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Ces dernières années, le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer a été l’un des fers de lance d’une offensive réactionnaire. Alors qu’il agite le spectre de l’invasion de théories « américaines » (« wokisme », « intersectionnalisme », etc.) et d’une « cancel-culture » qui mettraient en péril la République, il ne fait guère qu’importer en France les « guerres culturelles » que mène la droite réactionnaire et raciste états-unienne depuis plusieurs décennies. Ainsi s’affirme en quelque sorte une « cancel-culture » d’État : une volonté de disqualifier et et de censurer aussi bien les mouvements d’émancipation (antiraciste, féministe, etc.) que les pensées critiques. 

***

« I look at this and say, ‘Hey, this is how we are going to win,’ » (Steve Bannon, ancien conseiller de  Donald Trump). 

La fin de l’année 2020 et le début de l’année 2021 ont été marqués, en France, par l’agitation médiatique et politique autour de la question de « l’islamo-gauchisme ». En réponse à la question de savoir ce qu’il pouvait être en réalité et de la bonne manière de le définir, beaucoup auront relevé le caractère tout à fait frauduleux de cette fabrication, tout juste utile à hystériser toujours un peu plus l’humeur publique et à faire passer la gauche pour une substance toxique.

Il faudrait dès lors pouvoir s’en tenir à ces nombreuses désapprobations consternées et autres désaveux humiliants que Me la ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal, réussit à susciter en prétendant confier une enquête au CNRS à propos de cet « islamo-gauchisme [qui] « gangrène la société dans son ensemble » et, par voie de conséquence, l’université, par le biais, notamment, des « études postcoloniales ». Et, comme si les motifs d’embarras ne suffisaient pas, quatre mois encore après l’annonce de cette enquête, le ministère n’était toujours pas en mesure d’en confirmer le lancement effectif ni de préciser l’organisme censé en avoir la responsabilité[1] – le CNRS ayant estimé que « [l’islamo-gauchisme] ne correspond à aucune réalité scientifique ». Il est récemment apparu que l’enquête elle-même, pourtant annoncée avec fracas, ne correspondait finalement à aucune réalité tout court.[2]

Mais qu’à cela ne tienne, de « l’islamo-gauchisme » (terme directement prélevé dans le lexique de l’extrême droite), nos défenseurs de l’intégrité nationale sont passés à l’étape suivante : le  « wokisme » et la « cancel culture » (ou « culture de l’annulation ») attribuée à l’activisme de « la gauche »  universitaire « décoloniale », « néo-féministe », « intersectionnelle », et supposée vouloir interdire toute expression contraire au « politiquement correct. Ainsi va le train des paniques morales et victimaires, déjà bien en cours en Grande-Bretagne et aux États-Unis, et préalable indispensable aux nouvelles agressions contre les mouvements sociaux et toute forme de pensée critique, le tout au nom de la « liberté d’expression », de la « démocratie » et à l’occasion, de « la vérité historique ».

Ce qui suit revient sur ce contexte plus vaste (anglo-américain) et les précédents et perspectives d’avenir qu’il offre à notre droite nationale et raciste bon teint, de Blanquer-Vidal et Pecresse en passant, à titre d’exemple, par Ivan Rioufol ou Michel Onfray.

 

Petits rappels : Frédérique Vidal, l’« islamo-gauchisme », la LPR, et la laïcité selon Blanquer

Au regard de la situation politique française en 2020-21, on est en droit d’éprouver – toutes choses égales par ailleurs – une forme de gratitude envers l’accès d’incohérence profonde auquel s’est laissée aller la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR). Suite aux  incriminations scandaleuses proférées par le ministre de l’éducation nationale (EN), Jean-Michel Blanquer,[3] contre les universitaires suite à l’effroyable meurtre perpétré contre l’enseignant d’un collège de Conflans Sainte Honorine, Me Vidal avait notamment affirmé, dans un entretien à la chaîne Public sénat, le 30 octobre 2021 : « je n’ai aucun doute sur le fait que le respect des valeurs de la République soient respectées dans les universités, évidemment ».[4]

Ce moment de clairvoyance passé, Me Vidal – « évidemment » – en vint alors à reprendre à son compte les affirmations du ministre de l’EN dans un revirement apparemment incompréhensible, ou inversement, d’une simplicité opportuniste particulièrement grossière. Il y avait peut-être urgence, cependant, à faire grésiller la musique d’ambiance « islamo-gauchiste » en accompagnement du projet de réforme sur le « séparatisme » dont la cible n’a échappé à personne.

À un peu plus d’un an de l’élection présidentielle, les deux ministres gesticulaient ainsi en direction d’une extrême-droite dont l’audience n’a cessé de croître et la représentation médiatique de se renforcer et de se disséminer. On en connaît bien maintenant le produit le plus abouti, sous l’aspect d’un chroniqueur dont l’ébriété fascisante achève à sa manière le processus de normalisation de l’extrême-droite nationale officielle.

Autre aspect peut-être pas toujours relevé, la ministre de l’ESR trouvait là aussi une occasion de justifier la surveillance et la mise en garde que sa loi de programmation de la recherche (LPR) entend faire peser sur les jeunes chercheuses et chercheurs. En instaurant des ‘tenure tracks’  de six années pour les jeunes recrues de l’ESR, la LPR crée les conditions d’un chantage accru au conformisme universitaire : souhaite-t-on être titularisé à l’issue de cette longue période probatoire ? Sur un marché du travail de l’ESR de plus en plus durement précaire et concurrentiel de surcroît ? Et selon des modalités de recrutement de plus en plus soustraite à l’appréciation scientifique des pairs pour être transférée à la décision politique et localiste des « patrons » d’établissements ? Mieux vaut alors peut-être ne pas trop s’aventurer dans des explorations d’emblée dénoncées à la fois comme illégitimes sur le plan académique, et dangereuses pour rien moins que les « valeurs de la République » et, au bout du compte, jugées à l’origine de passages à l’acte terroristes.

Un recensement attentif des actes de saccage contre l’enseignement public induirait une liste bien trop longue ici. Il faut se contenter de rappeler la grossièreté avec laquelle le mysticisme national-identitaire ministériel – ses « valeurs républicaines » et sa version irrémédiablement corrompue de la laïcité – s’efforce de rhabiller l’entreprise de liquidation en cours.

L’ironie de toute l’affaire ne manque pas de pittoresque : J.-M. Blanquer fut directeur d’une grande école de commerce (l’Essec, de 2013 à 2017) à 17 200 euros de frais annuels de scolarité[5] (rentrée 2022), et dont il a reçu en 2016  pour 246 562 euros de salaire net « auquel s’ajoutent de nombreux placements au CAC 40 »[6], égalité républicaine oblige. Sa réforme du lycée et du bac instaure un localisme en rupture complète avec tout principe de continuité et d’égalité territoriale républicaines : donne-moi l’adresse de ton lycée et je te dirai qui tu es… Dénoncer le « séparatisme » tout en aggravant les logiques de relégations éducatives et spatiales (et en servant une politique prosternée devant le séparatisme des riches), voilà une prouesse dont le cynisme gymnaste méritera toujours l’étonnement.

En outre, Jean-Michel Blanquer est un familier des allées du pouvoir depuis longtemps. Sous Sarkozy (« l’américain »), et comme le rappelle Saïd Benmouffok, l’homme était connu comme le « ministre bis », prenant « les devants sur de nombreux sujets sans passer par le ministre de tutelle » (Xavier Darcos), conduisant l’essentiel des reformes.[7] A ce titre, notre ancien élève du collège catholique Stanislas, fut le fidèle garçon de messe du président Sarkozy, lui-même intronisé « chanoine d’honneur » par le pape Benoît XVI au Vatican en 2007.[8]

Blanquer, pourfendeur inflexible du « séparatisme », n’eut donc aucun problème à servir sous un Premier ministre menteur et kleptomane de carrière, Tartuffe courtisant ouvertement l’électorat catholique réactionnaire, et sous la présidence d’un délinquant-chanoine qui déclarait solennellement au Vatican que « nous avons besoin de la contribution de l’Église catholique comme des autres courants religieux et spirituels pour éclairer nos choix et construire notre avenir » ; « la laïcité n’a pas le pouvoir de couper la France de ses racines chrétiennes ». 

À cette laïcité jugée contraire à la France authentique (selon le chanoine Sarkozy), il fallait ajouter que « dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur […] il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance. » [9] Laïcité chérie, quand tu nous tiens…

Rappelons au passage que ce propos prolongeait les tentatives de correction de l’autre grande entorse faite à l’authenticité et à la gloire nationales ; celle induite par « la mode de la « repentance » post-coloniale.[10] La loi du 23 février 2005 vint inscrire les bienfaits de la colonisation française[11] dans les programmes scolaires avant d’être abrogée un an plus tard.

Quoi qu’il en soit, sans surprise, Xavier Darcos, ministre de l’EN sous Sarkozy, lié au milieux de la droite et de l’extrême-droite, catholique notamment[12], et casseur zélé de la profession enseignante, a alors dit  son estime pour l’œuvre de l’ex-« ministre bis » :

« Jean-Michel Blanquer est parvenu à faire ce que tout le monde souhaitait depuis toujours. Sa réforme était celle que j’avais souhaité mettre en œuvre en tant que ministre de l’Éducation nationale, période pendant laquelle il était d’ailleurs mon collaborateur. »

Tout le monde. Depuis toujours.

 

Vous reprendrez bien un peu de « wokisme », M. le Ministre

L’entrain réactionnaire de J.-M. Blanquer, figure centrale du gouvernement depuis le début de la présidence d’Emmanuel Macron, a donc à voir tant avec l’agenda de réformes qu’avec les ambitions électorales du chef de l’État : le récent lancement de son « laboratoire de la République » et sa « vocation à être utile dans la campagne présidentielle »[13],  est clair sur ce point, au moins.

Mais on comprend aussi que les vaillantes diversions et falsifications du moment ne sont pas qu’affaire de conjoncture. En en venant à la question du « woke », le ministre Blanquer fait entendre un peu plus distinctement encore la rumeur plus profonde d’une offensive idéologique déjà largement déployée en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Mêmes mots, mêmes paniques fabriquées, mêmes racismes identitaires, même islamophobie, même paranoïa de l’invasion imminente, mêmes relents d’une guerre froide toujours recommencée contre une gauche présentée comme avançant masquée et œuvrant à la corruption et la destruction du corps de la nation.

Un rappel : fin juin 2021, Blanquer était interpellé au parlement par le député Julien Aubert (LR, Vaucluse). Aubert était déjà connu pour avoir publié sur un réseau social (en novembre 2020, soit quelques semaines seulement après l’assassinat de Samuel Paty) les visages et coordonnées de plusieurs universitaires, « islamo-gauchistes », ou vendus au « néoféminisme » et au « décolonialisme ». Dans son débordement calomniateur, Aubert prétendait dénoncer la censure pratiquée par ces « coupables auto-désignés ».[14]

Quelques mois plus tard, le député entendait attirer l’attention du ministre sur la récente publication d’un « Rapport sur les manifestations idéologiques à l’Université et dans la Recherche » par « l’Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires ». Le Ministre, loin de prendre ses distances avec le récidiviste dont les accusations ignobles avaient pourtant éveillé l’indignation de la conférence des présidents d’universités (officine islamo-maoïste bien identifiée), s’accorda pleinement avec l’élu. Il était maintenant urgent de communier dans la dénonciation d’une « idéologie étrangère », le « wokisme » et sa « cancel culture », « phénomène que l’on constate, selon le Ministre, dans les universités américaines, dans les universités du  monde entier » et qui revient par le « porte de l’extrême-gauche » alors qu’elle était sortie « par la porte d’extrême-droite », l’une n’étant pas jugée différente de l’autre.  Et Blanquer de profiter de l’occasion pour annoncer son projet de « laboratoire ».

Le rapport en question s’inscrit dans le climat éditorial maintstream d’extrême-droite plus général. S’y sont affirmés Valeurs Actuelles, le commentariat en version Cnews, les prolifiques éditions de l’Artilleur ou celles de l’Observatoire, entre autres. Le directeur du rapport, Xavier-Laurent Salvador, a suffisamment produit, contre le féminisme notamment[15], pour se voir adoubé par les sites de Valeurs actuelles ou de « Français de souche ». On sera diverti par sa longue bibliographie de travaux tous symptomatiques, comprend-on, de la « gangrène » (dixit F Vidal) en cours. Est recensé tout ouvrage (plus de 800) ayant trait de près, de loin, ou d’encore plus loin, à une quelconque forme de discrimination, ou une quelconque thématique théorique ou historique de l’égalité, du racisme, du sexisme ou de l’intersectionnalité, publications ministérielles ou de l’UE inclues.

Pour X.-L. Salvador, récente source d’inspiration de Blanquer, donc, un principe-clé de cette vaste littérature globalement « décoloniale », à la base du « wokisme », serait le suivant :  « Coloniser, c’est mal. Or éduquer, c’est coloniser les esprits. Donc éduquer c’est mal ». Plein d’un fumisme et d’une morgue enthousiastes, X.-L. Salvador conclut une œuvre maîtresse (pour Le Point) en affirmant que ce sont aujourd’hui ces imposteurs décoloniaux, pleins de haine pour la science, la République et la laïcité, qui seraient « aux manettes de l’Université, de la formation des enseignants et des citoyens de demain en leur fournissant les mots du discours qui justifient tous les séparatismes. »[16] Nous y sommes. Et, zéro preuve d’aucune sorte de tout ceci. Il faudrait se  contenter d’accepter qu’un catalogue bibliographique idiot, par sa seule longueur apparente puisse faire office d’argument « scientifique » ou de preuve de l’avancement de « la gangrène » ; ou comment défendre « la science » en en piétinant les protocoles les plus élémentaires.

Blanquer – fidèle serviteur du chanoine d’honneur – entend maintenant combattre ce qui relèverait, selon lui, d’un cosmopolitisme nocif, infiltrant nos saines institutions nationales pour corrompre la formation de nos enseignants et par voie de conséquence, de toute notre jeunesse française. A ce stade, et dans ce climat propre à inviter toutes les figures de l’épuration, il ne manque plus que la dénonciation d’un George Soros (« financier », « étranger », « corrupteur de l’identité nationale ») façon Orban ou Trump, tant la similarité de construction est frappante.

Mais s’ajoute à tout ceci la thématique ultime de l’atteinte à la liberté d’expression (confondue au passage avec les « libertés académiques ») : l’université française et avec elle, à terme, la France tout entière, seraient les victimes d’une oppression omniprésente mais mal reconnue parce que résultant d’une « infiltration » venue des États-Unis, subreptice et perfide, au cœur même de ses institutions de savoir.

 

Blanquer et son modèle suprémaciste nord-américain : Ron de Santis lave plus blanc

Avec ses épisodes, se profilent en France un affrontement et une agression déjà bien familiers outre-Manche et outre-Atlantique. Ils ont pour cible toute forme de pensée critique, qu’on la nomme « political correctness », « cultural marxism », « the democrats »,  « corbynism », « cancel culture », l’antisionisme invariablement réduit à « antisemitism », ou plus génériquement, « wokism ». Les diverses nuances de droite française ont d’ailleurs pu s’en faire une idée grâce à la récente traduction du livre de Douglas Murray, (intellectuel d’extrême-droite islamophobe et grand-remplaciste à succès), La grande déraison : race, genre, identité (L’artilleur, octobre 2020).

Dans le contexte nord-américain, un exemple récent est devenu emblématique d’une tendance plus générale. Fin juin 2021 (dans une étonnante coïncidence de calendrier avec l’échange à l’assemblée entre Blanquer et Aubert), le gouverneur républicain de Floride, Ron de Santis, annonçait une série de dispositions contre l’enseignement de la théorie critique de la race (critical race theory) dans les écoles de son État. Ce champ d’études des interactions entre « race » et statut social, qui parle du racisme systémique dans la société américaine,  « apprend aux gosses à haïr notre pays ».

Mais de Santis est allé bien plus loin : désormais dans l’État de Floride, les convictions politiques des étudiants et des personnels des universités publiques feront l’objet d’un contrôle ; les institutions éducatives ne pourront plus s’opposer à des idées que les étudiant.es pourraient trouver « gênantes, malvenues, désagréables, ou offensantes » ; dans le primaire et le secondaire, tous les enfants devront se voir proposer des modèles de patriotisme (« portraits in patriotism ») afin de leur permettre de comprendre la différence entre l’Amérique et les régimes communistes et totalitaires. « On ne veut pas d’une histoire falsifiée », a déclaré de Santis.[17]

Les établissements qui ne se conformeraient pas à ces injonctions censées garantir « la diversité intellectuelle » et empêcher « l’endoctrinement » de la jeunesse, verront leurs financements remis en cause. Censurer et bannir la critical race theory pour mieux libérer et diversifier les thématiques du nationalisme, donc.

L’initiative du gouverneur de Floride a contribué à expliciter et rendre plus visible une contre-offensive législative plus vaste. Selon une enquête d’NBC parue à la mi-juin[18], des élus républicains avaient proposé ce type de législation dans vingt-deux Etats et cinq l’avaient déjà adoptée. Toutes ne font pas explicitement référence à la « critical race theory », mais, observent les journalistes, toutes utilisent le même langage et argumentaire : aborder les questions du racisme à l’école, de son ancienneté historique et de son caractère systémique dans la société américaine, serait par nature « raciste », facteur de division, viserait à « mettre les enfants mal à l’aise ». A Rhodes Island, un projet de loi entend interdire que l’on puisse enseigner que « les États-Unis d’Amérique sont fondamentalement racistes et sexistes ».

Ces projets sont eux-mêmes l’aboutissement de l’action militante de « 165 organisations locales et nationales déterminées à empêcher l’enseignement sur les questions de la race et du genre.  L’activité de ces organisations reçoit un important soutien de think tanks conservateurs, de cabinets d’avocats et de parents d’élèves militants ». Sans surprise, cette bataille concerne aussi l’utilisation dans les salles de classe du « 1619 Project » lancé par le New York Times et récompensé d’un prix Pulitzer. Ce « projet » visait à faire comprendre, à l’école, la centralité historique du fait esclavagiste dans la construction de la nation américaine dès son origine, ce, bien sûr, dans le souci de promouvoir la compréhension du présent à la lumière du passé.

Comme on pouvait le supposer, toute cette mouvance s’est trouvée activement encouragée par la présidence de Donald Trump dont les propos et les actions concrètes s’étaient attaqués à l’inclusion de la « diversité » et de la « critical race theory » dans les programmes fédéraux et avaient pris le contre-pied du « 1619 Project ».

Blanquer, Vidal et leurs nombreux alliés cherchent depuis des mois à pulvériser puis reconstituer les thématiques de l’antiracisme et du féminisme qu’il s’agit de nimber d’une nuée irrespirable. A ce titre, les ministres, apparemment si soucieux de ne pas laisser des forces étrangères corrompre le corps pur et sain de la nation, font entendre note pour note, nuance pour nuance, la musique du conservatisme identitaire et raciste de facture suprémaciste nord-américaine ; Christopher Rufo, du Manhattan Institute, et figure de proue de toute cette mouvance, s’est dit déterminé à « rendre ‘toxique’ la théorie critique de la race dans l’imaginaire public » ; « nous avons vidé le terme de son sens [decodified] et allons le recoder pour lui annexer l’ensemble des constructions culturelles rejetées par les américains ».

En d’autres termes, l’activisme suprémaciste nord-américain pour le reblanchissage de la nation montre la voie à nos propres réactionnaires. L’étape politique supérieure est enfin en vue après des années de ressentiment néo-conservateur contre la « repentance » et ses corrosions « décoloniales » du glorieux roman national.

Cette bataille néo-conservatrice nord-américaine est inséparable et dans une certaine mesure se confond désormais à une autre : l’accusation d’antisémitisme qui accable toute critique d’Israël.    Le sujet est bien trop vaste ici pour recevoir l’attention qu’il mérite.[19] Un développement particulièrement significatif doit cependant être signalé à titre d’exemple. En réponse à la rupture de consensus de plus en plus profonde, notamment dans la jeunesse juive américaine, sur la question israélo-palestinienne, depuis 2015, nombre d’administrations d’États ont adopté lois, résolutions et « executive orders » visant à décourager le boycott d’Israël, qu’il soit à l’initiative d’entreprises ou d’individus. Le Congrès américain envisage lui aussi une législation anti-boycott, après le Sénat qui a adopté des dispositions dans ce sens en 2019.

Fin avril 2021, 35 États s’étaient d’ores et déjà engagés dans cette voie.[20] Le cas de Bahia Amawi a acquis une certaine notoriété lorsque qu’en décembre 2018, cette spécialiste des troubles du langage chez l’enfant, intervenante en milieu scolaire au Texas, a refusé de signer une proposition de renouvellement de contrat maintenant assortie d’un serment de ne pas participer à des actions de boycott de l’État d’Israël. Bahia Amawi a perdu son emploi en conséquence.

Le catalogue des mesures restrictives, des rétorsions et intimidations, et la diversité des organisations engagées dans leur mises en œuvre, contre les critiques de la politique israélienne et les expressions de solidarité propalestiniennes, est maintenant sans fin. L’université et sa jeunesse étudiante, où est apparu le mouvement BDS, sont une cible privilégiée dans cette lutte.[21]

Il est donc tout à fait clair à ce stade que l’on assiste à une seule et même réaction à  la convergence des dernières années entre antiracisme et solidarité palestinienne, entre BLM (Black Lives Matter !) et BDS, et à l’audience globale acquise par ces deux campagnes. BLM a désormais américanisé la question palestinienne, miroir de l’oppression et de la discrimination systémique : le meurtre policier de George Floyd, le 25 mai 2020, et celui d’Eyad Al-Hallaq, abattu par la police israélienne cinq jours plus tard, le 30 mai (un autiste âgé de 32 ans alors en chemin vers son école accueillant des étudiants aux besoins spécifiques) auront scellé cette solidarité de la manière la plus tragique. « If you are black, this is your fight ! »[22]

 

« Cancelling » et guerre d’usure en version britannique

On observe des tendances largement comparables dans le contexte britannique où la stratégie de neutralisation du « wokisme », de mouvements anti-racistes et de « the left » ou « l’extrémisme progressiste » (identifié à l’extrémisme de droite)[23], s’articule sur fond de réhabilitation nationale-identitaire de la « classe ouvrière blanche ». L’ensemble du secteur éducatif et culturel est placé dans le viseur.

En septembre 2020, le ministère de l’éducation adressait de nouvelles directives concernant les ressources pédagogiques utilisées à l’école. Les « positions extrêmes » ne devraient en aucun cas être promues, et parmi elles, en particulier « tout souhait publiquement affiché d’abolir la démocratie, le capitalisme, et les élections libres et équitables ».  La critique du  « capitalisme », sobrement glissé entre le rejet de « la démocratie » et  des « élections libres » était dès lors jugée du même ordre que l’atteinte à la liberté d’expression ou de l’antisémitisme. L’incrédulité fut grande à la perspective de la purge demandée – bibliothèques, manuels, cours d’histoire, de sciences politiques… – , après bientôt deux siècles de critique incessante du capitalisme.

Pour l’université, en février 2021, le ministre de l’enseignement supérieur et de l’éducation, Gavin Williamson, a estimé que la liberté d’expression était menacée du fait de l’intolérance et de la « cancel culture » de milieux étudiants militants et d’universitaires politisés. Là encore, le parallèle et la coïncidence  sont remarquables avec les dénonciations et projets d’enquête de Frédérique Vidal sur les obstructions « islamo-gauchistes » faites à la liberté de la recherche. Le ministère britannique créa une position de « défenseur de la liberté d’expression » chargé d’enquêter sur de possibles entraves à cette liberté dans le cadre universitaire. Le respect des nouvelles protections de la liberté d’expression conditionnait maintenant l’obtention d’argent public et en outre, le « défenseur » pouvait désormais infliger des sanctions financières en cas de leur non-respect.

Après avoir tenté de bannir toute une tradition critique du capitalisme hors de l’enseignement, la défense de la liberté d’expression en version Williamson ne manquait pas d’audace. Nombre de médias ne furent en rien gênés par cette contradiction et informèrent le pays des terribles menaces sur la liberté d’expression. Toutefois, un mois après ces annonces, un rapport du Comité paritaire sur les droits humains estimait que les accusations d’une culture de la censure et de l’intimidation menaçant la liberté d’expression avaient été « exagérées » et que loin de vouloir la remettre en cause, la grande majorité des milieux étudiants y était profondément attachée. Sait-on jamais, Vidal en aura peut-être conclu qu’une enquête sur « l’islamo-gauchisme » dans l’université française n’était finalement ni si urgente ni si opportune.

En attendant, dans l’ensemble du secteur éducatif, c’est le programme de lutte antiterroriste « Prevent », lancé en 2011, qui continue ses ravages. Le site preventwatch.org en tient la chronique patiente et minutieuse. On y retrouve, par exemple, et en l’occurrence, le cas de cet adolescent de quatorze ans de famille musulmane signalé puis soumis à interrogatoire pour avoir utilisé l’expression « écoterroriste » au cours d’une discussion en classe sur la forêt amazonienne. A Leicester ou à Wolverhampton, en 2020, des dissertations d’étudiants ont fait l’objet de signalements avant d’être soumises à l’appréciation de la police, ou d’aboutir à l’interrogatoire de leurs auteurs.[24] L’université de Reading a montré son zèle en signalant au programme Prevent un écrit d’un de ses enseignants, universitaire de gauche réputé. Le texte en question traitait de la dimension éthique du concept de révolution socialiste.[25]

Seule l’inversion la plus grossière de la réalité pouvait finalement faire passer les cibles universitaires d’un programme officiel de surveillance, de délation et de « cancel culture » d’État, pour les responsables des atteintes – bien réelles, celles-là – à la liberté d’expression et aux libertés académiques.

Ce qui aurait pu rester une anecdote malheureuse aura pris une résonance particulière dans un tel environnement. En octobre 2017, Chris Heaton-Harris, élu parlementaire conservateur très pro-Brexit, prit l’initiative d’écrire à tous les présidents d’universités afin que lui soient transmis les noms des enseignants dont les cours portent sur les affaires européennes et sur le Brexit en particulier. Certaines versions de ce courrier comportaient une demande quant aux détails des cours enseignés et des propos tenus.[26] Le caractère intrusif et inquiétant, là encore « MacCarthyste » pour certains, n’échappa à personne.

On note encore qu’en Grande-Bretagne aussi, la critique d’Israël transformée en manifestation d’antisémitisme est une arme favorite dans l’arsenal de la « cancel culture » du pouvoir dans le contexte universitaire. A la falsification grossière sur la liberté d’expression en danger, Williamson a cru bon d’ajouter, en janvier-février 2021, une tentative d’imposer aux universités la définition de l’antisémitisme de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’holocauste (IHRA). Un grand nombre d’universitaires britanniques et israéliens[27] se sont dressés contre cette « définition », si insatisfaisante et, en vérité, dangereuse (pour la liberté d’expression, précisément) que son rédacteur initial, Kenneth Stern, l’avait lui-même depuis longtemps répudiée.

Ces oppositions éclairées n’aidèrent en rien la majorité conservatrice officielle à retrouver la raison, comme le montre sa réaction à la parution d’un récent rapport du très respectable National Trust, en charge du patrimoine historique en Grande-Bretagne. Dans un document paru en septembre 2020, le National Trust abordait le passé colonial de 93 demeures sous sa protection et leur lien à l’économie et la société esclavagistes. On jugea que la publication de cette recherche historique sortait des réglementations encadrant les organisations caritatives dont fait partie le National Trust : le National Trust « s’égarait sur le terrain politique » et ne devait pas  se laisser entraîner vers un camp ou un autre des « guerres culturelles ».

Le gouvernement diligenta une enquête auprès de la Charity Commission, l’organisme gouvernemental de contrôle des organisations caritatives d’Angleterre et du Pays de Galles. L’enquête, parue en mars 2021, releva le sérieux du travail historique de l’étude du National Trust et estima que l’organisme avait été entièrement respectueux du cadre de ses missions. Mais pour le ministre de la culture, il était toujours question de « défendre notre culture et notre histoire contre les minorités bruyantes d’agitateurs essayant constamment de dénigrer la Grande-Bretagne »[28].

 

Réduire les libertés publiques et immuniser la police et l’armée

On ne rapporte là que quelques exemples permettant de situer un peu mieux dans la période l’action et le propos du ministre de l’éducation nationale en France, et qui mériteraient encore le rapprochement avec les attaques du premier ministre hongrois, Viktor Orban, contre les universités de son pays et en particulier contre les études de genre.[29] Mais, plus généralement, il ne fait guère de doute qu’au nom de la menace d’une « cancel culture » vérifiée nulle part, et en aucun « aux manettes » où que ce soit dans l’université, l’entretien de ce fantasme promet à celles et ceux qui l’agitent de disposer de toute la latitude nécessaire pour pratiquer précisément ce qu’ils et elles prétendent dénoncer: dissuader, censurer, épurer au nom de la défense d’une liberté républicaine et d’un pluralisme passablement décatis. En cela, la panique morale construite autour d’une menace de la « cancel culture » relève avant tout de l’accusation en miroir.

Ces gesticulations et larmoiements victimaires face aux brimades imaginaires de la « cancel culture » accompagnent la destruction ininterrompue des libertés académiques, des conditions matérielles les plus élémentaires de la recherche, l’insécurité professionnelle programmée et l’injonction au conformisme le plus strict pour des milliers de jeunes chercheuses et chercheurs. Elles interviennent dans un écrin de réformes toujours plus policières. Au moment où en France, le projet de loi dit de « sécurité globale » suscitait une importante contestation sociale, les Britanniques descendaient en masse dans les rues contre les gigantesques attaques sur les libertés publiques contenues dans le « Police, Crime, Sentencing and Courts Bill », dirigé contre le droit de manifester, accroissant les pouvoirs d’arrestation et de fouille, et visant un peu plus Roms et gens du voyage.

Sans oublier le « Spycop Bill » (loi des « flics-espions ») adopté en troisième lecture  à la mi-octobre 2020, qui garantissait l’immunité des agents du renseignement intérieur contre les organisations subversives (écologistes, antiracistes..), même en cas viols ou de meurtres pour les besoins du service ; sans oublier l’« Overseas Operations Bill », adopté trois semaines plus tôt en septembre, et qui soustrait les militaires britanniques aux éventuelles poursuites pour crimes de guerre au cours des expéditions dans d’autres pays. Bref, serrage de vis pour le secteur éducatif où penser est présumé dangereux, et carte blanche pour la police et l’armée.

 

BDS, BLM, Metoo, XR… et la grande peur de droite après 2008

La panique morale « anti-woke » a ses vertus de diversion, bien entendu : Blanquer a tant à faire oublier, entre le saccage du lycée, de la formation des maîtres et des disciplines, et la manipulation et la corruption de fausses organisations lycéennes, par exemple. Mais, comme on le voit, un tour d’horizon même rapide rappelle à quel point le ministre n’est en vérité que le franchisé provincial d’une entreprise conjoncturelle plus vaste de réaction contre-offensive.

Les attaques contre le « décolonial », le « néo-féminisme » et l’« islamogauchisme », les accusations d’antisémitisme, et maintenant la panique organisée face au « wokisme » et à la « cancel culture », forment autant de réponses, quasiment point par point, à une série de mouvements sociaux et de campagnes surgis au cours des dernières années avec une vigueur particulière : l’audience globale de la campagne BDS et la visibilité inédite d’une Ahed Tamimi ou des jumeaux Muna et Mohammed El-Kurd, du mouvement Black Lives Matter (jusque dans les stades de foot de l’Euro 2021) après l’assassinat de George Floyd, de Metoo après les révélations sur le producteur Harvey Weinstein, l’écho rencontré dans la jeunesse par Extinction Rebellion, forment un vaste creuset de politisation à échelle de masse, de la jeunesse notamment.

Cet arc militant apparaît en outre dans le moment d’une déroute générale du triomphalisme capitaliste de la fin du 20e siècle et du renouveau impérialiste et militariste, les uns et les autres atteints en profondeur par la crise de 2008, la succession de révélations sur l’évasion fiscale, les échecs sanglants et humiliations des guerres d’Irak et d’Afghanistan, les signaux de plus en plus alarmants de la crise climatique et de l’exacerbation des injustices et de l’inégalité en temps de Covid-19. En guise de réponse et en l’absence de toute perspective crédible d’une quelconque forme de progrès social-environnemental, restent donc aux inconditionnels de l’ordre existant les divers registres de la fuite en avant au gré d’une série de mesures d’urgence et d’endurcissements rhétoriques, politiques, législatifs et policiers.

Ce moment de résurgence des mysticismes nationalistes et racistes se déploie en outre sur l’horizon « civilisationniste » que lui offre depuis une vingtaine d’années l’imaginaire de la « guerre au terrorisme ». De longue date, le déluge islamophobe produit par ce nouvel orientalisme n’échappe à personne, ou presque. Mais ce registre « civilisationnel » se complète régulièrement maintenant d’une autre menace, à savoir, « la Chine », « ses virus », sa croissance, ses nouvelles capacités militaires. La grande expédition militaire navale anglo-américaine en mer de Chine du sud de l’été dernier (et les très graves tensions qu’elle n’a fait qu’accroître) est elle-même symptomatique de la panique en cours : l’emprise anglo-américaine historique sur l’immense sous-région asiatique est désormais remise en cause par la politique de puissance chinoise.

Après la chute de Kaboul, il y a là une autre menace de contestation et d’humiliation – aux mains d’« orientaux » – des forces impérialistes et notamment de leur ancien arc d’endiguement de l’Asie communiste :  l’expansion chinoise et la croissance de sa puissance et de sa technologie militaires représentent une mise en question de l’arc d’endiguement constitué en Asie du Sud-Est au cours des années 1960. Mais il faut immédiatement préciser ici ce que rappelle le chercheur singapourien Wen Qin Ngoei,[30] à savoir, que le racisme antichinois a lui-même été une composante décisive de la lutte anticommuniste dans la région, de la fin de la deuxième guerre mondiale à la débâcle américaine au Vietnam en 1975. Déjà, pour le Département d’État, la chute de l’énorme base navale britannique de Singapour face aux japonais en décembre 1941 avait « incommensurablement rabaissé […] le prestige de la race blanche ».[31] « La Chine » est désormais un signal supplémentaire du déclin de la vieille hégémonie impériale etsuprémaciste.

Le monde des de Santis, Blanquer, et des conservateurs post-Brexit au pouvoir (baignés qu’ils sont de nostalgie impériale), ses « valeurs », son « universalisme » défiguré, est donc menacé de toute part ; un monde dans lequel, même la très respectable organisation caritative, Oxfam, dès les premières pages de son  rapport de 2021 (« The inequality virus »), se trouve d’emblée à expliquer que

« La pandémie de coronavirus a mis en évidence les risques liés à la marchandisation et au sous-financement des systèmes de santé : manque d’accès à l’eau et absence de collecte des ordures ; travail précaire ; défaillances dans la protection sociale et  destruction de l’environnement. Elle a montré de quelle manière nos systèmes profondément inégaux, racistes et patriarcaux affectent en particulier les Noirs et les autres groupes racisés et exclus […] ».[32]

Et de préciser :

« Ces inégalités et ces injustices ne sont bien sûr pas nouvelles et se fondent sur le racisme patriarcal qui est au fondement du capitalisme mondial et qui depuis des décennies, exploite, exproprie et détruit des vies ».

Malaise dans la suprématie, malaise dans la virilisation. Comptons en tous cas que le rapport d’Oxfam trouve sa place dans le catalogue des malfaisances égalitaires et antinationales selon Jean-Michel Blanquer et ses observateurs du décolonialisme « wokiste ».

Au regard de l’avance prise par les législateurs républicains dans un certain nombre d’États des États-Unis, on se fait une idée des ambitions que le ministre de l’éducation nationale peut s’estimer en droit de nourrir, et des possibilités ouvertes à lui en matière de menace, de contrôle et de censure, ou disons, de « cancel culture » effective, officielle ; celle qui marche.

L’histoire récente a toutefois montré que la transposition des discours d’exclusion identitaires, suprémacistes, islamophobes et leurs métaphores de la « gangrène » et de la contamination, ne se limitait pas aux mesures de censure pédagogique et de rétorsions budgétaires. À Oslo et à Utoya en Norvège, à Christchurch en Nouvelle Zélande, à Pittsburgh aux États-Unis, à Halle en Allemagne, les paranoïas de l’invasion « mondialiste », du « grand replacement » – et leurs références à l’extrême-droite intellectuelle française – ne se sont pas contentés de mesures  réglementaires, législatives et budgétaires : des actes terroristes cauchemardesques, contre des Juifs, des Musulmans, des militant.es de gauche, ont été perpétrés par des assassins d’extrême droite néonazie. En continuant de prétendre à l’équivalence de l’extrême droite et de l’extrême gauche (maintenant qualifiée d’« islamogauchise » et de « wokiste »), Blanquer aura un peu plus contribué à l’hystérisation d’un « débat » que l’on devrait maintenant savoir mortifère.

En défense de la « démocratie » et du « monde libre », l’impérialisme de guerre froide a très activement promu et soutenu toute une constellation de régimes tyranniques de l’Asie du Sud-Est à l’Amérique latine en passant par le Moyen-Orient. Blanquer « l’américain », entre « république » et « laïcité » n’entend manifestement pas renoncer à cet héritage catastrophique, pour une guerre froide toujours recommencée.

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Cet article a été publié dans une version raccourcie par L’Anticapitaliste (mensuel).

Copyright : Photothèque Rouge /Martin Noda / Hans Lucas.

 

Notes

[1] Cf. Le Monde 10/6/2021.

[2]Mais tout est arrangé, finalement…

[3]Le 22 octobre sur Europe 1 et devant le Sénat : l’Université serait infiltrée par « des courants islamo-gauchistes très puissants » qui « font des ravages » et dans le JDD du 25 octobre 2020 : « Il y a un combat à mener contre une matrice intellectuelle venue des universités américaines et des thèses intersectionnelles qui veulent essentialiser les communautés et les identités, aux antipodes du modèle républicain qui, lui, postule l’égalité entre les êtres humains, indépendamment de leurs caractéristiques d’origine, de sexe, de religion. C’est le terreau d’une fragmentation des sociétés qui converge avec le modèle islamique. » Sur Europe 1, le 22 octobre, M. Blanquer avait dénoncé les « complicités intellectuelles du terrorisme » en ayant recours au saisissant amalgame selon lequel des militants de gauche (LFI) « s’affichent comme [islamo-gauchistes] et donc, tout simplement, favorisent une idéologie qui ensuite, de loin en loin, mène évidemment au pire » (souligné par moi, TL). Les limites de la fumisterie et de l’avachissement intellectuel sont ici repoussées avec un entrain assez exceptionnel pour un responsable de ce niveau.

[4]https://www.publicsenat.fr/article/societe/islamo-gauchisme-quand-frederique-vidal-ne-voulait-pas-faire-de-cas-particuliers-une

[5]à compléter de 2180 euros de « frais de services aux étudiants, pour un Master en management, par exemple  https://www.essec.edu/fr/programme/masters/mastere-specialise-marketing-management-et-digital/financement/ ; 20200 euros (plus 1810 euros) pour un Master Spécialisé  Marketing Management Digital.

[6]https://www.europe1.fr/politique/declarations-dinterets-decouvrez-les-salaires-percus-par-les-membres-du-gouvernement-en-2016-3408956

[7] Saïd Benmouffok, Le fiasco Blanquer, Les petits matins, 2021, p. 17.

[8] Cf ces images d’archives de l’INA : https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/2007-nicolas-sarkozy-intronise-chanoine

[9]Cf. Eddy Khaldi & Muriel Fitoussi, Main basse sur l’école publique, Démopolis, 2008, chap. 1 « La laïcité remise en question au sommet de l’État ».

[10]Pour un rappel critique de la réhabilitation sarkoziste du passé colonial : https://histoirecoloniale.net/Nicolas-Sarkozy-et-la.html

[11] Article 4 alinéa 2 qui disposait que : « Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit. »

[12] Opus Dei, Club de l’horloge, entre autres. Cf. Khaldi & Fitoussi, chap. 2 « L’essor du privé entre stratégie catholique et logique libérale »

[13]J.-M. Blanquer, entretien au Monde, 13/10/2021.

[14]https://www.francebleu.fr/infos/societe/le-depute-de-vaucluse-julien-aubert-denonce-l-islamo-gauchisme-a-l-universite-1606754827

[15]  https://gsl.hypotheses.org/871

[16]X.-L. Salvador, « Le colonialisme, c’est l’autre virus qui frappe la France », Le point, 26/01/2021, https://decolonialisme.fr/?p=3336

[17]Cité dans Vanity Fair,  https://www.vanityfair.com/news/2021/06/ron-desantis-goes-after-free-thought-at-colleges-with-an-eye-to-2024

[18]https://www.nbcnews.com/news/nbcblk/map-see-which-states-have-passed-critical-race-theory-bills-n1271215

[19]On laisse donc de côté la version allemande de la question, et son impressionnante chronologie de rétorsions au titre d’une lutte contre l’antisémitisme dont les termes sont indistincts de ceux du nationalisme grand-israélien.

[20]Pour le détail des Etats et des législations, cf : https://www.jewishvirtuallibrary.org/anti-bds-legislation

[21]Cf l’épisode 3 du documentaire d’Aljazeera, « The Lobby USA » ; https://www.youtube.com/watch?v=SIyY4hxDMvc

[22] Andre Carson, élu démocrate au Congrès, cf., « BLM for Palestine: inside America with Ghida Fakhry » de TRT World, 25 mai 2021, https://www.youtube.com/watch?v=tyT9Tk9dBW8 .

[23]La banalisation de cette équivalence a acquis un statut de doctrine quasi-officielle avec le choix de John Woodcock missionné par Boris Johnson pour enquêter sur « l’extrémisme ». Woodcock, préalablement élevé au titre de Lord Walney, est issu du travaillisme blairiste le plus droitier. Il s’est notamment distingué par sa haine enthousiaste de toutes choses corbynistes (Corbyn, un « risque manifeste » pour la sécurité nationale, selon Woodcock) contre lesquelles l’expert en extrémisme recommandait une « intolérance passionnée ».  Ce loyal serviteur d’un toryisme ouvertement raciste dispose donc d’une maîtrise impeccable de son sujet « extrémiste ».

[24]https://www.preventwatch.org/cases/

[25]Pour cet exemple et quelques autres, très remarquables : https://www.independent.co.uk/news/education/education-news/prevent-programme-counterterrorism-extremism-radicalism-muslim-students-uk-universities-a8650111.html ; ou encore : https://www.theguardian.com/uk-news/2019/jun/27/uks-prevent-strategy-biggest-threat-to-free-speech-on-campus

[26]https://www.huffingtonpost.co.uk/entry/brexit-academics-chris-heaton-harris_uk_59ea0ac8e4b0f9d35bca301d

[27] https://www.jewishvoiceforlabour.org.uk/article/reject-the-ihra-working-definition-of-antisemitism-say-israeli-british-academics/

[28]https://www.theartnewspaper.com/2021/03/12/national-trusts-report-on-colonial-and-slavery-history-did-not-breach-charity-law-regulator-says

[29] « Hungary’s hypocritical war on universities », EU observer, 6 11 2018, https://euobserver.com/opinion/143280

[30]Dans son ouvrage Arc of Containment : Britain, the United-States and Anticommunism in Southeast Asia, Singapour, ISEA, 2019

[31] Cité dans W-Q Ngoei, The Arc… p.18

[32]« The inequality virus : Bringing together a world torn apart by coronavirus through a fair, just and sustainable economy», Oxfam international, 2021.

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