Démocratie et fascisme
Le XIe Plénum du Comité exécutif de l’Internationale communiste a admis la nécessité d’en finir avec les vues erronées qui se fondent sur la « construction libérale de la contradiction entre le fascisme et la démocratie bourgeoise, entre les formes parlementaires de la dictature de la bourgeoisie et ses formes ouvertement fascistes…« . Le fond de cette philosophie stalinienne est très simple : partant de la négation marxiste d’une contradiction absolue, elle en tire une négation de la contradiction en général, même relative. C’est l’erreur typique du gauchisme vulgaire. Car s’il n’existe aucune contradiction entre la démocratie et le fascisme, même au niveau des formes que prend la domination de la bourgeoisie, ces deux régimes doivent tout simplement coïncider. D’où la conclusion : social-démocratie = fascisme. Mais pourquoi alors appelle-t-on la social-démocratie social-fascisme? Que signifie à proprement parler dans cette liaison le terme « social », nous n’avons jusqu’à présent reçu aucune explication [1].
Cependant, les décisions des plénums du Comité exécutif de l’Internationale communiste ne modifient en rien la nature des choses. Il existe une contradiction entre le fascisme et la démocratie. Elle n’est pas « absolue » ou, pour utiliser le langage du marxisme, elle n’exprime pas la domination de deux classes irréductibles. Mais elle désigne deux systèmes différents de domination d’une seule et même classe. Ces deux systèmes : parlementaire démocratique et fasciste, s’appuient sur différentes combinaisons des classes opprimées et exploitées et entrent immanquablement en conflit aigu l’un avec l’autre.
La social-démocratie, aujourd’hui principale représentante du régime parlementaire bourgeois, s’appuie sur les ouvriers. Le fascisme s’appuie sur la petite bourgeoisie. La social-démocratie ne peut avoir d’influence sans organisation ouvrière de masse. Le fascisme ne peut instaurer son pouvoir qu’une fois les organisations ouvrières détruites. Le parlement est l’arène principale de la social-démocratie. Le système fasciste est fondé sur la destruction du parlementarisme. Pour la bourgeoisie monopoliste, les régimes parlementaire et fasciste ne sont que les différents instruments de sa domination : elle a recours à l’un ou à l’autre selon les conditions historiques. Mais pour la social-démocratie comme pour le fascisme, le choix de l’un ou de l’autre instrument a une signification indépendante, bien plus, c’est pour eux une question de vie ou de mort politique.
Le régime fasciste voit son tour arriver lorsque les moyens « normaux », militaires et policiers de la dictature bourgeoise, avec leur couverture parlementaire, ne suffisent pas pour maintenir la société en équilibre. A travers les agents du fascisme, le capital met en mouvement les masses de la petite bourgeoisie enragée, les bandes des lumpen-prolétaires déclassés et démoralisés, tous ces innombrables êtres humains que le capital financier a lui-même plongés dans la rage et le désespoir. La bourgeoisie exige du fascisme un travail achevé : puisqu’elle a admis les méthodes de la guerre civile, elle veut avoir le calme pour de longues années. Et les agents du fascisme utilisant la petite bourgeoisie comme bélier et détruisant tous les obstacles sur leur chemin, mèneront leur travail à bonne fin. La victoire du fascisme aboutit à ce que le capital financier saisit directement dans ses tenailles d’acier tous les organes et institutions de domination, de direction et d’éducation : l’appareil d’Etat avec l’armée, les municipalités, les universités, les écoles, la presse, les organisations syndicales, les coopératives. La fascisation de l’Etat n’implique pas seulement la « mussolinisation » des formes et des méthodes de gouvernement – dans ce domaine les changements jouent en fin de compte un rôle secondaire – mais avant tout et surtout, l’écrasement des organisations ouvrières : il faut réduire le prolétariat à un état d’apathie complète et créer un réseau d’institutions pénétrant profondément dans les masses, pour faire obstacle à toute cristallisation indépendante du prolétariat. C’est précisément en cela que réside l’essence du régime fasciste.
Ce qui vient d’être dit ne contredit en rien le fait qu’il puisse exister durant une période déterminée un régime de transition entre le système démocratique et le système fasciste, combinant les traits de l’un et de l’autre : telle est la loi générale du remplacement d’un système par un autre, même s’ils sont irréductiblement hostiles l’un à l’autre. Il y a des moments où la bourgeoisie s’appuie sur la social-démocratie et sur le fascisme, c’est-à-dire qu’elle utilise simultanément ses agents conciliateurs et ses agents terroristes. Tel était, dans un certain sens, le gouvernement de Kérensky pendant les derniers mois de son existence : il s’appuyait à moitié sur les Soviets et en même temps conspirait avec Kornilov. Tel est le gouvernement de Brüning dansant sur une corde raide entre les deux camps irréductibles, avec le balancier des décrets d’exception dans les mains. Mais une telle situation de l’Etat et du gouvernement ne peut avoir qu’un caractère temporaire. Elle est caractéristique de la période de transition : la social-démocratie est sur le point de voir expirer sa mission, alors que ni le communisme ni le fascisme ne sont encore prêts à s’emparer du pouvoir.
Les communistes italiens qui depuis longtemps se sont heurtés au problème du fascisme, ont plus d’une fois protesté contre l’utilisation très répandue mais erronée de ce concept. A l’époque du VIe Congrès de l’Internationale communiste, Ici Ercolidéveloppait encore des positions sur la question du fascisme qui sont considérées maintenant comme » trotskystes « . Définissant le fascisme comme le système le plus conséquent et le plus achevé de la réaction, Ercoli expliquait : « Cette affirmation ne se fonde ni sur les actes terroristes et cruels, ni sur le grand nombre d’ouvriers et de paysans tués, ni sur la férocité des différents types de torture largement employées, ni sur la sévérité des condamnations ; elle est motivée par la destruction systématique de toutes les formes d’organisation autonome des masses. » Ici Ercoli a tout à fait raison : l’essence et le rôle du fascisme visent à liquider totalement toutes les organisations ouvrières et à empêcher toute renaissance de ces dernières. Dans la société capitaliste développée cet objectif ne peut être atteint par les seuls moyens policiers. La seule voie pour y arriver consiste à opposer à la pression du prolétariat – lorsqu’elle .se relâche – la pression des masses petites bourgeoises en proie au désespoir. C’est précisément ce système particulier de la réaction capitaliste qui est entré dans l’histoire sous le nom de fascisme.
« Le problème des relations existant entre le fascisme et la social-démocratie– écrivait Ercoli – relève précisément de ce domaine (c’est-à-dire de l’opposition irréductible entre le fascisme et les organisations ouvrières). De ce point de vue, le fascisme se distingue nettement de tous les autres régimes réactionnaires qui ont été instaurés jusqu’à présent dans le monde capitaliste contemporain. Il rejette tout compromis avec la social-démocratie, il la poursuit férocement ; il lui a enlevé toute possibilité d’existence légale ; il l’a forcée à émigrer. » Voilà ce que déclarait cet article, imprimé dans l’organe dirigeant de l’Internationale communiste ! Par la suite Manouilsky souffla à Molotov l’idée géniale de la « troisième période ». La France, l’Allemagne, la Pologne furent placées au « premier rang de l’offensive révolutionnaire« . La conquête du pouvoir fut proclamée tâche immédiate. Et comme face à l’insurrection prolétarienne tous les partis, à l’exception du Parti communiste, étaient contre-révolutionnaires, il ne fut plus nécessaire d’opérer une distinction entre le fascisme et la social-démocratie. La théorie du social-fascisme fut entérinée. Les bureaucrates de l’Internationale communiste changèrent leur fusil d’épaule. Ercoli se hâta de démontrer que si la vérité lui était chère, Molotov lui était encore plus cher, et… écrivit un rapport défendant la théorie du social-fascisme. « La social-démocratie italienne– déclarait-il en février 1930 – se fascise avec une extrême facilité. » Hélas, c’est avec une plus grande facilité encore que les fonctionnaires du communisme officiel se servilisent.
Notre critique de la théorie et de la pratique de la » troisième période » fut, on pouvait s’y attendre, déclarée contre-révolutionnaire. L’expérience cruelle, qui coûta si cher à l’avant-garde prolétarienne, rendit nécessaire un tournant à ce niveau également. La » troisième période » ainsi que Molotov furent licenciés de l’Internationale communiste. Mais la théorie du social-fascisme demeura comme le seul fruit arrivé à maturité de la troisième période. Ici il ne peut y avoir de changements : seul Molotov s’était lié à la troisième période ; par contre, Staline s’était enferré en personne dans la théorie du social-fascisme.
En exergue de ses études sur le social-fascisme, le Rote Fahne a placé ces paroles de Staline : « Le fascisme est l’organisation de combat de la bourgeoisie qui s’appuie sur le soutien actif de la social-démocratie. La social-démocratie est objectivement l’aile modérée du fascisme. » Comme cela arrive généralement à Staline lorsqu’il s’efforce de généraliser, la première phrase contredit la seconde. Que la bourgeoisie s’appuie sur la social-démocratie et que le fascisme soit l’organisation de combat de la bourgeoisie, c’est tout à fait indiscutable et a été dit depuis longtemps. Mais de cela découle seulement le fait que la social-démocratie comme le fascisme sont les instruments de la grande bourgeoisie. Mais il est impossible de comprendre pourquoi de surcroît la social-démocratie s’avère être « l’aile » du fascisme. Une deuxième définition du même auteur n’est en rien plus profonde : la social-démocratie et le fascisme ne sont pas des adversaires mais au contraire des jumeaux… Des jumeaux peuvent être de cruels adversaires ; par ailleurs, il n’est pas du tout nécessaire que des alliés naissent le même jour de la même mère. Dans la construction de Staline non seulement la logique formelle fait défaut, mais aussi la dialectique. La force de cette formule réside dans le fait que personne n’ose la critiquer.
Entre la démocratie et le fascisme il n’y a pas de différence du point de vue du « contenu de classe » nous enseigne à la suite de Staline, Werner Hirsch (Die Internationale, janvier 1932). Le passage de la démocratie au fascisme peut prendre le caractère d’un « processus organique », c’est-à-dire se produire « progressivement et à froid ». Ce raisonnement pourrait surprendre si les épigones ne nous avaient pas appris à ne plus nous étonner.
Entre la démocratie et le fascisme il n’y a pas de « différence de classe ». Cela doit signifier, évidemment, que la démocratie comme le fascisme ont un caractère bourgeois. Nous n’avions pas attendu janvier 1932 pour le deviner. Mais la classe dominante ne vit pas en vase clos. Elle se trouve dans des rapports déterminés avec les autres classes. Dans le régime » démocratique » de la société capitaliste développée, la bourgeoisie s’appuie en premier lieu sur la classe ouvrière apprivoiser par les réformistes. C’est en Angleterre que ce système trouve son expression la plus achevée, aussi bien sous un gouvernement travailliste que sous un gouvernement conservateur. En régime fasciste, dans un premier stade du moins, le capital s’appuie sur la petite bourgeoisie pour détruire les organisations du prolétariat. L’Italie par exemple ! Existe-t-il une différence dans le » contenu de classe » de ces deux régimes? Si l’on ne pose la question qu’à propos de la classe dominante, il n’y a pas de différence. Mais si l’on prend la situation et les rapports réciproques entre toutes les classes du point de vue du prolétariat, la différence est très grande.
Au cours de plusieurs dizaines d’années les ouvriers ont construit à l’intérieur de la démocratie bourgeoise, en l’utilisant tout en luttant contre elle, leurs bastions, leurs bases, leurs foyers de démocratie prolétarienne : les syndicats, les partis, les clubs de formation, les organisations sportives, les coopératives, etc. Le prolétariat peut arriver au pouvoir non dans le cadre formel de la démocratie bourgeoise mais par la voie révolutionnaire : ceci est démontré aussi bien par la théorie que par l’expérience. Mais c’est précisément pour cette voie révolutionnaire que le prolétariat a besoin de bases d’appui de démocratie prolétarienne à l’intérieur de l’Etat bourgeois. C’est à la création de telles bases que s’est réduit le travail de la IIème Internationale à l’époque où elle remplissait encore un rôle historique progressiste.
Le fascisme a pour fonction principale et unique de détruire tous les bastions de la démocratie prolétarienne jusqu’à leurs fondements. Est-ce que cela a ou non une « signification de classe » pour le prolétariat? Que les grands théoriciens se penchent sur ce problème. Ayant qualifié le régime de bourgeois – ce qui est indiscutable – Hirsch, comme ses maîtres, oublie un détail : la place du prolétariat dans ce régime. Ils substituent au processus historique une abstraction sociologique aride. Mais la lutte des classes se mène sur la terre de l’histoire et non dans la stratosphère de la sociologie. Le point de départ de la lutte contre le fascisme n’est pas l’abstraction de l’Etat démocratique mais les organisations vivantes du prolétariat, où est concentrée toute son expérience et qui préparent l’avenir.
Le fait que le passage de la démocratie au fascisme puisse avoir un caractère « organique » ou « progressif » ne signifie évidemment rien d’autre si ce n’est qu’il est possible d’enlever au prolétariat sans secousse ni combat non seulement ses conquêtes matérielles – un certain niveau de vie, une législation sociale, des droits civiques et politiques – mais aussi l’instrument principal de ces conquêtes, c’est-à-dire ses organisations. Ainsi, ce passage « à froid » au fascisme présuppose la plus effroyable capitulation politique du prolétariat qu’on puisse imaginer.
Les raisonnements théoriques de Werner Hirsch ne sont pas dus au hasard : tout en développant les proclamations de Staline, ils sont en même temps la généralisation de toute l’agitation actuelle du Parti communiste. Ses efforts principaux visent à démontrer qu’entre le régime d’Hitler et celui de Brüning il n’y a pas de différence. Thaelmann et Remmele y voient actuellement la quintessence de la politique bolchevique.
L’affaire n’est pas limitée à l’Allemagne. L’idée que la victoire des fascistes n’apportera rien de nouveau est propagée avec zèle dans toutes les sections de l’Internationale communiste. Dans le numéro de janvier de la revue française Les Cahiers du bolchevisme, nous lisons : « Les trotskystes qui agissent dans la pratique comme Breitscheid acceptent la célèbre théorie sociale-démocrate du moindre mal, selon laquelle Brüning n’est pas aussi mauvais qu’Hitler, selon laquelle il est moins désagréable de mourir de faim sous Brüning que sous Hitler, et infiniment préférable d’être fusillé par Groener que par Frick. » Cette citation n’est pas la plus stupide, même si, il faut lui rendre cette justice, elle est assez stupide. Cependant, elle exprime, hélas, l’essence même de la philosophie politique des dirigeants de l’Internationale communiste.
Le fait est que les staliniens comparent deux régimes du point de vue de la démocratie vulgaire. De fait, si l’on applique au régime de Brüning le critère « démocratique » formel, la conclusion que l’on tire est indiscutable : il ne reste que les os et la peau de la fière constitution de Weimar. Mais pour nous la question n’est pas pour autant résolue. Il faut considérer la question du point de vue de la démocratie prolétarienne. C’est le seul critère sûr quand il s’agit de savoir où et quand le régime fasciste remplace la réaction policière » normale » du capitalisme pourrissant.
Brüning est-il « meilleur » qu’Hitler (serait-il plus sympathique ?), cette question, il faut bien l’avouer, ne nous préoccupe guère. Mais il suffit de regarder la carte des organisations ouvrières pour dire : le fascisme n’a pas encore remporté la victoire en Allemagne. Des obstacles et des forces gigantesques se trouvent encore sur le chemin de la victoire.
Le régime actuel de Brüning est un régime de dictature bureaucratique, plus exactement : de dictature de la bourgeoisie, réalisée par des moyens militaires et policiers. La petite bourgeoisie fasciste et les organisations prolétariennes s’équilibrent pour ainsi dire l’une l’autre. Si les organisations ouvrières étaient réunies en soviets, si les comités d’usine se battaient pour le contrôle de la production, on pourrait parler de double pouvoir. Du fait de la dispersion du prolétariat et de l’impuissance tactique de son avant-garde, cela n’est pas encore possible. Mais le fait même qu’il existe des organisations ouvrières puissantes capables dans certaines conditions d’opposer une riposte foudroyante au fascisme, ne permet pas à Hitler d’accéder au pouvoir et confère à l’appareil bureaucratique une certaine « indépendance ».
La dictature de Brüning est une caricature du bonapartisme. Cette dictature est instable, peu solide et provisoire. Elle ne marque pas le début d’un nouvel équilibre social mais annonce la fin prochaine de l’ancien équilibre. En ne s’appuyant directement que sur une faible minorité de la bourgeoisie, Brüning, toléré par la social-démocratie contre la volonté des ouvriers, menacé par le fascisme, est capable de lancer des foudres sous forme de décrets, mais non dans la réalité. Dissoudre le parlement avec l’accord de ce dernier, promulguer quelques décrets contre les ouvriers, décider une trêve pour Noël, en profiter pour régler quelques petites affaires, disperser une centaine de réunions, fermer une dizaine de journaux, échanger avec Hitler des lettres dignes d’un épicier de province, – voilà ce à quoi suffit Brüning. Pour ce qui est plus élevé, il a les bras trop courts.
Brüning est obligé de tolérer l’existence des organisations ouvrières, dans la mesure où il n’est pas encore décidé à remettre le pouvoir à Hitler et où il n’a pas la force indépendante nécessaire pour les liquider. Brüning est obligé de tolérer les fascistes et de les protéger, dans la mesure où il craint mortellement la victoire des ouvriers. Le régime de Brüning est un régime de transition, qui ne peut pas durer longtemps et qui annonce la catastrophe. Le gouvernement actuel ne se maintient que parce que les principaux camps n’ont pas encore mesuré leurs forces. Le véritable combat ne s’est pas encore engagé. Il est encore devant nous. C’est une dictature de l’impuissance bureaucratique qui remplit la pause avant le combat, avant l’affrontement ouvert des deux camps.
Les sages qui se vantent je ne pas voir la différence « entre Brüning et Hitler », disent en fait : peu importe que nos organisations existent encore ou qu’elles soient déjà détruites. Sous ce bavardage pseudo-radical se cache la passivité la plus ignoble : de toute manière nous ne pouvons pas éviter la défaite ! Relisez attentivement la citation de la revue des staliniens français : tout le problème est de savoir s’il vaut mieux avoir faim avec Brüning ou avec Hitler. Nous ne posons pas la question de savoir comment et dans quelles conditions il vaut mieux mourir, mais comment se battre et vaincre. Notre conclusion est la suivante : il faut engager le combat général, avant que la dictature bureaucratique de Brüning ne soit remplacée par le régime fasciste, c’est-à-dire avant que les organisations ouvrières ne soient écrasées. Il faut se préparer au combat général en développant, en élargissant et en accentuant les combats particuliers. Mais pour cela, il faut avoir une perspective juste et, avant tout, ne pas proclamer vainqueur un ennemi qui est encore loin de la victoire.
Nous touchons au cœur du problème : là est la clé stratégique de la situation, la position de départ pour la lutte. Tout travailleur conscient, et à plus forte raison tout communiste, doit se rendre compte du vide, de la nullité, de la pourriture des discussions de la bureaucratie stalinienne où l’on affirme que Brüning et Hitler c’est la même chose. Vous mélangez tout! – leur répondons-nous. Vous embrouillez honteusement tout parce que vous avez peur des difficultés, des tâches importantes. Vous capitulez avant le combat, vous proclamez que nous avons déjà subi une défaite. Vous mentez ! La classe ouvrière est divisée, affaiblie par les réformistes, désorientée par les errements de sa propre avant-garde, mais elle n’est pas encore battue, ses forces ne sont pas encore épuisées… Non, le prolétariat d’Allemagne est encore puissant. Les calculs les plus optimistes s’avéreront complètement dépassés le jour où l’énergie révolutionnaire se fraiera un chemin dans l’arène de l’action.
Le régime Brüning est un régime préparatoire. A quoi? Soit à la victoire du fascisme, soit à la victoire du prolétariat. Ce régime est préparatoire parce que les deux camps se préparent au combat décisif. Tirer un trait d’égalité entre Brüning et Hitler, c’est identifier la situation avant le combat à la situation après la défaite; cela veut dire considérer à l’avance la défaite comme inévitable, cela signifie appeler à capituler sans combat. La majorité écrasante des ouvriers, particulièrement des communistes, n’en veut pas. La bureaucratie stalinienne, naturellement, n’en veut pas non plus. Il ne faut pas s’en tenir à de bonnes résolutions dont Hitler se servira pour paver son enfer, mais comprendre le sens objectif de la politique, son orientation, ses tendances. Il faut dévoiler jusqu’au bout le caractère passif, lâche, attentiste, capitulard et déclamatoire de la politique de Staline – Manouilsky – Thaelmann – Remmele. Il faut que les ouvriers révolutionnaires comprennent que c’est le Parti communiste qui détient la clé de la situation ; mais avec cette clé la bureaucratie stalinienne s’efforce de fermer les portes donnant sur l’action révolutionnaire.
Janvier 1932. Extrait de Comment vaincre le fascisme.