Anticapitalistes, comment rebondir ?
À partir d’un bilan critique de la LCR puis du NPA, mais aussi d’Ensemble et de la France Insoumise, ce texte revient sur les limites voire les impasses qui ont émergé dans la gauche radicale française depuis les années 2000, et avance des propositions concernant les formes d’organisation et les options stratégiques nécessaires à la relance d’une politique d’émancipation ici et maintenant.
Rédigé par des militant·es ou d’ancien·nes militant·es d’Ensemble!, ce texte est la première contribution à un débat tactique et stratégique que Contretemps souhaite stimuler parmi les anticapitalistes.
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Il n’y aura pas de retour à la normale. La pandémie du Covid-19 est le premier phénomène mondial auquel l’écrasante majorité de la population est confrontée de manière quasi concomitante. Elle révèle les contradictions et les limites actuelles du capitalisme en mettant à nu et en aggravant les contradictions du modèle actuel d’accumulation de capital : chaînes de production étirées et à flux tendu, zéro stock, planification rendue impossible par le recours au tout marché et donc États incapables de répondre de manière rapide et efficace, systèmes de santé affaiblis… Mais elle entre aussi en résonance avec une crise écologique et climatique dont l’accélération et les manifestations de plus en plus dramatiques (destruction de la biodiversité, déforestation accélérée, fonte des glaces, développement d’une agriculture intensive et industrialisée…) menacent les équilibres naturels et la survie même de la civilisation humaine s’il n’y a pas de rupture écosocialiste avec le capitalisme.
Face à l’épuisement de leur projet, incapables de proposer un horizon « souhaitable » pour le plus grand nombre, les tenants du néo-libéralisme ne font plus que recycler formules et symboles anciens… parfois jusqu’à la caricature[1] En France, Macron a très vite refusé de proposer un projet néo-libéral inclusif qui aurait pu prendre la forme d’identity politics libérales à la française, et il a plutôt fait le pari d’un néolibéralisme autoritaire et réactionnaire, qui fracture la population en attisant les haines racistes[2].
Le problème est que face à Macron, les forces antilibérales et anticapitalistes, ainsi que le mouvement ouvrier en crise, sont incapables de proposer une alternative crédible. C’est paradoxal alors que la critique du capitalisme est désormais audible largement. Est-ce parce que le marxisme et le communisme, qui restent des outils majeurs pour identifier les contradictions du capitalisme et la crise écologique, mais aussi pour comprendre et changer les rapports d’exploitation et de domination, ne sont plus défendus par des acteurs politiques qui pèsent ?
Le retour de l’idée communiste chez de plus en plus de penseurs radicaux et le relatif regain d’intérêt observable dans une partie très minoritaire de la jeunesse se heurte en effet à l’absence de partis politiques ayant une audience significative et capables de forger des réponses stratégiques dans le feu des contradictions du capitalisme et de l’intérieur même des luttes. Et quand ces idées radicales sont mobilisées, c’est trop souvent par des petites organisations et trop souvent avec un rapport fétichiste et dogmatique au marxisme, tentation qui se renforce chez les anticapitalistes à mesure que les défaites sociales s’accumulent et que notre impuissance à peser dans le champ politique grandit.
Dans le contexte de crise multiforme du capitalisme qui précédait la pandémie, la situation des organisations politiques de la gauche se réclamant du marxisme et se situant dans une perspective de rupture révolutionnaire s’est dégradée, par rapport à une dizaine d’années plus tôt. Le nombre de membres de ces organisations a reculé, l’implantation dans des cadres de masse a régressé et la surface électorale s’est rétrécie.
Pour nous, il est temps que les anticapitalistes rompent avec le commentaire politique stérile et les interminables débats stratégiques abstraits. La restructuration du champ politique et la marginalisation des anticapitalistes nous forcent aujourd’hui à nous reposer la question d’une structuration spécifique des anticapitalistes.
Mais s’il faut s’y remettre, commençons par ne pas nous épuiser à refaire les mêmes erreurs qui nous ont fait tant de mal par le passé et prenons le temps d’aborder à nouveau certains débats de fond pour préciser notre projet, ses lignes de force et ses délimitations.
Se garder de l’illusion sociale et de l’illusion politique
L’illusion sociale : du contre-pouvoir impuissant à l’insurrection qui ne vient pas
Entre 1995 et 2006, la France a connu une période de mobilisations puissantes et victorieuses (grèves de 1995 contre le plan Juppé sur les retraites, mouvement contre le Contrat Premier Embauche de 2006, campagne du « non de gauche » pour bloquer le Traité Constitutionnel Européen…), faisant écho à des victoires partielles et à un renforcement des luttes sociales à travers la planète.
L’absence d’un horizon politique commun et la crise des principaux partis de gauche a eu comme effet le retour de ce que Daniel Bensaïd appelle l’ « illusion sociale », le fait « que la société peut être transformée seulement à travers les institutions du monde social – la sphère du travail, les coopératives de consommateurs, les associations, les syndicats et d’autres projets d’autogestion – sans affronter le problème du pouvoir politique et de l’État bourgeois moderne »[3]. Changer le monde sans prendre le pouvoir écrivait en 2002 John Holloway, obnubilé par l’idée de « se protéger de la contamination bureaucratique en restant à l’écart de la lutte politique des partis et de ses moments électoraux », tout en affirmant « l’autosuffisance des mouvements sociaux et la possibilité de faire l’économie d’un moment politique ». Daniel Bensaïd avait très bien analysé à l’époque les impasses stratégiques de ce raisonnement[4].
Mais les contre-pouvoirs ne se sont pas mués en pouvoir et avec le choc de l’arrivée de Jean-Marie Le Pen au deuxième tour en 2002, la défaite de la grève de la fonction publique dont la force motrice principale a été les enseignants en 2003 et la multiplication des reculs du mouvement social, il était devenu clair pour des secteurs militants importants que les grèves et les manifestations ne suffiraient pas à imposer une rupture et qu’il ne serait pas possible de contourner la politique institutionnelle et électorale. Désormais, la question était comment créer une alternative politique large et unitaire pour imposer un programme de rupture.
Sauf que la LCR (Ligue Communiste Révolutionnaire) puis le NPA (Nouveau Parti Anticapitaliste) ne se sont jamais vraiment libérés de cette illusion sociale. L’alternative politique reste pour eux le produit presque miraculeux du renforcement des luttes et de leurs convergences conjuguées à des démonstrations électorales, la grève générale insurrectionnelle débouchant naturellement sur une situation de double pouvoir et la rupture avec le capitalisme. Dans ces conditions, plus besoin de stratégie proprement politique et encore moins d’élaborer des stratégies électorales, l’élection n’ayant de valeur que comme tribune.
En France, cette illusion a pu se perpétuer pendant quelques années dans la gauche anticapitaliste à la fin des années 1990 et au début des années 2000 parce que le renforcement des luttes sociales et la participation des organisations de gauche réformiste à la « gauche plurielle » (1997-2002) a laissé le champ libre aux organisations marxistes révolutionnaires (LO mais surtout LCR) pour capitaliser sur les insatisfactions suscitées par les années Jospin. Elle a profondément influencé la réflexion des nouveaux-elles militant-es de ces organisations, en particulier la LCR qui doubla son nombre de membres après 2002 (en passant d’environ 1 500 militants à près de 3 000).
La création du NPA, aboutissement d’une réflexion entamée dès 1991 au moment où la LCR élabore la formule « nouvelle période, nouveau programme, nouveau parti », s’inscrivait parfaitement dans cette illusion. L’objectif était d’aspirer l’essentiel des énergies militantes anticapitalistes ou même, plus simplement, en rupture avec l’ordre existant, et, surtout, d’occuper seul l’espace à la gauche du Parti Socialiste mais en contournant de fait la question unitaire et le problème des élections et des institutions. Ce fut un échec cuisant.
La direction de la LCR puis du NPA a surévalué la montée en puissance des luttes des années 2000 et l’érosion du reste de la gauche sociale et politique. Début 2009, alors qu’il y avait des millions de manifestants dans la rue dans l’Hexagone et que la Guadeloupe était bloquée contre la « pwofitasyon », l’appel à « des LKP partout » de Besancenot collait à une demande de radicalité sociale face à la violence des politiques néolibérales. Mais le NPA sous-estimait déjà à l’époque le découragement qui montait même dans les rangs des franges les plus combatives du mouvement ouvrier à force de défaites et sous-estimait aussi les aspirations à l’unité dans les urnes après la victoire électorale lors du référendum de 2005. Avec l’accumulation des défaites sociales, la stratégie électorale, en particulier l’élection présidentielle dans le contexte français, est devenue encore plus importante comme instrument investi par les fractions de la classe laborieuse en résistance.
Ce décalage entre les aspirations unitaires à la construction d’une force large et qui pèse et la stratégie du NPA (à l’instar de la LCR dans sa dernière période) a fait que le NPA s’est fracassé sur la question de « l’unité ». Les plateformes de congrès se sont constituées essentiellement par rapport à cette question et sa principale scission, la « Gauche Anticapitaliste », a rejoint le Front de Gauche en 2012. Dans cette compréhension, dès lors que la tâche dans la sphère politique se résume à une « démonstration » des « marxistes-révolutionnaires » (éventuellement par leur score, plus généralement par l’affirmation de leur existence), alors toute politique électorale en commun avec des forces considérées comme réformistes met en danger l’ensemble de l’activité de l’organisation.
Aujourd’hui, nous ne sommes pas sorti-es des impasses de l’illusion sociale, en partie parce que les courants de gauche ont été incapables de faire émerger une alternative politique crédible. Sauf que cette « illusion sociale » s’est largement diffusée depuis. Elle ne concerne plus seulement des secteurs militants du « mouvement social », comme la mouvance anarchiste et libertaire. Elle s’exprime aussi dans la mobilisation des Gilets Jaunes, quelle que soit sa portée subversive, mais aussi dans les variations sur la « destitution » autour de la mouvance Lundi.am-Comité Invisible.
L’illusion politique : à la recherche de la révolution citoyenne perdue
Si tout ne se joue pas dans la rue et par en bas, tout ne se joue pas non plus par en haut et par les urnes. La « révolution par les urnes » de Mélenchon est tout autant une impasse que le fantasme de l’insurrection spontanée.
L’« illusion politique », c’est à dire « le fait de considérer que la société peut être transformée seulement à travers les institutions de la politique représentative – à commencer par le cycle électoral parlementaire – sans intervention des luttes sociales »[5] est l’autre face symétrique de l’illusion sociale. Dans cette conception, les organisations politiques sont toutes entières tournées vers la prise du pouvoir par les urnes, la stratégie politique se limitant à l’organisation des campagnes électorales et éventuellement aux jeux d’alliances entre partis. L’intervention militante collective dans les mouvements sociaux devient ainsi un enjeu secondaire et les mobilisations sociales une question externe.
Cette illusion politique a inspiré fortement la stratégie du Front de Gauche et lui a permis de supplanter le NPA parce que cela collait davantage aux aspirations du mouvement social et des catégories populaires du moment. Mais cette stratégie ne lui a pas permis de s’ancrer durablement dans le pays, miné qu’il était par les divisions entre le Parti de Gauche priorisant sa construction sur tout autre considération et le PCF préoccupé par la préservation de son appareil et de ses positions institutionnelles acquises à la faveur d’alliances locales avec un PS dérivant de plus en plus à droite.
La réponse populiste de gauche de Mélenchon a permis à la France Insoumise (FI) de profiter de la crise d’un parti socialiste plombé par le mandat calamiteux de François Hollande. Le lexique populiste de Laclau et de Mouffe a eu le mérite de proposer une réponse pragmatique à l’émiettement de la gauche et du mouvement social pour sortir rapidement de la résignation alors que l’extrême-droite apparaissait comme plus en mesure que la gauche de transformation sociale de s’imposer comme le débouché politique des colères sociales.
Mais ce lexique « populiste de gauche » n’est au final qu’un bricolage idéologique qui contourne plutôt qu’il ne règle le problème de l’affaiblissement de la conscience de classe, de l’émiettement du mouvement ouvrier et de la gauche. Ce n’est finalement qu’une tentative de recréer l’antagonisme social qu’ont cherché à éclipser les classes dominantes mais pour faire vivre sous perfusion une radicalité politique antilibérale. C’est indéniablement positif mais c’est loin d’être suffisant dans une période où l’extrême-droite est candidate à court-terme au pouvoir. Et comme tout expédient, cette solution était temporaire et la FI n’a pas su transformer l’essai des présidentielles et des législatives.
La structuration et le fonctionnement de la FI, qui n’a jamais voulu réellement organiser en son sein la confrontation des idées qui traversent la société et le mouvement social, ne lui ont pas permis d’être un creuset de la recomposition politique à gauche. Et son refus de jouer un autre rôle que de soutien passif et de relais électoral des luttes sociales lui a interdit de jouer un rôle positif dans la convergence et la radicalisation des luttes. La FI s’est contentée de vouloir apparaître comme le débouché électoral des colères sociales, la voix d’un peuple mythifié et non comme un véritable acteur politique engagé dans la reconstruction d’une conscience de classe en crise.
La politique a aussi besoin de partis
La faillite et les nombreuses trahisons de la social-démocratie française, l’accumulation des défaites, l’absence prolongée d’une alternative politique de masse, le développement du carriérisme et de la bureaucratisation dans les vieux partis de gauche, la crise du modèle stalinien pyramidal et du modèle trotskyste avant-gardiste du parti ont contribué à délégitimer durablement la forme classique de l’organisation politique, le parti.
De nouvelles formes d’organisation dites citoyennes, plus « liquides », plus « gazeuses », se sont imposées comme des alternatives à une forme d’organisation considérée désormais comme un obstacle en soi à l’émancipation collective et à l’action politique. Sans doute faut-il s’adapter aux nouvelles façons de faire de la politique, en particulier depuis le développement des réseaux sociaux. Aujourd’hui de nombreux-ses militant-es font de la politique hors des partis politiques. Mais peut-on vraiment se passer totalement du parti politique comme lieu d’élaboration démocratique où se tranchent les débats d’orientation stratégique ?
L’abandon de la forme parti au profit d’une structuration en mouvement citoyen « gazeux » entretient le flou sur la façon dont sont réellement arbitrés et tranchés les désaccords. La figure mythifiée du citoyen et du peuple ne peut pas jouer le rôle historique dévolu au parti et la forme mouvement ne protège absolument pas des problèmes de démocratie et de bureaucratisation.
Au final d’ailleurs, cela a eu comme effet une régression démocratique et une vraie difficulté à organiser sur la durée la confrontation des idées et des options stratégiques tant au Front de Gauche qu’à la France Insoumise.
Si les démarches au consensus peuvent réinterroger de manière féconde certaines pratiques de construction d’un mouvement social, elles trouvent leur limite quand il s’agit de délibérer et de trancher entre des orientations politiques contradictoires qui coexistent au sein d’un même mouvement politique.
L’« illusion citoyenniste » évacue le problème des antagonismes et des superstructures générées par le système capitaliste au profit d’un recours à une parole fétichisée d’un peuple dont on oublie un peu facilement qu’il est traversé par des dynamiques contradictoires, y compris réactionnaires, a fortiori dans une période de défaites. La parole de la figure du citoyen se retrouve sacralisée tout en étant dépolitisée, avec tous les dangers aventuristes et plébiscitaires que cela peut encourager.
D’une certaine manière, Ensemble ! est le produit indirect de la crise des vieux partis de la gauche anticapitaliste et communiste. Créé au sein du Front de Gauche, il en a subi de plein fouet la crise et la disparition. Son déclin a été accéléré par l’absence d’une compréhension commune du sens d’une organisation politique. La disqualification même d’une organisation nationale avec le principe de la souveraineté absolue des collectifs locaux, le règne de l’informel, de la substitution du droit de véto fétichisé à la recherche légitime d’accords politiques larges dans l’organisation ont entraîné la dévitalisation des débats par absence de possibilités réelles de trancher sur la plupart des questions tactiques. L’amorphie organisationnelle ne pouvait aboutir qu’à ce que s’estompent des règles formelles et claires qui sont pourtant indispensables à une démocratie militante et inclusive. Aujourd’hui, Ensemble !, sans réelle boussole stratégique lisible, incapable de trancher collectivement, se contente de commenter la vie politique et au mieux de se faire l’entremetteur politique entre les différentes organisations de gauche.
Il est temps de reconnaître qu’il n’y a pas de raccourci. La dégénérescence des vieux partis politiques nous oblige à repenser les pratiques militantes et démocratiques partidaires mais ne nous dispense pas de recréer des partis rénovés et adaptés à la période.
La démocratie partidaire reste un garant de la lutte pour une démocratie socialiste et « un moyen de résister dans une certaine mesure aux effets dissolvants de l’idéologie dominante ». Comme l’écrit Daniel Bensaïd, sans parti,
« Comment éviter qu’une collectivité volontairement réunie autour d’un projet politique ne voit sa souveraineté vidée de contenu par la logique marchande, le plébiscite médiatique permanent, ou un centralisme démocratique présidentialiste inavoué ? »
Exploitation, lutte des classes et sujet révolutionnaire
Le cercle vicieux des défaites combiné avec la fin des grandes unités de production et le développement de la sous-traitance ont profondément reconfiguré l’organisation du travail. Une grande partie des travailleurs-es travaillent dans des unités de production de taille modeste, sans la moindre organisation liée à leur activité professionnelle, ou a minima pour répondre aux obligations de représentation du personnel. L’émiettement et la dispersion des collectifs de travail, la précarisation et le chômage de masse ont entraîné un émiettement des luttes et la crise de la conscience de classe. Cette crise percute de plein fouet les vielles organisations historiques du mouvement ouvrier et a fait disparaître la figure du prolétaire comme sujet révolutionnaire qui fait l’histoire.
On parle de moins en moins de l’ouvrièr-e ou du/de la prolétaire comme sujet révolutionnaire mais plutôt de la « multitude » ou du « peuple ». Comme si l’exploitation de la force de travail ne jouait plus qu’un rôle marginal dans l’émergence d’une conscience de classe.
Avec le mouvement des « Gilets Jaunes » émerge une nouvelle figure politique, manifestation politique de cette population relativement éloignée de la conflictualité sur le lieu de travail, pour qui les contradictions sociales se manifestent sous des formes directement politiques, en particulier la fiscalité directe ou indirecte. Mouvement bousculant les schémas établis, diffusé par les réseaux sociaux, bénéficiant de la bienveillance des mass medias capitalistes dans un premier temps, se réclamant apolitique, les Gilets Jaunes avaient leurs propres modes d’action et ont eu très rapidement un soutien très large dans la population.
S’il est difficile de quantifier la participation à différentes formes d’action des Gilets Jaunes, il semble que cette participation n’a généralement pas dépassé des grandes journées de mobilisation sociale appelées par les syndicats. En revanche, « qualitativement », les modalités d’action avec occupation de l’espace public et les manifestations (parfois très) conflictuelles avec la police ont significativement marqué le pays. Loin des fables des mass medias, tous les témoignages convergent pour indiquer que cette conflictualité pouvant aller jusqu’à l’émeute urbaine n’était pas l’œuvre uniquement ou principalement de « black-blocs », de jeunes « professionnels de l’émeute » (sic) mais bien de personnes souvent modestes, manifestant peu ou jamais, attachées parfois au drapeau tricolore mais dont la colère contre le pouvoir pouvait les amener à envoyer des pavés contre des CRS.
Il faut chercher à comprendre et intégrer ces nouveaux mouvements, porteurs de formes innovantes de radicalité sociale, certes pas pour entériner l’émiettement mais pour recréer une cohérence prolétaire, seule façon de lier exploitation économique, conscience de classe et lutte de classe. La figure du/de la prolétaire apparaît comme la seule catégorie capable d’embrasser la globalité des masses laborieuses qui, au-delà de leurs conditions de vie parfois très différentes, partagent le destin commun de ne pouvoir vivre « qu’à la condition de trouver du travail et qui n’en trouvent que si leur travail accroît le capital »[6].
Anticapitalisme et antiracisme
Mais attention néanmoins, un-e prolétaire ne se définit pas uniquement par sa place dans les rapports de production. Il/elle peut aussi subir des rapports d’oppression de race et/ou de genre. L’antiracisme est donc un élément stratégique de toute politique émancipatrice. Toutefois, il ne faut pas concevoir l’antiracisme juste comme une lutte importante juxtaposée à la lutte économique en tant que phénomène ahistorique existant toujours et de tout temps de manière similaire. Le racisme, à l’instar du patriarcat, est constitutif de la genèse même de la société capitaliste tout en étant reconfiguré par celle-ci. Cela permet de concevoir un antiracisme comme partie constitutive d’une stratégie d’unification du prolétariat parce qu’elle reconnait sa diversité et l’existence d’oppressions structurelles spécifiques en son sein.
C’est un levier puissant de division aux mains des capitalistes. Polémiques sur le voile, sur le burqini, discours sur l’ensauvagement de la société, projet de loi à venir sur le « séparatisme », version reformulée du « communautarisme », carte blanche donnée à la police par le gouvernement qui cautionne de fait les violences policières et le racisme institutionnel dans la police, il y a une volonté de diviser les catégories populaires et de faire des racisé.es, migrant-es ou non, des boucs émissaires de la crise.
Pourtant, la gauche en France, y compris la gauche radicale, a toujours eu du mal à avoir une approche dialectique de la religion et a souvent hésité à se solidariser avec les musulmanes discriminées en tant que telles, craignant de cautionner des discours réactionnaires. Cela tient à un raisonnement excessivement simpliste de lutte contre la « réaction » adoptant une approche non différenciée entre oppresseurs et opprimés, qui refuse de poser la question principielle du rassemblement des exploitées. Le port du hidjab est devenu pour de nombreux-ses militant-es et responsables la pointe avancée d’une réaction religieuse globale, quel que soit le contexte, une pratique qui doit être découragée quelles qu’en soient les conséquences politiques. Or, une stratégie anticapitaliste intègre forcément en son cœur la nécessité d’une politique antiraciste qui défende jusqu’au bout et de manière concrète les racisées, y compris donc les musulmanes et les femmes voilées. Face au harcèlement raciste systématique dont sont victimes les femmes voilées, hésiter à défendre une femme portant un hidjab revient à renoncer à une stratégie anticapitaliste.
Autre erreur faite trop souvent par la gauche française dans son ensemble, le fait de résumer le racisme à des questions de bavures et de dérives individuelles qu’on pourrait combattre grâce à un antiracisme moral résolu, alors que le racisme doit être considéré comme un rapport social structuré par en haut par les classes dominantes et par l’État. Notre antiracisme doit donc forcément être politique, dans le sens où il s’attaque à des rapports sociaux structurels d’oppression et à des politiques ou des discours d’État bien davantage qu’à des individus racistes malfaisants et immoraux.
L’antiracisme politique est en effet la seule arme efficace face au racisme systémique, une arme qui permet d’ailleurs aussi de penser le croisement et l’articulation des rapports de domination de genre et de race et les rapports d’exploitation en refusant de les opposer, de les hiérarchiser ou de les isoler.
Il est urgent de rompre avec le vieil antiracisme moral à la SOS racisme et d’assumer pleinement la lutte contre l’islamophobie et le racisme systémique. La manifestation du 10 novembre 2019 contre l’islamophobie, qui a vu une partie de la gauche et du mouvement social manifester aux côtés des associations musulmanes, des collectifs et militant.es de l’antiracisme politique, était une vraie avancée. Les mobilisations contre les violences policières systémiques lancées par le Comité Adama dans le sillage de Black Lives Matter aussi.
Cependant, suite aux attentats terroristes d’octobre 2020, on assiste à une offensive généralisée du gouvernement, du Printemps Républicain, de la droite et de l’extrême-droite qui instrumentalisent ces attentats pour stigmatiser les musulman(e)s et imposer des réformes qui sapent l’État de droit. Les militantes et collectifs de l’antiracisme politique et une partie de la gauche sont caricaturés comme « islamo-gauchistes » et sommé-es de se fondre dans une union nationale islamophobe et autoritaire. Plus que jamais, il y a un enjeu stratégique à construire un front antiraciste large avec toutes celles et tous ceux qui refusent l’islamophobie et le racisme systémique. Et cela aurait dû commencer par une mobilisation contre l’interdiction d’associations comme le CCIF, le projet de loi contre le séparatisme et l’ensemble des lois liberticides.
Anticapitalisme et féminisme
Un autre défi des anticapitalistes est de prendre en compte la nouvelle phase de mobilisation féministe et l’émergence de nouvelles générations féministes avec le mouvement #Metoo et ses multiples déflagrations. Elles ont permis des avancées, au moins dans les esprits et dans les termes dans lesquels le débat public est posé aujourd’hui sur ce sujet. Manifestations et actions contre le harcèlement sexuel et les violences sexistes et sexuelles, batailles pour le droit à l’avortement, reconnaissance de la « charge mentale », luttes pour l’égalité professionnelle et pour une répartition égalitaire des tâches liées au travail reproductif : les combats féministes retrouvent un second souffle sur toutes ces questions.
Le féminisme ne peut plus être traité comme une question secondaire ou comme la simple défense d’une égalité formelle entre les femmes et les hommes. C’est d’autant plus stratégique dans un contexte où un féminisme d’État s’est développé, sous la forme de discours et de politiques publiques chargées de promouvoir les droits des femmes et l’égalité femmes-hommes mais qui au final instrumentalisent ces thématiques à des fins racistes et néo-impérialistes tout en imposant un féminisme libéral et individualiste.
Ce féminisme d’État vise souvent à donner un vernis progressiste et égalitaire à des politiques néolibérales qui aggravent les inégalités sociales à commencer par les inégalités femmes-hommes. Le féminisme néolibéral défend plus l’égalité des chances que l’égalité des droits, cautionnant l’idée que l’égalité réelle est d’abord une affaire de responsabilité individuelle, chaque femme étant formellement « libre » de choisir sa vie. Ce féminisme privilégie au final les femmes bourgeoises.
Un féminisme du plus grand nombre passe au contraire par une émancipation collective des femmes en première ligne face aux politiques néolibérales et qui subissent de plein fouet les inégalités de salaire, la précarité, le chômage, la pauvreté et les discriminations. Il ne peut faire l’économie de penser la diversité des vécus et la pluralité des modalités de l’oppression sexiste. Le vécu et les luttes des femmes musulmanes portant un foulard, des femmes de ménage ou des femmes de chambre souvent racisées doivent être davantage visibilisé-es, passer de la marge au centre du débat et de l’action.
En effet, un féminisme qui analyse et fait siennes dimension anticoloniale et dimension anticapitaliste peut appréhender pleinement cette pluralité. Il porte au cœur de sa stratégie la lutte collective et la construction de solidarités, avec l’auto-émancipation des femmes pour horizon. À l’instar du racisme, le patriarcat est une composante structurelle de la société capitaliste. C’est pourquoi l’une des voies possibles et a priori souhaitables est la construction d’un mouvement de masse en lien avec les syndicats, la gauche, les organisations antiracistes, pour pouvoir faire reculer l’offensive actuelle des mouvements d’extrême-droite populistes contre les droits des femmes.
Dans tous les cas, les débats spécifiques au mouvement féministe, mais aussi en lien avec le mouvement LGBTI, sont essentiels à la politisation des masses et à la revendication et aux gains de nouveaux droits. Ils contribuent également à l’élaboration d’une stratégie politique d’émancipation, notamment dans les rapports et les délimitations entre mouvement autonome et coalitions ou fronts larges, un débat essentiel relancé dernièrement en France par la féministe lesbienne radicale Alice Coffin et qui apparaît comme incontournable depuis la publication du manifeste de l’organisation Black Feminist Combahee River Collective à la fin des années 1970.
La gauche anticapitaliste doit donc clarifier un certain nombre de défis stratégiques pour pouvoir sortir de sa marginalité politique. Elle n’a pas réussi au cours des années 2010 à faire émerger une alternative politique stable ni à articuler radicalité et politique de masse. Face à l’échec du Front de Gauche puis aux difficultés de la France Insoumise, il faut prendre des initiatives politiques pour sortir de l’émiettement des anticapitalistes. Mais quitte à recommencer, autant éviter de reproduire les mêmes erreurs que dans les années 2000-2010. Bref, comment faire ?
Anticapitalistes, communistes, qui sommes-nous ?
Acter la pluralité de l’anticapitalisme, y assumer un marxisme « ouvert »
D’abord, que faire de la notion d’anticapitalisme ? S’il ne pose aucun problème pour nous de nous définir comme anticapitalistes, est-ce que cela est suffisant ? Par exemple, il est difficile de décréter unilatéralement que le NPA l’est et de dire le contraire au sujet de la FI… alors que J-L. Mélenchon se réclame explicitement de l’anticapitalisme en plus de la « révolution citoyenne ». Mais nous ne pouvons pas nous satisfaire non plus d’un anticapitalisme sans rivage. Anticapitalisme ne peut pas être simplement le synonyme d’une radicalité floue. Peut-on réellement se dire anticapitaliste si l’on n’est pas convaincu de la nécessité d’une rupture avec le capitalisme, c’est-à-dire avec la logique de la course aux profits, du productivisme, de la concurrence libre et non faussée et de l’exploitation au travail, entre autres ?
Il faut donc clarifier ce que l’on entend par anticapitalisme, mais tout en se gardant de penser le rapport entre réforme (antilibérale) et révolution (anticapitaliste) comme une opposition figée et irréconciliable. Pour Daniel Bensaïd :
« Il n’y a pas de contradiction entre les réformes et la révolution. Les réformes ne sont pas, en soi, « réformistes », indépendamment de leur dynamique et des rapports de force dans lesquels elles s’inscrivent. En revanche, il y a une opposition stratégique entre le réformisme cristallisé, celui qui conçoit le capitalisme comme l’horizon indépassable de notre temps et limite son ambition à l’amender ; et la volonté maintenue de « changer le monde » en opposant terme à terme une logique de solidarité, de service public, de bien commun, d’appropriation sociale, à la logique dominante du calcul égoïste, de l’intérêt privé, de la concurrence (et de la guerre) de tous contre tous. »[7]
L’anticapitalisme est forcément pluriel. C’est un espace de dialogue, de croisement et de confrontation entre plusieurs méthodes et chemins de rupture avec le capitalisme pour aller vers l’émancipation du genre humain et la sauvegarde de la planète.
Cette pluralité féconde de l’anticapitalisme actée, il nous reste à nous assumer anticapitalistes et communistes. Il est temps d’affirmer ce qui fait qu’on est nous aussi anticapitalistes, notre communisme et notre marxisme. Anticapitalistes parce que communistes, nous n’avons jamais cessé de l’être même quand nous avions cessé de nous en réclamer publiquement. Mais notre communisme est, comme l’écrit Isabelle Garo, plus qu’une perspective ultime, d’abord « la recherche d’une voie révolutionnaire »[8], la « réinvention patiente et offensive des médiations et des transitions nécessaires à la sortie politique du capitalisme »[9].
La politique comme « médiation permanente »
Chercher cette voie révolutionnaire, cela passe par la construction de médiations politiques qui articulent « formes de mobilisation et d’organisation, programme et projet, mais aussi reconstruction d’une culture contestataire commune associée à des formes de vie sociale réinventées, attractives et capables d’expansion. »[10] Penser la politique comme médiation permanente[11] permet de sortir d’une opposition stérile entre moyens et but, entre chemin et objectif, entre coups tactiques et fétichisation d’un horizon communiste abstrait.
Pour nous le défi de notre communisme est de partir du cœur même des contradictions du capitalisme pour construire une alternative à partir des mouvements de résistance au capitalisme et non à partir d’un idéal abstrait. Nous sommes donc très loin ici d’un rapport dogmatique aux réflexions stratégiques qui ont traversé le mouvement communiste. Nous savons qu’être révolutionnaires dans une période qui ne l’est pas, ce n’est pas avoir un plan détaillé pour renverser l’État et rompre avec le capitalisme. Un processus révolutionnaire peut se déployer sur tous les terrains et avec toutes les méthodes, comme le rappelait Paul Lévy :
« Vous ne pouvez pas faire la révolution mécaniquement avec une méthode reconnue ; la révolution est, plutôt, le processus s’auto-formant organiquement de libération de tout le prolétariat par tous les moyens, par toutes les voies en tous lieux »[12].
Grèves de masse, entreprises autogérées, mobilisations antiracistes, féministes, expérimentations sociales collectives, « zones à défendre »… C’est par l’articulation de multiples pratiques et la recherche de solutions alternatives (conseils ou usines sous contrôle des salarié-es) qu’on trouvera un chemin vers l’émancipation collective.
S’organiser oui, mais comment ?
Rappelons-nous comment la question de l’organisation était posée au sein de la LCR et de la IVe Internationale au début de la dernière décennie. La résolution du congrès de la IVe Internationale en 2010 affirmait que
« Construire des partis anticapitalistes larges représente la réponse actuelle que nous faisons à la crise du mouvement ouvrier et de la gauche et à la nécessité de sa reconstruction » et ajoutait que « notre objectif doit donc être de chercher à construire des forces politiques larges anticapitalistes indépendantes de la social-démocratie et du centre-gauche, des formations qui rejettent toute politique de participation ou de soutien à des gouvernements de collaboration de classes ».
François Sabado quant à lui précisait en 2004 que ce parti large devrait avoir
« des délimitations stratégiques et programmatiques « lutte de classes » mais que celles-ci ne sont pas achevées dans le sens où elles ne précisent pas a priori les modalités de conquête révolutionnaire du pouvoir, et où elles laissent une série de questions programmatiques ouvertes. »[13].
À l’époque, il n’était pas question pour la LCR d’articuler constitution d’un parti large et organisation séparée. Aujourd’hui, les conditions ont changé, nous avons perdu la main et notre dispersion nous rend incapable de peser dans la sphère politique. La nécessité réaffirmée de travailler à l’émergence d’un horizon commun nous oblige. Cela n’émergera pas spontanément de la construction d’une force large ou même de victoires électorales.
Concrètement, cela plaide pour une organisation « communiste », écosocialiste, qui s’assume comme organisation, considérant la lutte des classes comme le moteur de l’histoire. Une telle organisation serait un lieu d’échanges et de débats tournés vers l’activité militante, mais aussi capable d’organiser en son sein de vrais débats démocratiques et la confrontation d’idées parce qu’elle aura des règles de fonctionnement suffisamment formels permettant de trancher collectivement en pratique.
Cette organisation n’aurait pas vocation à se suffire à elle-même, ou à se penser comme le noyau d’un futur parti révolutionnaire de masse mais comme un outil permettant de peser dans la sphère politique et/ou dans un mouvement large. Il faudra trouver la meilleure façon pour les anticapitalistes à la fois de s’organiser sans s’isoler, de continuer à intervenir dans d’autres cadres soit politiques soit sociaux pour se nourrir des expériences concrètes du mouvement social, de pouvoir se constituer en parti sans apparaître comme sectaires vis-à-vis d’un éventuel parti large ou vis-à-vis des autres partis et/ ou organisation de gauche radicale.
Impossible pour autant d’élaborer une stratégie sociale et politique à l’écart des dynamiques de recomposition à gauche et des enjeux électoraux. Et nous ne voulons pas non plus créer une sorte de super syndicat ou de collectif mouvementiste dont le seul but serait de penser son intervention dans les luttes tout en se mettant à distance des élections.
Les modalités précises de constitution d’une telle organisation restent évidemment à préciser. Nous ne pourrons pas rester très longtemps encore de simples spectateurs de la vie politique de ce pays. Il faudra débattre collectivement, confronter et dialoguer avec les diverses initiatives qui existent aujourd’hui dans la gauche anticapitaliste. Mais il faudra agir en ce sens quoi qu’il arrive. Et vite !
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Ce texte a été rédigé par 14 militants anticapitalistes participant ou ayant participé à Ensemble et ayant approuvé la participation à la France Insoumise.
Contact : rebondanticapitaliste@protonmail.com.
Notes
[1] Ainsi, l’hebdomadaire conservateur Le Point se demandait en octobre 2016 en couverture « Thatcher meilleur programme économique pour 2017 ? »
[2] Si bien qu’en termes symboliques par rapport au discours conservateur, un rejeton de la droite conservatrice comme Jacques Chirac apparaît comme ayant eu plus d’audace qu’Emmanuel Macron.
[3] Darren Roso, Daniel Bensaïd lecteur de Marx : inventer l’inconnu, dans les hiéroglyphes de la modernité, février 2020
[4] Daniel Bensaïd, La Révolution sans prendre le pouvoir ? À propos de John Holloway, Contretemps, n° 6, février, 2003 et Daniel Bensaïd, Et si on arrêtait tout ? « L’illusion sociale » de John Holloway et de Richard Day, janvier 2008
[5] Darren Roso, art. cit.
[6] K.Marx, F.Engels, Manifeste du Parti Communiste, 1847.
[7] Daniel Bensaïd, Sébastien Raimondi et Michel Surya, « Nouvelle période, nouveau programme, nouveau parti », Lignes, mars 2008,
[8] Isabelle Garo, Communisme et stratégie, Paris, Editions Amsterdam, 2019, voir l’introduction ici.
[9] Idem.
[10] Ibid., p. 267.
[11] « C’est pourquoi, au cours de la réflexion de Marx, les notions de ‘médiation’ et de ’représentation’, en viennent à désigner des réalités fort diverses mais qui présentent des analogies fondamentales de formation et de fonction, qui ont toutes pour enjeu une telle réappropriation : l’argent, l’État et les institutions, la conscience, sont des médiations en même temps que des représentations qui, se scindant relativement de la totalité sociale fracturée en classe qui les engendre, participent en retour au fonctionnement et à la reproduction du mode de production capitaliste. A ce titre, elles peuvent aussi devenir des éléments de son blocage en tant que foyers où se concentrent toutes les contradictions de son essence. Les médiations se révèlent dès lors des lieux privilégiés de déclenchement de crises spécifiques, qui rendent visible et donnent accès à la totalité sociale, offrant prise à l’intervention proprement stratégique. (…) Ainsi, transposée sur le plan d’une analyse historique et politique non téléologique, la médiation ancre le projet révolutionnaire dans la matérialité des phénomènes économiques et sociaux qui le rendent possible sans jamais y inscrire pour autant sa nécessité implacable. En ce sens, la politique redéfinie hors de toute scission étatique et de toute philosophie de l’histoire devient médiation permanente, permettant à l’activité sociale de se réfléchir elle-même, de s’orienter et de se réajuster sans cesse. » (Communisme et stratégie pp. 301-302)
[12] Paul Levi, « The political situation », octobre 1919, dans In the steps of Rosa Luxemburg p. 57, dans le cadre d’une polémique contre les anarcho-syndicalistes.
[13] François Sabado, Débat — gauche anticapitaliste en Europe, Situation politique, parti anticapitaliste et parti révolutionnaire en Europe.