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Sophie Oudin-Bensaïd est décédée ce 21 novembre à l’âge de 71 ans. Depuis presque deux ans elle luttait contre un cancer impitoyable sans jamais rien lui céder. Elle avait réussi à conserver « sa silhouette et sa taille de défi » qui faisait oublier son mal.

 

Ces mots sur sa silhouette étaient de son compagnon, Daniel dont elle partagé toute une vie jusqu’à la mort de celui-ci il y a bientôt neuf ans. Vis-à-vis de la force et du rayonnement du personnage, ce ne fut pas un mince exploit que de s’en tenir aux caractères fondateurs d’une personnalité qui aura été jusqu’au bout entière et impeccable.

Sophie devait faire du théâtre. Elle fut projetée d’un coup sur la scène de Mai 68. Adhérente à la Ligue Communiste dés l’été, elle s’imposa d’emblée comme une rédactrice de ces « Taupe rouge » que l’organisation trotskyste envoyait ses militants distribuer à la porte des usines. Elle en devint même une spécialiste réputée pour son efficacité et devint une des principales animatrices et rédactrice des « Cahiers de la Taupe » quand la Ligue décida de prendre à bras le corps son intervention ouvrière. Ceux qui ont eu l’occasion de relire ses articles d’alors disent aujourd’hui leur richesse et leur densité. Ce n’était pas une mince qualité quand on se souvient des raccourcis et des schématismes d’une bonne partie de l’extrême-gauche de l’époque.

Logique avec ses engagements révolutionnaires, elle fut précocement militante féministe, collaborant assidument aux « Cahiers du Féminisme », une revue qui pendant vingt ans a cherché à fonder et tisser des relations de cette moitié du monde avec le mouvement ouvrier.

Cette expérience acquise de haute lutte fit élire Sophie au Comité central de la Ligue Communiste Révolutionnaire en 1976 avec la « promotion Kollontaï » dont le titre à lui seul disait bien le volontarisme de principe pour aider à la promotion de nouvelles dirigeantes (Alexandra Kollontai était cette communiste soviétique première femme membre du gouvernement des soviets dès novembre 1917, et donc d’un gouvernement au XX° siècle).

Elle fit donc logiquement partie de la rédaction de Rouge (hebdomadaire de la LCR) et tout spécialement dans sa phase « activiste » (mais ô combien créative) quand il devint quotidien durant les deux mois (avril et mai) de la campagne présidentielle de 1974 en soutien à la candidature d’Alain Krivine.

Ces titres ne furent pas pour autant des galons bureaucratiques d’une conquête de pouvoirs. Elle les mobilisa dans des relations particulièrement appréciées par des militants avec qui elle était amenée à travailler. Et tout particulièrement ceux, ouvriers de la région de Clermont-Ferrand. Ceux aussi de la Ligue de l’Etat espagnol engagés contre le franquisme. L’Espagne aura été le terrain où Sophie mit à l’épreuve son internationalisme qui est resté une valeur cardinale dans ses convictions.

Toutes ces qualités fondaient en propre une personnalité qui éblouit Daniel Bensaïd (le mot n’est pas trop fort et il le décline  page 154 dans le beau texte d’Une lente impatience parue chez Stock en 2004). Elles se réalisèrent après la mort de celui-ci dans l’investissement total de Sophie dans la construction et l’animation d’un site dédié à l’actualité de sa mémoire (danielbensaid.org). Une de ses dernières entreprises fut la réédition en 2017 de l’étonnant Jeanne, de guerre lasse (Don Quichotte) publié en 1991 ; un livre « pour nous consoler de nos déceptions, nous sortir de l’abattement ou de la résignation » comme le dit Edwy Plenel dans sa préface.

C’est donc un fragment d’histoire qui disparaît avec Sophie. Le hasard a voulu que le soir même de ce deuil, un concert singulier se tienne à la Philarmonie de Paris, consacré à des « musiques cosmiques ». Accompagné par des images satellites du planétarium de la Cité des sciences, il s’ouvrait par le début d’Ainsi parlait Zarathoustra, ce poème symphonique de Strauss qui reste associé à 2001, L’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick. Le film que vont voir, un beau soir de juin 1972 Sophie et Daniel, par lequel ils vont conclure leur union et « s’envoler vers cette immensité sidérale » (« Une lente impatience » p. 157). Cette soirée du 21 novembre fut celle d’une musique toute entière tournée vers « des horizons lointains, de l’infini, irréels, de la nuit mystérieuse et des triomphes éclatants de la lumière » (Charles Koechlin, compositeur). Elle fut celle aussi, poignante, de ces morts contre lesquelles nous aurons tant lutté.

 

Ses obsèques seront célébrées le mardi 27 novembre de 14h 30 à 15 h au crématorium du Père Lachaise, 71 rue des Rondeaux, Paris 20e.

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