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Le 24 août 2020, lors de la soirée d’ouverture de la Convention nationale républicaine (CNR) un discours de Patricia et Mark McCloskey fut spectaculairement mis en scène. On se rappelle ce couple de riches blancs qui avait brandi, à Saint-Louis (Missouri) et au mépris de la loi, des armes à feu contre des manifestants de «Black Lives Matter» (BLM). Vingt-quatre heures après leur intervention lors la CNR, un homme blanc tuait avec son arme deux personnes et en blessait une troisième à Kenosha (Wisconsin) lors d’une manifestation de BLM.

Kyle Rittenhouse, un habitant de l’Illinois, âgé de 17 ans, était arrêté par la police pour meurtre au premier degré1. Ses liens présumés avec des milices n’ont pas encore été formellement établis, il semble qu’il soit un ancien cadet de la police et son profil sur les réseaux sociaux comporte de la propagande pour «Blue Lives Matter»2. Le shérif du comté de Kenosha, David Beth, a confirmé l’existence de patrouilles de miliciens dans les rues de Kenosha cette semaine, disant d’eux: «Ils se conduisent comme un groupe d’autodéfense.»

Pendant ce temps, le lieutenant-gouverneur du Wisconsin, Mandela Barnes, a déclaré : «Hier soir, on pouvait voir ces milices enflammées par le souffle de la haine décidées à prendre les armes ». Selon le Milwaukee Journal Sentinel, mardi 25 août, au moins une de ces milices, connue sous le nom de «Kenosha Guard», avait «appelé ses membres et ses abonnés Facebook à descendre en ville pour préparer sa défense». Ces milices, ces bandes armées d’extrême droite, semblent soutenir l’appel des McCloskeys à prendre les armes contre la «gauche radicale» :

«Les démocrates encouragent l’anarchie et le chaos dans nos rues», ont soutenu les McCloskeys, «ils semblent considérer que le gouvernement n’a plus à protéger les honnêtes gens contre les criminels, mais ces derniers contre les honnêtes gens.»

En même temps, on peut entendre Jim Jordan, représentant de l’Ohio, dire avec d’autres républicains que les villes «dirigées par des démocrates» sont envahies par «la criminalité, la violence et la loi de la rue ». Dans un tel contexte, avec l’encouragement du «Grand Old Party» (GOP), peut-on s’étonner si des milices d’extrême droite ou des individus qui leur sont proches passent à l’acte? John Antaramian, le maire de Kenosha (Wisconsin), n’est-il pas un démocrate ?

La politique fasciste et d’extrême droite nage dans une mer de paradoxes, surtout lorsqu’elle est au pouvoir. Les commentaires de Donald Trump Jr. renforçaient le message de la CNR: «Nous devons être la loi et l’ordre, mais cela ne signifie pas que nous ne dénonçons pas les abus.» Mais l’hypocrisie de son propos saute aux yeux lorsqu’on la compare à la vénération dont bénéficient les McCloskey, pourtant accusés de crime. Toutefois la duplicité du message de la CNR est pire encore. Nous la voyons à l’œuvre lorsqu’elle expose les prétendues causes profondes du besoin de ramener l’ordre dans la société.

S’exprimant à la CNR, la star de Fox News, conseillère de Trump, Kimberly Guilfoyle [ex-procureure à San Francisco et à Los Angeles], a affirmé que les démocrates préféraient se complaire avec les «élites cosmopolites» plutôt que d’écouter l’homme de la rue, celui qui respecte la loi. Selon Eric Trump, les démocrates sont obnubilés par la «réception des élites parisiennes». Cette accusation d’allégeance aux «progressistes mondialistes» est du populisme d’exrême droite pur porc. Seule sa forme diffère de la propagande «White supremacists», manquent les clins d’œil antisémites aux prétendus tireurs de ficelle, à George Soros.

Cette vision correspond également à la théorie du complot, en pleine croissance, inspirée par «QAnon»3, selon laquelle un groupe de démocrates sataniques et d’autres membres de l’élite cosmopolite dirigent le monde «en se livrant à la pédophilie, à la traite des êtres humains et à l’extraction du sang d’enfants maltraités qui contiendrait une substance chimique qui prolongerait leur vie» comme l’écrit Julia Carrie Wong dans The Guardian.

Selon la rhétorique de la CNR, puisque les démocrates «blâment l’Amérique d’abord» plutôt que de mettre «l’Amérique d’abord» (un slogan avec sa propre histoire fasciste), ils veulent «inviter le MS-13 à vivre à côté»4, selon le représentant d’extrême droite de la Floride, Matt Gaetz. Et ils «ferment les yeux sur les émeutes et la rage», selon l’ancienne gouverneure de Caroline du Sud et ambassadrice des États-Unis aux Nations unies, Nikki Haley; ou sont même «captifs de la gauche radicale», selon Daniel Cameron, procureur général du Kentucky.

Le défi de rétablir l’ordre et de «protéger nos familles de la foule enragée» est «un combat que seul mon père peut gagner», proclame Eric Trump, avec les légions de fidèles du «MAGA»5. Comme le souligne l’historien du fascisme Federico Finchelstein, «Trump prend la place qui devrait revenir à la plate-forme [de son parti] parce que, à la manière dont Hitler avait pu l’être, il est considéré comme l’incarnation du programme».

Les adhérents à la vision du monde de «QAnon», en nombre sans cesse croissant, croient que leur chef intrépide combat secrètement le satanisme de «l’État profond». Trump, lui, affirme que les adhérents de QAnon sont simplement «des gens qui aiment notre pays». Alors que parfois Trump prétend respecter la loi, il a également pour habitude d’encourager la brutalité policière et de se moquer des droits humains internationaux.

La formule de Charlie Kirk, le fondateur de l’organisation étudiante d’extrême droite «Turning Point USA» résume le message de la CNR – et sa portée glaçante résonne cette semaine avec les patrouilles miliciennes qui agressent dans les rues de Kenosha les manifestations pour la justice raciale – «cette élection aura à trancher entre la conservation de l’Amérique telle que nous la connaissons ou la liquidation de tout ce que nous aimons».

Alors que la solution explicite pour éviter une «utopie socialiste» imminente, comme l’a dit Tim Scott (sénateur républicain de Caroline du Sud), consiste à remporter les élections, de nombreux partisans de Trump et leurs compagnons de route d’extrême droite et fascistes, durant la CNR, se livrent simultanément à une rhétorique raciste sur la nécessité d’une défense militante des «quartiers tranquilles» contre les foules d’immigrants et les «gauchistes radicaux», déterminés à «remplacer» l’Amérique (ce qui rappelle le chant de Charlottesville: «Les Juifs ne nous remplaceront pas», lors de la manifestation de Unite the Right le 12 août 2017).

L’appel paradoxal à subvertir la loi pour faire respecter la loi est fondamentalement fasciste. Le «Punisher», le super-héros des studios Marvel, illustre cette vision du monde fasciste. La police a adopté ce logo d’un homme fort, libéré des «faiblesses» du légalisme bourgeois «efféminé» qui réalise la justice transcendante. Comme tant de dirigeants fascistes et d’extrême droite avant lui, Trump – il «plaisante» en prétendant conserver le pouvoir au-delà du terme de son mandat – en est venu à incarner ce paradoxe, l’illégalité au nom de la légalité.

Aux côtés de Trump s’engagent des légions de partisans de plus en plus à l’aise avec la violence des justiciers pour conjurer ce que Matt Gaetz (républicain élu pour la Floride à la Chambre des représentants) a décrit comme les efforts de Black Lives Matter et d’autres gauchistes pour commettre ce «génocide culturel», que d’autres nationalistes blancs appellent simplement «génocide blanc» (pour rédiger ses discours, Gaetz a engagé un suprémaciste blanc).

Nous ne savons pas encore si le tireur présumé de Kenosha était formellement lié aux activités d’une milice d’extrême droite dans cette ville [cela a été confirmé depuis lors], mais son adhésion à la propagande de «Blue Lives Matter» témoigne de l’influence qu’exerce sur lui la glorification de la violence des justiciers, endémique au sein de la fachosphère.

En Pennsylvanie récemment, des manifestants de Black Lives Matter ont subi une autre fusillade. Nous avons vu ces derniers mois se multiplier les attaques de véhicules-béliers contre des manifestations de Black Lives Matter à la manière de celle qui a tué Heather Heyer, en 2017, à Charlottesville (Virginie). Il est difficile, dans de telles conditions, de penser que la fusillade de manifestants, hier soir à Kenosha (25 août), aura été la dernière du genre.

Les mobilisations contre le suprématisme blanc et d’autres formes de domination vont progresser dans les années à venir. Nous devrons rester vigilants et observer les liens entre la virulence de l’extrême droite sur les réseaux sociaux, qui glorifie la violence policière ou fantasme le meurtre de manifestant·e·s, et la rhétorique du Parti républicain. Nous n’aurons pas à chercher bien loin. La CNR a révélé les nombreux liens qui associent l’autoritarisme et l’adhésion explicite et implicite au suprémacisme blanc.

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Article publié sur le site Truthout en date du 26 août 2020; traduction rédaction A l’Encontre.

Mark Bray est un historien des droits de l’homme, du terrorisme et de la politique dans l’Europe moderne. Il est enseignant au Dartmouth College (Hanover, dans l’État du New Hampshire). Il est l’auteur en français de L’antifascisme. Son passé, son présent et son avenir (éditions Lux). 

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références

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1 First degree murder. Aux États-Unis, la loi relative au meurtre varie selon la juridiction. Dans la plupart des juridictions américaines, il existe une hiérarchie d’actes, connus collectivement sous le nom d’homicide, dont le meurtre au premier degré et le meurtre criminel sont les plus graves. (Réd.)
2 Blue Lives Matter, qui se traduit en français par «les vies bleues comptent» («les vies des policiers comptent»), est un mouvement de contestation né en 2014 aux États-Unis en opposition au mouvement Black Lives Matter. (Réd.)
3 «QAnon» mouvance, regroupant les promoteurs d’une théorie du complot d’extrême droite selon laquelle Donald Trump livrerait une guerre secrète contre des élites implantées dans l’Etat profond (le Deep State), les milieux financiers et les médias. Elle est née le 28 octobre 2017 avec le premier message publié par Q sur 4chan, forum anonyme. (Réd.)
4 «MS 13»: La Mara Salvatrucha (abrégé en MS-13) est un gang de plusieurs dizaines de milliers de membres de 20 à 29 ans (en 1980-1990). Créé à Los Angeles, afin de protéger les réfugiés salvadoriens des agressions des gangs afro-américains envers les femmes, les personnes âgées et les enfants salvadoriens. Au début, une simple milice de vétérans et de militaires salvadoriens créée par un certain Chava Fingueroa (un ancien militaire), surnommé «Salvatrucha». Avec le temps, l’organisation se transforme en une organisation criminelle plus traditionnelle. (Réd.)
5 MAGA, Make America Great Again, slogan de campagne de Trump. (Réd.)