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Après celles de Saxe et de Thuringe, les élections de dimanche dernier dans le Brandebourg ont confirmé la dynamique ascendante du parti nouvellement créé par Sahra Wagenknecht, l’ancienne dirigeante de Die Linke. Lors de ce dernier scrutin, la formation dont le nom (provisoire) n’est autre que celui de sa fondatrice (Alliance Sahra Wagenknecht – BSW) a obtenu 13,5%, et la troisième place, devançant la droite démocrate-chrétienne et écrasant Die Linke, qui passe de 10,7 à 3% et se trouve exclue du parlement régional, tout comme les Verts, qui connaissent un sort comparable (de 10,7% à 4,1%). 

La percée du parti de Wagenknecht, déjà annoncée depuis plusieurs mois par les sondages et la forte popularité de sa dirigeante, a suscité un vaste débat sur son identité idéologique et son positionnement dans le spectre politique. Ses positions sur les migrants et sur les sujets dits « sociétaux » le classent à droite de l’échiquier politique, celles sur la politique étrangère (en particulier l’Ukraine et la Palestine) nettement à gauche.

Son programme économique est d’allure social-démocrate, en réalité davantage tourné vers la préservation d’un « modèle national allemand » de capitalisme, basé sur le dynamisme des PME (Petites et Moyennes Entreprises, le fameux Mittelstand), que vers la reconstruction d’un compromis social favorable au salariat.

En conséquence, certain.e.s voient la BSW comme faisant partie de la famille des gauches, une tentative de surmonter la coupure entre la gauche et les couches populaires qui prennent en compte les « préoccupations » de ces dernières, tandis que d’autres vont jusqu’à la considérer comme une variante « sociale » de l’AfD (Alternative pour l’Allemagne), la formation d’extrême droite en pleine ascension électorale, ou, à tout le moins, comme la manifestation d’un renoncement à contrer la montée du racisme et de la xénophobie dans de larges couches de la société.

En France, et plus particulièrement à gauche, l’émergence de cette nouvelle force dans le paysage politique de la puissance européenne dominante a suscité des réactions contradictoires. Dans la dernière livraison du Monde diplomatique, Pierre Rimbert et Peter Wahl voient en Wagenknecht une « icône médiatique austère, élégante, cérébrale, incarnation moderne de Rosa Luxemburg ». Manifestement séduits, ils perçoivent dans la BSW une alternative de gauche crédible à la stratégie initiée par Barack Obama en 2008 et théorisée par le fameux rapport de Terra Nova, le think tank proche du PS, fondée sur l’alliance des couches urbaines éduquées et des minorités racisées, à laquelle se serait, selon eux, ralliée la France insoumise.

A l’inverse, dans Mediapart, Romaric Godin pense que, loin de se limiter à ses positions sur les migrants ou à l’agenda dit « sociétal », le « conservatisme » revendiqué par Wagenknecht imprègne en profondeur son programme économique. Un examen de celui-ci montre qu’il se fonde sur une vision idéalisée du « capitalisme national » à l’allemande, qui refoule le fait que le fameux Mittelstand ne n’est pas montré moins avide de réformes néolibérales que le capitalisme financiarisé des grands groupes, désigné comme le seul adversaire.

Toujours dans Mediapart, Fabien Escalona explore les affinités entre le discours de Wagenknecht et celui du François Ruffin ou de l’ancienne aile « souverainiste » qui a quitté la France insoumise en 2018-2019 lors du tournant du mouvement sur la question de l’islamophobie et du racisme. Il conclut toutefois que ce qui réussit en Allemagne se heurte à une configuration idéologique différente de la gauche française, moins encline à cet alliage entre « conservatisme sociétal » et nationalisme économique. Il relève en particulier que « même contestataire de la stratégie de LFI, François Ruffin est loin de cocher les cases de la ‘ligne Wagenknecht’ », notamment sur la question de l’écologie.

Dans l’article qui suit, Ingar Solty et Sebastian Friedrich, respectivement chercheur à la Fondation Rosa Luxemburg et journaliste, fournissent une analyse critique des diverses facettes du projet de Wagenknecht. Ils éclairent en particulier la composition de son électorat, les contradictions de ses propositions socio-économiques et le durcissement de son discours sur les migrants mais aussi le poids décisif, rarement mentionné dans le débat français, des questions « internationales », en particulier de la guerre en Ukraine et de ses conséquences (explosion de budgets militaires, rapport à l’OTAN, renchérissement des prix de l’énergie etc .).

Ces questions, auxquelles il faut ajouter celle de la Palestine, renvoient à des marqueurs historiques de la gauche allemande depuis la fin de la dernière guerre mondiale : le refus de l’atlantisme et du militarisme, la lutte pour la paix, la solidarité avec les peuples du Sud. 

Stathis Kouvélakis

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La création de l’Alliance Sahra Wagenknecht (BSW) a suscité un débat sur la question de savoir si son nouveau parti aiderait ou entraverait la montée de l’Alternative für Deutschland (AfD), un parti d’extrême droite. Avant même la création officielle de la BSW, nous avions nous aussi exprimé l’espoir que le parti de Wagenknecht pourrait ralentir la montée de la droite et réorienter le débat politique allemand vers les questions socio-économiques, un terrain sur lequel la gauche est traditionnellement la plus forte.

La BSW existe depuis la fin du mois de janvier et a participé à trois scrutins, à savoir les élections parlementaires européennes et deux élections régionales dans l’ex-Allemagne de l’Est (Saxe et Thuringe). Ces espoirs se sont-ils concrétisés ? La BSW a-t-il aidé à lutter contre la droite ou contribue-t-il à un glissement vers la droite du paysage politique ?

L’analyse des déplacements d’électeurs lors des élections européennes de juin suggère que les scores de la BSW nuisent principalement au parti de gauche Die Linke et au parti social-démocrate (SPD) au pouvoir. Selon Infratest Dimap, la plupart des électeurs de BSW votaient auparavant pour le SPD et Die Linke : 580 000 anciens électeurs du SPD et 470 000 anciens électeurs de Die Linke se sont ainsi reportés sur le BSW. Seuls 160 000 des électeurs de BSW avaient voté pour l’AfD lors des élections fédérales de 2021. Selon ce même sondage, la plupart des électeurs du BSW en Thuringe et en Saxe ce 1er septembre provenaient également de la gauche (au sens large) et seulement une petite partie de l’AfD.

À première vue, il semble évident que le BSW prend principalement des voix aux partis de gauche et entame à peine l’électorat de l’AfD. Pourtant, on peut supposer qu’en raison de la relative nouveauté du parti, une grande part de celles et ceux qui ont voté pour l’AfD aux élections fédérales de 2021, et surtout aux élections régionales de 2019, font désormais partie du socle électoral du parti d’extrême droite. Il n’est guère surprenant que cet électorat de droite radicale ne se reporte pratiquement jamais sur la BSW.

On ne peut toutefois pas en dire autant de celles et ceux qui se sont tourné.e.s vers l’AfD au cours des deux dernières années. Dans les sondages du début de l’année, l’AfD se situait autour de 22 % au niveau national, mais elle n’a obtenu « que » 16 % aux élections européennes. Ce qui est peut-être le plus révélateur, c’est que la proportion d’électeur·ices qui ont déclaré dans les enquêtes postélectorales qu’iels avaient voté pour le parti non pas par conviction, mais parce qu’iels étaient déçu·es par les autres partis, est relativement élevée – un peu moins de la moitié.

Ces électeur·ices peuvent théoriquement être convaincu.e.s de changer à nouveau de camp si on leur propose une alternative attractive. Une telle approche consisterait à mettre en avant des mesures de redistribution pour diviser au moins une partie de l’électorat de l’AfD. Cette stratégie pourrait séduire en particulier les personnes qui se sont classées comme « travailleur·ses » dans les sondages post-électoraux pour les élections européennes et qui ont voté pour l’AfD (33 %), ainsi que la proportion relativement élevée de membres de syndicats qui ont soutenu ce parti (18,5%).

Il est possible que l’électorat de l’AfD se prolétarise de plus en plus, un processus que l’on peut observer dans les formations de droite radicale aux  États-Unis, en France, au Royaume-Uni et dans d’autres pays, mais ce n’est pas inévitable. Les forces socialistes peuvent et doivent faire appel à ces électeur·ices, et pas seulement pour leur propre préservation.

Décélération lente

Une étude de l’Institut de recherche économique et sociale (WSI) lié à la confédération syndicale allemande a révélé que le BSW est perçu comme une alternative anti-establishment, en particulier dans l’est de l’Allemagne et parmi ceux qui ne se sont tournés vers l’AfD que récemment. D’un point de vue socio-structurel, il s’agit de régions et de communautés où le PDS (Parti du socialisme démocratique, l’un des précurseurs de Die Linke) était puissant. La BSW est forte dans les régions où le taux de chômage est élevé et où la population est vieillissante. Selon le WSI, elle attire particulièrement les électeurs à faibles revenus et ceux qui sont pessimistes quant à l’avenir et qui n’ont guère confiance dans les institutions existantes.

Même si les scores de la BSW en Thuringe et en Saxe ont surtout porté préjudice à Die Linke, ils ont probablement aussi empêché l’AfD de progresser encore davantage. Dans ces deux Länder, les sondages donnaient à l’AfD des scores allant jusqu’à 35-36 %. Selon Infratest Dimap, 26 % des élect.eur.ices de BSW interrogé.es en Thuringe ont déclaré qu’ils auraient voté pour l’AfD s’iels n’avaient pas eu la possibilité de se tourner vers la BSW. En Saxe, ce chiffre s’élève à 33 %. Si l’on compare ce pourcentage au résultat réel de l’AfD, le parti aurait obtenu environ 37 % en Thuringe et environ 35 % en Saxe.

Il est également peu probable que de nombreux·ses ancien·nes électeur·ices de Die Linke qui sont passé·es au BSW auraient à nouveau voté pour le parti de gauche, car sa cote de popularité était déjà en baisse avant la montée du BSW. L’espoir de certains stratèges de Die Linke, qui pensaient que le départ de Wagenknecht du parti permettrait d’atteindre une nouvelle couche d’électeur·ices ou de la renouveler, a été déçu.

En termes purement numériques, la BSW a donc été en mesure de ralentir quelque peu la montée de l’AfD mais elle n’a en aucun cas été un palliatif. Que peut-on dire de son impact sur le débat politique et la rhétorique des médias en Allemagne en général ? Le succès relatif du parti, comme le prétendent de larges pans du spectre de la gauche et de la gauche libérale, s’inscrit-il dans un glissement général vers la droite de l’horizon politique ?

Loyauté envers le haut ou le bas de l’échelle ?

En matière de politique économique et sociale, la BSW a clairement fait sentir sa présence. L’une des premières demandes de son groupe parlementaire, composé d’anciens députés de Die Linke, a été d’augmenter le salaire minimum. Le BSW a également demandé une augmentation des retraites. Dans le même temps, le parti ne cesse de parler de la promotion des intérêts des petites et moyennes entreprises (PME) sous le mot d’ordre de la « rationalité économique ».

Cette orientation est contradictoire. L’antagonisme entre le capital et le travail est particulièrement fort entre les PME et les salarié·es. Les petites entreprises implantées dans des régions économiquement peu dynamiques considèrent qu’une position antisyndicale ferme est essentielle pour résister à la concurrence capitaliste nationale et internationale. Les forces de gauche de la BSW mettent l’accent sur une politique économique basée sur une « alliance antimonopoliste » à court terme. Selon leur vision de la situation économique actuelle, le gouvernement fédéral – composé du SPD, des Verts et des néolibéraux du FDP – poursuit une politique industrielle favorable aux grandes entreprises qui fausse la véritable concurrence capitaliste. Dans cette critique, le BSW partage en fait une vision proche de celle du FDP.

Cependant, à moyen terme, la contradiction entre les promesses faites aux PME et celles faites aux salarié·es risque de créer des tensions. D’un côté, la BSW s’oppose à une augmentation des impôts sur le capital et soutient des sanctions plus sévères à l’encontre des chômeur·ses pour les pousser à accepter des emplois de qualité inférieure, tandis que, de l’autre, elle réclame des retraites plus élevées et une politique industrielle et structurelle plus forte au nom de l’aide aux travailleur·ses.

Par ailleurs, il est peu probable que nous assistions à un retour au partenariat énergétique russo-européen et aux faibles prix de l’électricité industrielle qui en découlent. Au contraire, il faut s’attendre à une intensification des batailles industrielles dans les années à venir. Il reste à voir comment la BSW se positionnera face aux revendications de plus en plus pressantes du capital allemand : semaine de quarante-deux heures, augmentation de l’âge de la retraite à soixante-dix ans (au moins), restriction du droit de grève dans le secteur public et réduction de l’impôt sur les sociétés. Ce conflit contient les germes d’une scission potentielle.

Pour Die Linke, l’orientation de la politique économique du BSW et ses positions en matière de politique sociale, notamment sur l’asile, prouvent que le départ de Wagenknecht des rangs de Die Linke était une scission purement de droite. La BSW elle-même souligne également qu’elle ne veut pas être un « Die Linke 2.0 ». Bon nombre de ses figures de proue ont été remarquablement promptes à prendre leurs distances avec leur ancienne vision du monde, pour des raisons de pragmatisme électoral ou par réelle conviction.

La principale candidate du parti en Saxe en est l’un des exemples les plus flagrants. Sabine Zimmermann, ex-dirigeante de Die Linke, a situé le BSW « à droite du SPD et à gauche de la CDU [chrétiens-démocrates] ». Le soir de l’élection, Zimmermann a souligné sur la chaîne de télévision publique allemande ARD qu’il existait d’importants « chevauchements » politiques entre la CDU et la BSW, en particulier dans les domaines de « l’éducation et de la politique migratoire ».

Entre le marteau et l’enclume

Bien que le BSW soit clairement à droite de Die Linke en termes de politique économique et de politique d’asile et d’immigration, l’image d’une scission purement de la droite n’est pas aussi claire lorsqu’il s’agit d’une question centrale pour le BSW : la paix et une politique étrangère axée sur la détente. Les député·es du Bundestag qui ont quitté Die Linke avec Wagenknecht l’ont fait principalement en raison de leur mécontentement face à l’assouplissement perçu des positions du parti en matière de paix et de politique étrangère. L’une des principales raisons de leur départ est l’indécision du parti dans sa critique de la politique ukrainienne de l’Occident.

Ce n’est pas une coïncidence si de nombreux membres du groupe parlementaire du Bundestag qui ont quitté Die Linke sont spécialisés dans ces questions de politique étrangère. Le refus de Die Linke d’adopter une attitude pro-OTAN et conciliante à l’égard de l’alliance occidentale a longtemps été un facteur décisif empêchant la participation du parti à un gouvernement fédéral. C’est pourquoi Wagenknecht, ainsi que le député Sevim Dağdelen et d’autres, avaient toujoursmaintenu une position interne d’opposition à la stratégie de coalition « rouge-rouge-verte » [SPD-Verts-Die Linke], une stratégie qui a échoué lors de la campagne des élections fédérales de 2021.

En gardant cela à l’esprit, il est plus facile de comprendre pourquoi de nombreux membres de la base et des électeur·ices de Die Linke sont passé.e.s à la BSW. C’est surtout à l’Est, mais pas seulement, que le transfert de l’électorat traditionnel de Die Linke et du SPD vers la BSW s’explique par les positions de la BSW en matière de politique étrangère. C’est précisément parce que la question de la paix est étroitement liée à la critique de l’« opportunisme » de Die Linke que la BSW peut encore être perçue comme une force anti-establishment, bien qu’elle soit clairement à droite de Die Linke sur les questions socio-économiques ainsi que sur l’asile et l’immigration. Die Linke est toujours la force la plus anti-establishment du Bundestag allemand, mais elle apparaît comme un appendice inoffensif, à peine plus à gauche, de l’establishment SPD et Verts.

L’immigration est une autre question qui s’impose de plus en plus comme une préoccupation centrale du BSW. Lors de la création du parti, cette question a été minimisée. Lorsque Sahra Wagenknecht a annoncé la création du BSW lorsd’une conférence de presse en octobre de l’année dernière, elle n’a fait qu’une brève allusion à l’immigration. Par la suite, lors de la conférence de fondation du parti à Berlin à la fin du mois de janvier, seule une poignée d’orateur·ices l’a mentionnée.

Au cours des derniers mois, cependant, la focale s’est déplacée : l’immigration est devenue l’un des principaux sujets de discussion, au même titre que la guerre en Ukraine et les questions sociales (en particulier les retraites), notamment de la part de Wagenknecht elle-même. Il y a dix ans, elle qualifiait la Deutsche Bank de « bombe à retardement », mais aujourd’hui, elle dit la même chose des migrant·es. À la mi-juillet, elle a écrit ceci sur Twitter/X après qu’un demandeur d’asile marocain de 18 ans avait prétendument poussé un homme dans les escaliers d’une gare de la ville d’Uelzen, dans le nord de l’Allemagne : « Arrêtez la migration incontrôlée qui fait entrer de telles bombes à retardement dans le pays ! ».

Wagenknecht n’est pas la seule au sein de BSW à mettre l’accent sur cette question : lorsque Sabine Zimmermann a  officiellement commenté les résultats le lendemain des élections en Saxe, elle a cité la limitation de l’immigration incontrôlée comme le premier objectif d’un changement de politique. L’éducation et la paix viennent après.

Dans l’ensemble, le BSW peut donc être classé à gauche en ce qui concerne les retraites, le marché du travail et la politique étrangère, et à droite en ce qui concerne la sécurité intérieure et l’immigration. Toutefois, si l’on observe le déroulement du débat lors des campagnes électorales jusqu’à présent, il est difficile d’affirmer que le BSW a fait évoluer le discours vers la droite. Le parti a eu tendance à suivre la tendance générale du glissement vers la droite, et non à la créer.

Par conséquent, même sur les questions où il est plus à droite, le BSW se situe, tant sur le plan programmatique que rhétorique, à peu près au même niveau que les chrétiens-démocrates et une grande partie du SPD : au centre de la droite – pas plus, mais pas moins non plus. Cela signifie également que le parti n’est pas une« organisation qui sert de façade de l’AfD », comme l’a récemment affirmé Oliver Nachtwey dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung.

Cependant, le BSW n’est pas non plus, comme l’a affirmé le sociologue Wolfgang Streeck dans une interview à Die Zeit, la seule force qui « pose les bonnes questions ». En matière de politique d’asile et d’immigration, le BSW a suivi la tendance générale de la droite sans conviction claire. Si cela est motivé par une tactique électorale, la BSW pourrait à un moment donné prendre conscience du fait que ce rapprochement avec l’AfD ne profite finalement qu’à cette dernière. En effet, les électeur·ices qui considèrent la limitation de l’immigration comme leur priorité absolue sont enclin·es à « préférer l’original à la copie ».

Dans le même temps, il faut se féliciter que le BSW demande, par exemple, un référendum sur le stationnement de missiles nucléaires de moyenne portée en Europe, une escalade contre laquelle quatre millions de citoyen·nes allemand·es avaient déjà signé l’« Appel de Krefeld » dans les années 1980. Par sa décision, le chancelier Olaf Scholz a fait passer davantage encore d’élect.eur.ice.s du SPD dans les bras de la BSW. La montée du parti de Wagenknecht – en plus de la mauvaise situation dans la guerre par procuration menée en Ukraine, du retrait progressif des Américains et de la lassitude croissante de la population ukrainienne à l’égard de la guerre – est probablement la raison décisive pour laquelle Scholz, et même Omid Nouripour [co-président des Verts], appellent soudainement à des négociations avec la Russie.

Un avenir incertain

La trajectoire future de la BSW dépendra largement du climat politique national et international. En raison de son éclectisme, la BSW est largement tributaire des cycles économiques externes. Un phénomène similaire a déjà été observé avec le Mouvement 5 étoiles en Italie. Les prochaines décennies seront probablement caractérisées par unenouvelle guerre froide contre la Chine, qui sera légitimée par le discours peu convaincant des « démocraties contre les autocraties ».

Pour la BSW, la priorité accordée à une politique de paix orientée vers la détente est probablement la question qui la distingue de tous les autres partis allemands et pourrait rester la principale raison de son existence. L’importance croissante de cette nouvelle confrontation des blocs ouvrira à la BSW un champ d’action permanent sur l’un de ses thèmes centraux, sur lequel elle maintient d’ailleurs des positions relativement cohérentes. Le parti comble ainsi une lacune dans le spectre politique. À l’avenir, il est probable que cette lacune ne fera que s’accroître en raison des développements dans l’AfD et Die Linke.

Ceci est particulièrement vrai si le courant au sein de Die Linke qui prône une position moins critique à l’égard de l’Alliance atlantique l’emporte lors de la conférence du parti en octobre 2024.

De l’autre côté du spectre, si l’AfD veut devenir une force de gouvernement en Allemagne et au niveau européen dans les années à venir, la pression pour adopter des positions toujours plus conciliantes envers l’UE, l’euro, l’alliance avec les Etats-Unis et l’OTAN ne fera qu’augmenter. En tant que force de droite et raciste, l’AfD sera néanmoins en mesure de former des alliances avec les autres partis bourgeois en Allemagne sur la base de son engagement ferme en faveur de l’alliance occidentale et de la « défense de nos valeurs » dans la lutte des « démocraties contre les autocraties » et contre les « ennemis » intérieurs (les musulman·es ainsi que celles et ceux qui s’opposent aux politiques de confrontation impériale).

Les partis d’extrême droite modernisateurs en Italie et en France, qui ont jusqu’à présent exclu l’AfD de leur groupe parlementaire en Europe, ont depuis longtemps évolué dans cette direction. Bien que la stratégie soit rejetée par la direction et une partie de la base, une « melonisation » du parti est la seule voievers le pouvoir en vue pour l’AfD.

L’évolution de la politique étrangère sera décisive pour les perspectives d’avenir de la BSW, et pourrait même assurer son avenir en tant qu’élément permanent du paysage politique. Cependant, si sa politique de détente inébranlable présente un attrait certain, son avenir est incertain en raison de la confusion qui règne dans d’autres domaines politiques, en particulier son désir contradictoire de servir les intérêts des salariés d’une part et du capital de l’autre.

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Cet article a été initialement publié dans Jacobin (États-Unis) le 20 septembre 2024. Traduction Contretemps.

Illustration : Wikimedia Commons.

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