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La lutte des classes ne s’est pas arrêté lors des Jeux Olympiques et Paralympiques ! Quelques mois après les JOP de Paris, Tristan Ihne nous livre ici un témoignage passionnant, de l’intérieur, de la lutte victorieuse menée par les danseurs·ses participant aux cérémonies d’ouverture.

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Si les conséquences catastrophiques des méga-événements tels que les Jeux Olympiques, tant sur le plan social que sur le plan environnemental, doivent être dénoncées et la tenue même de ces méga-événements doit être combattue, réunir des milliers de travailleurs et travailleuses, habituellement atomisé·es et individualisé·es, peut aussi participer à créer les conditions d’une lutte victorieuse et exemplaire.

Thomas Jolly (directeur artistique des cérémonies) et Maud Le Pladec (directrice de la danse et chorégraphe de plusieurs tableaux), ont fait appel à des centaines de danseurs et danseuses pour participer aux différentes cérémonies d’ouvertures des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. La majorité sont intermittent·es et ont directement été engagé·es par Paname 24, la société chargée de la production exécutive de ces cérémonies.

Pour la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques qui s’est tenue le 26 juillet, les artistes des Ballets Nationaux de Biarritz, de Bordeaux, de Lorraine et du Rhin ainsi que des élèves du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris ont également été sollicité·es pour danser le tableau Synchronicité, chorégraphié par Maud Le Pladec.

Étant à la fois danseur au CCN Ballet de Lorraine et membre de la Délégation Générale du Syndicat Français des Artistes-interprètes (SFA), c’est littéralement aux côtés des artistes que l’auteur de ces lignes a pu mener cette lutte. Lucie Sorin, également membre de la Délégation Générale du SFA et Antoine Roux-Briffaud, danseur et élu au Conseil National du SFA, ont fait un immense travail de recherche d’information et de coordination et ont mené toutes les séances de négociations.

Les juristes du SFA Sawsen Le Toullec et Xavier Schmitt et les camarades du syndicat, dont Jimmy Schumann sur la question des droits voisins, ont été d’un grand appui. Le réseau des artistes syndiqués – ou futurs syndiqués – qui nous a massivement transmis les éléments contractuels et factuels alimentant nos séances de négociation, nous a aussi permis d’affirmer notre place de syndicat représentatif, en lien avec les réalités des artistes que nous représentons.

L’audition, les préoccupations des artistes, l’entrée dans le jeu du SFA

Dès la publication de l’avis d’audition au mois de mars 2024, le SFA a reçu des remontées de la part de ses membres pointant l’absence de prise en charge des voyages et des hébergements, dérogeant ainsi à la convention collective applicable (CCNEAC) qui prévoit le défraiement des artistes résidant·es à plus de 40 km du lieu de travail. La rémunération annoncée variait selon le rôle attribué : entre 120 € et 200 € pour les répétitions et entre 155 € et 300 € pour les spectacles. Les plus petits salaires se trouvant donc au raz-des-pâquerettes des minima légaux imposés par la convention collective.

Lors des auditions, avant toute choses, il a été demandé aux candidat·es de signer un PREREQUIS CASTING PERFORMER, dans lequel les conditions de rémunération étaient rappelées tout en précisant que la cession des droits (de reproduction, de représentation publique, d’adaptation, d’exploitation des prestations, de leur enregistrement et leur captation, etc.) était incluse dans ces rémunérations, mais sans aucune précision. Il s’agit des droits voisins.

Selon le code de la propriété intellectuelle, lorsqu’une œuvre est enregistrée et potentiellement ou effectivement diffusée, son auteur·ice doit être rémunéré·e et touche des droits d’auteurs tandis que l’ensemble des interprètes touche des droits voisins du droit d’auteur. Un cachet de 300€ brut était donc annoncé pour la catégorie la mieux rémunérée, mais rien n’indiquait la répartition entre le salaire et la rémunération de la cession de droit. On pouvait cependant anticiper que cette dernière ne serait pas élevée et que plus la cession des droit serait importante, plus le cachet serait petit (le minimum conventionnel pour le cachet s’élevant à 159,56 € brut).

Les droits de la personnalité (image, voix, nom, prénom et tout attribut de la personnalité) sont distincts des droits voisins. Ils concernent tout individu et pas uniquement les artistes interprétant des œuvres. Le code de la propriété intellectuelle n’impose pas, contrairement aux droits voisins, qu’ils soient rémunérés. Ces droits devaient, eux, être cédés à titre gracieux ; pour l’univers et pour une durée de 50 ans à compter de la première exploitation.

Le document engageait également les candidat·es à n’entreprendre aucune action ou communication susceptible de porter préjudice à toute organisation liée aux Jeux de Paris 2024, avant, pendant et après les cérémonies et les Jeux.

Les candidat·es sélectionné·es – après, pour certain·es, de longs mois d’attente en gardant bloquées de multiples périodes de travail potentielles – ont ensuite dû signer un engagement de confidentialité interdisant la communication de toute information concernant l’existence du présent l’engagement et/ou son objet et/ou son contenu. L’organisation collective est déjà particulièrement compliquée lorsqu’on est intermittent·e du spectacle : peu ou pas d’instance de représentation du personnel, peu ou pas de droit syndical, la menace permanente d’être « blacklisté·e ».

Ces difficultés sont encore augmentées du fait que cela concerne une population relativement jeune et internationale. Si l’on rajoute à tout ça une telle clause contractuelle, abusive, toute organisation collective est rendue impossible. Les arguments avancés, qu’il s’agisse d’assurer la sécurité ou de garantir la surprise du spectacle ne peuvent en rien justifier la disproportion de ces clauses de confidentialité. L’objectif pour l’employeur est clair : s’assurer qu’ils n’auront à faire qu’à des individus isolés et donc empêcher toute organisation collective.

Nous aurons ultérieurement, et dès nos premières discussions, avec l’appui de nos juristes, dénoncé ces clauses de confidentialités abusives, qui relevaient du droit commercial et non du droit du travail. Paris 2024 a reconnu en toute fin de séquence que ce “copier-coller” des clauses imposées par le CIO n’était effectivement pas adapté aux artistes salariés.

Alors que de nombreux·ses artistes sollicitaient le SFA pour obtenir confirmation qu’il n’était pas normal qu’aucun défraiement ne soit prévu,  aucun ne se sentait d’interroger la production sur le respect de la convention collective. D’une part les contrats de travail n’étaient pas encore signés, d’autre part, certains craignaient qu’on leur reproche d’avoir rompu l’engagement de confidentialité en allant chercher des informations.

La réaction officielle du syndicat, l’amorce d’un dialogue et son sabotage

Le 7 juin, après avoir reçu et anonymisé les premiers contrats de travail qui confirmaient les intentions de Paname 24, ainsi que la preuve écrite du refus de rembourser les frais de transports des artistes non domiciliés à Paris, le SFA a décidé de publier un communiqué de presse pour dénoncer le non-respect de la convention collective concernant les défraiements et alerter sur l’obligation d’une rémunération appropriée et proportionnelle de la cession des droits exclusifs (droits voisins et droits de la personnalité). Le SFA a également saisi le comité de la charte sociale des jeux olympiques où siège Bernard Thibault pour la CGT.

Par ce biais, une discussion s’est entamée entre Paris 2024, Paname 24 et le SFA. Ce premier rendez-vous a eu lieu le 9 juillet 2024, plus d’un mois après notre alerte. Tout en ignorant une partie des questions posées par le SFA, les équipes de Paname 24 et leur armée de juristes ont, dans un premier temps, laissé miroiter qu’ils seraient prêts à négocier éventuellement quelque chose, reportant des rendez-vous afin de réunir les éléments pour nous répondre au mieux.

Les deux premiers RDV sont lunaires, les juristes de Paname 24 et de Paris 2024 rivalisent d’ingéniosité pour expliquer le choix de ne pas défrayer les artistes, invoquant des jurisprudences inappropriées, ou des interprétations de paragraphes de la Convention Collective fallacieuses, voire des “usages” de la profession qui font fi de la légalité. Le paragraphe sur les indemnités de double résidence (Article XIV.3-3), qu’ils semblent découvrir, est réfuté au motif que le mot lieu de travail “fixe” ne correspond, selon eux, pas aux répétitions des JOs qui durent moins d’une semaine… alors que ces indemnités sont bien prévues pour tous les CDDs de moins de 3 mois… La question du niveau des rémunérations (salaires ou droits voisins) est évacuée au motif que “les danseurs sont mieux payés que d’usage” et “qu’iels sont ravis d’accrocher leur participation aux JOP à leurs CVs”, ce qui provoque une certaine colère du côté des négociateurs salariés.

Nous pointons surtout qu’il est demandé aux artistes de signer leurs contrats de cession de droits voisins et de droits à l’image “en blanc”, sans la précision du montant de la rémunération de ces droits. Nous alertons sur cette atteinte au droit flagrante… Paname 24 acquiesce, mais ce point d’accord n’est pas suivi d’effet : les artistes continuent de recevoir des mails de rappel leur demandant de signer les contrats de cessions de droits “en blanc”. Il semble que notre parole ne soit pas prise au sérieux, malgré notre posture constructive.

Pendant ce temps, les répétitions continuent d’avancer, mais uniquement en petits groupes. Mettant en avant les mots d’ordres d’inclusivité et de diversité, Maud Le Pladec et Thomas Jolly ont réuni des artistes venant des quatres coins de la France, mais également d’Italie, de Pologne, du Royaume Uni ou encore des USA, prenant bien soin de recourir autant que possible à l’anglais lors du travail, y compris devant les caméras de France Télévision.

Mais ce soin n’est de mise que dans la mesure où il ne coûte pas trop cher. L’ambition est de représenter et faire une place à tout le monde, mais le prix de cette ambition sera payé par les artistes qui se serrent dans une petite chambre d’hôtel ou empruntent le canapé d’une connaissance. Lors des répétitions qui ont suivi la publication du communiqué du SFA et de plusieurs articles de presse, la chorégraphe affirme avec aplomb que les conditions d’emploi respectent absolument le cadre légal, la CGT et la presse auraient eu accès à des informations erronées. Tout en expliquant qu’il n’y a de toute façon rien à redire, on conjure alors les artistes de ne pas parler à la presse ou à qui que ce soit, mais de s’adresser directement à la production pour toutes questions ou réclamations.

Les semaines s’écoulent et les dernières répétitions réunissant enfin l’ensemble des danseurs et danseuses approchent. Paname 24 semble jouer la montre et repousse les demandes de rendez-vous que le SFA lui adresse.

Un employeur ne négocie pas s’il n’y est pas contraint. Il préfère se convaincre, tant que possible, que le ou la salarié·e est parfaitement satisfait·e des conditions proposées. Sinon – logique imparable – il ou elle ne les aurait pas acceptées ! Et dans un contexte d’austérité culturelle, où même les artistes les mieux implanté·es ont des difficultés à trouver suffisamment de travail pour maintenir leur droits au chômage, une offre d’emploi trouve facilement preneur. Seul·e face à l’employeur, le rapport de force est si défavorable que le simple fait de demander une explication sur le respect des textes de loi semble trop risqué. Pointer le très faible niveau de rémunération de la cession de droit n’est même pas envisagé. D’autant plus qu’à ce point des répétitions, une dizaine d’interprètes devaient être relégué·es au statut de remplaçant·es et ne pas danser le jour J.

Aussi, le SFA décide de durcir le ton et le 17 juillet nous déposons un préavis de grève. Ce préavis de grève s’accompagne d’un courrier à l’attention des artistes reprenant tous les éléments en notre connaissance et l’état de nos discussions avec Paname 24 et Paris 2024, y compris les questions auxquelles il ne nous a pas été donné réponse.

Dans la foulée de cette décision, mais avant la publication du préavis, nous recevons un mail de Paris 2024 qui coupe court à une négociation qui n’avait jamais vraiment débuté en expliquant faire une autre lecture de la convention collective et affirmant ainsi respecter parfaitement le droit. Cette fin de non recevoir se conclut ainsi :

Ces derniers [les artistes] se font un honneur de participer à la cérémonie d’ouverture, et se sont d’ailleurs préparés et organisés pour cela depuis des mois en toute connaissance des modalités de leur participation. Les échos qui nous remontent de Paname sur l’enthousiasme des danseurs sont extrêmement positifs”.

Le cas des Ballets Permanents, l’exemple de la négociation collective

Du côté des ballets permanents, les artistes sont moins précaires car ils et elles sont en général en CDD d’un an ou en CDI. Mais même avec cette sécurité, s’exposer individuellement représente un risque. Si l’emploi est assuré, les directions conservent cependant un pouvoir important et décident qui va danser, qui sera remplaçant·e, comment chacun·e va être accompagné·e ou non dans son parcours, etc. Ce qui donne réellement la possibilité aux interprètes de négocier, c’est l’organisation collective.

Voici plusieurs années que des sections syndicales SFA-CGT ont été mises en place par les artistes des Ballets de Bordeaux, de Lorraine et du Rhin (pour ne citer qu’eux). Ainsi, les conditions de travail et de rémunération pour la participation à la cérémonie d’ouverture des Jeux de Paris, ont été présentées et discutées dans les instances de représentation du personnel et des négociations ont éventuellement eu lieu entre la direction et les organisations syndicales représentatives.

Au Ballet de l’Opéra de Bordeaux, les artistes bénéficient d’un accord annuel avec un montant forfaitaire compensant la cession de leurs droits voisins et droits à l’image. Toutefois, vu la dimension exceptionnelle de l’événement, une prime supplémentaire a été négociée. Au Ballet de Lorraine, c’est une prime ponctuelle de 280€ qui a été négociée. Au Ballet de Biarritz, où il y a des représentant·es du personnel, mais pas d’organisation syndicale représentative, la direction a spontanément proposé aux artistes des primes très importantes pour leur participation à cette cérémonie (plus de 2000€ au total dont 1610€ de droits voisins). C’est en fait l’ensemble de l’enveloppe proposée par Paname 24 qui a été redistribuée en primes.

Le statut juridique des Centres Chorégraphiques Nationaux (dont le Ballet de Biarritz et le Ballet de Lorraine font partie) est celui d’association loi 1901. Ces structures sont subventionnées et ne sont pas censées faire de bénéfice. La décision de verser l’entièreté de l’enveloppe en prime pourrait s’expliquer par le fait que le budget était déjà à l’équilibre avant qu’il ne soit proposé de participer à la cérémonie. Il faut toutefois noter que les salaires les plus bas des danseurs et danseuses du Ballet de Biarritz se trouvaient, en juillet 2024, presque 150€ en dessous du minimum légal conventionnel, et une telle prime ne compense même pas la régularisation des salaires…

La situation financière du Ballet de Lorraine étant plus fragile, la participation à cet événement a permis de rééquilibrer, en partie, un budget déficitaire, laissant peu de marge pour octroyer des primes. Au Ballet du Rhin, la situation était encore différente. Les artistes du Ballet devaient être en congé au moment de la cérémonie. Il a donc été proposé de suspendre le contrat de travail des artistes volontaires – ils et elles étaient 8 – afin qu’ils soient embauchées directement par Paname 24 pour leur participation à l’événement.

Cependant, des conditions d’embauches similaires à celles habituellement pratiquées par le Ballet du Rhin ont été exigées, c’est-à-dire le respect de la CCNEAC tel que nous en faisons la lecture et donc la prise en charge des transports, de l’hébergement et des repas, y compris pour les jours de repos. Mis à part cette prise en charge, qui est loin d’être négligeable, les conditions de rémunération et les contrats de travail étaient les mêmes que celles des intermittent·es de catégorie 1 (la catégorie la mieux rémunérée).

La particularité des élèves du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris

Pour participer au gigantesque tableau Synchronicité en dansant sur les toits, environ 60 danseurs et danseuses ont été recruté·es directement par le Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris (CNSMDP) parmi les étudiant·es. Leur participation s’est faite sur la base du volontariat. Une partie des répétitions était considérée comme faisant partie du programme pédagogique des élèves et n’a donc pas été rémunérée.

Certaines de ces répétitions se sont déroulées durant les vacances scolaires et donc en dehors des heures de cours. S’il est fréquent que des étudiant·es révisent durant leurs vacances, être convoqué·e pour des répétitions de ce spectacle externe relève plutôt du travail dissimulé. Les dernières répétitions et le spectacle ont, par contre, fait l’objet d’un contrat et d’une rémunération en catégorie 2, c’est-à-dire 150 € brut pour les journées de répétitions et 200 € brut pour le cachet et les droits de cession. Si différents rôles devaient justifier les différences de rémunération (les danseurs portant les malles par exemple étaient également en catégorie 2), c’est en l’occurrence l’expérience qui a ici fondé cette différence de traitement.

En effet, si la partie de la chorégraphie se déroulant sur les toits était plus courte que celle sur les plateformes, les artistes qui n’ont pas été recruté·es par le CNSMDP mais effectuaient la même chorégraphie étaient en catégorie 1. Le cas des ces étudiants-travailleurs a été mis sur la table tardivement et la différenciation de leur rémunération au regard des autres artistes âprement défendue par Paname24.

Nous estimions au contraire l’argument de l’expérience très discutable et fragile car si certains de ces artistes étaient encore en étude, le spectacle pour lequel il étaient embauchés est bien un spectacle professionnel, d’autant que certain·es artistes étaient déjà diplômé·es d’un DNSPD – Licence – ou d’un master, soit 2 niveaux de diplômes différents. Une danseuse a même été retenue lors des auditions avant qu’on ne lui annonce qu’elle serait finalement engagée par le biais du conservatoire, donc avec une rémunération moindre.

Dernières répétitions, la force des artistes enfin tous et toutes réuni·es

Vendredi 19 juillet, à une semaine de la cérémonie, plus de 300 danseurs et danseuses participant au tableau Synchronicité sont finalement réuni·es pour 4 ultimes jours de répétition. L’avant-veille, le SFA avait publié le préavis de grève et communiqué tous les éléments en sa possession aux artistes, dont le montant de la rémunération des droits voisins précisée par Paname24 lors des rendez-vous avec le SFA mais qui n’avait pas encore été transmise aux artistes.

Ce 19 juillet, la production vient enfin d’envoyer les contrats pour la cérémonie et dans lesquels apparaissent le détail de ces rémunérations. Le cachet annoncé à 300 € pour la catégorie 1 consiste à 240 € de salaire et 60 € de droits voisins. Pour la catégorie 2 : 160 € de salaire et 40 € de droits voisins (aucun artiste chorégraphique n’a finalement été engagé en catégorie 3).

Avant de prendre nos marques sur site, nous répétons 3 jours dans un immense hangar en région parisienne où les plateformes que nous retrouverons sur les quais ont été reconstituées. Au lieu d’être disposées de part et d’autre d’un pont, face aux tribunes, les plateformes sont disposées face à face. Se retrouver ainsi, si nombreux·ses, suscite une très forte émotion et un sentiment limpide : malgré nos différences de parcours, de nationalité, de forme d’emploi, d’esthétique, qu’on évolue dans le privé ou dans le subventionné, nous faisons tous et toutes le même métier et on a énormément en commun.

Ce sentiment d’appartenir à la même famille mettait en exergue et rendait d’autant plus absurde et insupportable les différences de traitement dont nous faisions l’objet. Comment certains pouvaient toucher 25 fois plus que d’autres pour le même travail ?

Les équipes de Paname 24 ont immédiatement annoncé être disponibles pour répondre à toutes les questions. Elles persistent à dire que la CGT et la presse diffusaient de fausses informations, affirmant que l’équité était une valeur fondamentale pour Paname 24. Mais assez vite, elles ont été contraintes de reconnaître que certains artistes toucheraient effectivement 1610 € de droits voisins et que des artistes engagé·es par Paname 24 étaient bien entièrement logés et défrayés quand la très grande majorité n’était absolument pas indemnisée.

La situation déjà tendue le matin s’aggrave, un danseur, puis un second décident de quitter le projet. La production tente de réduire la situation à un malentendu. Le cachet annoncé à 300 € s’élèvant dans le contrat à 240 €, la solution proposée est donc une revalorisation des cachets. La production annonce sans concertation préalable qu’ils seront revalorisés à 300 € et que les 60 € de droits voisins viendront en plus (respectivement 200 € et 40 € pour la catégorie 2).

Mais cette proposition est loin d’être satisfaisante. Pour les artistes il ne s’agit pas d’un malentendu. La précarité de leur situation les a contraint à accepter des conditions non conventionnelles, notamment sur les transports et logements, et des droits de cessions très bas compte tenu de l’audience gigantesque de l’événement, quand d’autres artistes ont pu bénéficier du respect de la convention et d’une négociation menée par les organisations syndicales représentatives.

La situation ne s’apaise pas, un nouveau rendez-vous est finalement proposé au SFA le dimanche 21 juillet. Le lobbying de Bernard Thibault, du Comité de la Charte Sociale, et la couverture médiatique, permettent aux discussions de changer d’échelle. Nous parlerons désormais avec Fabrice Lacroix, Directeur Exécutif RH, Administration et Finances de Paris 2024, en présence de Paname24. Mais, toujours dans le narratif du malentendu, il ne s’agit en rien d’une négociation, mais plutôt d’un rendez-vous de clarification où on nous explique qu’il n’est pas possible de répondre aux demandes du syndicat, et pis allant, des artistes, qui poursuivent les répétitions au même moment..

Prenant conscience de leur nombre, de leur force et de leur unité, les danseurs et les danseuses échangent et commencent à réfléchir à une manière de faire réaliser à la production la massivité, l’unité et la détermination du mouvement qui se met en place. Un courrier est  rédigé par un petit groupe d’artistes, demandant la tenue d’une réelle négociation et mandatant le SFA pour la mener. En une nuit, plus de 200 artistes intermittent·es participant à l’ensemble des cérémonies signent le courrier et plus de 50 artistes des Ballets permanents signent en soutien. Le lendemain allait être le dernier jour de répétition avant la cérémonie et le seul sur site.

En parallèle une boucle Whatsapp réunit les artistes, hors des groupes pré-existants où sont présents les personnels de la production. Ce canal qui, au plus fort du mouvement rassemblera 350 artistes et les élus du SFA, permet d’adresser rapidement à tous·tes les comptes-rendus des séances de négociations et de répondre aux interrogations des artistes sur le mode de rémunération, le respect ou non de la convention collective, rassurer ou alerter sur les situations rencontrées, relayer les demandes des journalistes, pousser ses coups de gueule, mais aussi rigoler, attitude plus que nécessaire tant la tension et la pression médiatique est grande.

Le  courrier fait son effet, et, dans la matinée du lundi 22 juillet, un nouveau rendez-vous fut proposé au SFA pour ce que l’on espérait être enfin le début d’une réelle négociation. Les artistes, enfin pris au sérieux, ont souhaité profiter de ce dernier jour de répétition pour mettre un maximum de pression et donner aux négociateur·ices un rapport de force favorable.

Une action collective spontanée et médiatique

S’il est de base compliqué d’organiser une action collective à 300, ça l’est d’autant plus quand le groupe est réparti sur des toits et  des plateformes séparées par un pont. Les danseur·euses étaient tous et toutes équipé·es d’oreillettes qui permettaient à la chorégraphe et à l’équipe de production de communiquer avec chacun, mais communiquer entre danseur·euses était très compliqué.

Malgré les 4 cm d’eau dans lesquels la chorégraphie est exécutée, quelques personnes ont gardé leurs téléphones et font circuler des messages d’un groupe à l’autre. Des idées d’actions circulent pour perturber le dernier et peut-être seul vrai filage sur site, celui qui devait permettre à l’équipe de captation vidéo de répéter leurs mouvements. Mais cette répétition est extrêmement précieuse car c’est peut être la seule en condition réelle et les avis divergent. L’idée initiale était de commencer le filage, mais de rester immobile une fois que tout le monde était en place…

L’unité prime et, comme évoqué dans ces quelques messages, l’intégralité des 125 danseurs et danseuses intermittent·es de la plateforme de l’Hôtel Dieu s’immobilise. Au moment de leur entrée dans la chorégraphie, les danseurs et danseuses des toits du théâtre du Châtelet, du théâtre de la ville, de l’hôtel de ville et du plateau Saint-Martin s’immobilisent à leur tour. De l’autre côté du pont, côté Tribunal de Commerce, se trouve l’ensemble des ballets. L’information y a mal circulé et seuls 10 danseur·euses s’immobilisent.

Par ailleurs, les artistes du Ballet de Bordeaux relevant du droit public, ils ne peuvent pas faire grève sans préavis. Or, celui-ci, pour respecter les jours francs, ne couvrait que le jour de la cérémonie. Malgré ce petit dissensus, alors que la musique continue à jouer, les poings se lèvent progressivement.

Des images sont capturées par les passant·es, une petite déferlante médiatique s’enclenche sur les réseaux, la presse internationale s’en empare…

Négociations et levée du préavis de grève

“Now we’re talking” furent les termes du directeur exécutif de Paris 2024 suite au courrier signé par plus de 200 artistes et au lendemain de cette action. Pour préparer la négociation qui devait enfin se tenir, un groupe resserré de porte-paroles s’est formé. Il est chargé de faire le lien avec les différents petits groupes constitués au début des répétitions collectives, mais également entre les différents tableaux de la cérémonie pour lesquels Paname 24 avait directement engagé des danseurs et des danseuses, ainsi qu’avec les artistes engagé·es pour la cérémonie d’ouverture des Jeux Paralympiques.

Concernant la prise en charge des transports et des hébergements des artistes venu·es de loin, nos interlocuteurs sont restés intraitables. Malgré un communiqué de l’ensemble des organisations représentatives, d’employeurs et de salarié·es, confirmant notre lecture de la CCNEAC, Paris 2024 préfère renvoyer aux tribunaux la dispute sur les défraiements et/ou les indemnités de double résidence.

Côté rémunération par contre, un accord est finalement trouvé. Le cachet de la catégorie 1 passe de 240 € à 300 € (tel que obtenu au premier jour des dernières répétitions) et les droits voisins passent de 60 € à 300 €. Pour la catégorie 2, le cachet passe de 160 € à 200 € et les droits voisins de 40 € à 200 €. Il est aussi acté que les artistes des cérémonies d’ouverture des Jeux Paralympiques obtiendront les mêmes conditions de rémunération.

Paris 2024 espère renouveler le dénouement de la grève des danseurs des cérémonies des JO d’Albertville en 1992 en s’alignant sur ce qui avait été obtenu à l’époque (des droits voisins égaux au montant du cachet). Cet épisode historique avait été rappelé par nos négociateurs dès les premières discussions avec Paname24. Nous regrettions alors que l’histoire se répète et rappelions que, in fine, les artistes de 1992 avaient gagné non seulement la reconnaissance des droits voisins, mais aussi une meilleure prise en charge des conditions d’accueil.

L’ensemble des artistes ont pu être consultés via les portes paroles pour accepter cette proposition et le préavis de grève fut levé le 24 juillet après-midi, 48 heures avant le coup d’envoi des JO ! Les revendications n’ayant été que partiellement satisfaites, une nouvelle séquence s’est ouverte afin de poursuivre le combat pour la prise en charge des défraiements et pour la situation potentielle de travail dissimulé identifiée pour les artistes engagé·es par le CNSMDP. Des procédures prud’homales vont en effet être lancées.

De même, il n’a pas été possible de négocier pour les salariés des cérémonies de clôture des jeux, qui étaient organisés par une autre société de production, ni pour tous les salariés employés par des entreprises sous-traitantes de Paname24, qu’elles soient prestataires artistiques (compagnies de danse…) ou techniques (société de production).

Cette séquence de négociation et de lutte a été particulièrement importante pour les nombreux·ses artistes des cérémonies d’ouverture, dont la plupart découvraient le rôle, voire l’existence, du syndicat, mais aussi simplement leurs droits. Certain·es, notamment les jeunes artistes étudiant·es au CNSMDP ou tout juste diplômé·es, effectuaient là leur tout premier contrat de travail.

Elle met en lumière que, lorsque l’unité se fait, il est possible de faire respecter ses droits, voire d’en gagner. Les différentes séances de négociations ont aussi permis de confirmer notre place de syndicat représentatif de la profession et de réaffirmer devant les employeurs que nous ne sommes pas coupés de notre base, à l’opposé de l’image initiale que nos interlocuteurs semblaient se faire, aveuglés par le mépris politique actuel pour les corps intermédiaires. Mais rappeler la légitimité et la représentativité du SFA et de la fédération CGT spectacle n’enlève pas le fait que trop peu d’artistes sont syndiqué·es. Espérons que cette lutte victorieuse nous apporte de la force et de la confiance pour affronter la période d’austérité que nous traversons.

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