Par cet article je voudrais réagir au texte de Stathis Kouvelakis paru dans le n°3 de Contretemps (et disponible sur le site), en introduisant des éléments de la dynamique sociale et politique autour de deux axes, la recomposition politique et le mouvement social. Et répondre à la question : pourquoi est-il essentiel, pour l’ensemble de la confrontation sociale actuelle, que réussissent des listes unitaires de la gauche radicale.
Une ébauche de recomposition politique
Nous sommes entrés depuis un an dans un temps fort de la recomposition politique marquée par deux éléments, la création du Nouveau Parti Anticapitaliste, et la scission du PS qu’opère le Parti de Gauche.
Les éléments du contexte politique général liés à ces deux évènements sont bien analysés dans le texte de Stathis Kouvelakis : d’une part l’arrivée de Sarkozy assèche le champ politique en aspirant à lui toutes les velléités libérales, ou du moins suffisamment de chacun des courants pour ôter toute légitimité à une représentation alternative. D’autre part, le Parti socialiste poursuit son évolution blairiste, en prétendant que toute voie social-démocrate aurait disparu et en plongeant corps et âme dans le libéralisme. L’évolution plus récente des Verts avec la promotion de Cohn-Bendit, libéral affirmé, rejoint aussi évidemment ce panorama d’une évolution à droite du champ politique institutionnalisé. Il faut bien sûr y rajouter la crise économique et sociale et ses effets délétères sur toute la politique, par la démonstration de l’inefficacité de l’intervention politique.
La création du NPA exprime dans ce contexte l’entrée de nouvelles couches militantes à la politique. Les nouveaux militants se répartissent entre anciens militants reprenant du collier, sympathisants de longue date de la LCR franchissant le pas de l’engagement formel, militants du mouvement social ou social s’engageant, et bien sûr nouveau militants découvrant une forme de politique qui les attire. De ces éléments, la volonté de résister au raz-de-marée sarkozyste ressort de façon forte. La composition sociale du NPA est substantiellement changée par rapport à l’ancienne LCR, poursuivant en cela un processus engagé depuis 2002 et représentant un cadre d’organisation pour de nombreux chômeurs et précaires. L’espoir dégagé autour de la création du NPA, les plus de 10 000 participants à l’élaboration initiale, le regard appuyé porté sur cette naissance par des milliers d’autres personnes autour, tout cela montre que le NPA a représenté pendant ses premiers mois le premier vecteur important de la recomposition politique. Même si la dynamique autour du NPA se ralentit, la question politique qu’il pose autour de l’anticapitalisme comme axe de référence, de même que la brèche ouverte dans le « léninisme » traditionnel par la volonté de transformer le cadre de la politique, restent un acquis fondamental de cette première année.
La scission à gauche du Parti socialiste opérée par J.L. Mélenchon est un autre versant de cette recomposition politique. Soulignons d’abord le caractère historique de cette scission à gauche d’un courant dans le Parti socialiste. Les péripéties des différents courants de gauche du PS depuis des dizaines d’années avaient démontré leur capacité à résister dans le Parti socialiste, à avaler des couleuvres voire à subordonner leurs positions politiques à des recompositions internes entre courants. Pourtant, ce courant se dégage de ce marais pour déclarer : il faut changer la gauche et rompre avec le social-libéralisme.
Si dans les premiers mois du sarkozysme, les effets les plus dynamiques de la recomposition s‘opéraient autour du NPA, c’est autour du PG qu’ils existent aujourd’hui. D’un coté un certain tassement du NPA en terme d’effectifs, correspond sans doute aux éléments contradictoires de la première année de ce parti : un parti qui regroupe des options politiques extrêmes dans le champ de la gauche radicale (depuis des courants libertaires jusqu’au secteurs ouvriéristes de l’automobile), un parti qui veut dépasser cette contradiction par une intervention centrée sur les luttes (mais cette année de crise et de sarkozysme n’a vu que des luttes sporadiques et globalement perdantes, où ce parti n’a pas pu montrer son utilité), un parti qui se retrouve à mener une campagne très identitaire alors qu’une partie de ses militants (et beaucoup de militants autour, par procuration en quelque sorte) l’avaient investi dans un sens contraire… De l’autre le charisme individuel du leader du PG a été complété par un travail continu de présence sur le terrain, par exemple durant le conflit des universités, qui lui a permis de mobiliser ou de capter une nouvelle base militante, notamment des jeunes.
Ces deux phénomènes sont issus des deux évènements politiques antérieurs, la campagne unitaire pour le NON de gauche (Mélenchon et Besancenot se croisaient sur les estrades, avec tant d’autres) et la campagne unitaire présidentielle. Il faut saisir l’ampleur et la dynamique de ce point de départ de la recomposition politique, pour comprendre que ses effets ne sont pas encore révolus. Cette période marque d’abord la continuité puis la rupture avec la remobilisation de la gauche sociale et politique depuis les années 1995. Ce sont en effet ces courants, ces militants, ces équipes syndicales qui se sont retrouvées ensemble dans la campagne du NON. Mais l’échec de ces candidatures unitaires a représenté aussi, d’une certaine façon, un point d’orgue pour ces années. Et notamment par l’arrêt (momentané) de la dynamique sociale.
Un mouvement social en perte de dynamique
Depuis deux ans, le champ des mobilisations sociales a été bien silencieux. Echec de la grève SNCF, échec de la campagne contre le nouvel accord sur le contrat de travail…. Les mobilisations pour la défense des services publics ont marqué le pas. Le maintien des luttes des sans papiers (contre les expulsions, et grève des salariés) reste un cas isolé. Les luttes dans l’université et les hôpitaux sonnent au printemps le réveil, même si elles se traduisent par un échec (sans doute plus vivement ressenti dans les universités…). Dans le domaine des luttes sociales, la dispersion des résistances aux licenciements a mis le mouvement syndical en échec. Dans le domaine des libertés, vivement attaquées par Sarkozy, les réactions restent faibles et dispersées. Les nombreuses actions sur le logement peinent à être visibles. Et dans le domaine de l’écologie, le manque d’une mobilisation phare pour fédérer le mouvement s’est fait sentir.
Sans doute le mouvement social a-t-il montré une fragilité plus grande face au Sarkozysme : besoins de résultats concrets dans les mobilisations ; besoin d’une perspective politique alternative. Non pas qu’on partait de zéro, ainsi en juillet 2008 les diverses projets de loi du nouveau gouvernement étaient autant d’occasion pour des appels unitaires larges. Mais sans mordre sur la réalité… Le décalage entre Paris et la Province, qui date de 1995, a pu jouer aussi dans la difficulté à la centralisation de luttes et de mouvements éparses. Un signe de cette crise du mouvement social se voit dans le manque de sollicitations que reçoit la Fondation Copernic de la part du mouvement social pour consolider des axes communs de mobilisation. Cette Fondation se trouve face à la difficulté momentanée de reconstruire une perspective antilibérale sans la dynamique du mouvement social.
La prise en charge de la dynamique de recomposition politique par le NPA et le PG correspond à cette baisse d’initiative de la part du mouvement social. Au point qu’à certains moments certaines parties du NPA ont pu penser se substituer à ce mouvement social, faisant l’économie de la reconstruction lente de rapports de force dans tous les domaines. De même certains discours du PG pensent contourner cette difficulté par une remobilisation du seul champ politique.
Une nouvelle phase ?
Pourtant cet automne 2009 voit ressurgir ce mouvement social. Citons la campagne pour la Poste, qui commence à prendre la dimension d’un véritable mouvement social ; la mobilisation autour de la manifestation pour les droits des femmes ; les perspectives de coordination des luttes contre les licenciements, même si chaque jour démontre la fragilité de ces processus ; la manifestation nationale pour les sans-papiers ; les divers mouvements sur la santé au travail (dont l’appel Copernic). Et, bien sûr, signe parmi les plus précaires, la volonté de reconstruire un mouvement des chômeurs autour de la préparation de marches régionales contre le chômage, les précarités et les licenciements. Les différents collectifs de mobilisation, que ce soit autour des conflits de l’université et d’entreprises en luttes (Créteil, Angoulême, Saint-Denis, Besançon, etc) ont donné un signal important ces derniers mois du dépassement de la coupure entre politique et social.
Cette remobilisation crée ainsi de nouvelles conditions pour la recomposition politique. Car l’histoire française nous le rappelle depuis 1995, il ne peut y avoir de recomposition politique sans qu’elle ne se combine avec une mobilisation du mouvement social. Mais cette refondation du mouvement social doit se nourrir d’une dynamique parallèle dans le champ politique. Plus qu’un enrichissement mutuel, les deux mécanismes relèvent d’un processus commun : la radicalisation sociale et politique face à l’offensive libérale et aux urgences sociales posées par la crise économique se fondant dans le creuset des débats stratégiques ouverts par les mouvements de 1995.
Louis-Marie Barnier
1er octobre 2009