois mieux rémunérés, des secteurs économiques entiers et même des syndicats, souvent par des moyens violents. Cela donne lieu à ce que l’on appelle un marché du travail divisé, où les travailleurs noirs sont relégués à des emplois précaires et moins bien rémunérés, voire totalement exclus du marché du travail.
Là encore, les croyances racistes ou suprématistes deviennent des outils de justification de ces exclusions et ces violences. L’expression « marché du travail divisé » a été développée dans les années 1970 par une sociologue marxiste, Edna Bonacich, mais l’idée remonte au moins à Du Bois.
Il est important de rappeler que les travailleurs n’ont pas le pouvoir d’embaucher ou de licencier – c’est le rôle des capitalistes. Ainsi, les marchés du travail divisés n’apparaissent que lorsque les capitalistes ont un intérêt à répondre aux demandes des travailleurs racistes. Toutefois, il arrive que les capitalistes s’opposent aux exigences des travailleurs visant à exclure les Noirs de certaines professions ou industries, notamment en période de pénurie de main-d’œuvre, qu’il s’agisse de travailleurs qualifiés ou de postes vacants à la suite de grèves. Aux États-Unis, les capitalistes ont souvent eu recours à des travailleurs noirs comme briseurs de grève pour remplacer les travailleurs blancs en grève, ce qui avait pour effet d’affaiblir les grèves et d’attiser les animosités raciales des travailleurs blancs, renforçant ainsi la fracture raciale au sein de la classe ouvrière.
Les marxistes ne considèrent évidemment pas le racisme de la classe ouvrière comme inévitable. À travers l’organisation et les luttes de classe contre les capitalistes, ils estiment que les travailleurs blancs peuvent prendre conscience de la nécessité d’une solidarité de classe large et multiraciale. Ils soulignent que la véritable cause de la pénurie d’emplois bien rémunérés n’est pas la concurrence des travailleurs issus de groupes raciaux différents, mais bien le capitalisme lui-même.
L’implication politique de cette perspective est que les luttes de classe seront – et devront être – une composante essentielle de toute stratégie de libération des Noirs ou de décolonisation, à la fois sur le lieu de travail et dans la société civile. Si, comme le soutiennent les marxistes noirs, l’exploitation du travail des Noirs et leur exclusion des emplois mieux rémunérés constituent le fondement économique de l’oppression raciale, alors il est impératif de saper, voire d’éliminer, ce système. Pour que leur lutte contre l’oppression raciale et l’exploitation de classe soit victorieuse, les travailleurs noirs auront besoin du soutien le plus large possible des travailleurs d’autres groupes raciaux, même si le racisme tend à entraver cette solidarité. D’où la nécessité de combattre ce racisme à chaque instant. La solidarité de classe est d’autant plus cruciale lorsque les travailleurs racialisés opprimés constituent une minorité, comme c’est le cas aux États-Unis.
Jonah Birch – Vous avez mentionné Du Bois, mais qui sont les autres figures clés de la tradition marxiste noire ? Qui sont les principaux penseurs de ce courant ?
Jeff Goodwin – Cette tradition regroupe des intellectuels et militants d’une envergure impressionnante. Une liste non exhaustive de marxistes noirs comprend, outre Du Bois, C. L. R. James (1901-1989), Harry Haywood (1898-1985), Claudia Jones (1915-1964), Oliver Cromwell Cox (1901-1974), Aimé Césaire (1913-2008), Frantz Fanon (1925-1961), Walter Rodney (1942-1980), Claude Ake (1939-1996), Neville Alexander (1936-2012), Manning Marable (1950 -2011) et Stuart Hall (1932-2014). Paul Robeson (1898-1976) était également très proche de ce courant et de Du Bois en particulier. Malcolm X (1925-1965) semblait s’en approcher l’année précédant son assassinat.
Elle inclut également des révolutionnaires africains tels que Kwame Nkrumah (1909-1972), Amílcar Cabral (1924-1973), Agostinho Neto (1922-1979) et Eduardo Mondlane (1920-1969). Des figures majeures des Black Panthers et du mouvement Black Power, dont Huey Newton (1942-1989), Fred Hampton (1948-1969) et Stokely Carmichael (Kwame Ture) (1941-1998), en font aussi partie.
Par ailleurs, James Baldwin (1924-1987), à la fois ami de Martin Luther King Jr (1929-1968) et admirateur des Panthères noires, s’en était rapproché au début des années 1970 – il suffit de lire son livre No Name in the Street. Aucune autre tradition théorique ou politique ayant abordé la question de la domination raciale ne peut s’enorgueillir d’une aussi brillante constellation d’écrivains, d’intellectuels et de révolutionnaires.
Jonah Birch – La question de savoir si W. E. B. Du Bois était marxiste fait débat, non ?
Jeff Goodwin – Jusqu’à récemment, en réalité, il n’y avait en réalité aucune controverse sur ce point. Tout le monde – du moins à gauche – reconnaissait que Du Bois était devenu un socialiste marxien bien avant d’écrire, à l’âge de soixante-cinq ans, son ouvrage majeur, Black Reconstruction in America, ainsi que les nombreux écrits radicaux qui ont suivi. On peut même déceler des influences marxistes et socialistes dans ses travaux antérieurs.
Le marxisme de Du Bois est évident dans son autobiographie publiée à titre posthume. Avec le temps, il s’est rapproché du mouvement communiste – jusqu’à devenir un fervent stalinien – et a officiellement rejoint le Parti Communiste en 1961, à l’âge de quatre-vingt-treize ans, bien que ce dernier ait été considérablement affaibli par le maccarthysme.
Récemment, un groupe de sociologues libéraux a vigoureusement nié ou minimisé cette réalité. Ils ont élaboré ce qu’ils appellent la « sociologie Du Boisienne », une relecture qui expurge toute trace de marxisme – un véritable blanchiment idéologique, pour ainsi dire. Il n’est pas surprenant que ce groupe assimile le marxisme à un « réductionnisme de classe ». Ceux et celles qui s’intéressent à ce débat peuvent consulter un échange entre moi-même et l’un de ces faux « Du Boisiens » dans Catalyst. J’ai écrit ma défense du marxisme noir en réponse à ce négationnisme, qui repose sur une profonde ignorance de Du Bois et de la tradition marxiste noire.
Jonah Birch – Les questions de race et d’ethnicité n’ont-elles pas été abordées par un large éventail de marxistes issus de différentes races et nationalités ?
Jeff Goodwin – Bien sûr. Le marxisme noir n’est qu’une partie – même si je pense que c’est la plus fascinante – d’une tradition marxiste plus large, multiraciale et multinationale, qui cherche à analyser la domination raciale ainsi que l’oppression ethnique et nationale, y compris le colonialisme.
Cette tradition inclut des marxistes classiques comme Rosa Luxemburg (1871-1919) et Vladimir Lénine (1870-1924), mais aussi des penseurs tels que José Carlos Mariátegui (1894-1930), marxiste péruvien qui a écrit sur la « question indienne » en Amérique latine, et Kamekichi Takahashi (1891-1970), un économiste japonais. Elle englobe également des intellectuels sud-asiatiques, comme M. N. Roy (1887-1954) et A. Sivanandan (1923-2018), parmi bien d’autres.
Elle inclut aussi Ho Chi Minh (1890-1969), qui avait des choses très intéressantes à dire sur le racisme européen, comme vous pouvez l’imaginer.
Cette tradition marxiste s’est également développée parmi des intellectuels blancs européens et nord-américains, tels que Otto Bauer (1881-1938), Max Shachtman (1904-1972), qui a écrit sur la race aux États-Unis, et Herbert Aptheker (1915-2003), ami et exécuteur littéraire de W. E. B. Du Bois (1868-1963), qui a écrit un ouvrage majeur sur les révoltes d’esclaves aux Etats-Unis, American Negro Slave Revolts (1943).
Elle s’étend également à des figures plus récentes comme Éric Hobsbawm (1917-2012), Theodore Allen (1919-2005) et Benedict Anderson (1936-2015), célèbre pour son concept de la nation en tant que « communauté imaginée », une idée que l’on peut aussi appliquer à la race et à l’ethnicité.
Enfin, cette tradition comprend des intellectuels sud-africains blancs qui ont participé à la lutte contre l’apartheid, notamment Martin Legassick (1940-2016) et Harold Wolpe (1926-1996).
Jonah Birch – La tradition marxiste noire est-elle toujours vivante ?
Jeff Goodwin – Absolument ! De nombreux intellectuels contemporains continuent d’enrichir cette tradition. Parmi eux, on peut citer l’historienne Barbara Fields (née en 1947), ainsi que Adolph Reed (né en 1947) et son fils Touré Reed (né en 1971). D’autres figures notables incluent Kenneth Warren, Zine Magubane, Cedric Johnson, August Nimtz, Preston Smith, ainsi que le philosophe de Harvard Tommie Shelby (né en 1967), qui se définit lui-même comme un « marxiste afro-analytique ». Et ce ne sont là que quelques intellectuels basés aux États-Unis.
Jonah Birch – Qu’en est-il de Cedric Robinson (1940-2016), auteur du célèbre ouvrage intitulé Marxisme Noir en 1983 ? N’est-ce pas lui qui a popularisé le terme « marxisme noir » ?
Jeff Goodwin – Oui, ironiquement, mais il n’était pas le seul. Je dis « ironiquement » parce que Robinson était un farouche opposant au marxisme. Cedric Robinson (1940-2016), auteur de Marxisme Noir : La formation de la tradition radicale noire (Éditions Entremonde, 2023), a contribué à populariser le terme, sans pour autant l’adopter dans une perspective marxiste. Il considérait que le marxisme, à l’image de la culture « occidentale » dans son ensemble, était fondamentalement aveugle au racisme, voire intrinsèquement raciste, et que ses catégories d’analyse ne pouvaient s’appliquer aux sociétés non européennes. Pour Robinson, comme pour les sociologues « Du Boisiens » que j’ai mentionnés, il n’existait qu’une seule forme de marxisme : un marxisme réductionniste, centré exclusivement sur la classe au détriment des autres formes d’oppression.
Mais parce que Robinson a écrit un livre intitulé Black Marxism, je pense que beaucoup de gens supposent qu’il est lui-même marxiste ou pro-marxiste. Or, rien n’est plus faux. Apparemment, Robinson ne voulait même pas appeler son livre Black Marxism, mais je crois que son éditeur a pensé qu’il se vendrait mieux avec ce titre.
Marxisme noir présente de nombreux défauts, notamment une mauvaise interprétation de la pensée des marxistes noirs actuels, en particulier des idées de Du Bois (1868-1963) et de C. L. R. James (1901-1989). Le point de vue de Robinson sur Du Bois en tant que prétendu critique du marxisme est basé sur une lecture tronquée de l’œuvre de Du Bois et sur une interprétation profondément erronée de Black Reconstruction in America. Son point de vue sur Du Bois est similaire à celui des sociologues « Du Boisiens ». Robinson prétend, sans aucune preuve, que Du Bois et James ont abandonné le marxisme, ce qui leur a permis de découvrir ce qu’il appelle la « tradition radicale noire ». Mais il s’agit là d’une pure fiction : ni Du Bois ni James n’ont abandonné le marxisme.
L’engagement de Du Bois au sein du marxisme et du mouvement communiste n’a fait que s’approfondir au fil du temps, même après le célèbre discours de Nikita Khrouchtchev (1894-1971) en 1956 dénonçant les crimes de Joseph Staline (1878-1953) et l’invasion soviétique de la Hongrie la même année. Comme je l’ai mentionné, il a rejoint le Parti Communiste très tard dans sa vie, quelques années seulement avant sa mort. C’est assez étrange, si l’on y réfléchit, pour quelqu’un qui aurait renoncé au marxisme.
Jonah Birch – On entend souvent parler aujourd’hui de la « tradition radicale noire ». De quoi s’agit-il exactement et quel est son lien avec le marxisme noir ?
Jeff Gookdwin – Cela dépend de la personne à qui l’on pose la question ! Le sous-titre du livre de Cedric Robinson (1940-2016), Marxisme Noir, est La formation de la tradition radicale noire. Lorsque j’ai découvert ce titre, j’ai d’abord pensé que Robinson établissait un lien direct entre marxisme noir et tradition radicale noire, voire qu’il considérait que les marxistes noirs faisaient partie intégrante de cette tradition. Et cela aurait été logique.
Mais pour Robinson, il n’y a aucun lien entre les deux. Le marxisme est essentiellement et à jamais européen et raciste, tandis que la tradition radicale noire est essentiellement et à jamais panafricaine et antiraciste. Robinson insiste donc sur le fait que le marxisme n’a rien à offrir aux antiracistes. Comment le pourrait-il, si le marxisme fait partie de la culture occidentale, qui est irrémédiablement raciste ?
Dans la réalité, les penseurs noirs et les militants révolutionnaires ont largement puisé dans le marxisme pour analyser et combattre le racisme, l’impérialisme et le colonialisme. W. E. B. Du Bois (1868-1963) et C. L. R. James (1901-1989) en sont d’excellents exemples. Ils sont au cœur de la tradition radicale noire, au sens où l’on entend ce terme, tout comme les autres marxistes noirs que j’ai mentionnés.
J’inclurais également dans cette tradition les non-marxistes qui voient et soulignent néanmoins la manière dont le capitalisme est impliqué dans l’oppression et l’inégalité raciales, et qui sont donc anticapitalistes, sans être nécessairement révolutionnaires. Je pense à diverses personnalités sociales-démocrates et chrétiennes-sociales comme A. Philip Randolph (1889-1979), Chandler Owen (1889-1967), Eric Williams (1911-1981) – un élève de C. L. R. James –, Bayard Rustin (1912-1987), Ella Baker (1903-1986) et, bien sûr, Martin Luther King Jr. (1929-1968). Baker, qui a participé à la fondation du Student Nonviolent Coordinating Committee (SNCC) en 1960, était d’ailleurs proche des marxistes. Toutes ces personnalités méritent assurément une place dans la tradition radicale noire.
Jonah Birch – Vous suggérez donc que ce qui distingue les radicaux noirs des autres antiracistes – les antiracistes libéraux et les nationalistes noirs – c’est leur anticapitalisme ?
Jeff Goodwin – Oui, le principal critère de distinction est l’anticapitalisme. Nous devons comprendre la tradition radicale noire comme étant à la fois antiraciste et anticapitaliste. Les radicaux pensent que les deux doivent aller de pair. Je ne vois pas comment on peut se dire radical dans ce monde si on ne s’oppose pas par principe au capitalisme.
Pour cette raison, je placerais également certains nationalistes et anticolonialistes noirs, mais certainement pas tous, dans la tradition radicale noire. Les nationalistes qui soutiennent le capitalisme – y compris le « capitalisme noir » – cautionnent par essence l’exploitation et l’inégalité. Il n’y a rien de radical dans cela. C’est la thèse centrale de Frantz Fanon dans Les damnés de la terre. Il mettait en garde contre la bourgeoisie noire – ou la bourgeoisie nationale, comme il l’appelait. Contrairement à Robinson, je ne pense pas que l’antiracisme et l’anticolonialisme fassent à eux seuls de vous un radical. Il y a évidemment beaucoup d’antiracistes et de nationalistes anticoloniaux élitistes et autoritaires.
Jonah Birch – Vous placeriez Martin Luther King Jr dans la tradition radicale noire également ?
Jeff Goodwin – Absolument. Dans les dernières années de sa vie, King a exprimé de plus en plus ouvertement son rejet du capitalisme et son adhésion au socialisme démocratique. Son parcours intellectuel l’avait mis en contact avec de nombreux penseurs socialistes chrétiens et leurs écrits. La thèse de doctorat de King traite de deux théologiens de gauche, Paul Tillich (1886-1965) et Henry Nelson Wieman (1884-1975).
Le chercheur Matt Nichter a récemment mis en lumière le rôle joué par de nombreux socialistes, communistes et ex-communistes dans la Southern Christian Leadership Conference de King. Celui-ci soutenait également fortement le mouvement ouvrier, et les syndicats les plus radicaux du pays l’ont soutenu. Lorsqu’il a été assassiné, il était aux côtés des travailleurs de l’assainissement en grève à Memphis.
King n’a jamais cédé à l’anticommunisme primaire (red-baiting) et se méfiait des libéraux anticommunistes. Il appréciait le soutien des communistes au mouvement des droits civiques. L’un de ses derniers grands discours fut un hommage à Du Bois, à l’occasion du centième anniversaire de sa naissance. Il y dénonçait ceux qui minimisaient ou occultaient l’engagement communiste de Du Bois, estimant que cela ne faisait que renforcer les stéréotypes négatifs sur le socialisme et le communisme.
En fait, je pense que King doit être considéré comme l’un des plus grands socialistes de l’histoire des Etats-Unis. Dans sa lutte contre la pauvreté, King en est venu à défendre un revenu garanti pour tous, non pas au niveau du seuil de pauvreté, mais au niveau du revenu médian du pays. Une telle proposition soulève évidemment des questions pratiques : les travailleurs gagnant moins que ce revenu garanti pourraient être incités à quitter leur emploi pour en bénéficier ! Mais cette proposition illustre clairement la haine de King non seulement pour la pauvreté, mais aussi pour tout système économique qui prive les gens des ressources matérielles dont ils ont besoin pour s’épanouir et pas seulement pour survivre.
Jonah Birch – Les marxistes noirs contemporains semblent particulièrement critiques à l’égard de ce qu’ils appellent le « réductionnisme racial ». Qu’est-ce que le réductionnisme racial ?
Jeff Goodwin – Le terme est surtout connu grâce au livre de Touré Reed paru en 2020, Toward Freedom : The Case Against Race Reductionism, bien que d’autres l’aient également utilisée. Elle est basée sur la tendance libérale à séparer la classe du racisme, à considérer le racisme comme déconnecté de l’exploitation du travail en particulier. Cela contraste fortement avec un principe majeur du marxisme noir, qui considère que l’exploitation du travail et l’exclusion systémique des emplois mieux rémunérés sont au cœur de l’oppression raciale.
Les libéraux séparent souvent le racisme de la classe et utilisent ensuite le racisme dans un sens général et abstrait – en tant que préjugé irrationnel – pour expliquer l’oppression raciale. C’est encore une fois un argument idéaliste : le racisme en tant qu’idée est à l’origine de l’oppression des Noirs. Si le réductionnisme de classe – que, comme nous l’avons vu, les marxistes noirs rejettent catégoriquement – nous conseille d’oublier la domination raciale, les réductionnistes de race nous conseillent d’oublier les divisions de classe et l’exploitation de classe. Il est donc évident que les marxistes noirs et les radicaux noirs s’opposent à cette évolution théorique.
En d’autres termes, le concept de race devient réductionniste et idéologique lorsqu’il occulte les divisions de classe et l’exploitation au sein d’un groupe racial, ainsi que les intérêts de classe communs qui transcendent les groupes raciaux et constituent une base potentielle pour la solidarité de classe. De même, l’utilisation du racisme ou des idées racistes comme explication devient réductrice si le racisme est déconnecté des intérêts de classe.
Oliver Cromwell Cox (1901-1974), un important sociologue marxiste noir, disait que si les croyances seules suffisaient à opprimer une race, les croyances des Noirs à l’égard des Blancs devraient être aussi puissantes que les croyances des Blancs à l’égard des Noirs. Mais cela n’est vrai que si l’on oublie la classe et le pouvoir de l’État. Dans le même ordre d’idées, Stokely Carmichael (Kwame Ture) (1941-1998) résumait cette idée ainsi : « si un Blanc veut me lyncher, c’est son problème. Mais si l’homme blanc a le pouvoir de me lyncher, alors et seulement alors, c’est mon problème ».
Cox et Carmichael ne font que constater l’évidence : les idées déconnectées du pouvoir sont impuissantes. Tout cela ne veut pas dire que la race et le racisme n’ont jamais d’importance. Ce n’est évidemment pas le cas. Le racisme peut être très important et persistant précisément lorsqu’il est lié aux intérêts matériels de classes et d’États puissants. Il s’agit là d’un principe central du marxisme noir.
Jonah Birch – Je souhaite vous interroger, pour finir, sur le concept de « capitalisme racial ». C’est une autre expression que l’on entend beaucoup ces jours-ci à gauche. S’agit-il d’un concept développé par les marxistes noirs ? Et qu’est-ce que cela signifie exactement ?
Jeff Goodwin – Les marxistes ont effectivement développé ce terme, mais permettez-moi de commencer par dire que beaucoup d’encre a été gaspillée pour tenter de définir cette expression. Aucun des grands marxistes noirs dont nous avons tant appris n’a jamais utilisé cette expression – ni Du Bois, ni James, ni Cox, ni Fanon, ni Rodney, ni Hall, ni Nkrumah, ni Cabral. Il est donc manifestement possible de parler, et de parler avec perspicacité, de race, de classe, de capitalisme et d’oppression sans utiliser ce terme. Le simple fait d’associer les mots « racial » et « capitalisme » ne garantit pas, comme par magie, que vous comprenez la relation entre le capitalisme et le racisme. Bien sûr, je ne suis pas le premier à le souligner.
Le terme a été forgé par des marxistes sud-africains pendant l’apartheid. Marcel Paret et Zach Levenson ont montré qu’un professeur de Berkeley, Bob Blauner (1929-2016), l’avait utilisé dès 1972, mais c’est avec des figures comme Neville Alexander (1936-2012), Martin Legassick (1940-2016) et Bernard Magubane (1930-2013) que le concept s’est véritablement diffusé dans les années 1970-1980. Leur point de vue était que le capitalisme étant le fondement de l’oppression raciale en Afrique du Sud, la lutte contre l’apartheid devait être anticapitaliste tout en étant une lutte pour les droits démocratiques.
Cette approche s’opposait à celui du Congrès national africain (ANC) de Nelson Mandela (1918-2013) et du Parti Communiste sud-africain. Ceux-ci soutenaient que la lutte pour le socialisme devait être reportée jusqu’à ce qu’une révolution démocratique – une « révolution démocratique nationale », comme ils l’appelaient – ait renversé l’apartheid. Mais cela implique, de manière peu plausible, que l’apartheid n’avait que peu ou pas de rapport avec le capitalisme et l’exploitation des travailleurs noirs. En réalité, l’ANC a fini par abandonner toute perspective socialiste, laissant perdurer les inégalités économiques après la fin du régime ségrégationniste. Quoi qu’il en soit, pour les marxistes noirs, l’expression « capitalisme racial » fait référence au fait que le capitalisme a été le fondement de divers types d’oppression raciale dans les sociétés du monde entier.
Pourtant, de nombreuses personnes croient à tort que le « capitalisme racial » est une idée de Cedric Robinson. S’ils se donnaient la peine de lire son livre, ils verraient qu’il n’utilise pratiquement pas ce terme. Et Robinson – qui, encore une fois, était hostile au marxisme – utilisait le terme très différemment des marxistes noirs. En fait, il comprend le terme d’une manière réductionniste sur le plan racial. Pour Robinson, le capitalisme n’est qu’une autre manifestation de la culture occidentale séculaire, et il est donc intrinsèquement raciste. Pour lui, le capitalisme ne génère pas de systèmes d’oppression raciale, comme l’affirment les marxistes noirs.
Au contraire, le caractère raciste de la culture occidentale, qui remonte à plusieurs siècles, garantit en quelque sorte que tout ordre économique qui lui est associé – féodalisme, capitalisme, socialisme – sera également raciste.
Il s’agit là encore d’un argument idéaliste. Les idées, en l’occurrence celles de la culture occidentale, reproduisent constamment l’oppression raciale à partir d’un pouvoir qui leur est propre, d’abord en Europe, puis dans le monde entier. Mais comment ces idées sont-elles si puissantes ? Cela pourrait-il être lié aux intérêts matériels des classes et des États puissants, comme l’affirment les marxistes noirs ? Robinson fait parfois des gestes dans ce sens, mais la plupart du temps, il ne le dit pas. Pour lui, les idées elles-mêmes sont toutes puissantes. Ce n’est tout simplement pas une explication sérieuse du racisme.
Je dois souligner que de nombreux libéraux semblent apprécier l’expression « capitalisme racial ». Plus que quiconque, ils ont largement contribué à sa diffusion ces dernières années, notamment dans les universités. Les libéraux utilisent cette expression pour désigner une économie dans laquelle les employeurs pratiquent la discrimination à l’encontre des Noirs et des autres minorités. Leur monde idéal est celui d’un capitalisme non racial – l’exploitation du travail sans discrimination. Cet idéal est très éloigné de la vision marxiste noire du socialisme.
Mais au-delà des termes employés, l’enjeu central reste notre compréhension du capitalisme, de la domination raciale et des liens entre les deux. Que l’on utilise ou non l’expression « capitalisme racial » importe peu. La tradition marxiste noire montre qu’il est possible d’analyser ces dynamiques sans recourir à ce concept. Cette expression n’apporte aucune clarté supplémentaire et, selon son usage, elle peut même induire en erreur, en particulier lorsqu’elle est vidée de sa dimension anticapitaliste.
Il est donc essentiel de comprendre précisément en quoi le capitalisme a été, et demeure, le principal moteur de la domination raciale. Autrement dit, on ne peut éradiquer le racisme sans s’attaquer à la structure même du capitalisme, en le démantelant ou, à tout le moins, en le régulant fortement. Tel est le message central de la tradition marxiste noire.
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Jeff Goodwin est professeur de sociologie à l’Université de New York (NYU) et dirige la section de sociologie marxiste de l’American Sociological Association. Spécialiste des mouvements sociaux et des révolutions, il a publié de nombreux travaux sur ces thématiques, notamment No Other Way Out : States and Revolutionary Movements, 1945-1991 (2001), une analyse comparative des révolutions modernes, ainsi que Social Movements (2012, coédité avec James Jasper)
Jonah Birch est un collaborateur régulier de Jacobin. Il est titulaire d’un doctorat en sociologie de l’Université de New York (NYU). Il contribue également à Catalyst : A Journal of Theory and Strategy, une revue affiliée à Jacobin.
Publié initialement dans Jacobin. Traduit de l’anglais pour Contretemps par Christian Dubucq.