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Il est indéniable que pendant les gouvernements du PT (Parti des travailleurs), en particulier à l’époque de Luis Inácio Lula da Silva – et personne ne pouvait rester insensible à ce moment conjoncturel –, une certaine quantité de richesse matérielle a été destinée à la population à faible revenu. Il y a eu une réduction significative de l’indigence et une amélioration de la qualité de vie de nombreux travailleurs brésiliens. C’est sans aucun doute l’un des aspects qui a contribué à consolider la popularité du président ex-ouvrier, qui a déterminé sa réélection en 2006 et, par conséquent, l’élection de sa successeure, Dilma Rousseff. Dans le premier entretien qu’il donne en prison, le 26 avril 2019, Lula ne trahit pas la vérité en déclarant : « … nous avons multiplié le PIB par quatre, nous avons atteint 20 millions de nouveaux emplois formels, nous avons enlevé 36 millions de personnes de la misère, nous avons emmené près de 4 millions de personnes à l’Université, nous avons mis fin à la faim… »[1].

Cependant, il est nécessaire de se demander pourquoi ces politiques sociales ne pouvaient pas durer. Quelles sont les limites intrinsèques aux politiques d’assistance ? Pourquoi la faim a-t-elle fait son retour et hante-t-elle des familles brésiliennes ? Comment se fait-il que l’État, en particulier à partir des années 1960 et 1970, et certainement pas de la même manière ou au même rythme dans chaque pays, soit soumis à un processus qui tend à restreindre de plus en plus les politiques sociales ou la protection sociale ?

Nous ne défendons pas ici l’idée que le Brésil pourrait, avec une continuité de gouvernements du PT, mettre en place un régime d’accumulation « cohérent et durable » et être ainsi en mesure de maintenir ses politiques sociales à long terme. Nous ne partageons pas l’idée que le Brésil avait développé avec Lula et Dilma un « État post-libéral », comme le disent certains économistes brésiliens (Manzano, Salas e Dos Santos, 2014). Une action étatique plus efficace pour répondre aux revendications de la société, à l’ancienne manière keynésienne, ne peut pas inverser la crise et garantir le développement social pour tous.

Il est déjà nécessaire d’affirmer que la bourgeoisie nationale, à l’époque de Lula et de Dilma, a bénéficié d’une richesse bien supérieure à celle reçue par la classe populaire (ainsi les gains du système bancaire) et que la nation n’était pas en marche, et même ne pouvait l’être, vers un développement économique proche de celui des pays capitalistes centraux – sachant que ceux-ci aussi avaient ouvertement plongé dans la crise planétaire actuelle du système capitaliste.

Le projet réformiste des gouvernements du PT n’a pas repris, et ne pouvait même reprendre, le projet social-démocrate de « Réformes de base » du président João Goulart, renversé en 1964 par un coup d’État militaire, qui visait un développement économique fondé sur un grand interventionnisme étatique et un « pacte social », comme dans les pays où s’est formé le Welfare State. Avec Lula et Dilma, une réforme agraire efficace et substantielle n’a jamais été à l’ordre du jour, en partie à cause de la grande soumission de ces gouvernements vis-à-vis de l’élite de l’agrobusiness, en partie à cause de la nouvelle forme d’accumulation de capital de l’ère néolibérale. La réforme urbaine, qui a eu comme leitmotiv le programme intitulé « Minha casa, minha vida » (ma maison, ma vie) a fini par se terminer prématurément – comme en témoignent les millions de sans-abri du Brésil. Le réformisme anachronique du PT n’a jamais été et ne saurait être à l’abri de la structure constitutive du développement socio-économique du Brésil et encore moins de la crise structurelle du capital[2].

Bien que la « gouvernabilité » du Parti des travailleurs ait à nouveau revêtu l’aspect du « pacte social », même si ces représentants avaient été plus « progressistes » (ou favorables à des mesures d’assistance) que les gouvernements post-dictatoriaux (Sarney, Collor, Itamar Franco et Fernando Henrique Cardoso), bien que plusieurs réformes aient été effectuées en faveur de la population brésilienne, nous défendons ici la thèse selon laquelle les grandes limites et même l’échec du réformisme auraient été inévitablement mis en évidence. Il suffit d’observer comment une grande partie des pauvres et des travailleurs, qui ont été auparavant favorisés, se retrouvent aujourd’hui dans la boue ou sont assassinés chaque jour en nombre effrayant, surtout les travailleurs pauvres et noirs qui peuplent de manière prépondérante les favelas. La violence et le chômage ont recommencé à augmenter de façon éclatante. Il n’y a qu’à vérifier les données pour constater cette réalité.

Il a suffi que la conjoncture internationale devienne défavorable et que la crise du capital devienne encore plus aiguë, pour que le peu construit au cours des quelques années de relative abondance soit vidé de toutes ses forces ; pour que le nombre de chômeurs ait encore augmenté (actuellement, selon l’IBGE, environ 27,6 millions de personnes) et que les améliorations accordées aux travailleurs aient été supprimées. Il est très important de rappeler que le tourbillon dans lequel se trouve aujourd’hui le pays est lié à la crise chronique et structurelle du capital et avait déjà commencé à montrer ses effets de façon vertigineuse – si l’on considère les deux premières décennies du XXIe siècle au Brésil – même à l’époque du commandement du PT.

Le caractère d’assistance des gouvernements PT n’a été positif que de manière éphémère. L’un de ses effets désastreux a été de générer, d’une part, une désorganisation – ou dépolitisation – de la classe travailleuse par la suite et, d’autre part, de la transformer en une masse de personnes dépendantes des faveurs gouvernementales et aussi en consommateurs banals (fortement stimulés par le crédit à la consommation à la mode américaine) des marchandises, celles-ci toujours générées par la production destructrice du système capitaliste.

Pourtant, et cela est surprenant, les réalisations du PT sont, jusqu’à présent, une référence à suivre. Pour les défenseurs du « développementisme » (anachronique), il s’agit d’un projet inachevé qui devrait être repris car il n’y a pas d’autre voie. La cécité est chronique et même la bruyante crise de démantèlement en cours de l’État-providence qui atteint l’Europe et les États-Unis, modèles de référence constants et ataviques des intellectuels du réformisme brésilien, ne suffit pas à soulever des doutes quant à cette façon de concevoir le pays et l’avenir de l’humanité.

Cet attachement au réformisme n’est pas un phénomène courant, mais quelque chose qui a été construit pendant la plus grande partie du XXe siècle et qui est encore très réaffirmé et renforcé. Il suffit d’observer l’histoire des mouvements de gauche pour constater comment les « communistes » d’autrefois, comme les sociaux-démocrates, ou encore les « eurocommunistes » et leurs héritiers d’aujourd’hui – qui ont tant influencé et influencent encore le mouvement prolétarien – conçoivent que l’unique voie de transformation sociale est celle établie à travers un processus essentiellement politique, comme si l’État (et la politique) était le fondement de la société, et non plus le travail[3]. Cette vision empêche y compris la compréhension de ce qu’est la crise structurelle du capital et comment la surmonter efficacement. Ainsi, on a observé un déplacement d’une conception de la lutte qui avait comme pilier le travail, et ainsi l’émancipation humaine, à une forme de lutte qui pose la politique comme centrale[4].

 

La formation de la bourgeoisie brésilienne et les origines du “développementisme”

La recherche développée par l’un des plus grands érudits de l’histoire brésilienne, Caio Prado Jr., a clairement établi que le Brésil entre dans le réseau des échanges capitalistes internationaux comme une économie agro-exportatrice esclavagiste. L’accumulation primitive nationale, réalisée dans sa plénitude au XIXe siècle, était déjà une accumulation subordonnée à l’accumulation élargie du capital, faite par des pays déjà industrialisés, comme l’Angleterre (Caio Prado Jr., 1968).

La production esclavagiste installée au Brésil ne consistait donc pas en la formation d’un mode de production distinct de celui du capitaliste, mais était plutôt structurée comme un type spécifique de capitalisme. Jusqu’à l’abolition de l’esclavage en 1888, la classe dominante brésilienne était essentiellement formée par des propriétaires fonciers (latifundistes) esclavagistes. Cependant, du fait que cette économie agraire et exportatrice est insérée dans le circuit mondial capitaliste, cette même classe dominante a aussi commencé à avoir des caractéristiques d’entrepreneur bourgeois. Cette caste dominante a été stimulée, à travers la république nouvellement formée – instituée en 1889 par les généraux et proclamée très éloignée des masses populaires –, à rendre faisable des réseaux commerciaux, des financements de la production et des services d’infrastructure (en particulier les transports), c’est-à-dire, pour commencer à promouvoir un processus lent de modernisation capitaliste brésilienne (Caio Prado Jr., 1968 ; Mazzeo, 1988).

Il a également été montré comment la formation de la bourgeoisie industrielle brésilienne elle-même était liée à l’accumulation de capital provenant de l’agriculture d’exportation (en particulier São Paulo, dont l’industrie est née de la trajectoire même du complexe caféier). Cependant, comme le montre la recherche de Jacob Gorender, de nombreux bourgeois industriels ne venaient pas des fermes, parce que la circulation du capital accumulé par l’agriculture des propriétaires fonciers vers d’autres secteurs de l’économie se faisait à travers le système bancaire et la grande entreprise, déjà pleinement installée au Brésil à cette époque. De nombreux grands commerçants, en particulier ceux qui importaient, sont devenus des industriels, que ce soit à Rio de Janeiro ou à São Paulo, où les réseaux commerciaux ont pu générer du capital et le rendre disponible dans un processus de mise en œuvre industrielle qui sera revigoré dans la seconde moitié du XIXe siècle (Gorender, 1981).

Il est important de considérer deux aspects pour comprendre la formation et la spécificité de la bourgeoisie nationale : 1) les premières industries « nationales » ont vu le jour sous la marque du marché mondial hégémonisé par les pays impérialistes et, par conséquent, sous la dépendance totale des noyaux dynamiques de l’économie mondiale. Cela justifie le caractère subordonné de la bourgeoisie locale aux grandes puissances européennes ; 2) à aucun moment cette « nouvelle » classe dominante capitaliste n’a rompu avec la couche archaïque rurale-exportatrice – dont beaucoup étaient originaires – et elle n’a donc jamais visé une « révolution nationale démocratique » et n’a pas non plus congloméré une force populaire pour une telle entreprise.

En d’autres termes, bien qu’il y ait eu des intérêts divergents entre la fraction de la classe dominante exportatrice rurale et la fraction de la « nouvelle » classe dominante capitaliste (celle des grands industriels), la genèse même du capitalisme dépendant brésilien fait que cette « nouvelle » classe dominante capitaliste ne s’est jamais opposée totalement aux intérêts de la couche agro-exportatrice d’origine esclavagiste. Cette « nouvelle » partie de la classe dominante n’a jamais embrassé le projet d’une nation démocratique bourgeoise, comme dans le cas de la France.

C’est en tenant compte de ces aspects que Florestan Fernandes a attiré l’attention sur le « modèle composite et articulé de l’hégémonie bourgeoise » qui a commencé à émerger dans les années 1930 et qui a pris une impulsion plus marquée dans la seconde moitié des années 1950. Ce modèle a été constitué, d’une part, parce que la bourgeoisie industrielle se serait formée par une association avec le capital accumulé dérivé de l’appropriation agro-exportatrice rurale et, d’autre part, parce qu’une tendance à la combinaison du capital national et du capital international, propre aux pays du capitalisme récent et dépendant, a été présente tôt (Fernandes, 1979).

Bien qu’elle n’ait pas rompu radicalement avec le modèle de domination typique de la composante rurale exportatrice archaïque et bien que soumise aux intérêts des grandes puissances impérialistes, la classe bourgeoise brésilienne ne peut être considérée comme « faible », mais plutôt comme une classe au caractère extrêmement autocratique et toujours préparé aux cooptations, aux contre-révolutions et aux coups d’Etat. Cet aspect est fondamental pour faire une analyse cohérente, par exemple, de la dictature de Getúlio Vargas (1937-1946), de la dictature militaire (1964-1985), ou du coup d’État que Dilma Rousseff a subi en avril 2016 et l’arrestation de Lula en avril 2018.

Il y avait la croyance qu’un long processus d’industrialisation brésilienne pourrait changer le cadre d’échanges inégaux entre le Brésil (essentiellement un pays d’agro-exportation) et les pays qui dominaient le marché mondial (prédominants dans la production de biens de consommation). Avec la crise économique de l’entre-deux-guerres, l’axe de l’accumulation devient celui de l’industrie des biens de consommation et de son expansion. Le Plan économique (Plano de Metas) du président Juscelino Kubitschek, lancé au milieu des années 1950, était l’expression de ce désir ardent de développement des élites brésiliennes – et donc d’une « nouvelle forme » d’accumulation de capital — et de tous ceux qui ont soutenu ce modèle développementiste/populiste.

L’économie brésilienne disposait d’une énorme capacité d’accumulation, possible en raison d’une forte exploitation de la main-d’œuvre, mais elle était très pauvre en termes de machines/équipement et de technologie. Des transformations profondes étaient nécessaires pour pouvoir constituer un parc industriel substantiel, dans la mesure où existait un effort pour approfondir la division sociale du travail par le biais de l’industrialisation, pouvant ainsi déclencher une « plus grande accumulation de capital par l’appropriation d’une plus-value absolue et relative » (Karl Marx, 1985).

La présence active non seulement de l’État, mais aussi du capital étranger, a été fondamentale dans ce processus d’accumulation. Avec le capital étranger l’économie nationale a pu potentialiser le travail vivant, en augmentant la productivité par l’achat/augmentation du capital constant (c’est-à-dire, par l’importation de technologies, machines et équipements). Dans le cas du Brésil, cependant, en raison de sa base essentiellement agraire, l’État a cherché à exercer cette fonction cumulative, mais il n’a pas pu dynamiser l’économie en stimulant l’augmentation de la consommation par des incitations salariales, comme il l’a fait dans les pays qui vivaient alors la dernière phase du keynésianisme.

Il est important de considérer que la sphère étatique au cours du XXe siècle n’a jamais été réduite à la gestion de la contradiction de classe et à la promotion de l’appareil répressif, mais qu’elle est aussi devenue productrice de biens et de services, en plus d’être, et précocement dans le cas du Brésil, pour ainsi dire un « partageur » ou un « socialisateur » des pertes. En d’autres termes, les investissements dans le secteur de la production brésilienne provenaient d’investissements de fonds publics, et les intérêts sur la dette extérieure (contractée auprès des pays centraux) sont payés par la société en général.

L’antagonisme de classe s’intensifie au Brésil en partie à cause du manque d’une réforme agraire pour le pays. D’une part, il y a les intérêts des travailleurs et des paysans et, d’autre part, les intérêts de la petite bourgeoisie (que beaucoup aiment appeler « classe moyenne »), de la bourgeoisie nationale et du grand capital. Cette intensification de la contradiction sociale conduira cet État « développementiste » (ou État populiste) à la faillite et créera une impasse politique – qui mettra fin au plan du gouvernement de João Goulart d’investissements dans les secteurs sociaux – qui culminera avec le coup d’État de 1964.

La dictature militaire brésilienne, comme toutes les dictatures latino-américaines, exorcise le fantôme du « socialisme » pour donner des garanties à ses créanciers européens et, surtout, étasuniens. Le régime est l’articulateur d’une intégration complète du système productif national avec le système impérialiste, à travers l’investissement direct étranger, la poursuite de la subordination technologique et la pénétration du capital excédentaire des pays centraux (ou de l’entrée du capital étranger). Ces facteurs ont permis le développement d’une bourgeoisie monopoliste, entraînant une centralisation plus aiguë du capital et la prolétarisation de la petite bourgeoisie.

Il y a donc eu une transformation du bloc politique dominant et la destruction de ce que l’on a appelé le « pacte national », c’est-à-dire un pacte entre les classes visant le développement national (l’industrialisation nationale) et la mise en œuvre des politiques sociales. Le nouvel État, ou État dictatorial, incarne exactement la nouvelle forme de domination qui a pour axe central la réalisation des intérêts des fractions monopolistes bourgeoises nationales et, surtout, étrangères.

 

Un enchevêtrement accru avec le capital étranger

Les plans économiques établis à l’époque de la dictature militaire correspondaient directement aux intérêts du grand capital. L’objectif des programmes militaires était d’encourager la modernisation et, par conséquent, de sortir du sous-développement grâce à une plus grande ouverture de l’économie brésilienne au commerce et à la circulation des capitaux avec les pays étrangers.

En effet, au cours de cette période, les exigences cumulatives du capital excédentaire du centre du système se sont traduites par un endettement extérieur remarquable et croissant des pays périphériques, parmi lesquels le Brésil. L’Etat, dans les pays périphériques, a joué le rôle de receveur des capitaux excédentaires des pays centraux qui connaissaient alors la phase finale de l’ascension du capital mondial. Le transfert des capitaux et le paiement de la dette astronomique, avec des taux d’intérêt croissants (selon le goût du marché, c’est-à-dire avec une totale liberté dans la fixation des taux d’intérêt), impliqueront une plus grande soumission de ces États périphériques et les placeront dans des conditions extrêmement défavorables au passage de la crise qui a commencé au milieu des années 1960 aux États-Unis et en 1970 en Europe, qui va s’amplifier et dans laquelle nous sommes tous aujourd’hui complètement submergés.

Le programme économique brésilien à l’époque de la dictature était le résultat d’un afflux monumental de capitaux étrangers, qui visait à construire l’infrastructure nécessaire au développement du pays, en mettant l’accent sur des secteurs comme les transports et les télécommunications. Ce Plan d’Action Economique du Gouvernement (PAEG) visait essentiellement à poursuivre le développement du parc industriel et à stimuler les exportations. L’inflation a été maîtrisée, il y a eu la naissance de nouvelles entreprises d’État, la croissance d’autres entreprises contrôlées par l’État et une augmentation considérable de la présence d’entreprises étrangères et, par conséquent, la production de biens de consommation durables – permettant ainsi une large appropriation de la plus-value globale, propre à la nouvelle division internationale du travail et à la centralisation du capital. La présence hégémonique des multinationales, la consolidation des oligopoles et l’endettement extérieur du Brésil ont encore accru la dépendance du pays et ont caractérisé, à l’époque de la dictature militaire, un modèle de développement connu sous le nom d’associé-dépendant.

Le succès des politiques économiques de l’époque de la dictature s’appelait le « miracle économique ». Le « miracle » fut avant tout le fruit d’une exploitation intense et d’une politique économique extrêmement rigoureuse de modération salariale. L’un de ses mécanismes était un arrangement fiscal (qui met davantage l’accent sur la consommation que sur le revenu) qui diminuait encore le pouvoir d’achat des travailleurs et augmentait leur appauvrissement.

Les années de plomb ont laissé les travailleurs brésiliens dans une spirale d’appauvrissement et de surexploitation. La concentration des revenus s’est ostensiblement accrue, ce qui n’a été possible que grâce à la répression exercée par l’État contre les masses salariées. De manière préméditée, tous les organes de lutte et leurs directions ont été remplacés, dans leur majorité, par des syndicalistes liés à la bureaucratie d’État ou aux multinationales. Ce n’est pas par hasard que la Doctrine dite de la sécurité nationale, « incarnation » brésilienne de la doctrine de la contre-insurrection (liée à la période de la guerre froide), consistait en un ensemble d’idées fondamentales pour renforcer les structures répressives de l’État et garantir ainsi le développement de ce modèle capitaliste associé-dépendant.

Cependant, très rapidement, l’économie brésilienne a été confrontée à des difficultés pour assurer son « équilibre » économique. Poussé à maintenir le cycle de « croissance et de stabilité » – aspect fondamental, avec la censure des médias, pour légitimer et préserver les militaires aux commandes du pays –, le modèle économique en vigueur à l’époque était « soutenu » et pour cela il a fallu s’endetter trop lourdement. L’idée fausse que le pays pouvait encore croître et créer des revenus grâce à une productivité élevée et donc suffisante pour gérer la dette extérieure et sortir le pays du sous-développement, s’est diffusée. Le deuxième Plan National de Développement (IIPND) est né, plus audacieux que le premier. Ce programme favorise la création de nouvelles entreprises d’État. La centrale hydroélectrique d’Itaipu apparaît en ce moment, Petrobras gagne une filiale et les contractants sont renforcés – de même que sont renforcées les relations de connivence entre les intérêts privés et les agences publiques.

Les militaires et leurs soutiens n’avaient pas pris en compte la dimension « tenace et durable » de la crise qui a commencé dans les années 1960-1970. Lorsqu’ils ont quitté le pouvoir en 1984, la dette extérieure était énorme, à environ 100 milliards de dollars, soit 54 % du PIB, presque huit fois plus élevée qu’au moment de leur arrivée au pouvoir en 1964 ; la dette était alors de 12 milliards de dollars. Il était impossible de maîtriser l’inflation ; en 1985, elle était de 223 % et, quatre ans plus tard, de 1782 %.

C’est avec cet « héritage maudit », cette dette stratosphérique, que le Brésil, avec son économie stagnante, entre dans la période que certains économistes appellent habituellement l’ « ère néolibérale » du capitalisme mondial. En fait, le Brésil vivait déjà depuis longtemps dans une « relation de promiscuité » avec le capital mondial, et était déjà complètement soumis – et dans les pires conditions – aux « objectifs impératifs de reproduction et d’accumulation du système du capital » (Mészáros, 2002). C’est alors que la période de crise chronique et structurelle s’installe au niveau mondial.

Le capital en crise a besoin, immédiatement et directement, de toute la plus-value produite par la planète, afin de réaliser son accumulation globale. Si les pays qui ont connu l’expérience de l’Etat-providence sont aujourd’hui contraints de se plier face au capital, la condition des pays du capitalisme tardif et du modèle associé-dépendant, qui ont bénéficié de politiques publiques raréfiées comme le Brésil, est celle d’un effondrement complet. D’une manière ou d’une autre, aucune nation ne peut aujourd’hui développer son économie nationale de manière autonome, que ce soit les Etats-Unis ou la Chine[5], l’Algérie ou le Brésil. Leurs économies « nationales » sont soumises aux impératifs de l’accumulation du capital, qui s’effectue de plus en plus par la spéculation financière et mondialisée.

Regardons les années 1990. Bien que l’économie brésilienne ait de nouveau bénéficié d’une certaine stabilisation monétaire, avec le Plan Réel de Fernando Henrique Cardoso, qui ancrait artificiellement la monnaie à un taux de change fixe et valorisé (en favorisant ainsi un peu plus la caste bourgeoise des exportations), ce « nouveau » régime d’accumulation, qui poursuit sa trajectoire de croissance dépendante, était basé sur une spécialisation régressive du parc industriel producteur. L’économie nationale a ainsi suivi la tradition de subordination technologique brésilienne et la nouvelle tendance mondiale de restructuration productive, en parvenant à un déséquilibre marqué des comptes extérieurs[6], et a poursuivi, comme sous les gouvernements précédents (José Sarney, Fernando Collor et Itamar Franco), le processus de privatisation des entreprises publiques, avec des taux élevés de chômage, de pauvreté, de faim et de violence urbaine et rurale.

À l’époque des gouvernements du Parti des travailleurs, surtout sous le gouvernement de Lula, il y a eu une croissance économique au Brésil, bien que pour une très courte période. Pour la première fois, les réserves internationales sont devenues plus importantes que la dette extérieure, ce qui a attiré l’attention du FMI et des médias internationaux. Le taux de croissance moyen était alors de 3,5 % (exception faite de la croissance exceptionnelle de 2010, avec un indice de 7,5%), alors qu’il était de 2,5 % au cours de la période précédente (1994-2003). Cette conjoncture organique favorable de l’accumulation du capital au niveau national est due, d’une part, aux entreprises multinationales qui ont réussi à exploiter énormément les ressources naturelles et à bénéficier d’une main-d’œuvre brésilienne à bon marché et qualifiée et, d’autre part, à une croissance remarquable des exportations (le boom des matières premières brésiliennes, lié à l’expansion économique monumentale de la Chine) et donc à un excédent élevé qui atteint 23% pendant la période 2005-2006. C’est dans ce contexte que le gouvernement PT a été en mesure de mettre en œuvre certaines politiques sociales ou des mesures de protection sociale.

Après l’aggravation de la crise mondiale en 2007-2008, qui sera encore plus fortement ressentie au Brésil entre les années 2013-2014, le PIB va à nouveau baisser et le pays connaîtra une alternance entre stagnation et récession économique. En 2015, l’adoption de la loi sur l’externalisation n’a fait qu’aggraver encore le fléau social. Après le coup d’État perpétré par la bande de Michel Temer en mars 2016 – en collusion avec les multinationales, avec la bourgeoisie brésilienne ultra-conservatrice et sa caste évangélique de l’agro-industrie (agrobusiness), toujours très intéressée par la perspective de réduire encore la rémunération du prolétariat brésilien –, des astuces juridico-politiques dévastatrices furent imposées aux masses des travailleurs dans cette période de grave récession économique, comme la « Réforme du Travail ».

Avec l’actuel gouvernement proto-fasciste de Jair Bolsonaro, élu en 2018, les coupes dans les dépenses publiques (dans la santé, dans l’éducation, etc.) ont été encore plus abruptes. Pour faciliter la vie d’une bourgeoisie ultra-conservatrice d’origine esclavagiste, il y a eu une facilitation du port d’armes, la libéralisation de l’utilisation de centaines de pesticides interdits dans d’autres pays, la révision (ou plutôt l’annihilation) des concessions de zones de protection environnementale et des réserves indigènes (qui a besoin de démarcation), et une complète négligence liée à la déforestation et à la situation du travail forcé contemporain. Une « réforme des retraites » draconienne est en cours.

 

De la crise cyclique à la crise structurelle du capital

Selon István Mészáros, la crise actuelle n’est pas seulement cyclique : c’est aussi une crise structurelle du capital. Elle touche tous les pays de la planète sans exception.

Pour reprendre les mots de l’auteur :

Nous vivons à une époque de crise historique sans précédent. Sa gravité se mesure au fait que nous ne sommes pas confrontés à une crise cyclique du capitalisme plus ou moins étendue, telle que celles vécues dans le passé, mais à une crise structurelle profonde du système même du capital. En tant que telle, cette crise affecte – pour la première fois de toute l’histoire – l’ensemble de l’humanité, nécessitant pour sa survie certains changements fondamentaux dans la manière dont le métabolisme social est contrôlé (Mészáros, 2002).

L’auteur de Beyond Capital explique qu’au XXe siècle, surtout avec la formation de l’État de type keynésien ou la formation de l’État interventionniste de type soviétique, nous avons connu des tentatives, en réalité ratées, visant à surmonter les limites systémiques du capital. Avec ces expériences, il y a eu une « hybridation » du système du capital, par rapport à sa forme économique classique, mais pas des solutions structurelles viables.

En réalité, le système n’a jamais été en mesure de garantir une expansion large et imparable du capital sans cette « aide extérieure », c’est-à-dire que le capital a toujours exigé la présence de plus en plus importante de la gestion de l’appareil d’État. Cette « intrusion » croissante de l’État dans le processus de reproduction socio-économique propre au système du capital a été le moyen trouvé pour surmonter ses obstacles immédiats, pour contenir ses « dysfonctionnements » graves, mais les dangers de cette intervention pour sa propre viabilité ont finalement été ignorés. Ce que nous pouvons voir, c’est qu’après les années 1960 et 1970 s’installe la prétendue « crise chronique de l’accumulation de capital, en tant que problème structurel grave » (Mészáros fait même référence aux études de Paul Sweezy et Harry Magdoff).

Nous ouvrons ici une parenthèse pour affirmer qu’est fondamentale la conception selon laquelle l’État a toujours été une sphère nécessaire, depuis son émergence, pour assurer le pouvoir des possédants (les propriétaires) sur ceux qui ne possèdent pas la propriété (mais seulement la force de travail), dont la relation repose sur un antagonisme inconciliable. Avec l’Etat, l’usufruit privé et individuel de la richesse produite socialement est assuré, et le pouvoir politique que cette sphère gère est associé et subordonné – même s’il n’est pas complètement réduit – aux intérêts reproducteurs du capital et au pouvoir matériel qu’il exerce sur la société.

Il est également possible d’affirmer que la crise actuelle du capital s’aggrave de plus en plus, affectant tous les aspects de la vie, des dimensions directement matérielles de la reproduction aux dimensions intellectuelles et culturelles les plus médiatisées. La crise actuelle pose le problème insurmontable du chômage, de la destruction effrénée de la nature et de la réduction de l’utilisation du travail, ou plutôt du travail productif, puisque la priorité de l’accumulation du capital est passée de la sphère productive – qui est encore liée à la période du New Deal, ou de l’ère de l' »engagement fordiste » (Bihr, 1991) – à la sphère spéculative, et a évolué progressivement vers la réalisation rapide des gains financiers propres à cette nouvelle ère de mondialisation capitaliste (Chesnais, 1997).

À cet égard, Tom Thomas (2015, p. 19) note :

… la crise actuelle présente un épuisement structurel des gains de productivité. Autrement dit un épuisement de l’accroissement de l’extraction de la plus-value sous la forme relative, la seule qui permette une poursuite, autre que ponctuelle et éphémère, de la valorisation du capital (c’est-à-dire de la croissance) de l’époque moderne (production de masse très mécanisée, nécessitant une consommation en augmentation constante). Épuisement insurmontable puisque les gains de productivité passés ont fini par abaisser à un tel point la quantité de travail productif de la plus-value employé par le capital, donc la valeur des marchandises que mesure cette quantité, que le mouvement de la valorisation de cette valeur (la production de plus-value) stagne, et même régresse (mouvement de dévalorisation)…

Depuis la fin des années 1980, dans les pays avancés, et les années 1990, dans les pays périphériques, c’est la sphère étatique elle-même qui favorise l’ouverture des marchés et libère l’accès des capitaux privés aux activités qui étaient auparavant largement déléguées à l’Etat (santé, éducation, fonds de pension privés par capitalisation, etc.). En ce sens, la thèse libérale selon laquelle un « État minimal » est nécessaire, parce qu’un État interventionniste serait la cause de la prétendue « crise fiscale », empêchant ainsi la croissance économique et l’écrasement du chômage, est une grande erreur. Le marché n’est pas « autorégulateur ». L’Etat, en effet, a toujours agi de manière décisive dans la mise en œuvre des mesures néolibérales ; il entre dans la nouvelle ère de l’accumulation à l’échelle mondiale comme un agent des appétits insatiables du capital.

La thèse des défenseurs de l’interventionnisme keynésien, ou de l’Etat soumis au pouvoir des travailleurs et de leurs représentants, selon laquelle il est possible d’inverser la tendance de la crise actuelle du capital par une meilleure utilisation de l’appareil d’Etat (sur les plans politique, juridique, législatif, militaire, etc.), n’est pas cohérente. L’Etat et ses appareils ont toujours été fondamentaux dans le processus d’accumulation et d’expansion du capital. Si l’on y regarde de plus près, pour tous ces courants, l’Etat est conçu comme une sphère autonome, et tout serait question d’accroître ou de minimiser sa fonction face à la crise actuelle. Cette croyance qu’il existe une séparation entre l’économie et la politique (l’Etat) favorise exactement la dissimulation de l’exploitation du travail, qui est la véritable source de richesse, par le capital. Un tel concept reproduit et intensifie – au lieu de surmonter – l’antinomie entre liberté formelle et inégalité sociale réelle (Marx).

Ce n’est pas par hasard que nous assistons dans tous les coins du monde à la rétractation progressive du rôle de l’Etat dans la mise en œuvre des politiques sociales, les privatisations d’entreprises (anciennement nationalisées), la « réforme » de la Sécurité sociale, la « réforme » fiscale, administrative, syndicale, universitaire, etc. L’objectif est d’anéantir tous les obstacles juridiques à la pénétration des capitaux privés dans des domaines qui sont désormais attrayants pour la recherche de profits. Les gouvernements, en tant que « personnificateurs du capital », sont essentiellement soumis à l’ordre social métabolique du capital. Ils ont donc tendance à prendre des mesures qui déclenchent ou accroissent la précarité de l’emploi, réduisent la valeur réelle des salaires, augmentent le chômage, la pauvreté et la violence sous leurs différentes formes (crise carcérale, crise de l’immigration, xénophobie, sexisme, etc.), intensifiant ainsi l’antagonisme social.

Il est important de garder à l’esprit que le keynésianisme n’a jamais contredit les intérêts du capital ; au contraire, c’était une stratégie pour se remettre de l’accumulation de capital induite par la crise des années 1930. Keynes lui-même s’est positionné dans la défense des intérêts de l’individualisme bourgeois sans aucune dissimulation ni rhétorique socialisante, quand il a proposé (en observant même l’expérience soviétique) « l’expansion des fonctions du gouvernement », une plus grande intervention de l’Etat dans les infrastructures, dans les investissements financiers et dans l’augmentation de la consommation pour accroitre la rentabilité. Si l’on y regarde de plus près, dans la période antérieure à l’expérience keynésienne, la reproduction élargie du système était garantie par des moyens fondamentalement économiques, le pouvoir politique (l’État moderne) n’étant limité qu’à quelques fonctions de base : garantir l’ordre et la propriété, la légitimation idéologique et le soutien juridico-légal.

L’épuisement du keynésianisme, après trente ans d’Etat dit providence, et la requête, à l’ère néolibérale, de plus en plus intense de « l’aide » de l’Etat pour satisfaire la demande sans fin d’accumulation, nous portent à croire que la diversité des ressources « miraculeuses » de ce système s’épuise. Ce que nous observons à l’œil nu, c’est que la médiation politique de l’État devient de plus en plus autoritaire et répressive à l’égard des travailleurs, visant précisément à contenir le mécontentement et la révolte sociale face à l’incapacité totale du capital à offrir des conditions matérielles d’existence acceptables.

Outre sa fonction de plus en plus répressive, l’État opère, dans une nouvelle ère d’aggravation de la crise systémique, le transfert d’une partie du surplus de capital sous forme d’impôts aux capitalistes, qui profitent des fonds publics pour faire leurs investissements. L’État est appelé à agir directement contre la tendance à la baisse du taux de profit. Il y a donc un glissement des dépenses de l’Etat (jamais aussi élevées que dans les années 1980), qui vont migrer des dépenses sociales vers les dépenses militaires, les subventions à l’initiative privée, le soutien aux institutions financières (sauvetages bancaires) et le respect du paiement des intérêts de la dette publique, notamment dans les Etats des pays périphériques. L’État joue ainsi le vieux jeu de la plus grande protection de l’appropriation privée et, par conséquent, de la concentration aberrante actuelle des richesses (comme le montrent, par exemple, les innombrables rapports d’Oxfam) et, dans le même temps, il joue aussi le vieux jeu de la « socialisation des pertes ».

Aujourd’hui encore, une grande partie des militants de gauche au Brésil et dans le monde pensent qu’il est possible de transformer la fonction sociale de l’État et de l’utiliser comme facilitateur de luttes sociales et de conquêtes en occupant simplement ses principaux espaces de décision. La faillite historique du réformisme social-démocrate nous offre pourtant une démonstration complète de l’irréformabilité du système. La profonde crise structurelle dans laquelle nous sommes tous plongés, avec ses dangers pour la survie de l’humanité, en dit long sur son caractère incontrôlable. De ce fait, une critique radicale de l’État, y compris de ses soi-disant institutions démocratiques, en particulier du parlement, est essentielle, car c’est le premier pas – sans être le plus décisif – vers la construction de sa suppression. Dans la perspective de l’émancipation du travail, et donc de la nécessité de constituer un nouveau métabolisme social guidé par le travail associé[7], la lutte doit se concentrer sur un sujet politique collectif convaincu, déterminé à vaincre le capital par une révolution socialiste et mondiale, et non par la répétition du mantra de l’étatisation.

 

Conclusion

Qu’il soit capitaliste ou « hybride », ce système a toujours connu son expansion sous l’effet de l’accumulation, et sa survie est due à son mode de reproduction élargi. Le système du capital est essentiellement antagoniste en raison de la structure hiérarchique de la subordination du travail au capital, qui usurpe totalement et sans cesse le pouvoir authentique de décision. C’est à cause de cet antagonisme social structurel que le système du capital est lui-même irréformable et incontrôlable. Plus que jamais, il est nécessaire d’aller au-delà et de mettre à la place une forme radicalement différente de reproduction du métabolisme social, orientée vers la satisfaction des besoins humains ; une forme d’échange humain contrôlée non par un ensemble de déterminations matérielles fétichisées, mais par les producteurs associés eux-mêmes.

C’est pourquoi aujourd’hui une reprise du mouvement ouvrier révolutionnaire en tant que sujet politique collectif est nécessaire et urgente. Cette reprise doit être l’objectif principal, substantiel, des organisations partisanes et syndicales de gauche au Brésil comme ailleurs sur la planète. Pour être efficaces, de telles organisations devront avoir comme finalité l’émancipation des travailleurs, l’émancipation humaine, et non le réformisme et/ou une simple politique flétrie de protection sociale.

Les révolutions nécessaires, qui peuvent se produire ici et maintenant, doivent avant tout s’internationaliser rapidement. En cette période de crise structurelle, le système du capital est devenu une totalité mondiale tellement articulée que les révolutions ne peuvent être effectives que si elles parviennent à mettre en échec le capital dans son ensemble. Les révolutions qui voudraient être effectives devront très rapidement se développer vers le socialisme ou périront face à la contre-révolution. Aujourd’hui, dans l’économie mondialisée, une possibilité, qui n’existait pas avant la crise structurelle, s’offre : celle de développer des forces productives à l’échelle mondiale et ainsi de parvenir à une possible intégration et union du prolétariat au niveau international pour affronter le capital. Tout cela confirme les thèses fondamentales de Karl Marx.

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Notes

[1] Première interview de l’ancien président Lula en prison, le vendredi (26 avril 2019), par la journaliste Monica Bergamo (Folha de S. Paulo) et Florestan Fernandes (El País).

[2] Sur la crise structurelle du capital, lire le monumental ouvrage d’István Mészáros (1995).

[3] Nous ne parlons pas ici du travail aliéné, réifié, mais du travail bien entendu dans sa dimension ontologique : le travail comme production-action, comme processus de production et de reproduction humaine et de la propre existence de l’être social. (Lukács, 2011, 2012).

[4] Par le biais d’un processus complexe et non linéaire, la classe ouvrière et ses alliés potentiels (soit les communistes de plusieurs ascendances, soit les social-démocrates) ont été éduqués à limiter leurs luttes dans le périmètre défini par le capital et l’État. Et ainsi l’horizon révolutionnaire, perspective de dépassement radical du capital et de l’État, s’est trouvé progressivement remplacé par un horizon réformiste. Cela, à notre avis, est l’origine du déboussolement qui se trouve le mouvement prolétaire de nos jours. (Bihr, 1991 ; Claudín, 1970 ; Tonet et Nascimento, 2009 ; Tonet, 2014) .

[5] Il est important de rappeler, et la Chine n’est pas l’exception, que les « sociétés post-révolutionnaires » (URSS, Cuba, etc.) ont vu l’émergence d’une nouvelle forme d’exploitation du travail par le capital ; nouvelle, parce que l’Etat possède les moyens de production, mais aussi parce que, en outre, il maintient l’exploitation des travailleurs et des prolétaires pour le travail salarié. Cette exploitation des travailleurs et des prolétaires par les salaires est précisément du capital dans n’importe quelle partie du monde : le travail qui produit du capital est du travail du prolétariat. Comme Marx l’a correctement expliqué, le capital est une relation sociale dont on extrait l’excédent de travail en réduisant le travail à la marchandise. La rémunération salariale en est l’expression quotidienne.

[6] Le Brésil est de plus en plus dépendant d’un « capital volatile » (capital spéculatif) pour équilibrer ses comptes extérieurs. Cette ressource est toujours très risquée, car ce capital peut quitter le pays aussi rapidement qu’il est entré. La Banque centrale des États-Unis, par exemple, pourrait vouloir, en raison de la hausse des taux d’intérêt, retirer ces « stimuli monétaires » et les appliquer dans d’autres pays. L’utilisation des réserves internationales est une alternative pour le pays pour faire face à une sortie brutale de capitaux étrangers, mais son utilisation risque de dégrader sa « note » par les agences internationales de notation du crédit.

[7] Le travail associé, ou travail des producteurs associés, signifie le travail qui permet un contrôle libre, conscient, collectif et universel du processus de production et de distribution de la richesse. Sa forme d’organisation devra être beaucoup plus sophistiquée et complexe que ce que nous connaissons aujourd’hui avec le capitalisme, et devra être immédiate et nécessairement globale. Avec le travail associé seront surmontés le contrôle du travail intellectuel sur le travail manuel et l’ensemble de la hiérarchie qui accompagne nécessairement le travail aliéné. (Tonet, 2013 ; Lessa et Tonet, 2012).

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Références

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Ivo Tonet, Trabalho associado e extinção do Estado. REBELA – Revista Brasileira de Estudos Latino-Americanos, 25 mai. 2013.

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Tom Thomas, « Sur le thème de l’abolition de la condition de prolétaire ». Texte de la conférence donnée par Tom Thomas à Lyon le 16 novembre 2012 à l’invitation de l’association Table Rase [en ligne], 2012.

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