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Le rejet sévère, par les dirigeants allemands et néerlandais, d’une aide économique à l’Italie a montré la béance de la solidarité européenne. Même la proposition des euro-obligations ne permettrait que de se débarrasser de la crise – tout en échouant à remettre en question les déséquilibres structurels qui frappent systématiquement la périphérie du sud de la zone euro.

« Il faut que tout change pour que rien ne change », dit Tancredi dans Il Gattopardo de Giuseppe Tomasi di Lampedusa. Son roman, ainsi que le film réaliste éponyme qui se déroule durant le Risorgimento italien du milieu du XXe siècle montre l’ordre aristocratique de la vieille Europe ployant sous les coups de l’insurrection libérale – mais aussi comment l’espoir d’un nouvel ordre n’a bénéficié qu’à certains. La transformation qui a cours aujourd’hui n’est sans doute pas moins radicale. Il semble que le temps du changement historique ait été comprimé – mais sa direction reste vague.

On connaît les transformations de l’époque, catalysées par l’épidémie – celles-ci incluent la déstabilisation financière, la propagation rapide de la pauvreté, la résurgence des questions écologiques, ainsi que l’étouffement de la prétendue mondialisation. Mais cela signifie aussi le déraillement à la fois inévitable et bienvenu d’un modèle productif construit autour de l’extractivisme et du consumérisme, des méga-usines et de l’industrie agroalimentaire, du transport de masse, de l’étalement urbain et de la dette. Aujourd’hui, les gratte-ciels à air conditionné apparaissent comme les symboles de l’arrogance et de l’imprévoyance bien plus que du pouvoir.

La pandémie et la quarantaine ont terni l’idée lénifiante du progrès elle-même, sur laquelle les libéraux comme la gauche ont bâti des imaginaires puissants. Cinq cents ans de capitalisme et deux siècles d’industrialisation ont prouvé leur insuffisance, d’un point de vue prophylactique, contre les virus létaux qui étaient supposés avoir été bannis. L’État et les acteurs économiques qui s’autolégitiment à travers des pratiques et des discours hygiénistes ont été surpris par un adversaire présumé vaincu et ils ont paniqué.

Ainsi, la capacité du capital à recourir à des « solutions spatiales », pour utiliser un terme de David Harvey (spatial fix), s’est réduite au moment précis où celle-ci était la plus nécessaire. Pire, tandis que la main invisible s’avérait, justement, invisible, toutes les classes ont tourné leurs espoirs vers la main visible et active de l’État. Peu d’objections de principe contre une nouvelle vague d’intervention forte de l’État dans l’économie se sont fait entendre – la première avait été déclenchée pendant la Première Guerre mondiale et la suivante après la Grande Dépression. Cette troisième vague est déjà là.

Les États administrent maintenant d’énormes doses de relance au secteur privé, dans le but éviter sa « mort subite ». Ils le font principalement par des moyens monétaires et fiscaux : afin d’assurer la liquidité, ils injectent de l’argent dans les marchés et ils réduisent également les taxes, temporairement du moins. C’est exactement ce qu’ont fait la Chine, les États-Unis et la Grande-Bretagne, inondant leurs marchés d’énormes quantités de liquidités qui couvrent déjà une bonne partie de leur PIB. Le rapport de forces entre l’État et « les marchés » (c’est-à-dire les oligarques et les riches) a radicalement changé en l’espace de quelques semaines, en faveur du premier, grâce à ce besoin de relance de la part de l’État ainsi que d’autres facteurs, tels que l’explosion du risque de crédit et la perte, pour les actions mondiales, d’un tiers de leur capitalisation boursière au cours du mois passé.

Pourtant, si les dynamiques internes du complexe financier-étatique ont été altérées, ses principaux objectifs, eux, ne l’ont pas été. Les États occidentaux restent concentrés sur l’exploitation croissante et maintenant, ils la conduisent d’une main encore plus forte. L’intervention de l’État n’est pas nécessairement bonne pour les dépossédés. Je vais donner ici un aperçu des mécanismes et des ramifications des politiques de relance actuelles, des problèmes des États qui manquent de souveraineté monétaire tels qu’ils s’incarnent dans la zone euro, ainsi que du caractère et des perspectives des « solutions temporelles » proposées maintenant pour ces mêmes États. Je conclurai en ajoutant une liste provisoire de choses que la gauche a besoin de faire dans la conjoncture présente.

 

Les politiques de relance

Le déblocage des liquidités vient sans aucun doute stopper la spirale descendante. Mais ce qui est fondamental, c’est de déterminer si cette relance est dirigée vers les oligarques, vers ceux qui sont simplement riches, ou vers les travailleurs. En réalité, la répartition du plan de relance par les États occidentaux s’est principalement souciée des intérêts oligarchiques, ce qui avait également été le cas suite à l’effondrement de Lehman Brothers. Un remake de 2008 surendettera les États vis-à-vis des mêmes banques, fonds et sociétés qu’ils renflouent eux-mêmes actuellement. En ce moment même, les solides réseaux oligarchiques travaillent à assurer un tel dénouement.

Comment cette relance est-elle financée ? Par les banques centrales émettant de l’argent frais, qui est maintenant acheminé principalement vers les oligarques et les riches ; mais aussi à travers les caisses des États, qui créent une nouvelle dette publique absorbant l’excès de liquidités de la même strate. Autrement dit, d’énormes volumes d’argent, représentant d’énormes quantités de valeur extraite du travail grâce aux politiques néolibérales, sortent maintenant des poches des capitalistes (qui s’étaient jusqu’alors assuré peu de débouchés d’investissements) pour acheter de nouvelles obligations d’État.

Ce cercle – l’État alimentant le capital et le capital alimentant l’État – peut-il être vertueux pour les exclus ? Les politiques actuelles utilisent la pandémie pour effectuer un énorme transfert de pouvoir et de ressources du plus grand nombre à quelques-uns, des faibles aux forts, des pauvres aux riches. Avec une gauche en déroute et des valeurs égalitaires qui ont tout sauf disparu de l’imaginaire social de l’occident, l’intervention d’État semble déterminée à aggraver les inégalités au moment précis où elle pourrait les atténuer.

Exclure avec succès les pauvres ne rend pas stable le système. Dans tout ordre mondial, la fragilisation synchronique des structures de pouvoir qui constituent son pilier central mène naturellement à de rapides évolutions géopolitiques. Dès que quatre transporteurs américains ont été paralysés par le virus, la Corée du Nord, l’Iran et la Syrie ont déclaré avoir marqué des points dans leur antagonisme avec la superpuissance alors dépassée. Pourtant, son rival stratégique rencontre des problèmes tout aussi sérieux. L’expansion de l’influence de la Chine sur l’espace eurasien, de même que son exportation de quantités considérables d’excédents de capital, étaient fondées sur une mondialisation continue et s’intensifiant. Ce processus fait maintenant face à des obstacles majeurs.

 

La souveraineté économique

Le troisième pilier de l’ordre actuel – l’Union européenne – affronte des problèmes particuliers, dont l’expression la plus manifeste émane de sa force directrice, la zone euro. Ses membres manquent d’un attribut essentiel propre aux États – qui est la souveraineté. Ils ne peuvent pas contrôler leur politique économique, puisqu’ils n’émettent pas leur propre monnaie, les euros étant émis par la Banque Centrale européenne (BCE). Telles que les choses se présentent actuellement, la BCE décide de la quantité de nouvelle monnaie injectée dans les pays de la zone euro et sous quelles conditions ces derniers empruntent. Mais son conseil n’a pas de mandat démocratique ni de responsabilité publique – et a donc constamment défendu les intérêts bancaires de l’oligarchie. La constitution de la BCE, qui interdit de prêter directement aux États membres, rend les politiques des États dépendantes du bon vouloir des prêteurs privés, c’est-à-dire du capital financier.

Pire encore, certains États de la zone euro ont de facto cédé le contrôle de leur politique fiscale à l’UE et au FMI. Ainsi, le budget grec doit marquer un excédent primaire (c’est-à-dire un excédent des revenus sur les dépenses, avant prise en considération de la dette) de 3,5 % du PIB chaque année. D’autres pays de la périphérie de la zone euro ont été témoins de ce cas d’école de meurtre économique par étranglement des liquidités. Plutôt que d’attendre la clémence, comme nombre de Grecs l’ont naïvement fait au cours de la crise précédente, les Italiens et les Espagnols ont lutté pour éviter la victimisation. En ce sens, les politiques de l’UE qui ont mené à la spoliation de la Grèce par les entreprises au cours de la dernière décennie ont sans doute signalé une victoire à la Pyrrhus. En alarmant d’autres victimes potentielles, elles ont peut-être œuvré à leur propre défaite au cours des batailles cruciales à venir, voire même à l’effondrement de l’UE.

L’infrastructure de la santé publique a été détruite par trente années d’attaques néolibérales sur ce secteur en particulier – et la contraction aiguë engendrée par l’épidémie impose une pression fiscale encore plus forte sur les économies de la zone euro. Les États doivent emprunter afin de combattre l’épidémie et relancer l’économie, mais la charte de la BCE interdit de leur prêter, alors qu’à l’inverse, la Réserve fédérale des États-Unis monétise la dette américaine et la Banque d’Angleterre prolonge son soutien illimité à Londres.

Actuellement, les États de la zone euro empruntent au Mécanisme européen de stabilité (MES) et à des institutions similaires, ou « aux marchés ». Le très redouté MES qui a brutalisé la Grèce ne dispose pas, quoi qu’il advienne, de fonds suffisants au regard de la tâche à accomplir et ne prête qu’à de strictes conditions. Ses exigences impliquent que le bien public soit expédié vers les oligarques, que les employés du public soient décimés, que la santé publique succombe sous mille coupes budgétaires, que l’éducation publique soit étouffée, que la sécurité sociale soit précarisée et que la misère générale attende ceux qui n’ont pas de capital, en particulier les jeunes. Les institutions, de même que les « marchés », exigent des transferts drastiques de valeur, de ceux qui ne possèdent rien vers Leurs Majestés, ainsi que des transferts de pouvoir, afin que le remboursement soit garanti.

En bref, le MES qui a été créé par les États de la zone euro eux-mêmes et « les marchés » qui empruntent des euros tout neufs à un taux d’intérêt minime auprès de la BCE et avec le soutien des mêmes États de la zone euro, prêtent à des États vassaux autant qu’ils veulent, quand ils veulent et aux termes qu’ils veulent. On peut difficilement imaginer une meilleure définition de l’usure moderne à une échelle continentale ou, peut-être, une méthode plus efficace de suicide assisté. Les gouvernements de la zone euro écrasent leurs classes pauvre et moyenne, en invoquant les exigences « des marchés » – qui ne sont alimentés par nul autre qu’eux-mêmes – et du MES, créés et maintenus par eux-mêmes. Quand le peuple se révolte, comme les Grecs l’ont fait en 2015, les référendums sont annulés et des conditions encore plus punitives sont imposées. Tout cela au nom de la « démocratie » et de l’« Europe ». Inutile de se demander pour quelles raisons, dans ces conditions, l’extrême-droite fasciste, le nationalisme, le nativisme et le racisme sont constamment en hausse.

 

Corona-obligations et Corona-mémorandums

Pris entre Charybde et Sylla, les pays périphériques de la zone euro et même une partie de ce qu’on appelle la gauche ont placé leurs espoirs dans ce qu’on appelle les euro-obligations, une idée qui a d’abord suscité de l’intérêt il y a dix ans, pendant la crise grecque. Même Emmanuel Macron apporte par intermittence son soutien à des versions douces de cette mesure. Cette idée cherche efficacement à contourner les problèmes créés par le fonctionnement de la zone euro, tout en gardant intacte sa structure de base. En d’autres termes, changer les choses pour que rien ne change.

En principe, les euro-obligations devraient créer encore plus de dette, qui serait rachetée par « les marchés ». Mais les pays de la zone euro mutualiseraient une partie de leur nouvelle dette et cela se négocierait à des taux d’intérêt plus faibles que ceux payés par la périphérie, bien que plus forts que ceux payés par l’Allemagne. Ainsi (en théorie), l’Italie et l’Espagne éviteraient à la fois les conditions sévères imposées par le MES et les taux accablants exigés par « les marchés », tandis que l’Allemagne paierait un prix équitable, mais pas trop élevé, pour bâtir la solidarité.

Aucun consensus n’existe sur les mérites ou les inconvénients des euro-obligations. Les débats se concentrent sur les problèmes d’efficacité (« est-ce qu’elles vont réellement faire baisser les taux pour la périphérie ? »), de légalité (« est-ce que les traités de l’UE permettent cela ? »), ou de moralité (« à quel point le risque moral entraîné est-il gros ? »). La difficulté à faire souscrire l’Allemagne aux dettes de ses soi-disant partenaires a également été soulevée. Tout ceci se voit renforcé par les médias qui reprennent les stéréotypes racistes, avec des protestataires indignés qui refusent de « renflouer sans compter » l’Italie, tout comme des personnalités importantes de la zone euro ont fustigé les dépenses excessives des Grecs pour « le vin et les femmes ».

De tels liens communs pourraient altérer sensiblement les paramètres d’emprunt public, mais pas ses faits élémentaires. En l’absence de garanties quant à une future austérité assurant le remboursement de dettes toujours plus importantes, les capitalistes ne financeront pas les États. Ce Nord vertueux ne succombera pas au sud lascif – pour le formuler autrement, les obligations ne seront pas émises dans des termes défavorables à la finance allemande. Berlin a jusque-là triomphé dans les batailles, mais chaque bataille gagnée ne fait que nous rapprocher de l’implosion de l’UE.

Pour le dire de la façon la plus crue possible, la zone euro comprend à la fois des pays subissant une expropriation financière – qui est une forme particulière d’accumulation par expropriation, utilisant les mécanismes de la dette – et des pays qui en profitent, comme l’Allemagne. Amener les deux groupes à emprunter selon les mêmes conditions, si c’était faisable politiquement, pourrait être vu comme venant soit perturber, soit stabiliser ce mécanisme, et peut-être même les deux à la fois. En régulant le flux de valeur vers le haut et vers le nord, cela pourrait réduire l’exploitation financière et purger ses pires excès. Cela pourrait maintenir les choses telles qu’elles sont, en les changeant, et c’est là le but avoué des partisans des euro-obligations. Mais une stabilisation de cette exploitation peut-elle réellement constituer un objectif pour la gauche ?

 

Les corona-subventions sont-elles possibles ?

Une proposition de réforme somme toute plus substantielle est venue du gouvernement espagnol, suivant des axes similaires à ceux décrits dans un récent dossier du réseau de recherche EReNSEP. Un fonds de redressement de 1,5 trillion, financé par la dette perpétuelle de l’UE potentiellement émise par la BCE, ses intérêts payés par de nouvelles taxes UE ainsi que le seigneuriage accumulé par la BCE grâce aux euros émis, avancerait des subventions plutôt que des prêts aux États membres. Améliorant significativement le budget de l’UE et également destiné à réduire les disparités, ce fonds financerait un effort intégré de reconstruction économique. Incluant aussi une harmonisation fiscale des pays de l’UE, ce plan marque une rupture bienvenue avec les principes-clés de la pratique néolibérale. S’appuyant sur l’élan apporté par la nouvelle monnaie crée dans le monde entier, celui-ci espère fournir à l’UE une relance de la même portée que celles déployées aux États-Unis, en Chine et en Grande-Bretagne, ainsi que conjuguer reprise avec intégration.

Le soutien que pourrait rassembler ce plan n’est pas très clair. Vraisemblablement, si ses perspectives avaient été bonnes, celui-ci aurait été présenté en fanfare plutôt que de fuiter. Pourtant, il pourrait obtenir une certaine audience, compte tenu de la possibilité réelle d’une fragmentation de la monnaie unique et de l’UE elle-même, à moins que la périphérie ne soit soutenue.

Le capital allemand renoncerait-il à son hégémonie afin d’empêcher l’implosion de l’UE ? Les États et cercles financiers interdépendants, qui dirigent l’Europe, mettraient-ils le néolibéralisme en suspens afin de sauver les structures économiques fragiles qui les maintiennent ? Se risqueront-ils à se réinventer eux-mêmes pour maintenir leur position au milieu d’un océan d’espoirs amoindris et, ainsi, opter pour un nouveau pacte moins excluant ?

Les contingences et les choix politiques sont imprévisibles en temps de crises – les derniers mois ont été marqués par de nombreux retournements inattendus et tournants imprévus. Quand les mondes s’effritent, les oligarques aventuristes cherchent à conquérir tout ce qu’ils peuvent de la terre dévastée. Dans la tourmente actuelle, certaines composantes du capital européen voient une aubaine et ils pourraient bien tenter leur chance. L’histoire a connu plus d’un exemple d’États modernes ferrés par de tels intérêts et les promouvant même au détriment d’objectifs capitalistes communs. Des États craignant pour leur stabilité peuvent aussi déchaîner des contre-révolutions préventives, pour reprendre un terme central dans les analyses lucides du vingtième siècle fournies par Arno J. Mayer. Il n’est pas inconcevable que l’Union européenne, stimulée par de tels intérêts et considérations, opte pour une fuite en avant[1] libérale, broyant sa périphérie de même que les couches populaires de ses pays centraux et même une bonne partie de son propre capital.

 

Un projet de gauche

La gauche européenne, maintenant libérée des formations politiques ayant migré dans le camp libéral, comme Syriza, doit résister aux libéraux et aux conservateurs qui cherchent à forcer la société à entrer dans un moule réactionnaire. Nous devons conserver notre propre boussole, insister sur les valeurs fondamentales que sont la liberté, l’égalité et la solidarité, et continuer à nous battre pour le plus grand nombre, pour les faibles et pour les pauvres. Nous devons aussi évoluer. En nous adressant aux masses, en soutenant la résistance populaire et en organisant les travailleurs et travailleuses, nous devons rester pertinents dans le nouveau monde qui est aujourd’hui en train de naître, un monde pire encore que celui que nous connaissions, et plus instable aussi. Mais cela ne saurait suffire.

La sociale démocratie classique s’est établie en Europe, à la fin du XIXe siècle, en construisant – autour d’une vision globale de la réinvention socialiste de la société – des projets plus petits et plus ciblés, qui couvraient la plupart des aspects de la vie sociale et personnelle, intégrant, de façon centrale, la question de l’économie. Cela comprenait des organisations politiques luttant pour une démocratie radicale, des syndicats revendiquant des salaires corrects et des droits pour les travailleurs, des coopératives et initiatives communautaires de tous types, des efforts concrets de solidarité au niveau local et international, ainsi qu’une critique culturelle acérée, incluant des déconstructions du patriarcat et de la race.

Cette gauche aspirait à parler le langage du peuple et à articuler de nouveau les projets nationaux autour de ses propres valeurs et sensibilités. Elle a aussi érigé des barrières solides, tout à la fois contre les libéraux et les conservateurs, qui l’ont aidée à s’unifier et à étendre son propre espace politique.

Aujourd’hui, nous devons de nouveau insister sur la libération populaire et nous concentrer sur la création de réseaux de solidarité et de mouvements de résistance au rouleau compresseur autoritaire qui nous fonce dessus en accélérant. Les forces pour commencer à nous atteler à cette tâche existent dans notre gauche désagrégée. Nous avons besoin d’élaborer et de proposer, dans un langage accessible au peuple, un projet collectiviste et égalitaire réaliste pour une nouvelle société, puisqu’il sera bientôt clair que l’ancienne ne reviendra pas. Pour cela, nous devons analyser de manière critique les nouveaux domaines, moyens et objectifs de l’action publique, aider à consolider une gauche et une classe ouvrière qui restent fragmentées, ainsi qu’unir autour d’elles les couches récemment exclues de l’ordre capitaliste. Et, dernier point, mais non des moindres, nous devrions éviter de confondre les projets des composantes nouvellement « réformistes » de la classe dirigeante avec les nôtres. C’est là un défi de taille. Mais l’époque n’en exige pas moins.

*

Article initialement publié dans Jacobin le 5 mai 2020, sous le titre « Eurobonds Won’t Prevent Another Wave of Austerity ». Cet article fait partie d’un projet de recherche en cours, « L’économie politique du Covid-19 », conduit par l’European Research Network on Social and Economic Policy (EReNSEP). 

Traduit de l’anglais par Sophie Coudray.

 

Note

[1]   En français dans le texte.

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