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Les entreprises de combustibles fossiles profitent d’un allégement fiscal de l’État qui prive la Californie de 146 millions de dollars de recettes annuelles. Celles-ci pourraient être utilisées pour lutter contre les incendies de forêt alimentés par le changement climatique — à l’image du brasier qui ravage actuellement Los Angeles.

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Les entreprises de combustibles fossiles profitent d’un obscur allégement fiscal de l’État privant la Californie de 146 millions de dollars de recettes fiscales annuelles, lesquelles pourraient être utilisées pour lutter contre les incendies de forêt alimentés par le changement climatique, selon un nouveau rapport publié au milieu d’un brasier qui ravage Los Angeles. L’allégement fiscal persiste depuis des décennies dans cet État contrôlé par les démocrates, alors même que la Californie est confrontée à des déficits et à des coupes budgétaires concernant la préparation aux incendies, notamment dans le budget du service d’incendie de Los Angeles, récemment réduit.

Au cours de la première nuit d’incendie, les pompiers ont eu du mal à obtenir de l’eau des bouches d’incendie à Pacific Palisades, un quartier de l’ouest de Los Angeles ravagé par les flammes. Un membre du conseil municipal représentant le quartier de Palisades a attribué le manque d’eau à un « sous-investissement chronique ».

Un nouveau rapport, publié mercredi par le Climate Center, un groupe de réflexion sur les solutions climatiques en Californie, explique en détail comment les compagnies pétrolières et gazières et leurs alliés ont utilisé les dons de campagne, l’argent du lobbying et la pression juridique pour créer une échappatoire fiscale qui permet aux entreprises de réduire leur revenu imposable dans l’État en évitant de déclarer les profits et les pertes à l’étranger, si l’entreprise choisit de le faire.

Cette faille juridique, appelée « water’s edge election », est le plus important allègement fiscal dont bénéficient les entreprises en Californie. Elle permet aux entreprises d’éviter de payer plus de 4,3 milliards de dollars d’impôts sur les sociétés chaque année et accorde aux compagnies pétrolières et gazières plus de 146 millions de dollars d’allègements fiscaux annuels, selon les chercheurs.

En 2023, ExxonMobil, Chevron et Shell ont réalisé plus de 83 milliards de dollars de bénéfices. En 2024, Chevron a annoncé qu’elle transférerait son siège social hors de Californie, mais qu’elle continuerait à opérer dans l’État. La compagnie pétrolière est également l’un des plus grands pollueurs californiens en matière de gaz à effet de serre.

« La Californie traverse une crise climatique », a déclaré Ryan Schleeter, directeur de la communication du Climate Center. « On ne cesse d’être avertis de ces incendies, et un feu de forêt qui se déclare en plein mois de janvier est vraiment sans précédent et assez effrayant. Investir maintenant dans des solutions climatiques permettra de sauver plus de vies et d’économiser plus d’argent que si nous temporisons. »

Le rapport est publié alors que des incendies ont dévasté de nombreux quartiers du sud de la Californie, provoquant des évacuations massives et brûlant des arbres et des structures jusqu’au bord de l‘océan. Le rapport est également publié alors que l’État est confronté à un déficit budgétaire estimé à 46 milliards de dollars et à des réductions de dépenses de 16 milliards de dollars pour la préparation aux incendies, les initiatives climatiques et une multitude d’autres programmes de l’État.

Mercredi, le gouverneur de Californie, Gavin Newsom, figure éminente du parti démocrate, a proposé de nouvelles réductions dans le premier projet de budget de l’État. Ces réductions pourraient amputer le financement de la préparation aux incendies de forêt, des projets de résilience côtière, des projets solaires et éoliens, ainsi que d’autres plans, rapporte le média à but non lucratif CalMatters.

Alors que le Midwest et la côte Est sont bombardés de neige cette semaine, la Californie est confrontée aux affres du changement climatique. Le climat californien est devenu de plus en plus aride, ce qui a transformé la saison des incendies de mai à octobre en un risque permanent. Actuellement, plus de 8 500 pompiers luttent contre trente-cinq incendies qui brûlent plus de 5 700 acres [soit environ 2300 hectares] dans tout l’État.

« L’échappatoire fiscale du bord de l’eau permet aux multinationales des combustibles fossiles d’éviter de payer leur juste part d’impôts qui pourraient aider à financer des projets environnementaux vitaux, dont la préparation aux incendies de forêt », a déclaré dans un communiqué Damon Connolly (démocrate), membre de l’assemblée californienne. « Il est absurde de continuer à subventionner ces entreprises polluantes, qui ont réalisé des bénéfices records, alors que les États et les collectivités locales sont confrontés à des déficits importants et à des coupes dans les infrastructures essentielles.

Le grand manque à gagner californien

Depuis des décennies, la Californie subit un coup budgétaire. Alors que l’État est la cinquième économie mondiale, il est confronté à des déficits budgétaires récurrents depuis le début des années 1990, que certains experts imputent aux réductions d’impôts qui ont eu pour effet d’affaiblir des programmes sociaux ambitieux.

En 2023, le déficit budgétaire de l’État était estimé à 46,8 milliards de dollars, contre 32 milliards de dollars l’année précédente. Actuellement, près d’un tiers du budget de l’État provient de fonds fédéraux, qui pourraient être supprimés si le nouveau président Donald Trump tient ses promesses de réduction des dépenses.

Le 6 janvier, M. Newsom a annoncé un budget de l’État de 322 milliards de dollars, qui inclurait probablement des coupes dans les programmes sociaux afin d’éviter un nouveau déficit. Les détails de sa proposition de budget finale seront publiés le vendredi 10 janvier.

En 2019, après avoir promis de développer les initiatives californiennes de lutte contre les incendies lors de sa campagne pour le poste de gouverneur, le budget de M. Newsom a alloué 355 millions de dollars à la prévention des incendies de forêt et à la gestion des ressources. Mais en 2021, il avait réduit ce budget de plus de 40 %, le ramenant à 203 millions de dollars. Alors que les incendies de forêt ravageaient l’État cette année-là, M. Newsom a changé de cap, annonçant un investissement de 2 milliards de dollars dans la prévention des incendies de forêt pour 2022, à la suite d’un excédent budgétaire.

Or, au début de l’année 2024, alors que le budget de la Californie n’atteignait pas les recettes escomptées, M. Newsom a proposé des coupes importantes dans les projets climatiques, notamment en réduisant de 100 millions de dollars le financement de la prévention des incendies et de la résilience des forêts, et en diminuant d’environ 7 % le financement de l’ensemble des programmes relatifs au climat.

Les efforts de la Californie en matière de prévention des incendies, que les experts considèrent comme le seul moyen de réduire de manière significative le risque croissant d’incendie, ont été à maintes reprises victimes du coup du lapin de l’État sur le plan budgétaire.

En 2024, l’État a alloué 4 milliards de dollars au département californien des forêts et de la protection contre les incendies (California Department of Forestry and Fire Protection, ou Cal Fire), soit près du double du budget alloué au département il y a dix ans. L’augmentation du budget a permis à Cal Fire de presque doubler son personnel par rapport à la décennie précédente.

Los Angeles, où les flammes ont ravagé les quartiers les plus éloignés de la ville alors que des vents de la force d’un ouragan aggravent les effets de la sécheresse, est confrontée à sa propre crise budgétaire. En janvier 2024, le bureau du contrôleur de Los Angeles constatait que la ville était en passe de dépasser son budget de 297 millions de dollars, et que le fonds général de la ville — qui finance de nombreux services municipaux tels que la lutte contre les incendies — était inférieur d’environ 158 millions de dollars à ce que Los Angeles s’attendait à percevoir en recettes fiscales.

La maire de Los Angeles, la démocrate Karen Bass, fait quant à elle face à des réactions négatives pour les coupes qu’elle a effectuées dans les effectifs des pompiers de Los Angeles. En avril de l’année dernière, son projet de budget prévoyait des réductions de plus de 23 millions de dollars. Ces réductions ont finalement été ramenées à 17,6 millions de dollars dans le cadre du processus budgétaire du conseil municipal.

Par ailleurs, le budget de Mme Bass prévoyait également la suppression de postes au sein de l’agence de gestion des urgences de la ville, qui intervient en cas de crises telles que les incendies de forêt. Ces propositions de réduction interviennent alors que Los Angeles a augmenté de 123 millions de dollars le financement du service de police de la ville. Alors que le risque d’incendie dans la région atteint un niveau record, la criminalité reste relativement faible. Les détracteurs de l’augmentation des dépenses consacrées aux forces de l’ordre affirment qu’une grande partie de ces fonds sera allouée à des postes qui resteront probablement vacants dans un contexte de difficultés de recrutement à l’échelle du département.

Une grande partie du déficit budgétaire actuel de la ville est liée au contrat de quatre ans que le syndicat représentant les membres de la police de Los Angeles a conclu avec la ville en 2023. Le contrôleur de la ville, Kenneth Mejia, a également mis en cause les paiements excessifs effectués au titre de la responsabilité civile de la police.

Alors que les pompiers luttent contre les incendies à Los Angeles, le service des incendies de la ville a appelé tous les pompiers en repos de la région et des villes voisines comme San Diego et d’autres dans tout l’État à se joindre aux efforts de lutte contre le brasier.

« Le sous-investissement chronique de la ville de Los Angeles dans nos infrastructures publiques et nos partenaires en matière de sécurité publique a été pleinement mis en évidence au cours des dernières 24 heures », a déclaré Traci Park, membre du conseil municipal et représentante du quartier en flammes de Pacific Palisades, lors d’une conférence de presse tenue mercredi. « Je suis extrêmement préoccupée par cette situation. Je travaille déjà avec mon équipe pour examiner la situation de plus près, et je pense que nous avons plus de questions que de réponses à ce stade. »

Les responsables du département de l’eau et de l’électricité de Los Angeles ont déclaré que le manque d’eau pourrait être dû à une demande accrue pour lutter contre les incendies à basse altitude, ce qui a empêché les réservoirs de stockage d’eau dans les quartiers à flanc de colline de se remplir.

Une faille juridique qui grève le budget

Alors que la Californie lutte à la fois contre la sécheresse et contre les coupes budgétaires, la loi « water’s edge » de 1986 pourrait être en partie responsable de cette situation. Cette loi, qui permet aux multinationales de ne pas payer d’impôts sur les bénéfices qu’elles déclarent être situés au-delà de la « limite des eaux » des frontières de l’État dans lequel elles opèrent, a coûté à la Californie des milliards de dollars de recettes potentielles chaque année.

La loi a été discutée pour la première fois en 1978 et a été immédiatement critiquée par les autorités de l’État, le contrôleur de l’État de l’époque l’ayant qualifiée d’« échappatoire de taille… pour les multinationales géantes — en particulier les grands exploitants pétroliers », constatent les chercheuses et chercheurs dans le nouveau rapport du Climate Center. À l’époque, les législateurs et les agents publics ont réussi à bloquer les pressions exercées par l’industrie pour mettre en œuvre cette échappatoire.

Puis, en 1983, le California Franchise Tax Board, un organisme d’État chargé de collecter l’impôt sur le revenu, a obtenu gain de cause auprès de la Cour suprême, qui a confirmé la capacité des États à taxer les multinationales comme une entité unique, ce qui signifie que les États peuvent percevoir des recettes fiscales sur les bénéfices réalisés à l’étranger par les entreprises. Cette décision de la plus haute juridiction a conduit les dirigeants d’Exxon à rejoindre en 1984 un groupe de travail dirigé par l’administration de Ronald Reagan pour trouver des moyens de contourner la nouvelle décision et d’exploiter toute faille juridique.

Les chercheurs du Climate Center ont découvert que les entreprises Shell et Exxon ont financé de nombreux groupes qui se sont efforcés de profiter de cette échappatoire en Californie. La législation dite « water’s edge » a finalement été adoptée en 1986 et constitue depuis lors un élément essentiel des échappatoires fiscales californiennes.

Cette politique fiscale « s’est apparemment ancrée dans le système fiscal californien à un moment où l’utilisation d’une comptabilité séparée pour les transactions avec les filiales étrangères est devenue le sujet d’une grande controverse au niveau fédéral », indique un rapport du California Franchise Tax Board, le Conseil californien des impôts sur les franchises.

Les législateurs californiens ont pris des mesures pour combler cette faille, mais les intérêts pétroliers et gaziers ont riposté. En 2024, les législateurs californiens ont adopté un projet de loi interdisant aux sociétés pétrolières et gazières de retirer les revenus de dividendes des filiales étrangères de leur déclaration fiscale, ce qui a généré des recettes fiscales estimées à 17 millions de dollars pour l’État.

Mais la California Taxpayers Association, l’association des contribuables californiens, un groupe qui milite pour l’abaissement des impôts et dont le conseil d’administration compte des représentants de Chevron, Koch Industries, Marathon Petroleum, BlackRock et d’autres entreprises, a intenté une action en justice en août pour contester la constitutionnalité du nouveau projet de loi. Cette procédure est toujours en cours.

L’année dernière, le Nouveau-Mexique a supprimé certaines de ses échappatoires fiscales, mais la nouvelle législation de l’État ne s’applique pas aux entreprises basées aux États-Unis, telles que Chevron et ExxonMobil, constatent les membres du Climate Center.

Les assemblées législatives du Vermont et du Minnesota ont envisagé de légiférer pour supprimer cette échappatoire ou pour autoriser une étude sur l’impact économique de la suppression des exceptions relatives au bord de l’eau. L’Alaska, où les taxes sur l’industrie pétrolière et gazière représentent jusqu’à 85 % des recettes de l’État, interdit aux compagnies pétrolières et gazières d’utiliser la faille dite « water’s edge election ».

Pour la Californie, mettre fin à ces échappatoires pourrait améliorer considérablement la situation budgétaire instable de l’État.

« Chaque dollar perdu à cause de ce cadeau fiscal est un dollar qui pourrait être investi dans des solutions climatiques permettant de sauver des vies et d’économiser de l’argent », a déclaré Barry Vesser, directeur général du Climate Center, dans un communiqué de presse accompagnant le rapport. « L’élimination de tous les allègements fiscaux et subventions liés aux combustibles fossiles serait non seulement conforme aux objectifs climatiques de la Californie, mais permettrait également de libérer des centaines de millions de dollars pour répondre à la double crise climatique et financière de l’État. »

La version originale de ce texte a paru le 9 janvier sous le titre “How Big Oil Made It Harder to Fight the Los Angeles Fires” dans Jacobin. Traduction par Contretemps.

Image bandeau : Wikimedia Commons.

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