À l’occasion des 150 ans de la Commune de Paris, Contretemps va publier du 18 mars au 4 juin une lettre quotidienne rédigée par Patrick Le Moal, donnant à voir ce que fut la Commune au jour le jour.
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Avant d’arriver, il avait soigneusement préparé l’affrontement armé, il espérait reprendre la ville avec des soldats bien triés, tenus à l’écart des Parisiens :
Télégrammes du 4 au 6 mars
Thiers à Vinoy et au Ministre de la guerre
« Soyez tranquilles quant au renfort ; deux colonnes vous arrivent… Ne les jetez pas dans le sein de la population, établissez-les à l’école militaire, au Champ de Mars, aux Invalides, dans les Tuileries bien fermées… En réoccupant successivement avec les anciennes troupes avec les postes abandonnés, on reprendra Paris peu à peu. J’approuve la manière d’opérer de Vinoy, consistant à ne pas éparpiller les troupes et à ne pas brusquer l’emploi de la force …les tapageurs vont se diviser, se fatiguer, et pendant ce temps nos renforts arriveront ... »
Thiers à Vinoy
« Il faut que Jules Favre s’entende avec Bismark pour que les États-majors allemands ne mettent aucun obstacle au passage le plus rapide de nos troupes sur les territoires encore occupés par eux. Toutes ces troupes emportent 80 cartouches par homme et 3 jours de vivres. Prévenez à toutes les gares, et faites occuper vigoureusement par de bons bataillons de la garde nationale…»
Thiers à guerre
« Veillez bien à la réception des troupes, assurez-vous de leur esprit. Traitez les le mieux possible, quoiqu’il doive en coûter…Faites avec les prussiens les marchés de fusils dont vous me parlez, mais veillez à leur qualité et à leur prix. Ne livrons pas encore bataille. Chaque jour qui s’écoule est pour nous et contre eux ... »
Le 11 mars, Vinoy avait interdit six journaux républicains, dont Le Cri du Peuple, le Mot d’ordre, le Vengeur et Le Père Duchène, qui tirent à plus de 200 000 exemplaires. Ce même jour, Flourens et Blanqui sont condamnés à mort par contumace pour l’affaire du 31 octobre.
Tout va dans le même sens : le gouvernement et l’assemblée de Versailles s’organisent pour défaire le peuple de Paris et son indépendance.
La convention d’armistice prévoyait l’élection d’une Assemblée se réunissant à Bordeaux pour se prononcer sur la question de savoir si la guerre devait être continuée, ou à quelles conditions la paix devait être faite. A Paris, la fièvre électorale remplaça la fièvre du siège, l’enjeu était que l’assemblée nouvellement élue continue la guerre à outrance.
Pour les préparer, l’Internationale et la délégation des vingt arrondissements bâtirent en commun une liste de « candidats socialistes révolutionnaires », présentés seuls, sans compromis avec le républicanisme bourgeois, au nom d’un monde nouveau, par le parti des déshérités » intégrant une majorité d’Internationaux, des blanquistes, des membres du Comité des Vingts arrondissements et deux jacobins, Gambon et Pyat. Trois sections dissidentes de l’Internationale décident en même temps une liste avec trois groupes républicains, la liste dite des quatre comités.
Affiche du programme des candidats socialistes révolutionnaires
Proposés par l’association internationale des travailleurs, la chambre fédérale des sociétés ouvrières et la délégation des vingt arrondissements de Paris.
Ceci est la liste des candidats présentés au nom d’un monde nouveau, par le parti des déshérités, parti immense, mais qui jusqu’aujourd’hui n’a pu être agréé pour quoi que ce soit par les classes qui gouvernent la société.
Pendant le siège il n’a cessé dès les premiers jours de protester contre l’incapacité, sinon contre la perfidie du gouvernement dit de la défense nationale.
Il a montré l’abîme où nous marchions, il a essayé de détourner Paris de cette route fatale ; Il n’a recueilli pour prix de ses efforts que calomnies, menaces et persécutions.
Ce qu’il craignait, ce qu’il n’a pu empêcher s’est abattu sur la France et l’a terrassée.
Lorsqu’il s’agit de la relever voudra-t-on enfin accorder à ce parti le moyen de dire légalement devant le Pays, un mot d’avis ou bien ceux qui l’ont frappé jusqu’ici d’un inflexible ostracisme, persisteront-ils à le refouler comme un paria dans les régions proscrites où toute revendication est tenue pour une révolte ? La France va se reconstituer à nouveau ; les travailleurs ont le droit de trouver et de prendre leur place dans l’ordre qui se prépare Il faut que la responsabilité du parti républicain socialiste soit dégagée.
Les candidatures révolutionnaires signifient :
La dénégation à qui que ce soit du droit de mettre la république en discussion.
L’affirmation de la nécessité de l’avènement politique des travailleurs ;
La chute de l’oligarchie gouvernementale et de la féodalité industrielle ;
L’organisation d’une république qui en rendant aux ouvriers leur instrument de travail, comme celle de 1792 rendit la terre au Paysan, réalisera la liberté politique par l’égalité sociale.
Ant. Arnaud, ex-employé de chemin de fer ; Avrial, mécanicien ; Ch. Beslay, ancien représentant du peuple ; Blanqui ; Demay, statuaire ; S. Dereure, cordonnier, adjoint du XVIIIe ; E. Dupas, médecin ; Eug. Dupont, secrétaire pour la France du Conseil général de l’internationale ; Jacques Durand, cordonnier ; Emilë Duval, fondeur en fer ; Eudes, chef de bataillon révoqué ; Flotte, cuisinier ; Frankel, bijoutier ; F. Gambon, ancien représentant du peuple ; Garibaldi ; docteur Edmond Goupil, ex-chef de bataillon ; Granger, cultivateur, chef de bataillon révoqué ; Alph. Humbert, ancien rédacteur de La Marseillaise ; jàclard, adjoint du XVIIIe ; Jarnigon, tailleur ; docteur Lacambre, chef de bataillon révoqué ; Lacord. cuisinier ; Langevin, mécanicien ; Lefrançais, adjoint du XXe ; Leverdays, chimiste ; Ch. Longuet, chef de bataillon ; Madone!, ébéniste ; Malon, teinturier, adjoint du XVII8 ; Léo Meillet, adjoint du xrn » 1 ; Minet, peintre en porcelaine ; Oudet, même profession, adjoint démissionnaire du XIXe ; Pindy, menuisier ; Félix Pyat ; Ranvier, peintre céramiste, maire du xx » ; Aristide Rey, homme de lettres; Edouard Roullier, cordonnier; Auguste Serrailler, ouvrier formier 2 ; Theisz, ciseleur ; Tolain, ciseleur adjoint du XIe ; Tridon, rédacteur de l’ex-Patrie en danger ; Edouard Vaillant, ingénieur ; Jules Vallês et Varlin
Il était si compliqué de faire le dépouillement du scrutin dans la Seine[1] que les résultats définitifs pour les 43 élus ne furent connus que le 15 février.
Les six premiers élus qui avaient entre 216.000 voix et 163.000[2], étaient dans l’ordre : Louis Blanc, Victor Hugo, Garibaldi, Quinet, Gambetta et Rochefort. La liste socialiste révolutionnaire n’obtient que de maigres résultats. Parmi ses candidats, dont certains figuraient aussi sur d’autres listes, en plus de Garibaldi, le premier élu étaient les deux jacobins, Félix Pyat (11ème), Gambon (15ème), suivis de Malon (18ème) et Tolain (32ème), mais Blanqui ne recueille que 52 000 suffrages, et Varlin 58 000. Ils retrouvaient la cinquantaine de milliers de partisans du non contre Trochu qui s’étaient exprimés le 3 novembre.
Ce scrutin confus attestait au moins que l’idée républicaine était hégémonique à Paris qui élut 36 députés républicains sur les 43 sièges à pourvoir, et seulement 6 partisans affirmés de la paix. C’était une défaite cinglante pour les républicains qui avaient formé le gouvernement de défense nationale, qui donne la mesure de la radicalisation provoquée par la guerre dans la ville. Le seul membre de l’ancien gouvernement élu à Paris, Favre, n’eut que 81 000 voix.
Les députés parisiens étaient opposés à la monarchie et à la paix.
L’exact opposé à la majorité de l’assemblée qui sortit des urnes.
Brèves sur les élections en Province
Les républicains hostiles à la capitulation ont de bons résultats dans les villes, mais les cantons ruraux votent massivement pour les candidats de l’ordre, pour la paix immédiate, à n’importe quel prix. L’unité républicaine, fragile auparavant, avait disparu, de nombreuses listes concurrentes se présentent.
Dans la ville de Narbonne, six républicains arrivent en tête, et les six conservateurs qui ont finalement gagné les élections départementales n’occupent respectivement que les huitième, neuvième, dixième, quinzième (Thiers), seizième, et dix-neuvième places dans la ville.
Au Havre, la liste républicaine radicale obtient plus de 66 % au Havre, alors que la liste Thiers, qui n’obtient que 30 % au Havre, obtient 61 % dans l’arrondissement du havre : la campagne fait triompher la liste conservatrice.
A Marseille, Esquiros est réélu
L’opposition ville/campagnes atteint son paroxysme, la défaite fut ressentie durement par les républicains de la France entière, comme celle du progrès contre le conservatisme rural.
L’Assemblée était composée d’une large majorité royaliste et bonapartiste, des nobles de province, des notables, des propriétaires, des bourgeois réactionnaires. Côté républicain, c’est une défaite pour le camp «radical» de Gambetta, qui n’emporte qu’une petite quarantaine de sièges, dont Victor Hugo, Louis Blanc, Clemenceau, etc. tandis que la Gauche modérée menée par Jules Favre, Jules Ferry, Jules Grévy et Jules Simon dépasse largement les 100 élus et les « libéraux » de Thiers ont entre 70 et 80 sièges.
Il en sort une assemblée très réactionnaire aux antipodes de l’effervescence révolutionnaire parisienne. Le résultat met en évidence l’isolement de Paris, la coupure entre la France rurale très majoritairement pour la paix et Paris pour la guerre à outrance, et au-delà, la France rurale contre France urbaine.
La réaction des militants républicains, tant à Paris que dans les villes de province, est un rejet brutal, un sentiment de révolte : les villes ne doivent pas se laisser gouverner par les villages. Les germes d’une insurrection communaliste sont tout entiers dans cette phrase.
Dès l’ouverture de la session les réactionnaires déversent leur haine de la révolution.
Témoignage. Prosper Olivier Lissagaray 32 ans, journaliste à La Marseillaise
« Dès la première séance leur fiel creva. Au fond de la salle, un vieillard, seul sur son banc, se lève et demande la parole. Sous son grand manteau brille une chemise rouge. C’est Garibaldi. A l’appel de son nom il a voulu répondre, dire d’un mot qu’il résigne le mandat dont Paris l’a honoré. Les hurlements couvrent sa voix. Il reste debout, élève cette main desséchée qui a pris un drapeau aux Prussiens, les injures redoublent. Le châtiment tombe des tribunes. « Majorité rurale ! honte de la France ! » jette une voix sonore, Gaston Crémieux de Marseille. … Au sortir de la séance, la foule applaudit Garibaldi. La garde nationale lui présente les armes malgré M. Thiers qui apostrophe l’officier commandant. Le peuple revint le lendemain, forma une haie devant le théâtre, obligea les députés réactionnaires à subir ses acclamations républicaines. Mais ils savaient leur force et à l’ouverture de la séance ils attaquèrent. Un rural montrant les représentants de Paris : « Ils sont couverts du sang de la guerre civile ! » Un des élus de Paris crie : « Vive la République ! » les ruraux ripostent : « Vous n’êtes qu’une fraction du pays. » Le jour suivant, le théâtre fut entouré de troupes qui refoulèrent au loin les manifestants. »
Le 17 février, Thiers est nommé « chef du pouvoir exécutif de la République française », il est chargé avec Favre d’aller négocier la capitulation, puis le nouveau gouvernement est mis en place.
Le 26 est signé le traité de paix, celui qui donne à l’Allemagne l’Alsace et la Lorraine, prévoit que la France paiera une indemnité de cinq milliards de francs et donne à la garnison de Paris quarante mille hommes. Il est ratifié par l’Assemblée par 546 pour, 107 contre et 23 abstentions.
Les débats et ce vote provoquent immédiatement la démission de quelques députés. Garibaldi avait quitté la France. Quatre députés envoient leur lettre, vite rejoints par Pyat, puis Delescluze
Citoyen président, les électeurs nous avaient donné le mandat de représenter la République française.
Or, par le vote du 1er mars, l’assemblée nationale a consacré le démembrement de la France, la ruine de la patrie, elle a ainsi frappé ses délibérations de nullité :
Le vote de quatre généraux et l’abstention de trois autres démentent formellement les assertions de M. Thiers. Nous ne pouvons demeurer un jour de plus dans cette assemblée.
Nous vous donnons donc avis, citoyen président, que nous n’avons plus qu’à nous retirer.
ROCHEFORT, MALON de l’Internationale, RANC, TRIDON de la Côte-d’Or
Quant à Victor Hugo, le héros de la lutte contre Napoléon III, il démissionne dans des conditions significatives des débats dans cette assemblée que refuse le principe issu de la Révolution française selon lequel, tout homme fidèle aux idées révolutionnaires, quelle que soit son origine, est digne d’être citoyen.
La séance de démission de Victor Hugo
Le Président. … Je demande à l’Assemblée nationale de déclarer le général Garibaldi inéligible, attendu qu’il n’est pas citoyen français. … (Plusieurs voix. Mais non ! Mais non !) …
Victor Hugo. Je ne dirai qu’un mot. La France vient de traverser une épreuve terrible, d’où elle est sortie sanglante et vaincue. On peut être vaincu et rester grand. La France le prouve. La France, accablée en présence des nations, a rencontré la lâcheté de l’Europe. (Mouvements). De toutes ces puissances européennes, aucune ne s’est levée pour défendre cette France qui, tant de fois, avait pris en main la cause de l’Europe… (Bravo ! à l’extrême gauche) ; pas un roi, pas un État, personne ! Un seul homme excepté… (Sourires ironiques à droite. Très bien ! à l’extrême gauche.) Où les puissances, comme on dit, n’intervenaient pas, eh bien un homme est intervenu, et cet homme est une puissance (exclamations sur plusieurs bancs à droite.) Cet homme, Messieurs, qu’avait-il ? Son épée.
Le Vicomte de Lorgeril. Et Bordone. (On rit.)
Victor Hugo. Son épée, et cette épée avait déjà délivré un peuple… (Exclamations sur les mêmes bancs) et cette épée pourrait en sauver un autre. (Nouvelles exclamations.)
Il l’a pensé ; il est venu, il a combattu.
A droite. Non ! Non !
Le Vicomte de Lorgeril. Ce sont des réclames qui ont été faites ! Il n’a pas combattu.
Victor Hugo. Les interruptions ne m’empêcheront pas d’achever ma pensée. Il a combattu… (Nouvelles interruptions.) ……
Victor Hugo. Je ne veux blesser personne dans cette Assemblée, mais je dirai qu’il est le seul, des généraux qui ont lutté pour la France, le seul qui n’ait pas été vaincu. (Bruyantes réclamations à droite. Applaudissements à gauche.)
Plusieurs membres à droite. A l’ordre ! à l’ordre !
Le Baron de Jouvenel. Je prie M. le Président d’inviter l’orateur à retirer une parole qui est anti-française. ….. (Plusieurs membres se lèvent et interpellent vivement M. Victor Hugo.) …
Le Vicomte de Lorgeril. L’Assemblée refuse la parole à M. Victor Hugo, parce qu’il ne parle pas français. (Oh ! oh ! Rumeurs confuses.) …. J’ai voulu dire que l’Assemblée ne veut pas écouter parce qu’elle n’entend pas ce français-là ! (Bruit.)
Un membre. C’est une insulte au pays ! …… (Assez ! assez !)
Le Président. Vous demandez à M. Victor Hugo de s’expliquer. il va le faire. Veuillez l’écouter et garder le silence. (Non ! non ! A l’ordre !) ……
Un membre. Retirez vos paroles ! On ne vous les pardonne pas. (Un autre membre à droite se lève et adresse à l’orateur des interpellations qui se perdent dans le bruit.) ….
Le Président. Je donne la parole à M. Victor Hugo pour s’expliquer, et ceux qui l’interrompront sera rappelés à l’ordre. (Très bien !)
Victor Hugo. Je vais vous satisfaire, Messieurs, et aller plus loin que vous. Il y a trois semaines vous avez refusé d’entendre Garibaldi.
Un membre. Il avait donné sa démission !
Victor Hugo. Aujourd’hui vous refusez de m’entendre. Cela me suffit. Je donne ma démission. (Longues rumeurs. Non ! non ! Applaudissements à gauche.)
Un membre. L’Assemblée n’accepte pas votre démission !
Victor Hugo. Je l’ai donnée et je la maintiens.
(L’honorable membre qui se trouve, en descendant de la tribune, au pied du bureau sténographique situé à l’entrée du couloir à gauche, saisit la plume de l’un des sténographes de l’Assemblée et écrit, debout, sur le rebord extérieur du bureau, sa lettre de démission au président.)
(M. Victor Hugo sort de la salle.)
Pour l’anniversaire de la Révolution de février 1848, les manifestations sont organisées place de la Bastille. A l’annonce de l’entrée de l’armée prussienne dans Paris le 1er mars et du risque de reprise des canons, des manifestations redoublent et transportent les canons dans des endroits « sûrs », les bastions du Paris populaire, Montmartre et Belleville. Le gouvernement envoie des régiments pour disperser ces manifestations mais les soldats fraternisent avec les parisien-nes. La prison de Ste Pélagie est prise d’assaut, les prisonniers politiques sont libérés.
Témoignage. Martial Senisse, 20 ans, maçon limousin
» Ce matin, je suis sorti tôt pour rejoindre Thoumieux mais en arrivant à la Bastille j’ai été pris dans un remous de foule. Des ouvriers, des bourgeois, des filles, des maraîchers. J’ai mis le brassard rouge des comités ouvriers que m’a remis Thoumieux et j’ai pu avancer jusqu’au premier rang. J’ai vu ainsi des vétérans de 1848 qui venaient déposer des fleurs au pied de la colonne. Un garçon, leste comme un signe, a accroché un drapeau rouge dans la main du génie de bronze et la foule a applaudi. Pendant que les gens criaient Vive la Commune, près de moi une fille a giflé un marin qui avait laissé ses mains courir sur son jupon.
Quelques joyeux garçons portaient au-dessus de leurs têtes un pantin empaillé sur lequel était écrit : Je suis Thiers l’orléaniste. On criait « Vive l’armée et Vive la Commune. A mort les fusilleurs de Bordeaux ». Un homme parla à la foule, affirmant que Paris devait se gouverner lui-même.
A ce moment, des ouvriers se mirent à frapper à coups de pied et à coups de poings sur deux hommes qui se trouvaient là. Il paraît qu’on avait reconnu deux policiers et la foule les entraîna pour aller les noyer dans la Serine. Je me suis éloigné et j’ai acheté un beignet à un marchand ambulant. Un cortège de francs-maçons qui défilaient avec des insignes brodés d’or et des bannières m’a entraîné jusqu’à la Corderie du Temple. C’est là que se trouve le siège de l’association Internationale des Travailleurs. De la fenêtre du bureau un homme haranguait les ouvriers. Quelqu’un m’a dit que c’était Germain Casse. Il disait que nous étions en train de mettre à bas le vieil édifice bourgeois, que les banquiers et les aristos avaient fui la capitale et que l’heure était venue où les travailleurs allaient diriger la nation…Quand Varlin est monté sur une table, tout le monde a fait silence pour l’écouter…. Varlin nous apprit que le général Vinoy avait décidé de livrer les canons aux prussiens. Il fallait retourner dans les quartiers, alerter les camarades, appeler les gardes nationaux dans la rue. J’ai été désigné avec Lazowsky pour retourner à la Glacière et pour y appeler les ouvriers aux armes. Nous sommes repartis vers la barrière, nous arrêtant au coin des rues pour monter sur les bornes et inviter la foule à se mettre ne marche vers la place Wagran. Une douzaine de compagnons nous faisaient escorte…Mon accent limousin faisait sourire les badauds, mais à la porte de la Glacière, c’est moi qui ait organisé la surveillance de la porte…
Dans l’après-midi… J’ai suivi une foule qui remontait le boulevard Montparnasse en chantant La Marseillaise. Je suis ainsi arrivé bien près de la rue Monge à l’heure ou je devais y retrouver Elise…Je me suis penché vers elle et je l’ai embrassé sur la joue. Un vétéran qui passait sur le trottoir … nous a dit que ce n’était pas le moment de jouer avec nos vingt ans quand Paris mourrait de faim et d’amour et qu’il allait falloir se battre. J’ai alors sorti de ma poche mon brassard rouge et je l’ai agité au bout de mes doigts. Le vétéran m’a félicité. « Je vois, il a dit, que je n’ai plus de leçons à te donner, mon garçon ».
Elise a voulu savoir ce qu’était ce morceau de chiffon et je lui ai tout raconté…Elle s’est montrée effrayée…J’ai voulu la rassurer. J’ai promis d’être prudent. Je lui ai dit que je me garderai pour elle. Mais je suis un compagnon. J’ai des devoirs envers ceux qui ont été les camarades de mon oncle Pradet et qui m’ont accueilli si fraternellement »
Le lendemain, le 27 février, alors qu’une affiche annonce que le 1er mars 30 000 Allemands occuperaient les Champs-Élysées, le général commandant le 2ème secteur de Paris abandonne son quartier général à Belleville. L’état-major de la 20ème légion de la garde Nationale occupe immédiatement les lieux. C’est le début d’un processus qui conduit tout l’est parisien à entrer en rébellion ouverte contre les autorités et à s’autogouverner.
Elle se déroule sur plusieurs plans.
Dès les premiers jours de mars les journaux de province se répandent en dénonciation des incendies, des pillages à Paris. Le 4 mars on annonce qu’une insurrection venait d’éclater. Il s’agit d’isoler encore plus Paris de la province. Lorsqu’au Havre plusieurs milliers de soldats protestent contre les modalités de règlement de leur solde de campagne, la presse appelle le groupe qui manifeste une « guérilla parisienne ».
Le 6 mars, le gouvernement nomme d’Aurelle de Paladines, le vaincu d’Orléans commandant en chef de la Garde nationale. C’est une provocation ! Il convoque les chefs de bataillon, seulement 30 y vont, alors qu’une assemblée d’élus des bataillons refuse de l’accepter comme commandant.
Une série de mesures sont prises contre les parisien-nes.
Le 15 février, l’Assemblée supprime l’automaticité de la solde des gardes nationaux (les 30 sous). Chacun devra faire la preuve de son indigence. Il s’agit en même temps qu’on veut affamer les gardes nationaux, de retirer à cette force la nature de peuple en armes pour la remplacer par une foule d’indigents secourus.
Le 7 mars elle vote le retour au fonctionnement antérieur du Mont de piété.
Le 10 mars elle déclare la fin du moratoire des dettes commerciales échues entre le 13 août et le 13 novembre 70. Ainsi, le 13 mars, il fallait payer les billets échus le 13 août 70, avec les intérêts. Décret impossible, les affaires étant suspendues depuis sept mois. A tel point qu’un comité de commerçants et de fabricants avec plus de 1000 adhérents se constitue.
Et la fin du moratoire des loyers : celles et ceux qui ne peuvent payer leur loyer sont menacés d’expulsion.
Trois cent mille ouvriers, boutiquiers, façonniers, petits fabricants et commerçants qui avaient dépensé leur pécule pendant le siège et ne gagnaient rien encore furent jetés à la merci du propriétaire et de la faillite. Entre 13 et 17 mars 150 000 actes d’huissiers prouvent que les petits et moyens commerçants, les artisans ne peuvent faire face aux échéances.
Pour faire bonne mesure, ce même 10 mars, Thiers réalise l’unité de tous les réactionnaires, ceux qui veulent réinstaurer la monarchie avec les républicains bourgeois au travers du « Pacte de Bordeaux », reportant le débat sur le nouveau régime à instaurer et l’institutionnalisation de la République. Ce pacte est fondé sur une idée simple : d’abord régler la situation à Paris, après on verra.
Enfin l’Assemblée nationale décide de ne pas s’installer à Paris, mais à Versailles, la ville royale maudite, loin des pavés de l’émeute.
Cette décapitalisation est une provocation supplémentaire : cette Assemblée de Bordeaux, semble être un gouvernement d’étrangers. Les dernières hésitations disparaissent.
L’Algérie est un enjeu politique entre bonapartistes, libéraux et républicains qui sont opposés aux violences militaires dans la colonie, défendent une politique d’assimilation. Depuis le 4 septembre, le mouvement républicain a pris l’ascendant dans les villes, organisé par des descendants de colons et des colons, dont un certain nombre sont d’anciens déportes de 1848 et 1851. Une milice est constituée à Alger, composée de bataillons de français, de volontaires étrangers (le service est obligatoire pour les européens sauf exception) et du bataillon de gardes nationaux israélites créé après le décret Crémieux qui a attribué d’office en octobre 1870 la citoyenneté française aux 35 000 « Israélites indigènes » d’Algérie.
A l’annonce de la capitulation, une commune coloniale se constitue à Alger, revendiquant l’autonomie d’une Algérie française qui ne prend pas en compte la situation des colonisés, les républicains étant dans un rapport de domination des colonisés qu’ils veulent assimiler avant de leur donner des droits.
Le 1er mars, à l’occasion de l’Aïd el-Kébir, la population algérienne descend en masse dans les rues d’Alger, attaque les bâtiments officiels et pille les magasins juifs, car la frustration populaire face au décret de naturalisation des juifs est très forte. D’autant qu’à Alger, un jugement défavorable aux algériens lors d’un procès suite à une rixe entre un groupe d’algériens et de membres du bataillon israélite vient de se produire. Les marins, les zouaves et les milices interviennent violemment, font un mort et dix blessés. La seule mesure prise est suppression du bataillon israélite.
Dans le pays, la nouvelle de la défaite indique la faiblesse de l’occupant, et les projets d’occupation des terres ont provoqué une première révolte à la mi-janvier. La répression est violente : fermes détruites et de nombreux morts.
Le 16 mars, une déclaration de guerre est adressée au gouverneur de l’Algérie par une armée ayant comme chefs, le cheikh El Mokrani et son frère, ainsi que par le cheik El Haddad. Une troupe de 6000 hommes attaque la bourgade de Bordj Bou Arreridj.
Les bruits que faisait circuler le gouvernement, à Bordeaux sur l’insurrection en cours à Paris ne sont pas que de la propagande. Thiers et les bourgeois ont compris qu’ils ne contrôlaient plus la capitale, celle qui a fait tant de révolutions dans le siècle passé.
Ils ont aussi compris que cette fois-ci ceux qui orientent et animent le mouvement ne sont plus des républicains avec lesquels il sera toujours possible de s’accommoder pour maintenir la domination capitaliste, mais un peuple ouvrier qui parle de prendre le pouvoir réellement. Et ce peuple ouvrier qui a créé des structures collectives durant tout le siège est armé !
Ils ont une stratégie : stabiliser constitutionnellement leur pouvoir, celui qu’ils ont accaparé le 4 septembre, qui a été validé par le vote du 8 février, celui de la classe bourgeoise qui s’est considérablement renforcée depuis la révolution de 1848. C’est aujourd’hui une classe capable à la fois d’écarter les nobliaux qui refusent d’abandonner leurs privilèges issus du passé, et d’imposer au prolétariat sa domination, de mettre en place une république constitutionnelle bourgeoise qui ne criant ni les monarchistes ni les socialistes, qui écrase l’idée de république universelle.
Aujourd’hui ils s’appuient encore une fois sur l’assemblée monarchiste pour mater l’insurrection parisienne.
Ils vont maintenant concentrer tous leurs efforts là-dessus. Tactiquement ils concentrent 40 000 militaires sur Paris et préparent une épreuve de force, estimant qu’au bout du compte les 50 000 plus déterminé-es des parisien-nes n’ont pas le rapport de force. Le 10 mars Jules Favre adresse un télégramme à Thiers dans lequel il annonce qu’ils sont « Nous sommes décidés à en finir avec les redoutes de Montmartre et de Belleville et nous espérons que cela se fera sans effusion de sang ». Ils lancent une offensive généralisée, économique, sociale, politique, accumulent les provocations, prennent le risque de la guerre civile.
Tout est encore possible aujourd’hui, mais il faut que du côté du peuple ouvrier de Paris et dans le reste du pays, s’organise une conscience au niveau équivalent de ce que la bourgeoisie, les riches sont est en train de faire, soutenus par une solide idéologie de l’ordre moral et du profit.
[1] Paris plus des communes limitrophes.
[2] Sur 545.605 inscrits et 300 000 votants.