La Commune au jour le jour. Lundi 17 avril 1871

À l’occasion des 150 ans de la Commune de Paris, Contretemps publie du 18 mars au 4 juin une lettre quotidienne rédigée par Patrick Le Moal, donnant à voir ce que fut la Commune au jour le jour

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L’essentiel de la journée

Situation militaire

Au sud

Après les attaques répétées des dernières nuits, un calme relatif s’est rétabli.

 

À l’ouest

La porte Maillot est toujours canonnée avec vigueur, subit des dégâts considérables, mais est réparée rapidement.

Par une attaque violente commencée dans la nuit, les Versaillais ont pris le château de Bécon, ce qui fragilise l’occupation d’Asnières par les fédérés qui tiennent tête.

Témoignage de A. de Balathier Braguelonne, 60 ans, journaliste

Sur la grande avenue des Ternes les obus et les balles même arrivent par rafales ; aussi les omnibus s’arrêtent-ils au boulevard Jérôme. Ce matin, au moment de commencer leur service, conducteurs, cochers, chevaux et voitures, restèrent plusieurs heures sans pouvoir sortir du dépôt : une de ces trombes de fer les tenait emprisonnés. À la première accalmie, tout le monde partit au galop pour aller stationner à la limite du faubourg.

Pendant cette tempête, un pâtissier de l’avenue, M. Soudet, qui courrait chez le boucher voisin pour faire ses provisions, fut atteint par un éclat d’obus qui le renversa, foudroyé ; le malheureux avait la poitrine ouverte.

Un peu plus loin, deux passants furent presque au même instant renversés sur le trottoir.

Dans une des maisons d’angle de cette même avenue, une bombe crève un mur, traverse la chambre d’un conducteur d’omnibus qui s’apprêtait à partir pour son travail, atteint le pauvre homme et va éclater plus loin.

 

Dans La Commune

Héroïsme républicain

Depuis le commencement de la guerre, un ancien soldat de l’Ile-de-France, Louis Kapell, s’est signalé par plusieurs actions d’éclat.

Le dimanche de Pâques, il a pris avec un camarade à la barricade de Neuilly, qui venait d’être abandonnée par l’ennemi, mais où les balles continuaient à tomber, une mitrailleuse avec les munitions. Ces deux braves l’ont conduite à l’Hôtel de Ville, où l’on leur en a délivré un reçu.

Le même Kappel s’est emparé d’un colonel de gendarmerie chez un marchand de vin de Neuilly. Le gendarme s’est rendu sans opposer la moindre résistance. Déjà, Louis Kapell, assisté de son frère Antoine et de Henry Martin, avait fait prisonnier un officier supérieur de gendarmerie.

Il y a dans le seul 35e bataillon six vieillards qui se distinguent quotidiennement. Nous en avons vu un qui se plaignait de n’avoir pas fait partie de l’attaque de Neuilly et d’être resté à la Porte Maillot, ou pourtant le danger ne manque pas.

Un canonnier du fort d’Issy nous écrit : « je dois vous informer que les réactionnaires du deuxième arrondissement sont aujourd’hui les défenseurs du fort, qui n’en est pas moins bien défendu pour cela, à preuve la belle défense de la nuit dernière. »

Les gardes nationaux qui se conduisent de la sorte ne sont pas des « réactionnaires », mais de courageux et braves citoyens. Ils ont pu un instant n’être pas de la même opinion que les bataillons adhérents au Comité central ; mais aujourd’hui qu’ils se battent pour les droits de Paris, ils n’en sont que plus dignes, aussi sommes-nous au regret de ne pas connaître le numéro des bataillons, nous aurions éprouvé un véritable plaisir à les mettre à l’ordre du jour.

 

La construction des barricades continue

Au coin de la place de la Concorde et de la rue Saint-Florentin, deux cents ouvriers environ construisent un ouvrage impressionnant de dix mètres de largeur, principalement composé de sacs de terre superposés.

Une barricade semblable se monte en même temps rue de Castiglione, à quinze mètres de la rue Saint-Honoré.

Le citoyen délégué à la guerre apprend qu’on fait des travaux de barricades qui ne lui ont pas été soumis, et qu’on promet une haute paye pour ce travail. Il prévient que cette haute paye ne sera pas payée.

 

La Cour martiale se met en place

Elle a tenu ce soir sa première séance, et rédigé un arrêt réglant la procédure et les peines, qui sera demain affiché partout dans Paris. Le président de la Cour martiale invite en même temps les officiers, sous-officiers ou gardes qui sont licenciés en droit à se faire inscrire au siège de la Cour martiale (à la prison du Cherche-Midi), et à assister aux séances de la Cour, pour lui prêter leur concours pour l’instruction des affaires, les fonctions du ministère public et la défense.

Cet arrêt règle la procédure, prévoit que les magistrats sont autorisés à faire saisir les inculpés, les faire conduire immédiatement à la prison du Cherche-Midi, sans pouvoir s’introduire dans une maison particulière, si ce n’est avec l’assistance du juge de paix ou de son suppléant ou du maire, ou d’un adjoint, ou du commissaire de police. Le défenseur, choisi par l’accusé ou désigné d’office, a droit de communiquer avec l’accusé et avoir communication des pièces de la procédure. Les séances sont publiques. L’arrêt de condamnation est exécuté dans les vingt-quatre heures après qu’il a été prononcé, ou, dans le cas de condamnation à mort, dans les vingt-quatre heures après la sanction de la commission exécutive.

Le délégué à la guerre apprend que des officiers des postes ou des gardes nationaux portent atteinte à la liberté individuelle en arrêtant arbitrairement, sans mandat régulier, dans les domiciles particuliers, dans les lieux publics ou sur la voie publique, des citoyens suspectés à plus ou moins bon droit.

En attendant que la Commune ait pris à cet égard des mesures définitives, le délégué à la guerre rappelle à tous les gardes nationaux qu’ils ne peuvent faire d’arrestations et intervenir dans l’ouverture et la fermeture des lieux publics qu’en vertu d’ordres réguliers émanant de l’autorité compétente.

Toute infraction au présent avis sera déférée aux conseils de guerre.

 

Versailles et ses œuvres

Se débat à l’Assemblée de Versailles une loi pour réprimer les délits qui portent atteinte aux « fondements éternels de la morale et de la société » et aux théories qui y conduisent, comme la négation de la propriété, de la famille et de tous les droits primordiaux de la société. On y cherche à savoir quel tribunal sera le plus efficace pour défendre mieux la société et ses éternels fondements comme « dogme de l’existence de Dieu et de l’immortalité de l’âme » qui sont au-dessus de la discussion selon un député, M. Gavardie.

Le député démissionnaire Édouard Locroy, qui se rendait en voiture à sa maison de campagne, muni d’un laissez-passer de la Commune, a été arrêté par les soldats versaillais et immédiatement conduit en prison à Versailles.

Dans La commune

Manœuvre fiscale

Une manœuvre de la Chambre à signaler. M Thiers ne pouvant réduire ce qu’il appelle l’insurrection, soit par la force, soit par la famine, essaye de la priver de toute ressource. Il cherche à tarir, pour la ville de Paris, toutes les sources de revenus. C’est ainsi qu’il vient de prendre une mesure inqualifiable.
Le chef de l’exécutif force maintenant les expéditeurs de marchandises à acquitter les droits de douane, soit à l’entrée en France, soit au lieu de départ. Il s’ensuit que, si la douane de Paris veut percevoir comme autrefois ce qui lui est dû, on lui répond que les droits sont entièrement soldés et que la marchandise doit entrer en franchise. Si la douane réclame, le destinataire refuse le colis, et le tour est joué.

Malheureusement, M Thiers n’a pas songé que les trésors des églises étaient à peu près inépuisables, et que la Commune trouverait dans cette propriété nationale et des sous et de l’argent.

 

La Commune à propos des élections de dimanche dernier

Le citoyen Vaillant a lu un rapport sur les résultats approximatifs, et souhaite qu’une commission soit nommée pour vérifier les opérations électorales. Tandis que les citoyens Beslay, Arnaud, Billioray et Dupont émettent le vœu qu’on ne se départît pas de la base du huitième des électeurs inscrits pour la validité des élections, les citoyens Mortier, Dereure et Allix demandent eux que l’on s’en tienne à la majorité relative. Le citoyen P. Grousset demande, de son côté, que l’on s’en réfère à une évaluation approximative du chiffre actuel de la population dans chaque arrondissement, et propose de baser cette évaluation sur la consommation des farines à ce moment, comparée à cette même consommation à l’époque où les listes électorales ont été arrêtées. La décision sur ce point a été remise à la séance suivante.

 

Conclusion du débat sur les échéances

Enfin le débat trouve sa conclusion aujourd’hui, par ce décret adopté à l’unanimité moins 7 voix.

Loi sur les échéances

La Commune

DÉCRÈTE :

Art. 1er. Le remboursement des dettes de toute nature souscrites jusqu’à ce jour et portant échéance, billets à ordre, mandats, lettres de change, factures réglées, dettes concordataires, etc., sera effectué dans un délai de trois années à partir du 15 juillet prochain, et sans que ces dettes portent intérêt.

Art. 2. Le total des sommes dues sera divisé en douze coupures égales, payables par trimestre, à partir de la même date.

Art. 3. Les porteurs des créances ci-dessus énoncées pourront, en conservant les titres primitifs, poursuivre le remboursement desdites créances par voie de mandats, traites ou lettres de change mentionnant la nature de la dette et de la garantie, conformément à l’article 2.

Art. 4. Les poursuites, en cas de non-acceptation ou de non-paiement, s’exerceront seulement sur la coupure qui y donnera lieu.

Art. 5. Tout débiteur qui, profitant des délais accordés par le présent décret, aura pendant ces délais détourné, aliéné ou anéanti son actif en fraude des droits de son créancier, sera considéré, s’il est commerçant, comme coupable de banqueroute frauduleuse, et, s’il n’est pas commerçant, comme coupable d’escroquerie.

Il pourra être poursuivi comme tel, soit par son créancier, soit par le ministère public.

Paris, le 16 avril 1871.

Le texte reporte une nouvelle fois le remboursement des dettes de trois mois puisque celui-ci est prévu à partir du 15 juillet prochain, alors que le projet initial faisait partir le délai de remboursement le 15 avril. La demande de Frankel de repousser le remboursement des dettes de toute nature plus tard, jusqu’au 15 juillet 1872 est repoussée.

Il n’y a pas d’intérêt sur les dettes, et leur remboursement s’étalera sur trois ans (le projet initial de Jourde était de deux ans, une année a été ajoutée sur proposition de Paschal Grousset), en douze versements, un par trimestre. Il est donc possible d’engager chaque trimestre des poursuites en cas de non-paiement.

Cet arrangement longuement discuté donne satisfaction au commerce et à l’industrie : si l’on dit ici ou là qu’on a fait trop ou pas assez, le principe adopté est admis sans contestation. Cela à la différence avec la position de la loi adoptée à Bordeaux par l’assemblée, dite loi des cent mille faillites, contre laquelle pétitions et réclamations se sont accumulées venant tant du gros que du petit commerce parisien, des chambres de commerce et des industriels.

Le projet Tridon qui a été écarté prévoyait l’interdiction de toutes poursuites pendant trois ans, mais un intérêt de 2 % jusqu’au paiement. Les raisons invoquées pour le rejet sont qu’il est « nécessaire de stimuler le débiteur, et, dans l’intérêt même de son crédit, de l’inciter à de continuels efforts pour arriver à l’extinction de sa dette … ce projet … a le tort grave de laisser le débiteur dans une sécurité qui lui pourrait devenir fatale au point de vue de son crédit ultérieur, et de son honorabilité commerciale, en même temps qu’il méconnait trop les droits et les besoins des créanciers […] Les droits du créancier […] sont en somme aussi sacrés que ceux de son débiteur. Il y a eu livraison de marchandises, de produits quelconques ou d’effets. Il y a donc perte réelle en cas de non-paiement de la valeur en souffrance ».

La comparaison avec l’exonération des loyers pendant 9 mois décidée le 29 mars par la Commune est sans objet, car « le loyer impayé n’a pour effet, quant au propriétaire, que d’interrompre, pour ce dernier, le payement de son revenu ; le capital lui reste ».

Le projet Beslay était similaire au texte finalement adopté, mais il voulait créer en plus un comptoir spécial, le « Comptoir commercial de liquidation » subventionné par la Commune, qui centraliserait les opérations de recouvrement. Or cela « compromettrait les intérêts de la Commune, qui deviendrait, gratuitement en somme, garante pour une part quelconque de la valeur totale des effets en souffrance. Cette garantie demandée à la Commune, outre qu’elle n’est point légitime dans l’espèce, aurait de plus un caractère quasi immoral, en ce qu’elle viendrait en aide à un grand nombre d’opérations véreuses… ».

 

Réorganisation de la justice

Un certain nombre d’études d’huissier ont volontairement fermé, et un certain nombre de ces officiers ministériels refusent d’agir, même dans les affaires purement civiles ou commerciales.

Le délégué de la Justice décide donc la création de plusieurs offices nouveaux, les candidats doivent envoyer leur demande de suite à la délégation de la justice, en produisant un extrait du casier judiciaire, ou à son défaut des pièces quelconques pouvant le remplacer.

La nomination de tous les magistrats devant se faire à l’élection, et celle des juges de paix et de commerce devant avoir lieu dans un délai très rapproché. Les commerçants sont invités à se concerter à l’avance sur le choix des candidats.

Les électeurs de Paris, les comités des arrondissements, les administrateurs des municipalités peuvent adresser dès aujourd’hui à la délégation de la justice les noms de leurs candidats aux fonctions de juge de paix dans les vingt arrondissements de la Commune.

 

Réorganisation de l’école de médecine

La situation actuelle ne peut durer plus longtemps : les cours sont suspendus à l’École de médecine, car les professeurs ont abandonné leur poste. En outre, à Versailles, le gouvernement étudie un projet de transfert des Écoles de Médecine et de Droit à Bordeaux.

La commission de l’enseignement a décidé de réunir samedi prochain, 22 avril, heure de midi, les docteurs en médecine et les officiers de santé de chaque arrondissement dans leurs mairies respectives, pour nommer deux délégués par arrondissement. Au même moment, les étudiants en médecine inscrits à l’École, les internes et externes des hôpitaux, sont également invités à se réunir au grand amphithéâtre de l’École, afin de nommer dix délégués. De leur côté, les citoyens docteurs Dupré et Rambaud et leurs collègues, professeurs libres, éliront trois délégués.

Il est confié à ces divers mandataires la responsabilité d’arrêter un projet de réorganisation médicale lors d’une réunion qui se tiendra le dimanche 23 avril, heure de midi, au grand amphithéâtre de l’École de médecine.

Le projet, ainsi que le procès-verbal résumant les discussions, seront communiqués à la commission de l’enseignement, et présentés par elle en séance générale de la Commune, appelée à statuer définitivement.

 

Fédération des artistes de Paris.

Les élections à la commission fédérale des artistes ont eu lieu au Louvre,

Sont élus :

Peintres. Bonvin. Gluck. Corot. Héreau (Jules). Courbet. Lançon. Daumier. Leroux (Eugène). Durbec (Arnaud). Manet (Édouard). Dubois (Hippolyte). Millet (François). Feyen-Perrin. Oulevay. Gautier (Armand). Picchio.

Sculpteurs. Becquet. Moreau-Vauthier. Chapuy (Agénor). Moulin (Hippolyte). Dalou. Ottin. Lagrange. Poitevin. Lindeneher (Édouard). Deblézer.

Architectes. Boileau fils. Oudinot (Achille). Delbrouck. Raulin. Nicolle.

Graveurs lithographes. Bellenger (Georges). Gill (André). Bracquemond. Huot. Flameng. Pothey.

Artistes industriels. Aubin (Émile). Meyer. Boudier. Ottin fils. Chabert. Poittier (Eugène).

Chesneau. Reiber. Fuzier. Riester.

Cette commission entre immédiatement en fonction.

 

Dans Le Cri du Peuple

Les rédacteurs du Cri du Peuple sont chacun à leur poste, celui-ci à l’hôtel de ville, comme membre de la Commune ; celui-là, dans une mairie, comme président de section ; cet autre commande un bataillon aux avant-postes. Il s’agit de sauver la République et d’affranchir pour jamais Paris.

Que les lecteurs du Cri du Peuple ne s’étonnent point de ne pas voir de signature au bas d’articles que n’avons ni le temps ni le courage de rédiger, dans cette odeur de poudre et cette tempête de canons.

Il ne faut pas peser les gouttes d’encre, quand il coule des flots de sang, et ce n’est pas avec une plume, mais une baïonnette, que doit être écrite cette histoire admirable de Paris, debout et victorieux.

Donc, nous laissons parler la poudre, et ce sont les combattants qui, de loin, du fort d’Issy ou du pont d’Asnières, rédigent, en ces jours d’héroïsme, notre journal républicain.

Le Cri du Peuple

Un projet d’organisation du travail

Permettez-moi de vous exposer le moyen qui me paraît le plus logique et le plus praticable que nous puissions prendre avec la société dans laquelle nous vivons, et dont l’organisation est tout à fait en opposition avec le principe que nous cherchons à établir.

Je soumets à l’Internationale la proposition suivante dans le but d’accélérer son œuvre, de grouper dans la ville de Paris tous ses adhérents par corporations qui seraient ensuite divisées par sections ou par arrondissements s’il y a lieu ; que toutes les corporations se choisissent des chefs les plus capables qu’ils pourront trouver chacune ; et que ces chefs soutenus du crédit de l’Internationale toute entière puissent former une maison avec des ateliers communs pour la corporation et dont la mission serait d’entreprendre tous les travaux à faire sur la place de Paris à des prix aussi avantageux qu’il se pourrait ; mais, aussi, dans le cas de concurrence de la part des patrons, à des prix qui ne permettraient pas à ces derniers de pouvoir tenir plus longtemps à moins d’exploiter horriblement les ouvriers qui leur seraient attachés, ce qui les forcerait à se ranger parmi nous pour leur intérêt personnel et, par cette raison, ils formeraient, en se rangeant parmi nous, la grève la mieux soutenue.

Pour arriver à ce résultat, il faudrait que l’Internationale qui est notre mère commune établit à Paris avec ses propres ressources ou au moyen d’une cotisation faite par tous les membres une ou deux corporations des plus indispensables et des plus nombreuses en adhérents qui, une fois établie, s’emparerait de tous les travaux à faire qu’elle pourrait rencontrer d’abord. Cette corporation ou ces deux corporations travaillant et fonctionnant avec avantage pourrait aisément prélever sur le produit de leurs travaux une somme de dix ou quinze pour cent qui servirait à établir d’autres corporations. Cette somme serait le remboursement des avances qui leur auraient été accordées par les cotisations.

Comme vous devez le voir, l’administration de la première corporation établie pourrait servir de modèle et de moyen pour établir tous les corps les uns après les autres et quand une fois nous aurions par ce moyen aboli toutes les exploitations particulières des patronages et que nous serions maîtres de nos travaux, nous réduirions facilement le commerce et le capital à nos lois.

Toutes les corporations des autres pays en feraient autant par le même procédé et toujours avec le concours de l’Internationale pour arriver à l’association universelle. Quand nous serions parvenus à être ainsi maîtres de nos travaux, que l’Internationale aurait attiré dans son sein les ouvriers les plus capables de toutes les industries, elle pourrait fonder alors de vastes magasins nationaux où seraient vendues au compte de la société à dix ou quinze pour cent seulement de bénéfice des marchandises produites par tous les sociétaires. Ces magasins seraient tenus par des citoyennes ou des citoyens de l’Internationale et toutes les marchandises ou produits divers ne pourraient être vendus qu’à ceux qui en feraient partie et pour leur propre consommation personnelle. Les produits de l’Internationale livrés aux consommateurs à quinze pour cent de bénéfice seraient encore presque en moyenne à trente-cinq pour cent meilleur marché que les produits sortis de chez les patrons et exploités par les commerçants à cause des bénéfices énormes qu’ils sont forcés de prélever …

Il résulterait plusieurs avantages sérieux de cette mise en pratique, le premier des avantages est qu’il ne choquerait en rien les lois sociales égoïstes et absurdes qui nous régissent. Le deuxième est qu’il procurerait des travaux constants à tous les ouvriers des corporations établies et la constance de ces travaux indemniserait largement des dix pour cent que ces corporations seraient obligées de concéder pour établir les autres, le troisième serait la conséquence forcée de l’abolition du patronat, exploitation de l’homme par l’homme […]

Un ouvrier sculpteur

 

En bref

Une perquisition a été faite aux Invalides dans le but de trouver le reliquaire de Napoléon. Mais elle a été vaine : le reliquaire avait été caché lors de l’entrée dans Paris des Prussiens.

La place d’Italie, située dans le XIIIe arrondissement, s’appellera dorénavant place Duval. L’avenue qui aboutit à cette place gardera son nom d’avenue d’Italie.

La rue qui s’appelait Mac-Mahon depuis le 4 septembre, auparavant rue de Morny, s’appelle aujourd’hui rue de la Commune.

Tous les parcs, jardins et autres lieux publics de promenade, fermés pour cause de sûreté militaire, seront ouverts et mis à la disposition du public, de six heures du matin à sept heures du soir.

Instruction primaire. La commission d’enseignement siégeant à l’Hôtel-de-Ville, prie les directeurs et les directrices des écoles primaires et des salles d’asile publiques de Paris de lui adresser un état de situation détaillé du personnel de leur établissement.

 

Echanges de K. Marx

17 avril 1871

Cher Kugelmann,

Ta lettre est bien arrivée. Je suis en ce moment accablé de besogne. Aussi quelques mots seulement. Je ne peux absolument pas comprendre comment tu peux comparer des démonstrations petites-bourgeoises à la[1] 13 juin 1849[2], etc., avec la lutte actuelle à Paris.

Il serait évidemment fort commode de faire l’histoire si l’on ne devait engager la lutte qu’« avec des chances infailliblement favorables ».

D’autre part, elle serait de nature fort mystique si les « hasards » n’y jouaient aucun rôle. Ces cas fortuits rentrent naturellement dans la marche générale de l’évolution et se trouvent compensés par d’autres hasards. Mais l’accélération ou le ralentissement du mouvement dépendent beaucoup de semblables « hasards », parmi lesquels figure aussi le « hasard » du caractère des chefs appelés les premiers à conduire le mouvement.

Pour cette fois, il ne faut nullement rechercher le « hasard » malheureux et décisif dans les conditions générales de la société française, mais dans la présence des Prussiens en France et dans leur position si près de Paris. Les Parisiens savaient très bien cela. C’est ce que savaient bien aussi les canailles bourgeoises de Versailles. C’est justement pourquoi elles placèrent les Parisiens devant l’alternative ou de relever le défi ou de succomber sans combat. Dans le dernier cas, la démoralisation de la classe ouvrière serait un malheur bien plus grand que la perte d’un nombre quelconque de « chefs ». Grâce au combat livré par Paris, la lutte de la classe ouvrière contre la classe capitaliste et son État capitaliste est entrée dans une nouvelle phase. Mais, quelle qu’en soit l’issue, nous avons obtenu un nouveau point de départ d’une importance historique universelle.

Karl Marx

Nicolas Outine[3] à Karl Marx, Genève, le 17 avril 1871

Je n’ose pas trop vous interroger sur les affaires de Paris… Vingt fois j’ai pensé qu’il faudrait que nous y allions tous, et puis je m’arrêtais à des doutes sur le succès définitif, et je me disais que notre Cause internationale perdrait plutôt que de gagner si toutes les têtes seraient rasées d’un seul coup de Vendéens de Thiers et Cie et que, partant de là, notre devoir est plutôt de rester à notre poste pour continuer l’œuvre entamée.

Ma conviction profonde a toujours été et l’est encore, que la lutte avec l’ordre actuel se videra définitivement par le sang, car je ne crois pas que la bourgeoisie puisse céder légalement et paisiblement, mais qu’il s’agit pour moi de savoir quel sera le moment opportun de se dire que c’est l’heure du brûler les vaisseaux. Est-ce bien le moment aujourd’hui, et faudrait-il en effet que tous ceux qui sont prêts de soutenir leur propagande par les actes et la vie, aillent maintenant à Paris ? Voilà les questions qui m’agitent et vous me pardonnerez facilement que je vienne, sans en avoir peut-être le droit, à vous avec cette franchise, mais vous voudrez bien considérer que cette franchise n’est que l’expression fidèle du respect et de la confiance illimitée que m’inspirent votre esprit, votre tact politique et votre sincère dévouement de toute la vie à la Cause que nous servons tous et dont le drapeau a été arboré par vous. Je n’ai pas besoin d’ajouter que cette lettre est toute personnelle et privée de ma part, et je vous serai reconnaissant si j’ai un mot de réponse avant samedi, car je me débarrasserai pour samedi d’un travail pressant, salarié, et je tâcherai d’être libre pour pouvoir, selon les circonstances, partir aussi pour Paris, quoique je ne sache pas trop par quelle voie y passer et à qui m’adresser en y arrivant ?

Recevez, mon cher citoyen et maître (vous me permettrez de vous appeler ainsi ?) l’expression de mon profond respect et de mes sentiments fraternels.

N. Outine

 

En débat

Le temps joue-t-il pour la Commune ?

Le faible nombre de votants aux élections qui se sont déroulées hier est un mauvais signe, même s’il y a des explications.

Non seulement il fait une ombre à l’élection des votants, mais il donne des arguments à ceux qui interrogent l’autorité et la représentativité de la Commune élue, même si personne ne la remet au cause dans les quartiers populaires où elle reste la représentation incontestable du peuple ouvrier de Paris. Dans ces quartiers la mobilisation est toujours là, massive, déterminée, enthousiaste, tant pour les milliers de combattant-es en face des troupes versaillaises que de toutes celles et tous ceux qui font vivre la capitale, qui débattent dans les clubs, qui changent la vie de tou-tes, à l’école, au travail, malgré les conditions difficiles.

Les mesures prises par le pouvoir communal améliorent la situation des femmes et des hommes du peuple ouvrier de Paris, mais c’est en même temps avec les contraintes d’un blocus, qui fait suite à la guerre et au siège, et surtout en même temps que des affrontements militaires permanents : les pertes du côté parisien sont déjà énormes, des centaines de morts, des milliers de blessés et prisonniers, en tout plusieurs milliers de communeux-ses qui ne sont plus dans les combattant-es.

Les combats semblent stables, les Versaillais n’avancent pas.

La question principale que nous devons nous poser est de savoir comment modifier le rapport des forces. Qui peut penser que sans modifier les forces politiques et sociales, donc militaires en présence dans l’affrontement, le seul face-à-face entre Parisien-nes et Versaillais puisse conduire à la victoire de l’insurrection parisienne ?

Certain-es d’entre nous sont convaincu-es que Thiers ne pourra entrer dans Paris. Aujourd’hui c’est indiscutable, mais demain c’est moins certain, on l’a vu en juin 1848, les républicains bourgeois sont prêts à tout.

D’autres sont dès maintenant persuadés que la situation est désespérée.

Il ne s’agit pas de faire des pronostics, mais de discuter à quelles conditions la victoire est possible, et de tout faire pour réunir ces conditions.

Cela impose de desserrer l’étau militaire et donc politique et social qui est placé autour de Paris.

 

Notes

[1] En français dans le texte.

[2] Le 13 juin 1849, la Montagne organisa une démonstration à Paris pour protester contre le renversement violent de la République romaine par les troupes françaises. Elle fut très facilement dispersée, et ce fut le signal de la banqueroute de la démocratie révolutionnaire petite-bourgeoise.

[3]   Militant russe, 30 ans, ancien dirigeant de la société secrète russe « Terre et Liberté », condamné à mort par contumace, exilé en Suisse depuis 1864. Membre de l’Internationale, dans laquelle il défend ardemment les positions de Marx.