
Le gouvernement Lecornu et la contre-réforme des retraites : une suspension en trompe-l’œil
Au cœur du deal noué entre le Premier Ministre et le Parti socialiste, la suspension de la réforme des retraites est présentée comme une grande victoire par Olivier Faure afin de justifier la non-censure du gouvernement. Ce triomphalisme semble pourtant complètement décalé par rapport aux annonces de Sébastien Lecornu. L’annonce du Premier Ministre laisse prévoir un décalage du calendrier de la réforme de 2023, d’environ 3 mois pour les générations 1964 à 1968. La cible des 64 ans et 172 annuités continuerait d’être poursuivie au même rythme, simplement décalé d’une année de naissance. L’économiste Michaël Zemmour décrypte à chaud les annonces du Premier Ministre.
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Le Premier Ministre a annoncé lors de son discours de politique générale du 14 octobre 2025 : « C’est pourquoi, je proposerai au Parlement dès cet automne que nous suspendions la réforme de 2023 sur les retraites jusqu’à l’élection présidentielle. Aucun relèvement de l’âge n’interviendra à partir de maintenant jusqu’à janvier 2028, comme l’avait précisément demandé la CFDT. En complément, la durée d’assurance sera elle aussi suspendue et restera à 170 trimestres jusqu’à janvier 2028. »
Sous un jeu d’hypothèse raisonnables, et sous réserve de voir comment l’amendement gouvernemental sera rédigé voici ce qu’on peut comprendre :
-Il s’agit d’un décalage du calendrier de la réforme qui fait en sorte que le prochain « pas » d’âge et de durée qui devait être franchi en 2026 soit franchi au cours de l’année 2028.
-Il maintient par la suite l’avancée de la réforme menant l’âge à 64 ans et la durée de cotisation à 172 trimestres à un rythme accéléré (nous faisons l’hypothèse qu’il le maintien au même rythme mais cela pourrait être plus rapide).
-Les générations 1964 à 1968 (3,5 millions de personnes) gagneraient 3 mois d’âge et les générations 1964 à 1965 3 mois de durée. Les suivantes seront intégralement touchées par la réforme de 2023, en l’absence de toute nouvelle loi.
-Il ne s’agit pas d’un gel de la réforme (« suspension ») au sens où la réforme n’est pas arrêtée au point qu’elle a atteint en 2025 : l’âge cible de 64 ans reste inscrit dans la loi et serait atteint en 2033 au lieu de 2032. La durée cible de 172 trimestres serait atteinte en 2029 au lieu de 2028.
-Un scénario alternatif au gel (« suspension ») serait différent budgétairement et pour les personnes concernées à partir de 2028. La différence est qu’en l’absence de toute intervention, il bloque l’avancée de la réforme après 2027 (en vert sur le graphique).
-En effet la loi ne peut pas « ne rien dire » pour les générations 1966 et suivante. Ce qu’elle dit est important car c’est ce qui arrivera par défaut en l’absence de nouvelle loi.


Détail des calculs
Actuellement l’âge de départ est de 62 ans et 9 mois et la durée de cotisation de 170 trimestres.
Pas d’augmentation avant janvier 2028, veut dire a priori, que toutes les générations qui partiront entre aujourd’hui et 2027 partiront à 62 ans et 9 mois et 170 trimestres.
Les personnes qui auront 62 ans et 9 mois en décembre 2027, les dernières qui seront concernées par cette mesure, sont nées en mars 1965. On peut en déduire que les personnes nées en avril 1965 partiront à 63 ans et 171 trimestres. Puis la réforme poursuivra son cours ordinaire (on peut même imaginer que ça aille plus vite).
Au total, les générations 1964, 1965, 1966, 1967 et 1968 (3,5 millions de personnes) gagnent probablement un trimestre d’âge et un trimestre de durée (et même peut être 6 mois pour les personnes nées en début d’année 65). Les autres générations ne gagnent rien et voient l’âge de 64 ans et l’accélération de la réforme Touraine toujours inscrits dans la loi.
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Cette analyse a été faite en peu de temps et publiée sur le blog d’Alternatives Économiques. Toutes les remarques et amendements sont les bienvenus.