Il y a 20 ans jour pour jour, les États-Unis lançaient une guerre totale contre l’Irak. Ayant pour objectif de dessiner les contours d’un « Grand Moyen-Orient » soumis à l’ordre occidental et allié d’Israël, l’expédition militaire en Irak constitue sans doute l’un des plus grands crimes de notre siècle. Elle fut suivie d’un pillage spectaculaire des ressources du pays et de la destruction brutale des infrastructures de l’État.
Dans cet article, Robin Beaumont, docteur en science politique, examine plus particulièrement l’ordre politique mis en place par les États-Unis en Irak et dont pâtissent aujourd’hui encore les Irakiennes et les Irakiens.
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Vingt ans après le lancement de l’intervention menée par les États-Unis pour renverser le régime de Saddam Hussein, l’Irak incarne un paradoxe : le paradoxe d’un pays qui, tout en ayant connu la première grande guerre « illégale » du 21esiècle, l’impérialisme étasunien dans sa dimension la plus violente, le nœud d’une polarisation confessionnelle régionale, un nombre de morts que l’on ne saura jamais chiffrer – entre 100 000 et un million – , mais aussi le cœur du califat de l’État Islamique, semble dans le même temps être tombé dans l’oubli.
Volontiers classé dans la catégorie des États « faillis », l’Irak subsiste à peine, dans l’imaginaire commun international, comme le cas d’école d’un pays condamné à la violence, à la corruption et au confessionnalisme. Dans cette histoire rabougrie, la société irakienne, les dynamiques politiques qui la traversent, sont comme oblitérées par l’obsession étrangère pour la lutte contre l’extrémisme, la défense de la « stabilité », l’endiguement du « réveil chiite » et les considérations géopolitiques. L’Irak semble ainsi condamné à demeurer à la fois l’une des matrices les plus importantes de la région, et son point aveugle.
L’Irak des deux dernières décennies est un État captif : captif de l’ordre politique produit par la guerre de 2003. Cet ordre se traduit par plusieurs grandes dynamiques, dont les effets perdurent jusqu’aujourd’hui : l’annihilation de l’appareil d’État et son remplacement par de nouvelles élites rentrées d’exil, l’édification d’un système politique fondé sur un principe partage ethno-confessionnel, le verrouillage et la communautarisation du pouvoir. Dans le même temps se développent un certain nombre de réalités que l’intervention américaine n’avait pas anticipées : l’ouverture du pays à l’influence iranienne, le recours massif à la violence comme ressource politique, la cristallisation du ressentiment dans les communautés marginalisées par le nouveau pouvoir, la corruption et la montée en puissance d’une opposition intérieure.
Sans chercher à rendre compte de l’ensemble de cette histoire, et alors que le pays commémore le vingtième anniversaire de l’entrée dans sa nouvelle ère et que les criminels d’hier se croient autorisés à publier, au milieu d’un débat que l’on espérait clos, des articles autosatisfaits sur ce qui aurait « bien tourné en Irak »[1], ces quelques pages voudraient revenir sur les principales apories d’un système politique irakien qui n’en finit plus d’entraîner sa population dans l’abîme.
L’intervention militaire internationale dirigée par les États-Unis en 2003 et l’occupation qui s’ensuit détruisent la structure socio-politique du pays, vident les institutions du pouvoir de leur personnel, et imposent le principe d’un nouveau système dont les États-Unis contribuent à l’élaboration des règles. Les puissances occupantes instaurent une administration transitoire, l’Autorité provisoire de la coalition (Coalition Provisional Authority) dirigée à partir de mai 2003 par le diplomate Paul Bremer en liaison constante avec la Maison-Blanche, dont l’ordre no1 est la « dé-ba‘thification de la société irakienne », qui se fait sur le modèle de la dénazification de l’Allemagne au sortir de la Seconde guerre mondiale.[2] Elle inclut le démantèlement de toutes les structures du parti de Saddam Hussein, le parti Ba‘th, et la purge des administrations d’État, en licenciant la totalité des membres des quatre échelons supérieurs du parti et en leur interdisant le retour à un poste de fonctionnaire. Il en fut de même pour l’ensemble des anciens membres du parti occupant des fonctions dans la haute administration des ministères. À Bagdad comme dans les gouvernorats du centre et du Sud, la déba‘thification prend la forme d’une table rase, sur laquelle l’administration américaine construit les bases d’un nouvel ordre politique. Cette dynamique ne se limite pas aux premières années du nouveau régime : le fonctionnement des partis politiques était régi par un autre décret de Paul Bremer jusqu’en 2015, date à laquelle il fut remplacé par une loi qui pose comme conditions pour quiconque souhaite fonder un parti politique qu’il « n’ait pas appartenu au parti Ba‘th déchu, comme membre actif ou de niveau supérieur ».
En 2003, l’État irakien est donc une coquille vide, prête à être comblée selon les règles qu’édictent ses nouveaux maîtres.[3] Débarrassé de l’omniprésence ba‘thiste, le champ politique est le terrain d’une prolifération de mouvements. Ce « trop-plein partisan », comme le nomme la chercheuse Loulouwa Al Rachid, traduit cependant moins une efflorescence démocratique qu’une « démultiplication du syndrome du parti unique : une multitude de partis qui aspirent à être uniques, qui ne jouent pas le jeu de la démocratie mais fonctionnent comme un cartel de partis », et verrouillent l’accès du champ à tout nouvel entrant[4]. Le pouvoir qui s’installe à Bagdad est constitué selon la vison américaine du principe majoritaire, dans une société que les États-Unis lisent prioritairement à travers un prisme ethnique et confessionnel. Les chiites, supposés représenter environ 60 % du pays, y sont donc systématiquement majoritaires,les kurdes, les arabes sunnites et les minorités religieuses se partageant le reste des positions. L’investissement par ces partis de tous les niveaux de l’administration se fait selon un principe connu sous le nom de muhasasa : une répartition par quotas ethno-confessionnels. Contrairement à ce que l’on peut parfois lire, cette répartition par quotas n’a jamais pris de forme juridique en Irak (hormis l’allocation de quelques sièges parlementaires aux représentants de minorités, chrétiens et yézidis par exemple) : elle n’apparaît pas une seule fois dans la Constitution de 2005. Son principe, par ailleurs, ne date pas du changement de régime. En effet, l’élite politique qui arrive au pouvoir au lendemain de la chute de Saddam Hussein en Irak ne se constitue pas ex nihilo.
L’opposition au régime ba‘thiste s’était organisée au cours des décennies précédentes. Au lendemain de la guerre du Golfe, elle est composée d’une galaxie de mouvements oppositionnels, intégrant des groupes islamistes, qui se rencontrent pour préparer l’organisation du pouvoir dans un Irak post-Saddam Hussein. Dans les années 1990, une série de conférences de ces mouvements d’opposition pose les bases du système politique qui se déploiera à partir de 2003. C’est notamment à l’occasion de la conférence tenue dans la ville kurde irakienne de Salah al-Din, en 1992, qu’est entériné le principe de répartition par quotas ethno-confessionnels respectant la composition estimée de la société irakienne, et établissant donc, à l’échelle nationale mais particulièrement dans l’Irak hors région autonome du Kurdistan, la domination de partis issus de l’islam politique chiite. C’est par exemple en vertu de ce principe que le Premier ministre irakien est nécessairement chiite, le président de la République kurde, et le président de la Chambre des représentants sunnite.
Quoique souvent réduite au caractère confessionnel, la répartition par quotas est aussi une répartition partisane, c’est-à-dire un système d’allocation de postes en fonction de l’appartenance à un parti politique. Si la répartition « ethno-confessionnelle » vise à mettre en place un champ du pouvoir représentatif d’une certaine lecture de la société irakienne en 2003, la répartition « partisane », quant à elle, traduit moins un souci de représentativité que de verrouillage du champ du pouvoir par des acteurs partisans ne disposant pas de véritable base sociale. Les partis qui reviennent d’exil cherchent en effet moins à créer une adhésion et à se construire comme des partis de masse qu’à bâtir un système politique qui assure leur persistance au pouvoir et leur emprise sur les institutions. Les gagnants du nouvel ordre politique se limitent à un nombre restreint de groupes partisans, à leurs alliés et leurs clientèles. Si l’on excepte les partis kurdes, qui reproduisent les mêmes logiques de verrouillage dans le champ politique de la Région autonome du Kurdistan, le champ politique de l’État fédéral irakien se trouve ainsi dominé et fermé par les acteurs partisans que la répartition par quotas confessionnels fait accéder au pouvoir au nom de la confession majoritaire dont ils sont issus. La répartition partisane par quotas conforte leur domination en tant que partis issus de l’islam politique chiite sans qu’ils aient à se soucier de leur représentativité, c’est-à-dire de leur base. .
En définitive, c’est parce qu’ils étaient identifiés comme « chiites » que ces partis ont accédé au pouvoir, et c’est parce qu’ils étaient les partis dominants qu’ils y sont demeurés, sans qu’aucune initiative nouvelle ne soit parvenue à les en déloger. Les moments électoraux rendent bien compte de cette dynamique : si les premières consultations se traduisent par un vote identitaire (les résultats des législatives de 2005 correspondant quasi parfaitement à la répartition ethno-confessionnelle de la population irakienne), les élections de 2010 voient une coalition transconfessionnelle, al-‘Iraqiyya, proposant un programme « laïque », remporter le plus grand nombre de sièges ; les manœuvres du premier ministre Nouri al-Maliki lui permettent cependant de former une coalition post-électorale plus importante et de conserver le pouvoir.
Le principe majoritaire ethno-confessionnel, souvent invoqué comme unique source de tous les maux du « nouvel Irak », est donc d’abord un pacte entre partis politiques, qui assure le verrouillage du champ politique par un nombre réduit de mouvements, la plupart nés dans l’opposition à l’hégémonie du parti Ba‘th, et, parmi eux, des partis « chiites » qui vont se tailler la part du lion dans l’administration du nouvel État irakien. L’offre politique de l’Irak post-2003 est ainsi structurellement façonnée par un principe identitaire ethno-confessionnel. Elle est en outre majoritairement le fait de partis issus de la matrice islamiste, le principal mouvement politique concurrent, le Parti communiste, qui s’adressait historiquement aux populations chiites paupérisées, ayant été décimé par les régimes successifs de la seconde moitié du 20e siècle.
Au pouvoir, les acteurs de cet oligopole partisan disposent de tous les instruments pour le perpétuer. À ce jour, le Conseil de la Fédération, chambre haute du parlement irakien que la Constitution charge la Chambre des représentants de créer, et qui aurait dû être composé de représentants élus des régions et des gouvernorats, n’a jamais été établi. La loi de 2015 sur les partis politiques, en dépit des systèmes de contrôle qu’elle prévoit, ne détermine pas de montant maximal pour les donations aux partis politiques, autorisant ainsi une corruption massive.[5] Les différentes lois électorales et leurs versions amendées, qui se multiplient au cours de la période, tendent aussi majoritairement à renforcer, à travers des modifications du système d’attribution des sièges, l’avantage des grandes formations politiques sur les plus modestes ou les candidats indépendants. L’unique élément indiquant une évolution structurelle du fonctionnement de l’ordre politique depuis 2003 est l’introduction d’une nouvelle loi électorale en 2019, à la suite d’une mobilisation historique en 2019, qui accroît les chances pour des candidats indépendants d’accéder à la représentation politique.
Arcboutés sur une analyse de la société irakienne en termes ethniques et confessionnels, les États-Unis ont contribué à la mise au ban de l’État irakien des élites sunnites. Cette marginalisation se lit par exemple dans la façon dont fut conduit le processus de rédaction de la nouvelle Constitution irakienne, où la puissance occupante étatsunienne prit une large part.
Le premier texte constitutionnel du « nouvel Irak » fut la loi administrative de transition : c’est le Conseil irakien de gouvernement (Iraqi Governance Council), nommé par l’autorité d’occupation, qui la rédigea. Elle servit de première ébauche de gouvernement irakien, et organisa la transition. La Constitution définitive, votée en 2005 par un parlement élu, est largement inspirée de ce premier texte. Les négociations sur sa rédaction se firent entre les différents leaders politiques irakiens, mais souvent en présence de diplomates étasuniens, et parfois même dans les locaux de l’ambassade des Etats-Unis à Bagdad.[6] Davantage que du contenu des dispositions constitutionnelles, les Américains sont alors surtout soucieux du calendrier : pour des raisons de politique intérieure, l’administration Bush doit pouvoir annoncer le début de son retrait militaire en 2006. Sa principale préoccupation est d’obtenir la rédaction et l’adoption d’un texte constitutionnel dans les plus brefs délais. C’est précisément cette précipitation qui explique que Washington décide d’exclure les représentants sunnites de la dernière phase du processus constitutionnel. Les leaders de partis sunnites avaient en effet appelé au boycott des élections précédentes ; ils se trouvaient donc très peu représentés dans l’Assemblée nationale d’où furent choisis les membres du comité de rédaction de la Constitution. La prise de conscience du problème de légitimité que cela induirait pour le texte constitutionnel amena à intégrer 15 « représentants » arabes sunnites au travail de rédaction. Cependant, pris par le temps, les États-Unis les exclurent des discussions qui s’ouvrirent à l’été 2005 avec les leaders politiques des blocs parlementaires, pour éviter des négociations trop longues.
Construit et verrouillé sur la base de la vision des États-Unis et d’élites politiques cooptées parmi l’opposition en exil, l’État irakien continue tout au long des deux décennies qui suivent de dépendre largement de la volonté et du soutien de Washington. La prise de Mossoul et la proclamation de l’État Islamique à l’été 2014 conduisent les États-Unis, dont les dernières troupes avaient quitté l’Irak en décembre 2011, à prendre la tête d’une nouvelle coalition internationale pour combattre l’organisation terroriste en Irak et en Syrie. Mais au-delà de la présence militaire, réduite depuis la fin 2021 à quelques centaines de « conseillers », l’influence étasunienne revêt des formes plus structurelles. On sait ainsi peu que, depuis 2003 et jusqu’à ce jour, les revenus de la rente pétrolière atterrissent sur un compte de la Banque centrale d’Irak à New York, dans une filiale de la Réserve fédérale américaine, d’où un camion puis un avion transportent des milliards en billets verts jusqu’à Bagdad chaque mois.[7] À l’automne 2022, exaspéré par les pratiques de corruption par lesquelles une grande partie de ces sommes disparaissent pour alimenter des entités sanctionnées par les États-Unis, y compris en Iran, le Trésor étasunien diminue drastiquement les livraisons, entraînant une chute du cours du dinar et des mobilisations antigouvernementales en Irak.
L’ordre politique irakien post-2003 se caractérise aussi par un usage systématique de la violence armée, tant par les acteurs au pouvoir comme que par l’opposition. L’attention médiatique en a retenu les moments et les acteurs les plus marquants : l’insurrection sunnite contre l’occupation étrangère, l’opposition armée du leader chiite Muqtada al-Sadr aux forces étasuniennes et au gouvernement irakien, les bras armés des partis chiites constitués en Iran comme les brigades Badr, les attaques d’al-Qaïda et la guerre lancée par l’État Islamique, et enfin la Mobilisation populaire, ensemble de groupes armés, majoritairement chiites, qui prennent cette appellation en 2014 pour combattre le califat et sont formellement intégrés à l’armée irakienne en dépit de l’allégeance de certains d’entre eux à la République islamique d’Iran. Cette multiplication des acteurs violents a contribué à nourrir le discours sur la « faillite » de l’État en Irak.
De fait, l’histoire de la construction de l’État irakien est très largement celle de la concentration et de la monopolisation des moyens d’exercice de la violence. À l’époque ottomane, dans la seconde moitié du 19e siècle, la reprise en main des marches irakiennes par la Sublime Porte se fait d’abord sur le plan militaire et contre les tribus : le gouverneur ottoman Midhat Pacha instaure la conscription nationale, exige la participation des tribus à l’armée, en même temps qu’il met en place un nouveau système de propriété des terres qui transforme les chefs tribaux en propriétaires clients de l’administration.
La création d’une armée nationale en janvier 1921 suit immédiatement celle de l’Irak comme État sous mandat de la Société des nations. Le roi Fayçal y voit « la colonne vertébrale de la nation nouvelle et une force protectrice dont le gouvernement pourra user pour dissuader toute résistance populaire »[8]. Lorsque l’Irak accède à l’indépendance formelle en 1932, quoiqu’en réalité toujours sous tutelle britannique, l’armée irakienne constitue un instrument essentiel de la politique de consolidation de l’État et d’affermissement du sentiment national, notamment contre les groupes tribaux dont les représentants au Parlement ne manquent pas de contester la loi de conscription[9]. Ainsi la formation de l’État irakien suit-elle à première vue le modèle proposé par la définition classique de l’État par Max Weber : « une entreprise politique à caractère institutionnel […] [en] tant que sa direction administrative revendique avec succès, dans l’application des règlements, le monopole de la contrainte physique légitime »[10]. De ce point de vue, la consolidation du pouvoir étatique irakien tout au long du 20e siècle, notamment aux mains du parti Ba‘th à partir de la fin des années 1960, est logiquement concomitante de la montée en puissance de l’armée. Suivant cette même logique, la mise en déroute de cette dernière par l’État islamique en Irak et au Levant en juin 2014 constitue, inversement, le reflet d’un État déliquescent depuis la chute de Saddam Hussein.
À cette trajectoire commune de l’armée et de l’État en Irak, il convient cependant d’ajouter une autre dynamique historique, qui apparaît dès la naissance de l’État irakien indépendant : l’usage par les acteurs politiques d’une violence privée, qu’il s’agisse de la délégation de l’exercice de la violence à des groupes armés distincts des forces régulières, ou de la privatisation des forces armées – ou, plus encore de certains pans des forces armées contre d’autres. Arbitre du pouvoir politique pendant des décennies, l’armée irakienne, à l’origine de nombreux coups d’État, a longtemps été considérée avec suspicion par le pouvoir. Le recours à une violence privée est alors un moyen pour les acteurs du pouvoir politique de faire contrepoids à la puissance de l’acteur militaire par des « contre-armées[11] ». Si la constitution de la Mobilisation populaire en 2014 suit une logique inverse – non plus contrebalancer le pouvoir de l’armée mais suppléer à sa faiblesse face à l’État Islamique –, 2003 constitue davantage, du point de vue du rapport entre la violence et l’État, un trait d’union entre des usages comparables de la violence extra-étatique.
La Mobilisation populaire a fait l’objet d’innombrables comparaisons, sans aucun doute justifiées, avec la force iranienne des volontaires basiji ; mais bien plus rares ont été les analyses ayant relevé que le nom même de Mobilisation populaire faisait aussi écho à une réalité historique irakienne peu éloignée dans le temps : l’« Armée populaire », ou « Armée du peuple », force paramilitaire conçue en 1970 par Saddam Hussein alors vice-président de la République, et qui à la fin de la décennie aurait compté 75 000 membres, et 500 000 en 1987[12]. Le Ba‘th crée cette armée parallèle, directement liée au parti, pour contrer la puissance de l’armée régulière et du ministère de la Défense[13].
Parmi les organes sécuritaires paramilitaires les plus connus de l’histoire irakienne, la Garde républicaine est créée dans les années 1960 comme garde prétorienne, puis récupérée par Saddam Hussein qui pouvait compter sur la loyauté de ces hommes, majoritairement des Arabes sunnites du nord de Bagdad[14]. À la fin des années 1980, alors que la Garde républicaine a été élargie pour combattre dans le conflit avec l’Iran, est créée la Garde républicaine spéciale, véritable « armée privée de Saddam Hussein », chargée de « protéger le président, ses palais, les bâtiments stratégiques à Bagdad, et toutes les routes d’accès »[15] .
D’autres structures paramilitaires s’ajoutent à l’appareil sécuritaire ba‘thiste au lendemain de la guerre du Golfe. C’est le cas de l’Armée de Jérusalem, que l’on estime compter un demi-million de volontaires, officiellement créée comme force extérieure mais mobilisée contre les menaces internes, et dont le développement se fait au détriment de l’armée régulière[16]. C’est également le cas des Fedayyin de Saddam, créés contre l’avis de certains militaires craignant la complexification de l’appareil sécuritaire, dirigés par Uday Hussein, l’un des fils de Saddam Hussein, encadrés par des officiers professionnels, et chargés de l’élimination des « têtes pourries » du pays – dont, singulièrement, des ennemis personnels d’Uday[17]. Au-delà de ces groupes paramilitaires, l’appareil sécuritaire ba‘thiste « régulier » comprenait de nombreuses zones de compétence communes à plus d’un service, ces empiètements favorisant la concurrence et la surveillance mutuelle entre entités administratives[18].
La constitution de groupes armés distincts des forces régulières et mis au service d’intérêts personnels ou partisans intégrés de près ou de loin à l’appareil d’État ne date donc pas d’hier en Irak : ni de 2014, ni de 2003 – ni même en réalité de la période ba‘thiste. De fait, l’histoire de l’État irakien est toute entière parcourue de la création de structures paramilitaires dont les allégeances sont garanties par des liens ethniques, tribaux, confessionnels ou familiaux[19] ou idéologiques et partisans, et confortées par un traitement préférentiel – avantages financiers, en matériel et technologie militaire, contournement de la hiérarchie et des structures militaires et lien direct au chef, et jusqu’à l’assurance de l’impunité dans la commission de crimes et d’exactions.
Si l’Irak post-2003 se distingue des périodes précédentes et notamment de la période ba‘thiste, ce n’est donc pas par l’existence même de la violence milicienne, mais par la configuration politique dans laquelle celle-ci vient s’intégrer. À un État ba‘thiste caractérisé par son « unicité organique »[20] succède un État oligopolisé par les nouveaux partis au pouvoir : une « maison aux nombreuses demeures », pour reprendre l’expression utilisée par l’historien Kamal Salibi pendant la guerre civile libanaise[21].
L’Irak se trouve alors dans ce que Benjamin Gourisse, appliquant la proposition conceptuelle de Michel Dobry à la Turquie des années 1975-1980, qualifie de « désobjectivation de l’État » : « les institutions deviennent les arènes des interactions conflictuelles des fonctionnaires, qui politisent leurs pratiques professionnelles pour jouer le jeu des partis politiques qu’ils soutiennent, et dont la victoire électorale doit leur permettre de rester en poste. L’État devient un espace de concurrence entre organisations aux intérêts et aux pratiques différenciés. »[22] Le concept, appliqué à l’Irak contemporain, ne doit cependant pas être compris comme désignant le processus historique du passage d’un État objectivé à un État désobjectivé : on a vu que l’État ba‘thiste pouvait lui aussi être considéré comme un État déjà désobjectivé, dans la mesure où les fonctions et les dynamiques administratives étaient fortement personnalisées et mises au service d’intérêts internes. Il s’agit plutôt de considérer que l’on passe d’un régime de désobjectivation de l’État à un autre, le premier dans une configuration d’État monopolisé, le second dans une configuration d’État oligopolisé.
Cette désobjectivation de l’État irakien post-2003 est accentuée par le fait qu’un certain nombre de partis de l’oligopole qui domine le champ politique disposent de ressources de violence privées. Historiquement en effet, les partis politiques irakiens se sont souvent dotés de branches armées, notamment dans un but de protection face à un environnement politique de répression du pluralisme. A l’hétérogénéité du paysage militaire officiel, souvent fait et complété de groupes miliciens à qui était délégué l’usage de la violence, répond donc une pratique oppositionnelle appuyée sur le recours aux armes. Qu’il s’agisse d’accéder au pouvoir ou de le conserver une fois acquis, les acteurs partisans irakiens ont souvent cherché, dans l’histoire contemporaine, à disposer de forces armées distinctes de l’appareil militaire statutaire de l’État. Le Parti communiste irakien, dont on connaît les ansar (« partisans »), milice créée en 1981 pour combattre le gouvernement ba‘thiste depuis le Kurdistan[23], appelait aussi en 1958, au lendemain de la prise du pouvoir par leur allié Abdu al-Karim Qasim, à la mise en place d’une « résistance populaire », force parallèle à l’armée, chargée de maintenir la victoire face aux rivaux nationalistes de Qasim[24]. On trouve des dynamiques comparables au Kurdistan irakien, où les mouvements insurrectionnels du PDK et de l’UPK accaparent les ressources de l’administration du GRK et imposent un duopole sur le champ politique régional en s’appuyant sur leurs propres services de défense et de sécurité, qui relèvent davantage de la milice partisane que de l’armée et de la police unifiées d’un proto-État kurde.
Les partis chiites qui s’imposent dans le champ politique irakien à partir de 2003 ne dérogent pas, pour beaucoup, à cette pratique historique ; ils contribuent ainsi à ce que l’on peut appeler un « pluralisme violent »[25]. Plutôt qu’à une flambée de violence, l’Irak assiste à partir de 2003 à un passage de la violence milicienne « unitaire » du régime ba‘thiste à une violence milicienne liée à une multitude de partis, où les acteurs violents dépendants d’un parti politique viennent appuyer ce dernier dans la compétition politique, soit en tant que simple bras armé, soit en tant que composante intégrée à l’appareil de sécurité du segment de l’État irakien contrôlé par le parti. C’est ainsi par exemple que les Brigades Badr prennent le contrôle du ministère irakien de l’Intérieur en avril 2005, infiltrant les forces de la police fédérale et leurs forces spéciales[26]. Le mouvement sadriste obtient en 2004 le ministère de la Santé, où ses miliciens se livrent à une chiitisation du personnel médical, menaçant ou faisant disparaître des médecins sunnites[27].
Le recours à la violence privée ne consiste pas simplement à mobiliser ses groupes miliciens formés dans l’opposition. Le parti al-Da‘wa, dont sont issus tous les premiers ministres irakiens entre 2006 et 2018, et qui représente une force centrale du champ politique depuis 2003, ne dispose par exemple pas de force partisane armée d’envergure nationale – les Forces du martyr al-Sadr, un groupe milicien affilié à Da‘wa, est une création du bureau du parti à Kirkouk, composée de combattants turkmènes chiites locaux. Cela ne signifie pas pour autant que ses dirigeants s’en remettent uniquement aux forces régulières. Dès son accession au pouvoir en 2006, Nouri al-Maliki s’emploie à créer des organes sécuritaires extraconstitutionnels qui lui permettent de court-circuiter les ministères de la Défense et de l’Intérieur : c’est notamment la fonction du Bureau du commandant en chef des forces armées, placé sous l’autorité directe du Premier ministre, et supervisant l’ensemble des troupes d’élite irakiennes – dont certaines sont chargées de l’arrestation de figures politiques concurrentes. La mise en place d’une telle « chaîne de commandement informelle » se double de pratiques de purges au sein des forces armées permettant au premier ministre de placer des fidèles aux postes de décision les plus stratégiques, tout particulièrement au sein des services de renseignement. Plutôt qu’un recours à la cooptation d’éléments violents hors de l’État, la tête de l’exécutif irakien sous al-Maliki se distingue par une stratégie de privatisation d’une partie de la violence d’État.
Cette compétition partisane appuyée sur des ressources violentes a aussi des manifestations plus locales. Le gouvernorat de Bassora, dans le Sud de l’Irak, en est un exemple bien documenté. Entre 2003 et 2006, celui-ci, dont les ressources pétrolières fournissent la majorité de la richesse économique irakienne, est le théâtre d’une concurrence féroce entre les partisans de Muqtada al-Sadr, le Conseil suprême, et le parti al-Fadila dont Bassora est le cœur d’implantation. Chaque parti a la main sur des groupes violents intégrés à des structures officielles : les services de renseignement du gouvernorat sont dominés par le Conseil suprême, la police par les sadristes ; quant à al-Fadila, il dispose des centaines d’hommes de la Force de protection de l’infrastructure pétrolière de Bassora[28]. Au niveau national, al-Fadila contrôle en 2005-2006 le très stratégique ministère du Pétrole ; un télégramme révélé par Wikileaks décrit les pratiques de corruption qui permettent aux cadres du parti au sein du ministère de détourner au profit de ce dernier une partie des revenus du pétrole irakien au lieu de les verser au ministère des Finances[29].
Cette cristallisation d’ordres miliciens locaux, ralentie par les campagnes de désarmement menées par le gouvernement al-Maliki en 2008, reprend à la faveur du retour en grâce des groupes miliciens dans le cadre de la Mobilisation populaire à partir de 2014. Pour n’en prendre qu’un exemple, la chercheuse Alexia Martin a documenté l’implantation des ‘Asa’ib Ahl al-Haqq dans la région de Tikrit, a l’issue de la compétition violente qui l’oppose au mouvement sadriste en 2016[30].
La privatisation et l’éclatement de la violence par les acteurs de l’oligopole partisan chiite conduit à une situation de multipositionnalités : les acteurs qui occupent des positions dominantes se retrouvent à la fois dans le champ du pouvoir administratif, national comme régional, et dans l’espace milicien. Cette multipositionnalité facilite les pratiques de prédation des ressources étatiques par les acteurs de la violence. La création par le gouvernement irakien de la Mobilisation populaire pour suppléer à l’armée dans la « guerre contre le terrorisme » va ainsi faciliter ces pratiques de prédation et conforter ces dynamiques de brouillage de l’étatique et du milicien, symbolisé par l’alternance, chez ces acteurs, du treillis militaire et du costume de responsable politique. C’est notamment le cas d’Abu Mahdi al-Muhandis, numéro deux de l’Agence de la mobilisation populaire jusqu’à son assassinat par un drone américain en janvier 2020 : figure centrale du Hashd, il était également un commandant de l’Organisation Badr. Thamer al-Tamimi, assistant du président de l’Agence, est également représentant de Badr. Muhammad al-Ghabban, ancien ministre de l’Intérieur de Haydar al-‘Abadi, était un membre important de Badr, dont le commandant, Hadi al-‘Amiri, fut ministre des Transports sous al-Maliki.
La fin de la guerre contre l’État Islamique ne met pas un terme à cette dynamique : elle conforte au contraire les groupes armés de la Mobilisation populaire qui se substituent à l’État dans les zones qu’ils ont libérées de l’emprise du groupe terroriste et y établissent des ordres miliciens locaux. À l’échelle nationale, en dépit de l’interdiction qui leur est faite de participer au jeu politique, ceux qui ne constituaient pas la branche armée d’un mouvement déjà établi se dotent d’une façade partisane et présentent des candidats aux élections. Depuis le retrait des députés de Muqtada al-Sadr du Parlement en 2022, ils sont aujourd’hui la principale force du parlement irakien, dont est issu le nouveau gouvernement nommé à l’automne.
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La déliquescence d’un certain nombre d’États du monde arabe ayant sombré dans la guerre civile ces dernières années a suscité une revivification du discours selon lequel les pays de la région ne pourraient survivre qu’au prix de l’autoritarisme d’un homme fort. Cette nostalgie autoritaire a ses adeptes chez maints responsables politiques occidentaux ; elle traduit cependant au mieux une grave amnésie, au pire un mépris insultant. Les Irakiens ne s’y trompent pas, qui constatent avec désolation qu’« un Saddam a été remplacé par de multiples petits Saddam ».
Si l’invasion de 2003 constitue l’un des premiers et immenses crimes de notre siècle, si les souffrances qu’endure le peuple irakien aujourd’hui sont sans le moindre doute le résultat direct de l’ordre politique inique et originellement vicié qu’elle a mis en place, il convient, aussi, de montrer et de garder en mémoire combien cet ordre-là a également accentué certaines pratiques qui lui préexistaient. Ainsi, la guerre entreprise par les États-Unis en Irak il y a 20 ans marque à la fois une rupture brutale dans l’ordre social, économique et politique, notamment par la destruction des infrastructures du pays, tout comme elle renforce et cristallise des logiques confessionnelles et la violence milicienne qui lui préexistait.
Conjurer cette malédiction prendra peut-être vingt ans de plus ; mais d’un pays dont plus de la moitié de la population déjà est née après 2003, dont des centaines de milliers de citoyens continuent chaque année de braver les menaces et la mort pour dire leur refus de l’arbitraire, de la violence, de la corruption, du confessionnalisme et des ingérences étrangères d’où qu’elles viennent, il est permis d’espérer l’impossible.
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Illustration : « Prisonniers », Hamed Abdalla, 1954. Avec l’aimable autorisation de Samir Abdalla.
[1] Paul Bremer, « What Went Right in Iraq », The Interpreter, 16 mars 2023.
[2] Loulouwa Al Rachid, « Irak : la malédiction du trop-plein partisan », Confluences Méditerranée, 98,
automne 2016, p. 129.
[3] Dans la région kurde au Nord de l’Irak, la situation est différente : de facto autonome depuis 1990, le Kurdistan irakien développe son propre espace partisan, dominé par le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) et l’Union patriotique du Kurdistan (UPK), qui dès avant 2003 contrôlent l’ensemble des institutions de ce qui devient officiellement en 2005 une région fédérée autonome. Les mêmes partis sont en revanche également représentés au niveau fédéral.
[4] Loulouwa Al Rachid, , 2016, op. cit., p. 130.
[5] Lina Musawi, « How the Iraqi Parties Law Enables Electoral Corruption », 1001 Iraqi Thoughts, 11 août 2020.
[6] Saad N. Jawad, « The Iraqi Constitution: Structural Flaws and Political Implications », Paper Series, n° 1, LSE Middle East Center, novembre 2013, p. 13.
[7] Sereni Jean-Pierre Sereni, « L’argent de l’Irak toujours sous contrôle américain », Orient XXI, 23 février 2023.
[8] Cité par Parasiliti Andrew Parasiliti et Sinan Antoon, « Friends in Need, Foes to Heed: the Iraqi Military in Politics », Middle East Policy, 7, 4, hiver 2000, pp. 130-140.
[9] Matthieu Rey, « L’armée en Irak de 1932 à 1968. Entre arbitrage et contrôle du pouvoir », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 124, Presses de Sciences Po, 2014, p. 35.
[10] Max Weber, Économie et société, tome 1, « Les catégories de la sociologie », Plon, 1971, p. 97.
[11] Ibrahim Al-Marashi et Sammy Salama, Iraq’s Armed Forces. An analytical history, Routledge, 2008, p. 125.
[12] Ibid., p. 126, 143.
[13] Ibid., p. 125.
[14] Ibid., pp. 156-157.
[15] Joseph Sassoon, op. cit., p. 151.
[16] Ibid., pp. 147-149.
[17] Ibid., p. 149-150.
[18] Ibrahim Al-Marashi, « Iraq’s Security and Intelligence Network: A Guide and Analysis », Middle East Review of International Affairs, vol. 6, no 3, septembre 2002, p. 1.
[19] Pour un instantané photographique du paysage des « agnats » de Saddam Hussein dans les institutions sécuritaires à la veille de l’invasion américaine, lire David Baran, « L’État-Major de Saddam Hussein », Document de travail, n° 2, Ifri, mars 2003. Au-delà même de la question de la violence, il est désormais établi que les « primordialismes », loin de s’opposer en soi à l’État, peuvent tout à fait investir l’idée étatique. Voir Myriam Catusse, « Introduction. L’État au péril des sociétés du Moyen-Orient ? », in Anna Bozzo et Luizard Pierre-Jean Luizard (dir.), Vers un nouveau Moyen-Orient ? États arabes en crise entre logiques de division et sociétés civiles, Rome, TrE-Press, 2016, p. 43-44.
[20] Hamit Bozarslan, « États, communautés et marges dissidentes en Irak », Critique internationale, 34, Presses de Science Po, 2007, p. 19, note 3.
[21] Kamal Salibi, A House of Many Mansions. The History of Lebanon Reconsidered, I.B. Tauris, 1988.
[22] Benjamin Gourisse, L’État en jeu. Captation des ressources et désobjectivation de l’État en Turquie (1975-1980), thèse de doctorat, Université Paris I – Panthéon Sorbonne, 2010, p. 14.
[23] Tareq Y. Ismael, The Rise and Fall of the Communist Party of Iraq, Cambridge University Press, New York, 2008, p. 192.
[24] Hanna Batatu, The Old Social Classes and the Revolutionary Movements of Iraq. A Study of Iraq’s Old Landed and Commercial Classes and of its Communists, Ba‘thists, and Free Officers, Princeton University Press, 1978, p. 848-849.
[25] Enrique Desmond Arias et Daniel M. Goldstein, Violent democracies in Latin America, Duke University Press, 2010.
[26] International Crisis Group, « The Next Iraqi War? Sectarianism and Civil Conflict », Report, 52, 7 février 2006 ; International Crisis Group, « Shiite Politics in Iraq: the Role of the Supreme Council », Report, 70, 15 novembre 2007
[27] Nir Rosen, Aftermath: Following the Bloodshed of America’s Wars in the Muslim World, Nation Books, 2010.
[28] International Crisis Group, « Where Is Iraq Heading? Lessons From Basra », Report, 67, 25 juin 2007, pp. 11-12.
[29] Télégramme diplomatique de l’ambassadeur américain en Irak, « Corruption in the Iraqi Oil Ministry Favors Fadhila Parti Shaykh; Forces SOMO Director Out—For Now », WikiLeaks, 9 mars 2006.
[30] Alexia Martin, « Le phénomène milicien à Tikrit : s’engager auprès d’Asa’ib ahl al-Haqq (1) », Les carnets de l’Ifpo, 4 mai 2020.