Brésil : Pourquoi le PSOL (gauche radicale) a-t-il décidé de soutenir Lula ?
1. Le PSOL a confirmé sa décision d’appeler à voter pour Lula, dès le premier tour [des élections présidentielles, le 2 octobre 2022], malgré le choix de Geraldo Alckmin [comme candidat à la vice-présidence sur le ticket présidentiel]. Les conditions légales électorales imposent que cette campagne se fasse par le biais d’une «coalition» [la loi électorale brésilienne ne permet pas de séparer le vote pour le président et le vice-président], sous peine d’amendes implacables et de sanctions sévères. Il s’agit donc d’une décision exceptionnelle. Et elle comporte de nombreux risques car la présence de Geraldo Alckmin – qui représente la classe dirigeante depuis trente ans et a soutenu le coup d’Etat de 2016 [contre Dilma Rousseff, géré par «son» vice-président Michel Temer] – , justifiée par le motif qu’il faudrait neutraliser la peur d’une gauche ivre de revanchisme, signale sans équivoque les limites de ce que sera un gouvernement dirigé par le Parti des Travailleur (PT).
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2. Simultanément, la Conférence nationale du PSOL a décidé que personne au sein du PSOL ne peut négocier de postes dans un éventuel gouvernement Lula, en réaffirmant que le parti ne participera pas à des gouvernements de collaboration de classe et préserve son indépendance. Le PSOL se présentera en défendant un programme anticapitaliste. Il s’est mis d’accord avec le PT sur une plateforme minimale de douze points avec des mesures d’urgence ayant un contenu transitoire comme compromis de base. Cette position obéit à une évaluation : Jair Bolsonaro doit être vaincu, et n’est pas un cadavre déjà enterré.
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3. Ce qui est en question sur le terrain électoral – parce que les mobilisations de la campagne 2021 Fora Bolsonaro n’ont pas été assez importantes pour ouvrir la voie à une destitution – est de la plus grande gravité. La défaite de la candidature du néofascisme ouvre la voie, dans de meilleures conditions, pour un affrontement avec l’extrême droite. La décision de ne pas avoir sa propre candidature [du PSOL], pour la première fois, ne va pas affaiblir le PSOL, mais va accroître son envergure face aux secteurs les plus accomplis de la large avant-garde du militantisme de gauche, parce que le PSOL révèle, de la sorte, sa responsabilité dans la lutte contre Bolsonaro.
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4. La décision d’une tactique électorale pour la gauche doit être fondée sur une analyse de la conjoncture, sinon ce n’est pas une tactique, c’est une stratégie permanente. Lorsque la réalité change, et la situation brésilienne a changé après 2016, nous devons changer de tactique. Transformer une tactique en stratégie est mauvais, car cette rigidité sacrifie l’intelligence politique. Il existe une grande variété de tactiques électorales possibles. L’analyse marxiste est une étude qui vise à qualifier les rapports de forces sociaux. La situation est-elle réactionnaire ou pré-révolutionnaire, ou autre, pire ou meilleure? Et quelle est la dynamique: avançons-nous ou reculons-nous? Quel est le type de régime de domination? S’agit-il d’une dictature ou d’une démocratie libérale? Quelle version renvoie à un régime autoritaire ou à une démocratie électorale? Quel est le danger réel et immédiat? Comment diminuer ou contourner la menace d’une défaite, préserver les positions ou progresser? Le contexte de 2022 est que nous sommes toujours dans une situation défensive, après cinq ans d’accumulation de défaites. Or, Bolsonaro adopte une stratégie de coup d’Etat qui s’inscrit dans une dégradation bonapartiste et autoritaire du régime libéral-démocratique. Il doit être arrêté.
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5. Dans certaines situations, les conditions imposent le boycott électoral, c’est-à-dire l’appel au vote nul. Dans d’autres situations très défavorables, où aucune organisation de gauche, pas même la plus modérée, n’est en mesure de participer, l’indication de voter pour des candidats de l’opposition est la meilleure option. Dans d’autres cas, il est préférable de lancer son propre candidat afin de disposer d’une visibilité maximale en faveur d’un programme socialiste. Mais il y a aussi des conjonctures, comme aujourd’hui en 2022, dans lesquelles il faut sacrifier une auto-construction, et voter pour un parti de gauche avec lequel nous avons des différences irréconciliables. Et cela en fonction d’un calcul politique qui privilégie la nécessité de vaincre un ennemi commun.
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6. Une tactique électorale sérieuse doit également tenir compte du rapport de forces politique, notamment au sein de la gauche. Le PSOL a lancé Guilherme Boulos en 2018 [au premier tour], lors de la victoire de Bolsonaro. Au second tour, il a appelé à voter pour Fernando Haddad et s’est engagé courageusement dans la campagne du PT. Quelle est la différence en 2022? Il y en a plusieurs, mais la principale est que Jair Bolsonaro est maintenant au pouvoir depuis trois ans et demi. Cela change «tout».
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7. Comment évaluer la force d’une tendance ou d’un parti? Que doit être la règle? Quelles sont les variables? Les courants de gauche sont des collectifs qui réunissent des militant·e·s autour d’un projet politique. L’influence électorale et les mandats obtenus sont un indicateur, mais ils ne sont pas absolus. D’autres variables doivent être prises en compte. Quelle est l’influence de chaque parti au sein de la classe laborieuse, des couches populaires, ou parmi les jeunes, les femmes, les Noirs, les LGBTQIA+? Quelle est son implantation dans les différentes régions du pays, son audience auprès des intellectuels et des artistes, son poids dans les syndicats et les mouvements sociaux, sa capacité militante? Quel est le degré d’autorité socio-politique de ses dirigeant·e·s? La force est quelque chose qui est en transformation permanente, elle croît ou décroît. Il est très important de la mesurer. Le PSOL reconnaît qu’il est un parti anticapitaliste encore minoritaire au sein de la classe laborieuse.
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8. L’étude de cette dimension des rapports de forces exige de la lucidité. Après juin 2013, le PSOL s’est renforcé et, suite au coup d’Etat [d’août 2016] qui a assuré la destitution de Dilma Rousseff, le PT s’est affaibli. Mais les méfaits de la corruption du gouvernement de Michel Temer et l’offensive Lava-Jato, qui a culminé avec l’arrestation de Lula, ont paradoxalement ouvert la voie à un redressement du PT. Lula est sorti de prison [le 8 novembre 2019] beaucoup plus grand qu’il ne l’était avant. Sa campagne provoquera un tsunami dans les usines et les quartiers ouvriers des grandes villes. Les membres du PSOL qui ne tiennent pas compte de cette dynamique sont victimes d’une auto-illusion. Si le PSOL devait présenter une candidature au premier tour, il ne pourrait pas échapper à un isolement dramatique le plongeant dans la spirale de la marginalité, même s’il devait attaquer Bolsonaro avec une très grande intensité. Une réduction au rôle de «témoin» ne contribuerait pas au renforcement de la gauche radicale. Parfois, ce qui semble le moins est, en fait, le plus. Une partie du «peuple de gauche» pourrait récompenser le geste de soutien du PSOL à Lula par un vote significatif pour les candidat·e·s du PSOL au législatif.
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9. Le PSOL a vécu les six derniers mois divisé entre deux tactiques. Pourquoi? Parce que les deux blocs internes ont des bilans différents de l’évolution de la situation brésilienne au moins depuis 2016. Différentes évaluations de ce qui a causé l’impeachment [la destitution de Dilma Rousseff], de la place du PT comme étant toujours le plus grand parti de la classe laborieuse, de la centralité de la campagne de Lula Livre [Libérez Lula], de la signification des défaites qui ont culminé avec l’élection de Jair Bolsonaro, de la permanence ou non d’une situation défensive, de la tactique du Frente Única de Esquerda [Front unique de gauche] dans la lutte pour le Fora Bolsonaro.
Les arguments brandis contre le soutien à Lula [au premier tour] sont idéologiques et politiques. Les arguments idéologiques sont ceux qui considèrent que le défi central de l’époque dans laquelle nous vivons est le conflit entre le socialisme ou la barbarie, et qu’une candidature propre est incontournable comme moyen privilégié pour défendre une issue anticapitaliste. Ou que l’antagonisme central se situe entre les candidatures qui défendent différentes versions de la régulation du capitalisme et celles qui défendent la révolution. Ou encore entre les candidatures bourgeoises et les candidatures ouvrières. Ces arguments contiennent un élément de vérité, mais lorsqu’ils sont absolutisés, ils conduisent à des conclusions irrémédiablement erronées et doctrinaires. Le PSOL n’est pas un parti de musée. Il doit être utile dans la lutte politique concrète.
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10. Les arguments politiques font référence à une évaluation d’un Bolsonaro si affaibli que le résultat [du premier tour] conduirait inévitablement à sa défaite. Dès lors, le PSOL aurait le temps de «se retourner» pour le second tour. Ces arguments mettent aussi en garde contre le danger de sous-estimer la relation de Lula avec la bourgeoisie. Ou encore, ils discernent l’existence d’une expérience de dépassement du Lulisme, y compris par la gauche. Ils en tirent l’évaluation qu’il existerait un espace pour une propre candidature [du PSOL] afin d’obtenir un soutien populaire. Enfin, ils expriment la crainte que l’absence du PSOL ouvre le flanc à des candidatures de l’ultra-gauche qui occuperait l’espace de la gauche radicale.
Ces arguments ont été longuement examinés et débattus lors de la préparation de la Conférence nationale, malgré les conditions de pandémie qui ne permettaient pas les réunions en présentiel. Ils n’ont pas réussi à convaincre la majorité. La nomination [comme candidat à la vice-présidence] de Geraldo Alckmin, en novembre 2021, a suscité des turbulences légitimes. Mais cette décision, qui n’a pas encore été votée par le PT, ne change pas, qualitativement, la signification de la candidature de Lula. La stratégie du PT est un virage vers le «centre», c’est-à-dire un projet de régulation du capitalisme brésilien, afin de gagner les élections et de gouverner. Mais cette conclusion n’annule pas le fait que Lula sera le meilleur instrument électoral dans le combat contre Bolsonaro. Elle n’invalide pas la nécessité d’unir les forces dès le premier tour. L’accusation selon laquelle le processus décisionnel du PSOL n’était pas démocratique n’est pas honnête et répond à un «fractionalisme» fébrile. Après cette Conférence nationale, le PSOL doit s’unifier.
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Article publié sur le site Esquerda Online ; traduction par la rédaction d’A l’Encontre.