À l’occasion des 150 ans de la Commune de Paris, Contretemps publie du 18 mars au 4 juin une lettre quotidienne rédigée par Patrick Le Moal, donnant à voir ce que fut la Commune au jour le jour.
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À l’ouest
Un duel d’artillerie a eu lieu, sans qu’il n’ait été signalé aucun événement important, les positions sont restées les mêmes.
Il est mentionné qu’un bataillon de ligne aurait voulu mettre bas les armes à Asnières pour venir à nous ; mais avant que les fédérés n’arrivent, 600 gendarmes se sont interposés.
Au sud
Ici aussi il est mentionné qu’un escadron de chasseurs à cheval se serait présenté pour se rendre ; malheureusement les gardes nationaux, qui n’avaient pas d’abord compris leur intention, ont tiré sur eux, la majeure partie se sont enfuis, quelques-uns ont rejoint les fédérés.
Il a été affirmé hier que le principe de l’élection des magistrats par le suffrage universel doit être la loi de l’avenir. L’organisation de la justice est bouleversée par l’adoption d’un décret qui supprime les charges des huissiers, notaires, commissaires-priseurs et greffiers de tribunaux. Ils deviennent ainsi des fonctionnaires publics, un traitement fixe leur étant alloué. Ils devront verser au trésor de la Commune les sommes qu’ils perçoivent.
C’est une réforme révolutionnaire concernant les offices ministériels.
La Commune de Paris,
DÉCRÈTE :
Art. 1er. Les huissiers, notaires, commissaires-priseurs et greffiers de tribunaux quelconques qui seront nommés à Paris, à partir de ce jour, recevront un traitement fixe. Ils pourront être dispensés de fournir un cautionnement.
Art. 2. Ils verseront tous les mois, entre les mains du délégué aux finances, les sommes par eux perçues pour les actes de leur compétence.
Art. 3. Le délégué à la justice est chargé de l’exécution du présent décret.
Paris, le 23 avril 1871.
La commune.
Lors du débat, le délégué à la justice, Eugène Protot, indique qu’il a déjà vingt candidats pour les fonctions d’huissier, et ces derniers n’attendent, pour commencer leur travail, que la ratification du décret. Lorsque le décret sera publié au journal officiel, il sera précisé que les candidats aux fonctions d’huissier, notaire, commissaire-priseur et greffier de la justice de paix et du jury d’accusation devront se présenter à la délégation de la justice pour fournir les renseignements requis.
Plusieurs interventions insistent sur la nécessité de bien faire comprendre que c’est là une réforme fondamentale des offices ministériels, que les nouveaux fonctionnaires ne cumuleront pas leur traitement avec les bénéfices d’une charge.
Le brillant caricaturiste fait scandale.
Il s’était auto proclamé, après le 18 mars, délégué pour les beaux-arts au musée du Luxembourg. Début avril, il a été nommé commissaire de police par Raoul Rigault et a participé à ce titre à diverses arrestations.
Le 18 avril, il a perquisitionné les bureaux du journal La cloche, puis ceux du journal L’Eclipse, où il a arrêté le directeur, François Polo et s’est emparé des espèces contenues dans sa caisse. Ces faits, rendus publics, ont créé un grand malaise.
Le citoyen Longuet explique :
« Voilà trois jours que la partie nombreuse de la population qui nous est sympathique, et surtout la partie la plus intelligente, attend la destitution du citoyen Pilotell, parce qu’on connaît sa légèreté. Quant à sa probité, elle n’est pas en cause. »
Plusieurs membres de la Commune ont condamné énergiquement ces faits, et demandent et obtiennent la destitution immédiate de M. Pilotell. Comme le dit le citoyen Arthur Arnould :
« il y a là une question d’honnêteté, et il ne faut pas qu’on nous accuse, même à tort, d’être des voleurs. Nous sommes avant tout des honnêtes gens. Tout homme qui commettra un acte pouvant seulement prêter au soupçon d’indélicatesse, sera immédiatement destitué ; nous sommes d’honnêtes gens, et nous voulons être servis par d’honnêtes gens ! ».
Ils imposent l’insertion de cette décision au Journal officiel, sous une forme à discuter avec Raoul Rigault. Mais celui-ci insiste sur le fait qu’il n’y a pas eu vol et que la « mise en disponibilité du citoyen Pilotell a été motivée par des négligences de forme qui n’entachent en rien l’honorabilité de ce citoyen. »
Cet incident, s’ajoutant aux autres entre Rigault et les autres membres de la Commune, y compris Protot qui avait été blanquiste auparavant[1], accentue les tensions politiques visant la conduite du délégué à la sûreté.
La grande majorité des élus à la Commune, qui en tant que militants ont eu à subir la répression impériale, pensent que par principe mettre quelqu’un au secret est une forme de barbarie qu’il faut faire disparaître et défendent le principe de comportements démocratiques exemplaires, irréprochables. Ils veulent contrôler ce qui se fait à la préfecture de police, ainsi que l’activité du délégué à la sûreté générale. Ils veulent pouvoir ainsi se faire ouvrir toutes les portes, et notamment celles des prisons, « quand il s’agit de l’intérêt général et de l’honneur républicain ». Le citoyen Rigault qui a donné l’ordre de ne laisser entrer personne sans son autorisation, n’est pas là lors de cette discussion.
Il est finalement décidé qu’une commission de trois membres de la Commune, les citoyens Miot, Gambon et Victor Clément, délégués de la Commune, pourra visiter les prisons, faire une enquête sur l’état des détenus et s’informer de la cause de leur détention.
En outre, six membres de la Commune, les citoyens J. Vallès, Ch. Longuet, Pillot, Bergeret, Lonclas et Urbain, sont délégués pour visiter les gardes nationaux dans les forts, casernes, casemates et tous lieux de réunion.
M. Dufaure, ministre de la justice, adresse une circulaire aux procureurs généraux, à propos de la loi récemment adoptée par l’Assemblée nationale versaillaise sur les délits de presse. Cette dernière appelle à punir tous les journalistes qui soutiennent la Commune, y compris quand ils soutiennent la conciliation :
« […] chaque époque est mise en présence de dangers qui lui sont propres : je vous signale tout particulièrement ceux du temps où nous vivons. Il se trouve, en ce moment, des écrivains qui déshonorent leur plume par les plus honteuses apostasies et les entreprises les plus violentes contre les principes essentiels de tout ordre social. …. tout en prodiguant sans cesse le grand nom de liberté, ils sont devenus les adorateurs, ils se font par toute la France les apologistes effrontés d’une dictature usurpée par des étrangers ou des repris de justice, qui a inauguré son règne par l’assassinat, qui le signale tous les jours par l’arrestation de bons citoyens, le bris des presses, le pillage des établissements publics, le vol avec effraction, de nuit et à main armée, chez les particuliers, l’incarcération des prêtres, l’enlèvement et la réduction en lingots des vases sacrés. Oui, la force matérielle qui s’est constituée dans Paris sous le nom de Commune pour commettre de si abominables excès trouve des apologistes qui deviendraient bientôt ses imitateurs si elle triomphait. Ce ne sont pas les ennemis d’un gouvernement quelconque, mais de toute société humaine ; vous ne devez pas hésiter à les poursuivre. Et ne vous laissez pas arrêter lorsque, dans un langage plus modéré en apparence, sans être moins dangereux, ils se font les apôtres d’une conciliation à laquelle ils ne croient pas eux-mêmes; mettant sur la même ligne l’Assemblée issue du suffrage universel et la prétendue Commune de Paris ; reprochant à la première de n’avoir pas accordé à Paris ses droits municipaux, bien que, pour la première fois, l’Assemblée nationale ait donné spontanément à cette grande ville tous les droits de représentation et administration dont jouissent les autres communes de France ; enfin la suppliant de tendre sa noble main à la main tachée de sang que ses ennemis n’oseraient lui présenter. Pour être plus hypocrite, ce langage n’est pas moins coupable : il énerve le sentiment du juste et de l’injuste ; il habitue à considérer du même œil l’ordre légal et l’insurrection, le pouvoir créé par le vœu de la France et la dictature qui s’est imposée par le crime et règne par la terreur. »
Elie Reclus, 44 ans, Journaliste
La droite est mécontente de Monsieur Thiers. Elle lui reproche d’avoir manqué son coup le 18 mars, de n’avoir pas encore réduit Paris, d’avoir dans ses conseils messieurs Picard, Favre et Simon coupables, non pas d’avoir trahi la France par leur lâcheté et leur incapacité, mais coupables d’avoir usurpé le pouvoir sur les Bonaparte et de ne l’avoir pas restitué à Henri V[2] soit directement soit indirectement par l’intermédiaire de quelque nouveau plébiscite. Les yeux jaloux de la droite, ont scruté tous les fonctionnaires dans tous les coins et recoins de la République et prétendent avoir découvert quelques républicains oubliés dans les cantons reculés. Monsieur Le Duc d’Audiffred-Pasquier prétend en avoir découvert plusieurs cachés dans des bureaux de bienfaisance, on affirme qu’il en existe encore parmi les employés de préfecture, et même parmi les substituts et les procureurs, il est indiscutable que tous les maîtres d’école et gardes champêtres ne sont pas encore dans la main de leurs curés. […]
La droite ne peut entendre sans une sourde irritation Monsieur Thiers affirmant de son air le plus candide à une députation des pacificateurs qu’il ne complote nullement contre la République et que la République subsistera tant que lui, Thiers, sera président de la République. L’Espérance du Peuple, journal légitimiste de Nantes, perd enfin toute patience : « Non il faut le dire hautement monsieur Thiers n’a pas été nommé dans 24 départements pour consolider la République. Il a été nommé pour préparer la monarchie ».
La droite, décidée à congédier Monsieur Thiers dès qu’elle le pourra, entend lui laisser la conduite de la guerre, faire tuer le plus grand nombre de républicains et révolutionnaires que faire ce peu, puis le mettre à la porte du pouvoir, dès qu’il aura ouvert celles de Paris. Pour le punir d’avoir dit : « la République subsistera temps que j’en serai le président », la droite compte le renverser même avant la République sa protégée.
Une réunion de tou-tes les habitant-es natifs-ves des départements s’est tenue aujourd’hui au cirque national, boulevard des filles du calvaire, avec l’objectif de constituer l’alliance républicaine des départements. Malgré un prix d’entrée de 20 centimes, plus de 6 000 personnes étaient présentes.
C’est le député Jean baptiste Millière qui a été désigné comme président de séance de cette réunion survoltée[3]. Les interventions se sont succédées pour réclamer le concours actif de la province à la cause de la Commune, notamment celle de la Citoyenne Baulé, félicitée par Millière. L’objectif est de gagner la sympathie des républicain-es provinciaux/iales en faisant parvenir aux ami-es d’enfance, à la famille les informations contre la propagande versaillaise.
L’Alliance est mise en place, avec une Commission exécutive élue composée notamment de Millière, Louis Michel Thélidon, Henry Darboy, Émile Miègeville, Aimé Froudière et Renaudin. Son siège est au numéro 2 de la rue du 4 septembre.
Perquisition par la garde nationale
Les Versaillais dénoncent le rôle des étranger-es dans la Commune, qui est fière d’affirmer que « toute cité a le droit de donner le titre de citoyen aux étrangers qui la servent ».
La Commune a ainsi nommé Léo Frankel délégué au travail et a donné à deux généraux polonais, Dombrowsky et Wroblewski, des responsabilités importantes. De la même manière, la base de la garde nationale a aussi élu des officiers étrangers en grand nombre.
C’est tout à fait normal : les 100 000 étranger-es qui sont toujours là aujourd’hui (il est probable que la moitié des 200 000 étranger-es qui se trouvaient à Paris avant la guerre ont quitté la capitale) vivent et travaillent avec le peuple ouvrier parisien. Tous les récent-es parisien-nes issu-es des provinces françaises cohabitent sans heurts avec les belges, les polonais-es, les suisses, les italien-nes (les Allemand-es et les Autrichien-nes ont quitté la France au début de la guerre). La législation de 1851 qui a fini par définir la notion de nationalité comme étant fondée sur le « droit du sol » n’empêche pas les ouvrier-es de vivre avec celles et ceux qui sont comme elles et eux soumis-es aux mêmes dominants. Iels sont plus proches de Garibaldi que des généraux qui ont capitulé. Et l’on en arrive tout naturellement à ce qu’un étranger sur trois membres de la garde nationale soit officier de cette garde nationale. Se battre pour la République universelle, c’est çà! Et il est tout aussi naturel que les étranger-es aient accès aux mêmes droits sociaux que les français-es, notamment l’accueil dans les écoles publiques, l’allocation de garde national, etc.
Le délégué à la commission du travail et de l’échange
Vu l’arrêté de la Commission exécutive supprimant le travail de nuit des ouvriers boulangers, et instituant dans les vingt mairies un bureau de renseignement à l’usage des patrons et ouvriers.
ARRÊTE :
1° L’arrêté précité aura cours d’exécution à partir du jeudi 27 avril prochain.
2° Deux livres, portant les offres et demandes, seront ouverts dans chaque municipalité au bureau de renseignement déjà existant.
Paris, le 23 avril 1871.
Le délégué à la commission de travail et d’échange, Léo Frankel
Le décret sur les ateliers abandonnés demandait aux chambres syndicales ouvrières la mise en place d’une commission d’enquête notamment pour dresser une statistique des dits ateliers, et pour voir comment il est possible de les remettre en exploitation par le biais de l’association coopérative des travailleurs qui y étaient employés.
Le syndicat des mécaniciens et l’association métallurgique se sont réunis en assemblée générale des métallurgistes parisiens. Ils viennent d’élire deux délégués à la commission d’enquête avec le le mandat suivant :
« considérant, qu’avec la Commune, expression de la révolution du 18 mars, l’égalité ne doit pas être un vain mot, que la lutte si vaillamment soutenue que nous voulons continuer jusqu’à l’extinction du dernier des cléricaux et royalistes, a pour but notre émancipation économique, que ce résultat ne peut être obtenu que par l’association des travailleurs qui, seule, doit transformer notre condition de salariés en associés,
déclarons donner à nos délégués les instructions générales suivantes : supprimer l’exploitation de l’homme par l’homme, dernière forme de l’esclavage, organiser le travail par associations solidaires à capital collectif et inaliénable ».
Ces formules sont révélatrices des espoirs ouvriers de transformer la condition de salariés en associés. Mais au travail de recensement pour la reprise des établissements n’a pas encore débuté.
La chambre syndicale des ouvriers tailleurs invite les autres chambres syndicales et associations ouvrières à nommer leurs délégués à la Commission d’enquête : « s’abstenir serait trahir la cause de l’émancipation du travail ».
Le président de l’association coopérative des fondeurs en fer écrit à Avrial, membre de la Commission de la Guerre, pour réclamer une plus forte part dans les commandes de munitions.
Aujourd’hui Monseigneur Darboy a remis à Monsieur Washburne, l’ambassadeur des États-Unis une lettre à remettre à l’abbé Lagarde. Celui-ci est toujours en négociation à Versailles, lui qui s’était engagé à revenir à Paris lorsqu’il a été libéré pour cette négociation :
« Au reçu de cette lettre, en quelque état que se trouve la négociation dont il a été chargé, Monsieur Lagarde voudra bien reprendre immédiatement le chemin de Paris et rentrer à Mazas. On ne comprend guère que dix jours ne suffisent pas à un gouvernement pour savoir s’il veut accepter ou non l’échange proposé. Ce retard nous compromet gravement, et peut avoir les plus fâcheux résultats. »
Mazas le 23 avril 1871
Monseigneur Darboy
Dimanche, à 8h du soir, la salle de la justice de paix, à Passy, avenue se réunit, pour la première fois, le club des citoyennes de la localité. La séance avait été précédemment annoncée par une affiche rouge.
Environ 150 citoyennes sont présentes, un citoyen qui s’était introduit dans la salle est prié d’en sortir.
Cinq déléguées de la Commune, en toilette noire et rouge prennent place au bureau.
La séance ouverte, la Présidente s’est exprimée à peu près en ces termes :
Notre but est de fonder une société de citoyennes, dite Société d’émulation, au profit de la Bonne Commune de Paris.
Les délégués de la commune ont déjà installé leur société dans tout Paris, à l’exception de Passy, qu’elles avaient réservé pour la fin.
La commune, continue l’oratrice en s’échauffant, nous l’avons à présent et nous de la perdrons jamais.
La femme, qui ne gagne que 1 francs 50, gagnera désormais 3 francs. Le bourgeois qui est notre ennemi sera supprimé. Il n’y aura plus de prêtes, plus de bourgeois.
Qu’est-ce qui s’engraisse sur les sueurs du peuple ? C’est le bourgeois.
Qui donc se fait construire des châteaux, tandis que le peuple vit dans de misérables mansardes ? Pendant que Versailles massacre le peuple, qui donc refuse de se battre ? C’est encore le bourgeois.
Non, non, plus de bourgeois, plus de prêtres ! Que les églises deviennent des ateliers, que les bourgeois et les prêtres travaillent avec nous de leurs propres mains. Non, plus de sœur, plus de frères, ce sont des fainéants ! Ils parlent du bon Dieu et du ciel, l’ont-ils jamais vu ? Moi je ne l’ai pas vu.
Si vous aviez vu comme moi tous les morts, morts, tout le sang dans les ambulances, dans la bataille, vous voudriez comme moi aller vous battre et marcher en avant des hommes.
Il faut détruire jusqu’au dernier de tous les gendarmes, tous les sergents de ville.
L’oratrice continue encore longtemps ainsi et finit en invitant les citoyennes à s’inscrire, leur déclarant qu’elle seraient payées.
Plusieurs autres discours dans le même genre sont prononcés par les délégués de la commune. Une seule citoyenne dans l’auditoire essaie d’y répondre au nom de la raison et du bon sens.
À 10h la séance est levée.
De nouveaux les citoyennes sont invitées à s’inscrire, une douzaine répondent à cette invitation.
Des séances régulières du club sont annoncées comme devant avoir lieu les mardis et jeudis de chaque semaine dans la même salle. Mais le début ne promet ni un grand empressement ni un grand enthousiasme.
La première réunion des délégués chargés de présenter un projet de réorganisation des études médicales a eu lieu, une seconde réunion se tiendra mardi prochain, à huit heures du soir, au petit amphithéâtre de l’École de médecine. Les arrondissements non encore représentés sont priés d’envoyer leurs délégués.
Ordre du jour : discussion des candidatures à la commission définitive.
Depuis le 15 avril, le cours d’arabe a lieu les mercredis et vendredis, à onze heures et demie, au Collège de France.
Des extraits du Daily Telegraph déclarant que les récits de ce qui se passe à Paris lui paraissent grandement exagérés ; puis il en rejette l’entière responsabilité sur les membres du gouvernement de Versailles.
« La fuite de M. Thiers, le 19 mars, a livré aux ennemis de l’ordre versaillais tous les habitants des quartiers environnant la place de la Bourse. C’est à M. Thiers qui les a abandonnés, et non à la Commune, que les amis de l’ordre doivent reprocher tout leur malheur, — si malheur il y a.
« Pour être sincère, il est extraordinaire que les républicains modérés, partisans du programme de la Ligue de conciliation, aient été reçus avec un si grand dédain par le dictateur de Versailles ».
La volonté de sévérité populaire à l’égard des délinquants, des voleurs, et surtout des profiteurs, des propriétaires, des policiers, des mouchards, des réfractaires, des curés, bref de tous ceux qui méprisent le peuple, qui l’oppriment et l’exploitent est omniprésente. Verbalement, dans la rue, dans les clubs, dans les journaux, mais aussi dans les actes, même si c’est beaucoup plus rare. L’idée de vengeance est présente, et compréhensible. Le refus de la justice de classe généralisé.
Cette sévérité populaire n’est pas toujours en harmonie avec l’idée de la justice et de l’état de droit que se font beaucoup de membres élus de la Commune. On a vu ces derniers jours de multiples décisions prises par la Commune dans un sens démocratique, comme la décision de notification de toute arrestation dans les 24 heures, ou la validation des exécutions par la Commission exécutive.
Depuis des années, les républicains démocrates refusent l’arbitraire et réfléchissent à l’organisation d’une république démocratique et sociale, dans laquelle la justice ne soit pas entre les mains des possédants et du pouvoir en place. Le débat contre la peine de mort, pour tous les crimes, divise les républicains, mais il est porté par une grande figure morale, Victor Hugo, depuis plus de 20 ans.
Les membres de la Commune veulent améliorer les droits des justiciables, quels qu’ils soient, une justice plus accessible au peuple, l’élection des magistrats. Ils veulent une justice qui régénère plutôt qu’elle ne punit.
Des centaines de petits voleurs qui croupissaient dans les prisons ont été libérés, une commission visite les prisons.
Mais la situation est compliquée à gérer, la quasi-totalité des juges et procureurs, des greffiers, avoués, est partie à Versailles. Les priorités que s’est données la commission de la Justice est la remise en fonctionnement des justices de paix de première instance, d’avancer vers la gratuité des actes, de mettre en place des magistrats et des agents fonctionnaires, comme cela vient d’être acté pour les huissiers, notaires, commissaires-priseurs et greffiers. Mais par manque de temps, les élections de magistrats ne sont pas organisées. Alors, les magistrats sont recrutés à la hâte, parmi les amis, les proches.
Mais la situation de guerre civile amène à prendre des décisions, comme le décret des otages, la création de juridictions exceptionnelles qui sont contradictoires avec la volonté démocratique globale.
Trouver l’équilibre, conserver les principes dans une telle situation de violence est difficile, mais incontournable.
[1] N’oublions pas sa participation à l’évasion de Blanqui en 1865.
[2] Il s’agit du Comte de Chambord, un Bourbon, qui a été nommé roi à 10 ans en 1830 sans être couronné, car c’est son cousin Louis Philippe qui est monté sur le trône. Pour les légitimistes, c’est le prétendant naturel aujourd’hui.
[3] Informations Michel Cordillot