A propos du « Manifeste écosocialiste » du Parti de Gauche
Auteur de L’impossible capitalisme vert, Daniel Tanuro propose dans cet article une analyse du Manifeste écosocialiste du Parti de gauche. Mettant en évidence les avancées réelles contenues dans ce texte mais aussi ses limites, il contribue ainsi au débat crucial sur la nécessaire stratégie écosocialiste.
Le Manifeste écosocialiste du Parti de Gauche est un document important. Pour la première fois en France, une force politique représentée dans les enceintes parlementaires se réclame de l’écosocialisme pour tenter de conjuguer revendications sociales et exigences écologiques, dans une perspective de rupture avec le capitalisme. La condamnation du productivisme est sans appel. Le fait que le texte écarte comme socialement injuste et écologiquement criminelle la stratégie social-démocrate de relance du système (Thèse 6 : « Nous n’attendons donc ni la reprise de la croissance ni les effets bénéfiques de l’austérité : nous ne croyons ni à l’une ni aux autres ») témoigne d’une prise de conscience de la gravité de la situation ainsi que de l’urgence des mesures à prendre pour y faire face. C’est dire que le Manifeste contribue à ouvrir un débat politique fondamental : quelle alternative à la cogestion du capitalisme par les Verts et le social-libéralisme ? Quel programme, quel projet de société, quelle stratégie pour un socialisme antiproductiviste ?
Ce débat ne fait que commencer. La gauche, pour l’approfondir, gagnerait à s’immerger davantage encore dans les problèmes environnementaux, dont elle peine à prendre la mesure. A cet égard, la pente gravie par le Parti de Gauche depuis que ses fondateurs ont quitté le PS est remarquable. Cependant, le point n’est pas encore atteint à notre avis d’où les militant-e-s pourraient embrasser du regard toute l’immensité des défis. Le chemin qui reste à parcourir peut se mesurer notamment au fait que le Manifeste écosocialiste du PG considère les technologies comme socialement neutres (Thèse 13 : « Le problème n’est pas la technique en soi mais bien l’absence de choix et de contrôle citoyen »… comme si l’hypothèse d’un « nucléaire socialiste » était envisageable !) et ne dit rien des agrocarburants, du gaz de schiste ou de la capture-séquestration du carbone. Mais notre principale critique est que le PG ne se prononce pas pour l’abandon des combustibles fossiles et n’aborde pas franchement certaines contraintes majeures de la transition vers un système intégralement fondé sur les énergies renouvelables. En fait, en dépit de toutes les excellentes choses qu’il contient, le Manifeste du PG ne semble pas saisir l’ampleur formidable du défi énergétique/climatique à relever dans les quarante ans qui viennent et qui constitue selon nous la raison essentielle pour laquelle l’écosocialisme est une nécessité brûlante.
Les données de base du problème
On ne répétera jamais assez les données de base du problème : au-delà de 1,5°C de hausse par rapport à l’ère préindustrielle, le réchauffement de la basse atmosphère entraînera plus que probablement des catastrophes écologiques et sociales irréversibles. La machine à désastres est déjà en route – on le voit à la multiplication des phénomènes météorologiques extrêmes. Mais le pire – notamment une élévation d’un à trois mètres du niveau des océans, impliquant le déménagement à relativement court terme de centaines de millions de personnes – peut encore être évité. Or, pour avoir une chance sur deux que la hausse de température reste au-dessous de 2,4°C, les conditions à remplir sont draconiennes : il convient que les pays développés se passent quasi-totalement des combustibles fossiles d’ici 2050 et que les émissions mondiales de gaz à effet de serre diminuent de 50 à 85% à cette échéance, pour être ramenées à zéro avant 2100 (à ce moment-là, en réalité, elles devaient même commencer à être négatives, ce qui signifie que l’écosystème Terre devrait absorber plus de dioxyde de carbone qu’il n’en émet). Les énergies renouvelables peuvent prendre le relais. Leur potentiel technique est amplement suffisant. Mais la transition est extrêmement compliquée car il s’agit, en un délai très court, de remplacer le système énergétique existant par un autre, complètement différent et beaucoup plus cher.
Changer de système énergétique
Les éléments à prendre en considération sont les suivants :
– Si l’on refuse la technologie nucléaire – il faut la refuser, pour quantité de raisons qu’on ne développera pas ici – et si l’on respecte le principe des responsabilités communes mais différenciées des pays – il faut le respecter, pour des raisons de justice Nord/Sud évidentes – alors il découle que le succès de la transition vers les renouvelables nécessite de réduire la demande finale d’énergie de moitié environ dans l’Union Européenne et des trois quarts aux Etats-Unis ;
– Une réduction d’une telle ampleur n’est pas réalisable uniquement par des mesures d’économie d’énergie. Une diminution de la production matérielle et des transports est indispensable également. Il ne suffit donc pas d’équilibrer la suppression des productions inutiles ou nuisibles, d’une part, et l’accroissement des fabrications écologiques, d’autre part : le bilan d’ensemble doit être négatif ;
– Les objectifs en termes d’émission signifient que 80% environ des réserves connues de charbon, de pétrole et de gaz naturel doivent rester dans le sol. Or ces réserves sont la propriété de compagnies capitalistes, ou de compagnies d’Etat capitalistes, elles apparaissent à l’actif de leurs bilans. Leur non-exploitation équivaudrait à une destruction de capital. Inacceptable pour les actionnaires, cela va de soi ;
– Sauf exceptions, les énergies renouvelables restent plus chères que les énergies fossiles et le resteront en gros pendant les deux décennies devant nous. En pratique, la hausse des prix du pétrole a pour principal effet de rentabiliser l’exploitation des sables bitumineux, des gaz de schiste, des huiles lourdes et de l’offshore profond, toutes entreprises profitables du point de vue capitaliste mais éminemment destructrices du point de vue environnemental, et dont l’efficience énergétique (le rapport entre l’input et l’output énergétique) est souvent très faible ;
– Globalement, la transition vers les renouvelables n’est pas enclenchée. Les Nations Unies en font le constat : « Le changement de technologie énergétique s’est ralenti considérablement au niveau du mix énergétique global depuis les années 1970, et il n’y a pas de preuve à l’appui de l’idée populaire que ce changement de technologie énergétique s’accélère. (…) En dépit des taux de croissance impressionnants de la diffusion des technologies énergétiques renouvelables depuis 2000, il est clair que la trajectoire actuelle ne s’approche nulle part d’un chemin réaliste vers une décarbonisation totale du système énergétique global en 2050 » (UN, World Economic and Social Outlook 2011, pp 49-50).
– Une des raisons de cette situation – qui contraste avec l’image diffusée par les médias – est que l’utilisation pleinement rationnelle des renouvelables nécessite la construction d’un système énergétique alternatif, complètement neuf, décentralisé, économe et muni de dispositifs de stockage. Dans le cadre du système centralisé et gaspilleur actuel, 1GW de capacité éolienne intermittente nécessite le backup de 0,9 GW fossile : les renouvelables ne font que s’ajouter aux énergies traditionnelles. Eviter ce doublon implique de construire en dix ans un réseau « intelligent ». Une entreprise « gigantesque, nécessitant un progrès technologique, une coopération internationale et des transferts sans précédents » (Ibid., p. 52).
L’obstacle du Capital
Les implications économiques, donc politiques et sociales, du changement de système énergétique sont bien résumées par ce même rapport des Nations Unies : « Globalement, le coût du remplacement de l’infrastructure fossile et nucléaire existante est d’au moins 15 à 20.000 milliards de dollars (un quart à un tiers du PIB mondial – DT). La Chine à elle seule a accru sa capacité électrique au charbon de plus de 300 GW entre 2000 et 2008, un investissement de plus de 300 milliards de dollars, qui commencera à être rentable à partir de 2030-2040 et fonctionnera peut-être jusqu’en 2050-2060. En fait, la plupart des infrastructures énergétiques ont été déployées récemment dans les économies émergentes et sont complètement neuves, avec des durées de vie d’au moins 40 à 60 ans. Clairement, il est improbable que le monde (sic) décide du jour au lendemain d’effacer 15 à 20.000 milliards de dollars d’infrastructures et de les remplacer par un système énergétique renouvelable dont le prix est plus élevé » (UN, World Economic and Social Outlook 2011, p. 53).
S’il était consulté et correctement informé des enjeux, « le monde » déciderait sans aucun doute de remplacer le système fossile par un système renouvelable. Mais les Etats capitalistes ne prendront pas cette décision, quoiqu’ils soient informés. D’une manière générale, ils sont absolument incapables de trouver en quarante ans une solution humainement acceptable à l’enchevêtrement de difficultés ci-dessus. La loi du profit l’en empêche. Aucune taxe carbone, aucun marché des droits d’émission n’apporteront de solution. Pour avoir une chance d’être efficace, taxe ou droit devraient aller jusqu’à 600 ou 700 dollars la tonne de CO2 dans certains domaines tels que le transport, ce qui est évidemment inconcevable. Tous les secteurs clés de l’économie (automobile, aéronautique, construction navale, chimie et pétrochimie, production électrique, sidérurgie, cimenterie, agroalimentaire, etc.) seraient lourdement pénalisés. Croire que les patrons des entreprises concernées accepteront qu’on touche à leurs marges, croire que les Etats rivaux représentant ces patrons se mettront d’accord pour toucher simultanément aux marges de tous les patrons dans tous les pays, c’est croire au Père Noël. L’échec depuis 20 ans (vingt ans !) des sommets internationaux sur le climat en atteste à loisir. Et cela n’est pas près de changer dans le contexte de la guerre de concurrence qui fait rage depuis 2008 !
Une triple catastrophe
Aucun doute n’est permis : dans le cadre du système, on va à vive allure vers une triple catastrophe écologique, sociale et technologique. Ce dernier aspect ressort clairement des scénarios concoctés par l’Agence Internationale de l’Energie et adoptés, avec des variantes, par l’OCDE, la Banque Mondiale, l’UNEP et d’autres institutions internationales. Pour tenter de concilier la croissance capitaliste avec les objectifs climatiques, sans changer de système énergétique, tous ces organismes avancent en effet les mêmes combinaisons de propositions (le même « mix énergétique ») : tripler le parc de centrales nucléaires ; accroître l’utilisation du charbon, des sables bitumineux et du gaz de schiste ; augmenter considérablement la production d’agrocarburants ; accroître en général l’exploitation de la biomasse, notamment par le recours croissant aux plantes – en particulier aux arbres – génétiquement modifiés… A noter que ces scénarios, s’ils étaient mis en œuvre, permettraient au mieux de limiter la concentration en CO2eq à 550 ppm, ce qui correspondrait à une hausse de température entre 2,8 et 3,2°C… Inacceptable !
Dans tous ces cas de figure, la capture-séquestration du carbone est présentée comme l’œuf de Colomb permettant de poursuivre la combustion des fossiles sans que les quantités de gaz carbonique produites soient envoyées dans l’atmosphère. En réalité, il y a de bonnes raisons de craindre que le déploiement massif et à long terme de cette technologie soit une nouvelle solution d’apprenti-sorcier, une façon de balayer les déchets sous le tapis. D’une manière générale, les écosocialistes devraient s’y opposer… sauf éventuellement dans le cadre bien limité de plans de reconversion des travailleurs occupés dans certaines entreprises polluantes promises à fermeture. A noter que c’est précisément de cette technologie qu’il était question avec le projet ULCOS de Florange. Ce cas montre bien la difficulté de l’articulation concrète du social et de l’environnemental dans le contexte ultra-défensif d’aujourd’hui…
Croissance, non-croissance, décroissance
Du point de vue écologique, la principale faiblesse du Manifeste du PG est, selon nous, de ne pas prendre à bras-le-corps cette formidable question de la transition énergétique et de la politique capitaliste en la matière. Il ne suffit pas de contester la « relance de la croissance du PIB » (Thèse 6), ou de juxtaposer « la nécessaire réduction de certaines consommations matérielles et la nécessaire relance de certaines activités » (Thèse 10) : il faut aller plus loin et admettre que, au moins dans les pays capitalistes développés, une décroissance nette de la production matérielle et des transports est indispensable pour réussir la transition et éviter une transformation irréversible de l’environnement, aux conséquences sociales catastrophiques.
Quelle « règle verte » ?
Il est vrai que le Manifeste assortit la « relance de certaines activités » de « la prise en compte systématique de l’empreinte écologique générée ». Reprenant un thème central de la campagne présidentielle de JL Mélenchon, le texte propose d’instaurer « la règle verte » comme « indicateur central de pilotage de l’économie ». L’explication donnée est la suivante (Thèse 10) : «En plus des dégâts déjà commis à rattraper en matière d’émission de gaz à effet de serre et de perte de biodiversité, nous adoptons comme moyen d’évaluation des politiques publiques, de retarder chaque année le jour du ‘dépassement global’. Il s’agit de la date où nous avons prélevé à l’échelle mondiale le volume de ressources renouvelables égal à ce que la planète est en mesure de régénérer et où nous avons produit les déchets qu’elle est capable de digérer. Notre objectif est de la repousser au 31 décembre, c’est-à-dire de neutraliser notre empreinte écologique. Cela implique la réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre et l’arrêt du nucléaire qui produits des déchets que nul ne sait gérer ».
La réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre et l’arrêt du nucléaire n’étaient pas mentionnés dans la première version de ce texte, soumise en décembre aux Assises pour l’écosocialisme. L’intégration de ces amendements est très positive, mais néanmoins insatisfaisante. D’abord parce que le texte ne va pas au-delà de l’objectif non chiffré et assez vague de « réduire notre dépendance aux ressources épuisables » (Thèse 9). Ensuite parce que « l’empreinte écologique globale » est un indicateur contestable et sans réelle portée pratique :
– Contestable parce que, en amalgamant les prélèvements des ressources renouvelables et non renouvelables pour les rapporter à la population, l’empreinte donne une image biaisée de l’insoutenabilité. Elle dilue la responsabilité majeure des combustibles fossiles (80% environ de l’empreinte résulte de la combustion de ceux-ci) et détourne ainsi l’attention des lobbies du charbon, du pétrole et du gaz. Par contre, elle attire l’attention sur la question de la population, qui est le cheval de bataille des néomalthusiens ;
– Sans portée pratique parce que la soutenabilité de l’empreinte écologique « à l’échelle mondiale » n’engage le gouvernement d’un pays particulier que si elle est déclinée en objectifs nationaux concrets, mesurables et vérifiables en fonction de la responsabilité historique du pays considéré dans la « crise écologique globale». Or, cette déclinaison nationale n’est pas si simple à réaliser.
Faire face à l’urgence en adoptant une « règle verte » est certainement une idée à maintenir, mais l’indicateur choisi doit être pertinent, clair, mesurable et vérifiable. L’empreinte écologique frappe l’imagination (« il faudrait trois planètes ! ») mais crée aussi beaucoup de confusion. Il s’agirait plutôt d’adopter une loi stipulant que, tout en sortant du nucléaire, et sans avoir recours aux « crédits de carbone », la France diminuera chaque année ses émissions de CO2 fossile dans une proportion telle que le pays atteigne au minimum 80 à 95% de réduction d’ici 2050, en passant par une étape intermédiaire de 25 à 40% en 2020 (par rapport à 1990)… et en visant plus de 100% (c’est-à-dire des émissions négatives) entre 2050 et 2100.
Internationalisme : encore un effort !
L’adoption d’une telle loi est un des moyens par excellence par lequel la France – ou n’importe quel autre pays capitaliste développé – peut « assurer sa responsabilité devant l’humanité en supprimant la dette écologique ». Mais ce n’est pas le seul. A cet égard, beaucoup de choses importantes et justes sont dites à la Thèse 17, sur la dimension internationale de l’écosocialisme (« Porter un combat internationaliste et universaliste »). Cependant, le texte passe à côté du problème principal : comment concilier la stabilisation du climat avec le droit au développement des peuples du Sud ? Le défi, répétons-le, est tout simplement gigantesque. D’un côté, trois milliards d’êtres humains souffrent du fait que leurs besoins essentiels ne sont pas ou mal satisfaits : il faudrait donc produire davantage. De l’autre, les contraintes climatiques à respecter d’ici 2050 interdisent de relancer massivement la production matérielle au niveau global, et commandent même de la réduire dans les pays développés.
Quelle est l’issue ? Personne ne peut décemment prétendre avoir la réponse clé en main. Il est cependant insuffisant d’écrire que l’on « contribue aux débats pour lier politiques de développement et de progrès social et préservation de l’environnement » et que l’on soutient la démarche de « l’initiative Yasuni ITT ». Le PG reconnaît « la responsabilité des pays dits du Nord, de l’Organisation mondiale du commerce, du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale vis à vis des peuples du Sud ». Il devrait en tirer quelques conclusions programmatiques : outre l’adoption unilatérale par la France d’un plan de réduction des émissions de gaz à effet de serre, il s’agirait par exemple d’annuler la dette, de ne pas importer d’agrocarburants, de reconnaître le droit à la souveraineté alimentaire, de dénoncer REDD+, de transférer gratuitement des technologies vertes et de verser – sous forme de dons, pas de prêts ! – des sommes pour l’adaptation aux changements climatiques. Ces quelques mesures nous semblent indispensables à un internationalisme écosocialiste conséquent.
Stratégie transitoire
Les rapports scientifiques sur le « changement global » en attestent : le défi énergétique/climatique est le problème environnemental et social majeur auquel le genre humain doit faire face. C’est à partir de cette question centrale que les écosocialistes doivent élaborer ensemble une stratégie, un programme, des tactiques, des formes de lutte. Il ne s’agit pas de prendre des postures idéologiques, de surenchérir sur le PG par purisme ou d’être plus radical que lui en vertu de dogmes sacrés. Il s’agit de prendre la mesure de l’extrême gravité de la situation objective, et d’en tirer sobrement les conclusions politiques qui s’imposent. Celles-ci ne peuvent être que radicalement anticapitalistes et internationalistes. C’est le fondement même du mode de production qui est en cause. Le Manifeste du PG le dit aussi, et c’est dans ce cadre commun que le débat peut avoir lieu.
Comment faire ? Toute la difficulté stratégique réside dans le gouffre béant entre la nécessité impérieuse d’une alternative (éco)socialiste et le niveau de conscience actuel des populations, en particulier des exploité-e-s et des opprimé-e-s. C’est pour combler ce vide, pour jeter un pont sur ce gouffre qu’il importe de répondre à la fois aux demandes sociales et aux urgences écologiques à travers un programme de revendications qui permette d’amorcer la rupture. Il semble évident que ce programme doit mettre en perspective la formation d’un gouvernement capable de l’appliquer – aux niveaux national, européen et mondial. Mais la formation d’un gouvernement ne devrait pas justifier le rabaissement du programme au-dessous du niveau permettant effectivement la rupture. On peut douter qu’il y ait accord sur ce point quand on se souvient que Jean-Luc Mélenchon, à quelques jours des Assises pour l’écosocialisme, se déclarait candidat au poste de Premier Ministre d’un gouvernement de gauche avec le PS et les Verts…
Expropriation de l’énergie et de la finance
Dans sa première version, le Manifeste du PG revendiquait la nationalisation de l’énergie, pas celle de la finance. Cette lacune a été corrigée. Il faut s’en réjouir car l’expropriation des lobbies de ces deux secteurs très imbriqués est vraiment une condition sine qua non de la rupture. Elle trace le cadre au sein duquel peuvent être déclinées toute une série de revendications écosocialistes grandes et petites, allant de la création de régies publiques municipales pour l’isolation et la rénovation des logements jusqu’à la gratuité des transports en commun, en passant par l’encouragement à l’agriculture organique de proximité, l’interdiction de l’obsolescence programmée, la gratuité des services (eau, électricité, mobilité, chauffage) jusqu’à un niveau correspondant aux besoins de base (avec tarification rapidement progressive au-delà), la reconversion des salarié-e-s des entreprises polluantes avec maintien de leurs acquis, la réduction généralisée du temps de travail à 30 heures sans perte de salaire, etc. En-dehors de ce cadre, ce programme perd sa cohérence et se délite en mesures éparses dont certaines sont digérables par le système, d’autres pas.
Un gouvernement qui s’engagerait à appliquer un programme de rupture digne de ce nom serait immédiatement confronté à la riposte de la bourgeoisie internationale, notamment à travers l’Union Européenne. Il devrait protéger sa politique de celle-ci. Pas au nom de la nation, mais au nom d’une autre Europe à construire, une Europe dont sa politique donnerait un avant-goût aux autres peuples. Quoique le Manifeste ait été amélioré sur ce point (Thèse 16 : « Si l’échelon européen peut être pertinent pour de grandes politiques environnementales et sociales, leur mise en œuvre ne sera possible que par la construction d’une autre Europe, sous le contrôle démocratique des peuples »), il conviendrait d’avoir une démarche plus offensive encore, pointant la nécessité d’une assemblée constituante des peuples d’Europe. Car c’est seulement au niveau du sous-continent qu’un programme écosocialiste digne de ce nom peut se déployer. A travers la mise sur pied de services publics européens de l’énergie, de l’eau, des transports, du logement. A travers une réorientation de la recherche et de l’industrie vers les besoins de ces services. A travers une gestion commune des ressources naturelles.
Autogestion ou étatisme ?
Le Manifeste du PG a raison de conclure (Thèse 18) que « compte tenu de l’ampleur de son objectif, la remise en cause du modèle productiviste capitaliste ne peut résulter d’une simple alternance électorale et de décisions venues d’en haut ». En effet, cette remise en cause n’est possible que par une mobilisation sociale en profondeur. Une mobilisation de toutes et tous, quelles que soient leurs convictions philosophiques et religieuses. Ce point mérite sans doute discussion. Pour nous, il n’y a par exemple aucune raison que la participation au combat écosocialiste soit subordonnée à l’acceptation de la laïcité telle que le PG la conçoit. Cette condition va à l’encontre de l’unité nécessaire et urgente contre les catastrophes imminentes. La gestion de l’écosystème Terre « en bon père de famille » est compatible avec le fondement humaniste de toutes les religions, de toutes les cosmologies. Pour peu qu’ils luttent pour des revendications qui émancipent les hommes et les femmes en pratique – sur Terre, pas au ciel – peu importe que les acteurs croient en Dieu ou pas.
Le point clé est que cette mobilisation soit couplée à une auto-organisation démocratique. Imposer le contrôle des salarié-e-s dans les entreprises, élire des comités de grève, occuper les entreprises en cas de grève, former des comités d’habitant-e-s qui exigent de déterminer eux-mêmes les critères et les priorités des municipalités, encourager les luttes de masse contre les projets technologiques délirants (tels que Notre Dame des Landes), favoriser partout les liens directs entre producteurs et consommateurs pour se passer de la médiation du capital et du marché, appuyer la lutte autonome des femmes et de tous les opprimé-e-s : telle est la voie à suivre.
Le Manifeste du PG fait des pas importants dans cette direction, en évoquant « l’intervention continue des salariés dans la gestion des entreprises » et des « conférences de participation populaire pour redéfinir les critères d’utilité sociale et environnementale et l’articulation entre les différents échelons » de la « planification écologique » (Thèse 13). Mais ces propositions gagneront à être précisées car, d’une manière générale, la perspective du Manifeste est davantage étatiste et centralisatrice qu’autogestionnaire et décentralisée. Elle fait l’impasse sur la nature de classe de l’Etat, pare la République française de vertus qu’elle n’a pas et présente pour ainsi dire une conception « top-down » de l’émancipation socialiste (Thèse 4 : « l’émancipation de la personne humaine passe par le partage de la richesse, la démocratisation du pouvoir et l’éducation globale »).
La voie à suivre est longue et difficile, semée d’embûches. C’est celle du combat pour une alternative anticapitaliste. « Depuis longtemps, le monde possède le rêve d’une chose dont il lui suffirait de prendre conscience pour la posséder réellement », disait Marx. Cette chose aujourd’hui est l’écosocialisme, rêve d’une humanité qui entretiendra collectivement le jardin de la Terre avec joie, prudence et responsabilité. Il n’y a ni raccourci ni sauveur suprême. La conscience de la possibilité concrète de cette chose ne peut se forger que dans l’action solidaire, dans la lutte sans frontières contre ce système absurde, qui porte en lui la catastrophe écologique et sociale comme la nuée porte l’orage.
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