À l’occasion des 150 ans de la Commune de Paris, Contretemps publie du 18 mars au 4 juin une lettre quotidienne rédigée par Patrick Le Moal, donnant à voir ce que fut la Commune au jour le jour.
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Après une lutte acharnée, les fédérés ont repris les trois quarts de Neuilly, en enfermant dans l’île de la Grande-Jatte un certain nombre de Versaillais.
Témoignage. Henri Bellenger, 33 ans, journaliste au Vengeur
« Je m’étais arrêté ce matin boulevard Saint Michel pour regarder passer le 19° bataillon, qui remontait aux buttes Chaumont, son quartier, après avoir repoussé, sans la nuit, l’attaque désespérée des Versaillais sur le fort d’Issy.
Ces braves gens marchaient allègrement au son du clairon. Nulle trace de fatigue ne paraissait sur leurs faces hâlées. L’émotion gagna tout le monde en voyant s’avancer, dans le rang, un vieillard de plus de soixante ans, voûté par l’âge et le travail. Les applaudissements éclatèrent. Lui relevait la tête en souriant et criait : « Vive la Commune ! »
Au passage du drapeau, il y eut dans la foule un grand silence. Bien modeste, pourtant, ce drapeau. Il est fait tout bonnement d’un bâton blanc, d’un carré de serge pourpre. Pas d’inscription, pas de dorure ; c’est bien l’étendard de combat, celui qu’on plante entre deux pavés, à la crête de la barricade.
Il était aisé de voir, du reste, qu’il revenait de la bataille. L’étoffe en était criblée à jour, ce n’était plus qu’une loque : loque glorieuse.
Ce fut l’explosion. Les femmes battaient des mains, les boutiquiers quittaient leur comptoir pour voir de plus près. On criait : ʺVive la République !ʺ »
Thiers continue à déverser ses obus contre les ambulances, comme cela est arrivé sur celle des Champs-Élysées, qui ne renferme pas moins de deux cents blessés. Il déverse également ses mensonges, il envoie la dépêche suivante dans les départements :
Versailles, 12 avril 1871, 17h30.
« Ne vous laissez pas inquiéter par de faux bruits; l’ordre le plus parfait règne en France, Paris seul excepté. Le gouvernement suit son plan et il n’agira que lorsqu’il jugera le moment venu. Jusque-là les engagements de nos avant-postes sont insignifiants. Les récits de la Commune sont aussi faux que ses principes. Les écrivains de l’insurrection prétendent qu’ils ont remporté une victoire du côté de Châtillon. Opposez un démenti formel à ces mensonges ridicules. Ordre est donné aux avant-postes de ne dépenser inutilement ni la poudre, ni le sang de nos soldats. Cette nuit, vers Clamart, les insurgés ont canonné, fusillé dans le vide, sans que nos soldats, devant lesquels ils fuient à toutes jambes, aient daigné riposter. Notre armée, tranquille et confiante, attend le moment décisif avec une parfaite assurance, et si le gouvernement la fait attendre, c’est pour rendre la victoire moins sanglante et plus certaine. L’insurrection donne plusieurs signes de fatigue et d’épuisement. […]
Toute tentative de scission essayée par une partie quelconque du territoire sera énergiquement réprimée en France, ainsi qu’elle l’a été en Amérique. »
Présidée par le citoyen Rossel, elle s’est tenue aujourd’hui et a pris des décisions importantes. Il a affirmé que les barricades ne sont qu’un apport complétant l’enceinte fortifiée, la meilleure de toutes les barricades, et les lignes de défense naturelles de la ville.
L’accord se fait pour détruire les barricades actuelles qui ont été construites en vue d’un genre de guerre tout différente de l’actuelle, elles entravent la circulation sans rendre aucun service, et surtout sont construites en pavés, et deviennent très dangereuses pour les défenseurs en cas d’attaque par l’artillerie, à cause des éclats de pierre que détacheraient les projectiles.
Ces destructions seront opérées par le service de la voirie municipale au fur et à mesure de la construction de nouvelles barricades, formant un système constitué de deux lignes de barricades sur tout le tour de la ville.
La commission arrête la forme et les dimensions de deux types de barricades, l’un pour les grandes voies de communication, l’autre pour les petites rues. Elle préconise des barricades en terre en utilisant les pavés pour le noyau de la barricade avec un fossé de deux mètres de profondeur du côté de l’ennemi, et des fourneaux de mine devant ce fossé, chargés de poudre et amorcés séparément. Chaque barricade sera composée de deux portions appuyées l’une au côté droit, l’autre au côté gauche de la rue, et laissant entre elles et les maisons un passage de trois mètres. Cependant, dans les voies qui ne seront pas nécessaires à la circulation des voitures, on ne fera qu’une barricade, avec un passage de 1 mètre de largeur à l’une des extrémités.
Maintenant que ces décisions importantes sont prises, il va falloir les mettre en œuvre de manière coordonnée et sérieuse.
La commission arrête ainsi qu’il suit le profil d’une barricade pour les grandes voies de communication :
Profondeur du fossé, 2 mètres.
Largeur, ce qu’il faudra pour le massif.
Hauteur de la barricade, 4 mètres.
Epaisseur en haut, 6 mètres.
Talus du côté de l’ennemi, 4 mètres de base.
Talus montant à a banquette, 5m50 de base.
Epaisseur totale, 19 mètres.
Hauteur du massif de pavés, 2m50.
Epaisseur au pied, 15 mètres.
Epaisseur en haut, 7m50.
Fossé intérieur, ad libitum.
Le dessus de la barricade et le dessus du massif de pavés doivent être en pente du côté de l’ennemi.
Les ateliers d’équipement et d’armement fonctionnent jour et nuit. Deux mille fusils à piston, transformés en fusils à tabatière avec culasse de bronze, ont été livrés à la garde nationale
La délégation des finances et la délégation de la guerre ont augmenté les soldes des officiers de la garde nationale, qui est plus importante en service actif en dehors de l’enceinte fortifiée que dans l’intérieur de Paris.
Il est reconnu que la solde de la garde sédentaire de 1 fr. 50, 2 fr. et 2 fr. 50 pour les gardes, sous-officiers et officiers est insuffisante et constitue un sacrifice de la part de ceux qui les acceptent pour vivre ; mais le délégué à la guerre explique que
« nous sommes dans une période de sacrifices, et nous sommes des hommes de sacrifices. Du reste, aussitôt la victoire assurée, chacun reprendra son métier. Il ne sera plus question de grade ni de paye. Ce n’est donc qu’un moment à passer et un sacrifice à faire au triomphe de notre indépendance.»
Dans les arrondissements peu favorables à la Commune, des mesures sont prises pour améliorer l’organisation de la garde nationale.
La Commune de Paris, dès lors que le délégué à la guerre s’engage à rendre le vote possible à tous les citoyens appelés aux avant-postes pour la défense de leurs droits, a décidé que les élections communales complémentaires auront lieu le dimanche 16 avril.
Le scrutin sera ouvert de huit heures du matin à huit heures du soir, le dépouillement se fera immédiatement.
La Commune de Paris,
Vu les questions multiples que soulève sur les échéances à cause des nombreux intérêts auxquels elle touche, et la nécessité d’un examen plus approfondi,
ARRÊTE :
Article unique. Toutes les poursuites pour échéances sont suspendues jusqu’au jour où paraîtra, au Journal officiel, le décret sur les échéances.
Paris, le 12 avril 1871.
La Commune vient d’adopter un décret à ce sujet, selon certaines informations sur la proposition du citoyen Félix Pyat, et malgré l’opposition de la minorité socialiste, qui soutient que l’Assemblée communale a bien d’autres choses à faire que de s’occuper de cela.
La Commune de Paris,
Considérant que la colonne impériale de la place Vendôme est un monument de barbarie, un symbole de force brute et de fausse gloire, une affirmation du militarisme, une négation du droit international, une insulte permanente des vainqueurs aux vaincus, un attentat perpétuel à l’un des trois grands principes de la république française, la fraternité,
DÉCRÈTE :
Article unique. La colonne de la place Vendôme sera démolie.
Paris, le 12 avril 1871.
Cette colonne érigée sur ordre de Napoléon pour commémorer la bataille d’Austerlitz, au fût coulé dans le bronze de centaines de canons pris aux armées russes et autrichiennes, décorée à la manière antique de bas-reliefs représentant des trophées est un symbole du culte napoléonien. Nombre de républicains ont en exécration les souvenirs qu’elle rappelle, surtout après le coup d’état de décembre 1851.
D’autres s’interrogent sur l’efficacité de cette décision, pensant que si l’idée qu’il rappelle n’est plus en honneur chez la masse, le monument n’est pas un danger, mais bien plutôt un enseignement; et si l’idée au contraire subsiste encore dans les esprits, la chute du monument, loin de l’anéantir, ne fera que l’aviver et lui donner un surcroît de force, une activité nouvelle.
Quelques jours après le 18 mars le directeur des hôpitaux de Paris a quitté la capitale sur ordre de Versailles, suivi par la plupart des responsables, ce qui a d’abord provoqué une désorganisation importante.
Depuis le 26 mars, Camille Treillard veille au bon fonctionnement de l’assistance publique, une structure médicale de 25 000 lits dans un cinquantaine d’établissements, avec une scrupuleuse honnêteté. L’afflux des blessés depuis le début de ce mois a rendu nécessaire d’augmenter les lits en chirurgie. Les médecins et internes, y compris ceux qui sont indifférents voire même hostiles à la Commune sont pour l’essentiel restés en poste, comme les plus de 2000 membres du personnel laïc. La plupart des religieuses hospitalières (elles étaient des centaines )sont elles aussi restées en place, car il était impossible de les remplacer rapidement par du personnel compétent.
Il vient d’adresser la lettre suivante aux citoyens directeurs des hôpitaux, hospices, maisons de secours, etc.
« Citoyen directeur,
Je suis informé que les gardes nationaux blessés ont été reçus, ces jours derniers, avec peu d’empressement dans certains établissements hospitaliers, qu’ils ont été déposés d’abord dans les cours, dans les corridors, et même devant la porte, où ils auraient attendu trop longtemps leur admission définitive et les soins empressés qui leur sont dus, que des gens de service et d’autres gens se seraient oubliés au point de laisser échapper des propos inconvenants vis-à-vis des blessés.
Il me suffira, citoyen directeur, de vous signaler ces actes pour qu’ils soient énergiquement réprimés s’ils ont existé dans l’hôpital que vous dirigez.
L’esprit politique doit être banni de l’hôpital, pour y laisser régner seul l’esprit de dévouement et de solidarité.
J’entends d’ailleurs que tout agent qui tiendrait dans l’hôpital des propos contraires à l’ordre de choses qui triomphe à Paris soit immédiatement remplacé.
Veuillez m’accuser réception de cette circulaire, et me faire connaître la suite qu’il serait nécessaire de lui donner.
Salut et fraternité. »
TREILLARD
Cette adresse rappelle les objectifs de la Commune : la rénovation sociale toute entière, « l’anéantissement de tout privilège, de toute inégalité », sans distinction de sexe, « distinction créée et maintenue par le besoin de l’antagonisme sur lequel repose les privilèges des classes gouvernantes ».
Elle fait des demandes précises pour faciliter le travail dans tous les quartiers de Paris, une salle dans les mairies ou les comités de l’Union des femmes pourront siéger en permanence, un grand local pour les réunions publiques de citoyennes, et l’impression aux frais de la commune des documents nécessaires à son activité.
Pour les animatrices de l’Union, l’émancipation des ouvriers a pour corollaire l’émancipation totale des femmes, des ouvrières. Elles revendiquent que la commune déclare l’égalité de sexes, comprenant la domination exercée par les hommes sur les femmes comme un des éléments de la lutte engagée.
« Considérant :
Qu’il est du devoir et du droit de tous de combattre pour la grande cause du peuple, pour la Révolution ;
Que le péril est imminent et l’ennemi aux portes de Paris ;
Que l’union faisant la force, à l’heure du danger suprême tous les efforts individuels doivent se fusionner pour former une résistance collective de la population entière, à laquelle rien ne saurait résister ;
Que la Commune représente le grand principe proclamant l’anéantissement de tout privilège, de toute inégalité, — par là même est engagée à tenir compte des justes réclamations de la population entière, sans distinction de sexe, — distinction créée et maintenue par le besoin de l’antagonisme sur lequel reposent les privilèges des classes gouvernantes ;
Que le triomphe de la lutte actuelle, — ayant pour but la suppression des abus, et dans un avenir prochain, la rénovation sociale tout entière, assurant le règne du travail et de la justice, — a, par conséquent, le même intérêt pour les citoyennes que pour les citoyens ;
Que le massacre des défenseurs de Paris par les assassins de Versailles exaspère à l’extrême la masse des citoyennes et les pousse à la vengeance ;
Qu’un grand nombre d’entre elles est résolu, au cas où l’ennemi viendrait à franchir les portes de Paris, à combattre et vaincre ou mourir pour la défense de nos droits communs ;
Qu’une organisation sérieuse de cet élément révolutionnaire en une force capable de donner un soutien effectif et vigoureux à la Commune de Paris, ne peut réussir qu’avec l’aide et le concours du gouvernement de la Commune ;
Les déléguées des citoyennes de Paris demandent à la Commission exécutive de la Commune :
1° De donner l’ordre aux mairies de tenir à la disposition des comités d’arrondissement et du Comité central, institués par les citoyennes pour l’organisation de la défense de Paris, une salle dans les mairies des divers arrondissements, ou bien, en cas d’impossibilité, un local séparé où les Comités pourront siéger en permanence ;
2° De fixer, dans le même but, un grand local où les citoyennes pourraient faire des réunions publiques ;
3° De faire imprimer aux frais de la Commune les circulaires, affiches et avis que les divers Comités jugeront nécessaire de propager.
Pour les citoyennes déléguées membres du comité central des citoyennes : Adélaïde Valentin, ouvrière ; Noémie Colleuille, ouvrière ; Marcand, ouvrière ; Sophie Graix, ouvrière ; Joséphine Pratt, ouvrière ; Céline Delvainquier, ouvrière ; Aimée Delvainquier, ouvrière ; Elisabeth Dimitrieff.
Bien triste évolution que celle d’Henri Tolain. Cet ouvrier ciseleur sur bronze, proudhonien, a été un des fondateurs de l’Internationale en France. Il avait assisté en 1862 à Londres aux premières rencontres qui vont conduire à la création de l’Internationale, puis en 1864 au meeting londonien lors duquel les bases de l’AIT furent jetées. Il a été poursuivi plusieurs fois pour ses activités internationalistes.
Candidat sur la liste socialiste révolutionnaire aux élections du 8 février 1871, il a été élu député de la Seine avec 89132 voix. Hostile à la Commune, il a aujourd’hui rallié le gouvernement de Versailles, permettant à Thiers de l’utiliser pour tenter de diviser, troubler le camp prolétaire. Les ouvriers parisiens ont soif de probité, de dévouement, et jugent Tolain comme un courtisan de la classe riche qui a renié la classe pauvre.
Le Conseil fédéral des sections parisiennes a adopté à l’unanimité la résolution suivante :
« Considérant que le sieur Tolain, nommé à l’Assemblée nationale pour représenter la classe ouvrière, a déserté sa cause de la manière la plus lâche et la plus honteuse, le conseil fédéral parisien de l’Internationale le rejette de son sein, et propose au Conseil général de Londres de consacrer cette expulsion. »
Le délégué à l’instruction communale du XVIIe arrondissement s’est occupé d’une solution théorique et pratique à donner à la question des écoles communales congréganistes. Dans un manifeste adressé aux instituteurs et institutrices des écoles et salles d’asiles communales, le citoyen Rama émet et développe les considérations suivantes.
« Considérant que la liberté de conscience, pour être réelle, doit être assurée entière et égale pour tous, sans exception ;
Considérant que les maisons d’instruction et d’éducation entretenues par l’impôt doivent être ouvertes aux enfants de tous les contribuables indistinctement, quelles que soient d’ailleurs les croyances intimes de chacun d’eux ;
Considérant que l’instruction religieuse et dogmatique doit être laissée entièrement à l’initiative et à la direction libres des familles ;
Considérant que les peuples les plus avancés et les philosophes de toutes les écoles ont les principes communs du bien, de la morale, lesquels se résument dans la justice, dans l’inviolabilité, le respect de la personne humaine, sans distinction de race, de nationalité, de croyance, de position sociale, de sexe ni d’âge, et que ces principes sont distincts de tout culte, de toute religion, de tout système philosophique ;
Considérant que dans tous les temps et dans tous les pays, on a abusé, même de la meilleure foi du monde, de l’ignorance et de l’innocence de l’enfant pour lui inoculer, par exemple, par la contrainte et par l’habitude, des superstitions, des préjugés, des préventions, des sentiments d’injustice et des haines qui aboutissent à des désordres sociaux et à des guerres ;
Considérant que la justice est un droit inaliénable et imprescriptible ; qu’elle ne doit être soumise, par le pouvoir, à aucune condition, soit d’opportunité, soit de l’égalité ;
Considérant que la violation de la conscience démoralise et pervertit ; qu’elle avilit le caractère ; qu’elle peut conduire les peuples d’une manière insensible, mais rapide, aux plus grands désastres ;
Les instituteurs et institutrices des écoles et salles d’asiles publiques du XVIIe arrondissement sont invités à se conformer aux instructions suivantes :
Ils emploieront exclusivement la méthode expérimentale ou scientifique, celle qui part toujours de l’observation des faits, quelle qu’en soit la nature : physiques, moraux, intellectuels… L’enseignement de la morale sera à la fois usuel et théorique dégagé de tout principe religieux ou dogmatique, afin de pouvoir être donné à tous, sans blesser qui que ce soit.
Il éloignera également de l’esprit de domination et de l’esprit de servitude.
Il ne sera enseigné ou pratiqué en commun, ni prières, ni dogmes, ni rien de ce qui est réservé à la conscience individuelle.
Les écoles et salles d’asile communales ne contiendront, aux places exposées aux regards des élèves ou du public, aucun objet de culte, aucune image religieuse.
Les élèves n’auront à se servir d’aucun livre, d’aucun objet qui serait, en quoi que ce soit, contraire à la méthode scientifique et aux sentiments de concorde qui sont le but de la présente circulaire.
Les institutrices et les instituteurs publics qui ne peuvent admettre l’application rigoureuse du principe de liberté de conscience à l’instruction communale sont priés de vouloir bien laisser disponibles, d’ici à la fin du mois, les locaux et tout le mobilier scolaire qu’ils tiennent de l’administration publique, et de nous prévenir du jour où ils voudront cesser leurs classes, afin qu’il n’y ait aucune interruption dans les études, au préjudice des enfants.
En dehors des écoles et salles d’asile communales, toute maison d’instruction et d’éducation peut être tenue, comme établissement privé ou libre, sous la surveillance et sous la responsabilité des parents, mais dans toutes les conditions du droit commun. »
Paris, le 8 avril 1871, Le délégué à l’instruction commune du XVIIe arrondissement, RAMA.
Vu et approuvé : Le membre de la Commune remplissant les fonctions d’officier municipal du XVIIe arrondissement, B. MALON.
La commune a reçu les citoyens Assi et Bergeret qui avaient été arrêtés. Elle a décidé de remettre en liberté Assi, et de réétudier les faits reprochés à Bergeret.
Le corps des sapeurs-pompiers de Paris est licencié comme corps militaire, à la date du 1er avril et reconstitué à la même date, sous le titre de : Corps civil des sapeurs-pompiers de la Commune de Paris.
L’approvisionnement des halles centrales est journellement entravé pas des marchandages de denrées et articles divers, qui stationnent depuis quelques temps sur les voies couvertes et aux abords desdites halles. Il est défendu aux marchands regrattiers et d’articles divers de stationner sur les voies couvertes et aux abords des halles centrales, à partir de jeudi prochain 14 courant.
Affiché dans le XVIIIe arrondissement :
« Attendu que les prêtres sont des bandits et que les églises sont des repaires où ils ont assassiné moralement les masses, en courbant la France sous la griffe des infâmes Bonaparte, Favre et Trochu, Le délégué civil des Carrières, près l’ex-Préfecture de police, ordonne que l’église Saint-Pierre-Montmartre sera fermée, et décrète l’arrestation des prêtres et des ignorantins. » Signé : Le Moussu.
Londres, 12 avril 1871.
« Cher Kugelmann
Nous avons reçu hier la nouvelle nullement rassurante que Lafargue (sans Laura) était pour l’instant à Paris.
Dans le dernier chapitre de mon 18 Brumaire, je remarque comme tu le verras si tu le relis que la prochaine tentative de la révolution en France devra consister non plus à faire passer la machine bureaucratique et militaire en d’autres mains, comme ce fut le cas jusqu’ici, mais à la détruire. C’est la condition première de toute révolution véritablement populaire sur le continent. C’est aussi ce qu’ont tenté nos héroïques camarades de Paris. De quelle souplesse, de quelle initiative historique, de quelle faculté de sacrifice sont doués ces Parisiens ! Affamés et ruinés pendant six mois, par la trahison intérieure plus encore que par l’ennemi, ils se soulevèrent sous les baïonnettes prussiennes comme s’il n’y avait jamais eu de guerre entre la France et l’Allemagne, comme si l’étranger n’était pas aux portes de Paris ! L’histoire ne connaît pas encore d’exemple d’une pareille grandeur! S’ils succombent, seul leur caractère « bon garçon » en sera cause. Il eût fallu marcher aussitôt sur Versailles après que Vinoy d’abord, et ensuite les éléments réactionnaires de la garde nationale parisienne eurent laissé le champ libre. Par scrupule de conscience, on laissa passer le moment favorable. On ne voulut pas commencer la guerre civile, comme si ce méchant avorton de Thiers ne l’avait pas déjà commencée, en tentant de désarmer Paris. Deuxième faute : le Comité central se démit trop tôt de ses fonctions pour faire place à la Commune. Encore par un trop grand scrupule « d’honneur » ! Quoi qu’il en soit, l’insurrection actuelle de Paris, même succombant devant les loups, les cochons et les sales chiens de la vieille société, est le plus glorieux exploit de notre parti depuis l’Insurrection parisienne de juin. Que l’on compare les titans de Paris aux esclaves du Saint Empire romain-prusso-germanique, avec ses mascarades posthumes, ses relents de caserne et d’église, de féodalité, et surtout de philistin.
Ton KARL MARX.
Marx dans ce courrier aborde une question décisive, peu débattue par les communards, celle de l’État :
« la révolution en France devra consister non plus à faire passer la machine bureaucratique et militaire en d’autres mains, comme ce fut le cas jusqu’ici, mais à la détruire. C’est la condition première de toute révolution véritablement populaire sur le continent. C’est aussi ce qu’ont tenté nos héroïques camarades de Paris ».
Cette approche est une évolution par rapport à celle du Manifeste Communiste écrit il y a plus de vingt ans :
« la première étape dans la révolution ouvrière est la constitution du prolétariat en classe dominante, la conquête de la démocratie.
Le prolétariat se servira de sa suprématie politique pour arracher petit à petit tout le capital à la bourgeoisie, pour centraliser tous les instruments de production entre les mains de l’État, c’est-à-dire du prolétariat organisé en classe dominante, et pour augmenter au plus vite la quantité des forces productives.
Cela ne pourra naturellement se faire, au début, que par une violation despotique du droit de propriété et du régime bourgeois de production ».
Ici, la révolution prolétarienne à venir se modèle sur les révolutions bourgeoises, économiquement – elle libère les forces productives – et politiquement – elle érige le prolétariat en classe dominante, et utilise le pouvoir politique pour centraliser tous les moyens de production entre les mains de l’État « le prolétariat organisé en classe dominante ». L’État sert d’instrument conduisant à la disparition des classes.
La répression sanglante de la révolte ouvrière de juin 1848, le choc entre la bourgeoisie et le prolétariat avait définitivement convaincu Marx que la bourgeoisie ne pourra plus jouer de rôle révolutionnaire, qu’elle s’orientera vers un compromis avec l’ancien régime, dans un cadre lui laissant libre son développement économique. C’est ce qui se passe aujourd’hui avec Thiers.
L’autre leçon des événements, c’est que l’histoire a construit une machine d’État lourde et ramifiée, qui dépossède la société, ce qui interdit à la révolution prolétarienne de se concevoir comme la révolution bourgeoise.
La Commune, lors de laquelle le peuple ouvrier de Paris a occupé à sa manière toutes les structures étatiques, administratives, judiciaires, policières, militaires en créant un pouvoir politique de celles et ceux d’en bas donne un exemple vivant de la forme politique de la domination ouvrière sur la bourgeoisie pour créer une société socialiste.
Les Internationalistes sont les rares à se préoccuper de cette question de la forme de l’État ou du non État futur, même s’ils sont divisés sur la question. Ce sont eux qui réfléchissent à la Commune au-delà de l’autonomie administrative, en la concevant comme la structure qui a le droit entier, absolu de faire ses lois, de créer un organisme politique pouvant réaliser le but de la révolution, l’affranchissement du travail, l’abolition des monopoles et des privilèges, de la bureaucratie, de la féodalité capitaliste, la création d’un nouvel ordre économique nouveau, d’égalité, de solidarité et de liberté, l’émancipation politique et sociale de tou-tes.
[1] Membre de l’Internationale