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Gérard Filoche déconstruit dans cet article la propagande gouvernementale et montre que l’objectif poursuivi par Macron, en imposant un système par points, est précisément d’abaisser le niveau de pensions et, ainsi, de faire place nette pour un système par capitalisation. À mesure que les retraites versées par le régime « universel » deviendront misérables, celles et ceux qui le pourront seront contraint·e·s de se tourner, pour compenser, vers les fonds de pension. C’est cela qu’il faut empêcher et il nous faudra, pour y parvenir, approfondir et élargir le mouvement de grève dans les prochaines semaines.

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Pour conjurer le « mur du 5 décembre », le gouvernement a décidé de déployer ses armes de persuasion massive. Pensez donc ! Darmanin, Ndiaye, Blanquer… Que des sommités intellectuelles capables de déconstruire illico les arguments des fâcheux ! La mission confiée au service après-vente de l’Élysée est toutefois des plus ardues, puisque le rapport Delevoye, certainement désireux de ne pas tomber dans de scabreux calculs d’intendance, s’évertue à ne citer pratiquement aucun chiffre ! Nous réparons, dans les pages qui suivent, ce malheureux oubli.

Depuis le début du pseudo-débat sur l’avenir de notre système de retraites, le pouvoir a fait le choix délibéré de soumettre aux organisations syndicales et – par ricochet – à l’opinion des documents présentant les grands axes et autres grands principes de sa « réforme », mais ne permettant aucunement aux ayants-droit de faire leur compte. Cette stratégie politique est consubstantiellement liée au fait que tout régime par points est par définition un système à prestations non-définies. Pour déconstruire le discours gouvernemental, il convient donc de le mettre en regard de données quantitatives objectives, publiques et avérées, face auxquelles les promesses et engagements de ce pouvoir mystificateur paraissent bien peu de chose.

 

Des choux et des carottes

Le système de retraites à points permettrait d’en finir avec les 42 régimes de retraite actuels. L’énumération de ces 42 régimes indique à quel point cette somme résulte de l’addition de choux et de carottes.

Comptabiliser au même titre que les millions de retraités de la CNAV, que les millions de retraités des régimes de complémentaires des salariés du secteur privé ou que les millions de retraités de la Fonction publique, les 203 retraités de la Caisse de retraite des salariés du port autonome de Strasbourg, les 1 800 pensionnés de la Caisse de retraites des personnels de l’Opéra de Paris n’a aucun sens.

Aucun retraité, ensuite, n’a besoin de s’astreindre à « lire » les 42 régimes de retraite. 67 % des retraités dépendent d’un, de deux ou de trois régimes ; seulement 4 % dépendent de six régimes ou plus.

 

À chacun son dû

Jean-Paul Delevoye l’affirme :

« La retraite est le reflet de la carrière : ça, c’est quelque chose qui est juste. Si vous avez une belle carrière, vous avez une belle retraite ; si vous avez une moins belle carrière, vous avez une moins belle retraite ».

Le droit à la retraite deviendrait strictement proportionnel aux points acquis, c’est-à-dire aux cotisations versées. Tant pis pour ceux qui ont eu des carrières heurtées, un travail « en pointillés ». Tant pis pour ceux qui ont subi le chômage, ceux qui ont dû se contenter de « petits boulots », d’un travail saisonnier. Tant pis pour toutes celles qui n’ont pu travailler qu’à temps partiel alors qu’elles voulaient travailler à temps plein.

Voilà l’ « équité » que nous promet le « système universel » d’Emmanuel Macron.

 

Quid des primes des fonctionnaires ?

Le gouvernement répète inlassablement qu’elles seront prises en compte à 100 %. Mais personne ne sait aujourd’hui quelle définition sera donnée du terme « prime ». Les primes facultatives et les indemnités seront-elles, par exemple, prises en compte ?

Et pour ceux et celles qui n’ont pas (ou très peu) de primes et qui, tels les professeurs des écoles, subiraient une diminution de 25 à 30 % du montant de leur retraite avec le système à points ? Devraient-ils se contenter de la déclaration d’Édouard Philippe selon laquelle seront engagées « avant la fin du quinquennat les revalorisations nécessaires pour maintenir le niveau de pension des enseignants » ?

 

L’âge légal de départ

Il resterait fixé à 62 ans. Dans le système par points, cet âge n’aurait plus guère d’importance. L’âge qui compterait serait l’âge pivot. Il serait fixé à 64 ans dès 2024 selon Édouard Philippe. En-dessous de cet âge, des pénalités de 5 % par an sur le montant de la retraite seraient appliquées.

Le plafonnement du montant des retraites à 14 % du PIB, alors que le nombre de personnes de plus de 65 ans augmentera rapidement (6 millions supplémentaires en 2040), obligera à reculer très vite cet âge à 66, puis 67 ans, etc. Avec toujours les mêmes pénalités en cas de départ avant l’âge pivot.

 

10 euros = 0,55 euro ?

Dix euros, ce serait le prix d’achat du point. Ce prix permettrait de calculer le nombre de points acquis. Quant à la valeur de service du point, elle serait de 0,55 euro. Il faudrait multiplier le nombre de points acquis par cette valeur pour obtenir le montant de la retraite.

Le problème est que ces valeurs seraient données pour l’année 2025, si elle était l’année de la mise en place du système à points. Mais le prix d’achat pourrait augmenter et la valeur de service du point diminuer dès l’année suivante. Exactement comme c’est le cas dans le régime de retraites complémentaires des salariés du secteur privé aujourd’hui.

Il n’y aurait aucune lisibilité, aucune prévisibilité possible dans un tel système.

 

Période de référence

Un calcul sur toute la carrière serait plus avantageux pour les retraités qu’un calcul sur les 25 meilleures années (dans le privé) ou sur les six derniers mois (dans le public). C’est ce qu’affirme, sans jamais apporter le moindre argument pour le démontrer, le rapport Delevoye. Il ose même prétendre que ce type de calcul serait profitable aux personnes ayant eu des périodes heurtées.

Le rapport Delevoye tente de faire croire qu’aujourd’hui, la totalité de la carrière n’est pas prise en compte et que cela désavantage les futurs retraités. Il passe complètement sous silence le fait qu’il s’agit de prendre en compte les 25 meilleures années ou les six derniers mois (c’est-à-dire les traitements les plus élevés) pour calculer le salaire moyen qui servira de référence au calcul de la retraite. Les années les plus mauvaises sont écartées et ne viennent donc pas diminuer le montant du salaire de référence.

Les personnes qui ont eu une carrière heurtée ont donc tout intérêt à ce que les plus mauvaises années n’entrent pas dans le calcul de leur salaire de référence.

 

Réversion, piège à c…

70 % des retraites du couple seraient maintenus pour la pension de réversion. Annoncé de la sorte, cela peut paraître séduisant. Cela l’est beaucoup moins si l’on examine d’un peu plus près ce qu’il en est réellement.

D’abord les couples pacsés ne seraient pas concernés. Pourtant, la pension de réversion sera financée par l’impôt et les couples pacsés paient l’impôt, tout comme les couples mariés. Ensuite, il ne serait pas possible de percevoir la pension de réversion avant l’âge de 62 ans. Cela nécessiterait, en moyenne, de devoir attendre sept ans de plus qu’aujourd’hui pour pouvoir bénéficier du versement de cette pension.

Les femmes – qui représentent 89 % des bénéficiaires de la pension de réversion – seraient les premières pénalisées.

 

Solidarité en berne

La part de la solidarité s’élèverait à 25 % du montant total des retraites. Cela serait peut-être vrai la première année, mais rien ne serait assuré pour la suite.

Le rapport Delevoye (p. 103) met à part les dépenses de solidarité des autres dépenses de retraite. Ces dépenses de solidarité seront versées dans un Fonds de solidarité vieillesse universel (FSVu).

Le FSVu sera exclusivement financé par des recettes fiscales. Cela signifie que, chaque année, au moment du vote de la loi de finances, les recettes fiscales collectées pour financer les dépenses de solidarité du service de retraites à points pourront être affectées à des dépenses publiques très différentes (la construction du second porte-avions, par exemple). Les cotisations sociales sont affectées, c’est-à-dire qu’elles ne peuvent pas être utilisées pour financer d’autres dépenses publiques que les dépenses sociales pour lesquelles elles ont été collectées. Ce n’est pas le cas de l’impôt : l’un des principes de base des Finances publiques impose que ce soit le Parlement, représentant de la Nation, qui décide de l’affectation de l’impôt aux différentes dépenses publiques.

Les dépenses de solidarité deviendraient donc des « aides sociales ». Nous savons ce qu’Emmanuel Macron pense de ces aides qui coûteraient selon lui « un pognon de dingue ». Nous savons aussi ce qu’il en est de la réforme de l’assurance-chômage qui s’est faite sur le dos des demandeurs d’emploi les plus fragiles, les plus précaires, et qui, aux dires de Laurent Berger, constitue « une tuerie ».

Il n’existe donc aucune garantie que les dépenses de solidarité ne diminuent pas chaque année, qu’elles ne soient pas récupérables sur succession et que les pensions de réversion (incluses dans les dépenses de solidarité), dont le montant annuel est de 36 milliards d’euros, ne deviennent pas la cible privilégiée d’un ministère des Finances qui n’a qu’une obsession : diminuer le montant des dépenses publiques.

 

Poule aux « règles d’or »

À Rodez, en octobre dernier, Emmanuel Macron avait affirmé :

« On mettra des règles d’or pour fixer la valeur du point avec un engagement clair qui est que le niveau de vie des retraités ne doit pas être dégradé, il doit être le même et continuer à progresser ».

Qui peut croire à un tel engagement alors qu’il est pris par un président de la République qui ne cesse de piétiner les « règles d’or » établies pour garantir (a minima) le financement de nos retraites et de la Sécurité sociale ?

La loi du 22 juillet 1993 garantissait l’indexation du montant des retraites sur l’évolution des prix. Emmanuel Macron n’a, cependant, tenu aucun compte de cette « règle d’or » que le rapport Delevoye prétend pourtant garantir. Son gouvernement a fait voter la sous-indexation du montant des retraites par rapport à l’inflation en 2019. Le montant des retraites ne devait être  revalorisé (pour les retraites dépassant 1 200 euros par mois) que de 0,3 %, alors que l’inflation attendue était de 1,9 %. C’est uniquement pour tenter de répondre à la mobilisation des Gilets jaunes, qu’Emmanuel Macron a été obligé de reculer quelque peu en indexant sur l’inflation les retraites inférieures à 2 000 euros par mois.

La loi Veil du 25 juillet 1994 instaurait une autre « règle d’or », reprise par l’article L131-7 du code de la Sécurité sociale :

« Toute mesure de réduction ou d’exonération de cotisation de Sécurité sociale […] donne lieu à compensation intégrale aux régimes concernés par le budget de l’État pendant toute son application ».

Là encore, Emmanuel Macron s’est soucié comme d’une guigne de cet engagement. Son gouvernement a fait voter, le 23 octobre 2019, l’article 3 du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) qui prévoit que, désormais, l’État ne compensera pas les exonérations de cotisations sociales.

La seule règle d’or, affirmée clairement dans le rapport Delevoye (p. 110), est en réalité l’équilibre financier du système de retraites à points.

 

Et le taux de cotisation ?

Il resterait inchangé, afin de préserver les recettes. Cela signifie, en réalité, que le montant des cotisations retraites serait plafonné à 28,12 % du salaire brut, alors que les besoins de financement des retraites ne pourront qu’augmenter avec l’arrivée progressive de six millions de personnes de plus de 65 ans supplémentaires.

Pour « préserver » le montant des retraites, il ne faudrait pas les plafonner mais au contraire, les augmenter progressivement, en fonction de l’augmentation des besoins.

 

Choix… contraint !

Les assurés auraient le choix entre partir plus tôt en retraite ou rester au travail pour disposer d’un montant de retraite plus important. En réalité, ils feraient ce choix avec un revolver sur la tempe, car partir plus tôt que l’âge pivot signifierait voir le montant de sa retraite largement amputé.

Surtout, beaucoup de salariés n’auraient pas le choix de rester au travail.

Celles et ceux qui n’auraient plus la possibilité de travailler, épuisés par la pénibilité du travail.

Celles et ceux qui ne seraient plus au travail et ne pourraient donc pas choisir d’y rester. Dans le secteur privé, 60 % de ceux qui prennent leur retraite ne sont plus au travail lorsqu’ils prennent leur retraite : ils sont au chômage, au RSA, en invalidité ou en maladie.

 

Pénible pénibilité

La pénibilité du travail est évoquée dans la rapport Delevoye. Il est étonnant que le haut commissaire puisse se permettre d’utiliser un tel terme. Il est vrai que son rapport a été rendu public en juillet 2019, et que ce n’est qu’en octobre qu’Emmanuel Macron a déclaré « ne pas adorer le mot de pénibilité, parce que ça donne le sentiment que le travail serait pénible ».

Les régimes spéciaux de retraites, qui permettaient aux membres de certaines professions de partir plus tôt en retraite pour compenser la pénibilité et la dangerosité de leurs métiers, seraient supprimés.

Les « catégories actives de la Fonction publiques » qui pouvaient, elles aussi, pour les mêmes raisons que les salariés des régimes spéciaux, disposer d’un départ précoce en retraite, seront supprimées – sauf pour l’armée et, en partie, la police.

Tous seront alignés sur le régime des salariés du secteur privé et l’obligation de comptabiliser leur temps d’exposition à des facteurs de pénibilité qui ne prennent en compte que des situations très limitées de dangerosité et de pénibilité. La comptabilisation de ces temps d’exposition est un véritable parcours du combattant pour le salarié qui se heurte à la mauvaise volonté d’employeurs qui considèrent qu’il s’agit d’une « usine à gaz ».

C’est donc  le nivellement par le bas qui s’imposerait dans le système de retraites à points.

 

Gouvernance « innovante »

Les instances qui seraient mises en place foisonneraient. Le Conseil d’administration de la Caisse nationale de retraite dans lequel siégeraient treize représentants des assurés désignés par les organisations syndicales de salariés et treize représentants des employeurs. Une Assemblée générale de cette Caisse nationale serait mise en place pour « représenter l’ensemble des assurés, des employeurs et des acteurs de la retraite ». Un comité d’expertise indépendant des retraites serait également mis en place. Enfin, serait créé un Conseil citoyen des retraites composé de 30 citoyens représentatifs « de la diversité de la société française ».

Les choses se gâtent lorsque l’on examine d’un peu plus près ce que seraient les rôles de chacune de ces instances. Le Conseil d’administration de la Caisse nationale de retraite ne pourra que « proposer » une règle pluriannuelle de revalorisation des retraites. L’Assemblée générale « aura pour mission principale d’émettre un avis, au moins une fois par an ». Le comité d’expertise « vérifierait la sincérité des hypothèses de projection retenues par la Caisse nationale ». Quant au Conseil citoyen, il devra émettre un « avis citoyen » chaque année.

« Proposer », « émettre un avis une fois par an », « vérifier la sincérité des hypothèses », « émettre un avis citoyen »… Il est évident que ces organismes ne seraient  que consultatifs et que la réalité du pouvoir serait ailleurs. Les seuls dirigeants du système de retraite par points seraient le Parlement et avant tout, le gouvernement. Le pilotage du système sera en effet « fixé par les lois financières » proposées par le Conseil des ministres et adoptées par les deux Chambres.

Dans tous les cas, affirme le rapport Delevoye, le gouvernement « sera toujours libre de proposer tout projet de réforme ayant des incidences sur les équilibres financiers du système de retraite ».

 

Derrière l’écran de fumée

Une fois dissipé le rideau de fumée de l’« équité » et de la « transparence » du système à points, il reste à répondre à la question suivante :  quels sont les réels objectifs d’Emmanuel Macron ?

Ce dernier, dans son livre Révolution, affirmait qu’il irait jusqu’au bout des réformes que ses prédécesseurs (Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande) n’avaient pas réussi à mener à terme. Il est donc décidé à aller jusqu’au bout des régressions imposées depuis 1993 à nos régimes de retraites qui ont reculé l’âge légal de la retraite de 60 à 62 ans, qui ont allongé la durée de cotisations de 37,5 à 43 annuités et diminué le taux de remplacement du salaire par la retraite d’environ 30 %.

Les objectifs d’Emmanuel Macron sont de même nature que ceux des réformes précédentes mais beaucoup plus radicaux : imposer une réforme systémique qui laisse le champ libre à l’augmentation des dividendes des actionnaires.

Avec le système de retraites à points du président de la République, le montant de la part patronale des cotisations sociales serait figé. Les actionnaires et leurs dividendes pourraient continuer à prospérer sans se soucier du détail accessoire que constitue l’augmentation du nombre de retraités.

Avec le système à points, le montant des retraites diminuerait sans cesse et les salariés, les indépendants, les professions libérales qui en auraient les moyens se tourneraient vers les fonds de pension pour tenter (malgré tous les risques encourus) de préserver leurs retraites. Une place de plus en plus spacieuse serait ainsi faite à la retraite par capitalisation. Ce qui profiterait de nouveau aux actionnaires, ceux des banques et des compagnies financières.

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