
Quel débouché politique pour le mouvement septembriste ?
Le mois de septembre voit resurgir en France la crise politique confinant à la crise de régime, que le bloc au pouvoir macrono-LR était parvenu à suspendre provisoirement avec la complicité du RN et du PS. Le gouvernement de François Bayrou a toutes les chances de tomber le 8 et, dans la foulée, le 10, s’annonce une journée de mobilisations, imprévisible dans son ampleur, ses formes et sa radicalité, mais fortement attendue.
Contretemps a demandé à plusieurs militants ou dirigeants d’organisations de la gauche sociale et politique de développer leurs positions concernant la nouvelle conjoncture politique qui s’est ouverte cet été, et les perspectives qu’ils avancent. Dans cette contribution, Clémence Guetté et Hadrien Clouet – députés de la France Insoumise – resituent cette journée de mobilisation dans un été politique qui appelle des prolongements très politiques, afin de mettre fin au règne d’Emmanuel Macron.
On pourra également lire sur notre site la contribution de Hendrik Davi, député membre de L’Après.
***
Un été politique
Pour la première fois au XXIe siècle, la torpeur estivale n’a pas dilué les mobilisations politiques. Ainsi, pendant l’été, deux millions de personnes ont signé une pétition contre la loi Duplomb sur les pesticides. Le mouvement pour la paix s’est renforcé avec le départ d’une nouvelle flottille de la liberté, à bord de laquelle se trouvaient deux députées insoumises. Et au lendemain de la déclaration de guerre sociale de François Bayrou, on a vu émerger spontanément sur les réseaux sociaux des appels à la riposte populaire.
Cette politisation estivale ne tombe pas du ciel : elle s’inscrit dans un contexte socio-économique particulier. Conjoncturellement, les annonces budgétaires de François Bayrou ont agi comme un détonateur, révélant une colère populaire déjà latente. Structurellement, l’été permet à une partie de la population d’entrer dans un temps libéré du travail, des études ou de l’école. Ce temps libéré est aussi souvent celui des privations. Ainsi, dans la France de Macron, les congés payés ne sont plus synonymes de départ en vacances : 40 % des Français ne partent pas, et ceux qui voudraient le faire sont étranglés par l’augmentation des prix. En effet, entre 2019 et 2024, les prix d’une nuitée à l’hôtel et d’un emplacement de camping ont augmenté de 30%, et celui d’une entrée adulte à Disneyland de 25%. Dès lors, pendant l’été 2025, le temps libéré est devenu un temps libre frappé par l’interdit matériel de partir en vacances, donc propice à l’organisation politique.
Un pouvoir qui précipite lui-même sa chute
C’est ce contexte de politisation estivale qui préfigure le mois de septembre qui s’annonce. En parallèle et depuis la décision d’Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale en juin 2024, nous assistons à une véritable crise de régime, c’est-à-dire l’effet-ciseau entre le haut qui ne peut plus et le bas qui ne veut plus. La tête du pouvoir pourrit à vitesse accélérée, en témoigne la valse des cabinets, la rotation des ministres et, plus récemment, l’annonce par François Bayrou lui-même de sa date de départ. Pour la première fois en cinq ans, il a notifié, à la fin de l’été, qu’il se soumettrait à un vote de confiance à l’Assemblée nationale, 268 jours après son arrivée à Matignon.
Cette décision peut légitimement apparaître comme une victoire populaire contre la déclaration de guerre sociale estivale du gouvernement. Bayrou va tomber, et son plan d’une violence sociale inouïe aussi. Pourtant, il ne faut pas se méprendre. Le seul souci de l’oligarchie macroniste est de contrôler sa propre sortie, afin de maintenir dans un cadre strictement parlementaire ses échecs, et ainsi éviter d’être expulsée par la mobilisation populaire du 10 septembre. Mais cette tentative de séparation entre le Parlement et la société, pour rabattre celle-ci sur celui-là, se heurte à la construction politique autonome initiée par le peuple au cours de l’été.
Une rentrée placée sous le signe pré-révolutionnaire
Par le biais de boucles de messagerie et de comités locaux, des milliers d’individus ont réagi à l’actualité immédiate autour d’un objectif (« qu’ils s’en aillent ») et d’une méthode (« tout bloquer »). C’est cette crainte d’un blocage généralisé de l’économie le 10 septembre qui a conduit François Bayrou à organiser le vote du 8 septembre. Dans la foulée, le soutien apporté rapidement par les confédérations syndicales les plus combatives ont permis l’obtention de préavis de grève, assurant d’une part la capacité concrète des salariés à réaliser le blocage sans risquer de perdre leur emploi, et d’autre part la crédibilité du rapport de force du mouvement septembriste.
Mais la force essentielle du mouvement est son indépendance politico-syndicale, qui lui confère trois avantages cruciaux. D’abord, l’absence d’historique de conflit entre les uns et les autres, qui nuirait à la solidité et à la fraternité de la lutte. Ensuite, car l’indépendance est toujours une exigence réciproque, qui conduit le mouvement à se doter de ses propres mots d’ordre sans vouloir impérativement aligner ses soutiens sur l’ensemble des revendications. Les Insoumis ont leur programme, que le mouvement du 10 septembre ne leur demande pas d’abdiquer, seulement d’identifier les points communs sur lesquels combattre ensemble. Enfin, car l’indépendance implique des revendications immédiates et concrètes, plutôt que des luttes de positionnement ou des jeux de billard à quatre bandes.
Premier effet concret de cette mobilisation en germe : elle a percuté l’agenda médiatique d’extrême-droite. Pour la première fois depuis de longues années, aucune polémique islamophobe n’a pu être imposée en juillet-août. Pas de burkini ou d’abaya sur les chaînes de télévision, car le 10 septembre est parvenu à placer la rentrée sous le signe pré révolutionnaire. Résultat : les émissaires du bloc réactionnaire sont les spectateurs d’une actualité qui leur échappe. Plus avides à défendre les intérêts de l’oligarchie dominante qu’à se mettre au service du peuple, ils refusent de participer au mouvement “bloquons tout” qui leur “fait peur”.
Emmanuel Macron doit partir
Se pose maintenant la question de la cible d’une telle mobilisation. Au premier anniversaire de la dissolution de l’Assemblée nationale décidée en 2024 par Emmanuel Macron, celui-ci incarne plus que jamais l’adversaire sur la plupart des réseaux où nous assistons aux échanges. De quoi Macron est-il le nom ? De l’ignorance du résultat des urnes. De la nomination de gouvernements à rebours des attentes populaires exprimées par le vote. Il est responsable des méthodes autoritaires du gouvernement et de la répression des oppositions. Il est responsable de la continuité macroéconomique depuis 2017 malgré les résistances multiples et ses défaites électorales. Il détient un ensemble de pouvoirs exorbitants pour un homme seul. Il est connu de toutes et de tous en France, contrairement aux possédants dont il représente les intérêts et qui se répartissent l’exploitation du travail de la population. Sa chute est possible de manière tout à fait légale et constitutionnelle : par le biais d’une démission ou par le biais d’une destitution, qui conduiraient à une élection présidentielle anticipée. Elle est souhaitée par 67% des Français.
Une telle élection offrirait le débouché constituant au moment destituant. Elle arbitrerait par le vote, et donc la majorité, le rapport de la Nation aux revendications du 10 septembre. Pas de négociation de couloir ou d’accord informel dans un ministère : un vote, populaire, sur les revendications sociales. Et cela, pendant que la classe des possédants est affaiblie par un mouvement qui lui est hostile, dont il faudra ratifier les nouvelles positions qu’il aura conquises, dans les entreprises par exemple, en cas de massification souhaitable et déjà annoncée par l’intersyndicale avec la journée du 18 septembre. D’autant qu’à l’inverse, la victoire électorale d’un gouvernement populaire peut favoriser la poursuite de la mobilisation, en continuant la lutte contre les possédants dans l’exécutif et dans la rue.