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Malgré les propositions formulées pendant des mois par la France insoumise (LFI) en faveur d’une liste de la NUPES aux prochaines élections européennes avec à sa tête un·e membre d’EELV (Europe Écologie Les Verts), l’organisation dirigée par Marine Tondelier a décidé de se présenter seule. EELV prétend en réalité défaire ce que la séquence présidentielle-législatives de 2022 a fait, à savoir une victoire de la gauche de rupture incarnée par la campagne de Jean-Luc Mélenchon et l’unité de la gauche autour d’un programme – celui de la NUPES – qui empruntait largement à celui de LFI.

Mais sur quel profil politique EELV a-t-il lancé sa campagne ? Comme le montre sans ambiguïté ce texte de Camille Hachez, ex-secrétaire nationale des Jeunes écologistes, les choix « New Age » adoptés par EELV lors du meeting de lancement de cette campagne signale une volonté de s’adresser à une frange déçue de la base du macronisme, à mille lieues de l’orientation combative et unitaire qui seule permettrait de renouer des liens forts entre la gauche et les classes populaires, et de faire émerger un espoir d’alternative.

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Le parti Les Écologistes – EELV voulait tourner la page de la NUPES en lançant sa campagne pour les élections européennes au plus vite. C’est chose faite, avec un premier événement début décembre intitulé « Pulsations – meeting pour le vivant ». Difficile d’intéresser aux enjeux européens dans la période, alors les médias ont été invités avec une promesse : il y aurait « de nombreuses surprises ».

La surprise qui a marqué le plus grand nombre, c’était une séance de booty therapy, dont la définition proposée par le site Booty Therapy est la suivante : « une pratique qui mêle sport, danse et développement personnel ». Créée par Maïmouna Coulibaly, la booty therapy permettrait aux participant·es de « relâcher leurs émotions et guérir une partie de leurs traumas et épreuves, à travers des exercices collectifs ». La pratique ciblerait notamment les femmes victimes de violences et les encouragerait à assumer leur physique et leur histoire, à travers des danses qui mobilisent le bassin.

Invisibilisant totalement le reste de l’événement, ce cours de danse de 20 minutes au milieu du meeting n’a pas laissé indifférent. Dans le meilleur des cas, il a été jugé gênant, hilarant, pas à la hauteur des enjeux ou encore déconnecté des attentes des citoyen·nes. Dans le pire des cas, il a été attaqué par l’extrême droite. Les performeuses ont en effet subi un cyberharcèlement intolérable à l’issue de leur prestation, en raison de leur physique et de leur couleur de peau.

Pour justifier cette animation et tenter de réparer les dégâts, les cadres du parti se sont mis en ordre de bataille. Première défense : nous n’aurions « rien compris ». Chacun·e jugera de la pertinence de qualifier d’ignorant·es la majorité des potentiel·les électeur·rices à l’occasion d’un lancement de campagne. Deuxième défense : si nous émettons des réserves quant à la booty therapy, c’est que nous serions sexistes et racistes. Défense totalement légitime lorsque les attaques visaient les intervenantes ou leurs danses, mais qui ne peut pas être un argument d’autorité suffisant pour éviter tout débat contradictoire.

Mais c’est un autre argument des cadres écologistes, passé un peu inaperçu médiatiquement, qui nous intéresse ici. Il s’agissait d’expliquer que la pratique de la booty therapy était politique, car elle permettait de mettre en avant les méthodes de développement personnel et leurs bienfaits supposés pour les victimes de violence. C’est sans doute là l’argument le plus problématique.

Booty Therapy propose des stages mettant en avant le concept de « féminin sacré » et les intervenantes ont évoqué le « pouvoir thérapeutique » de cette pratique, qui permettrait de « rallumer la puissance de vie ». Ces éléments de langage sont classiques de la mouvance spirituelle et ésotérique New Age, qui défend l’idée d’un lien intime entre corps, âme, esprit et cosmos. Il s’agissait, là, de leur donner place dans un meeting politique. Nous sommes donc ici bien loin d’un simple cours de twerk.

Essor et dérives du développement personnel

Le marché, très lucratif, du développement personnel se développe fortement, surfant sur une perte de sens, une quête de bonheur ou encore une peur de l’avenir. Mêlant santé, sport, psychologie, il promet à chacun·e de devenir « une meilleure version de soi-même » en « mobilisant ses ressources intérieures ». Si cela peut être positif pour certaines personnes (par exemple, il est reconnu que la pratique de la danse, ou plus largement d’un sport, peut avoir des effets positifs sur la santé mentale), d’autres se retrouvent sous l’emprise d’organismes malintentionnés.

En 2021, un rapport de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) faisait mention du nombre grandissant de saisines concernant les dérives sectaires liées au « développement personnel » et plus spécifiquement à l’imaginaire du « féminin sacré ». Le rapport observe que cette théorie, qui prône le bien-être féminin à travers un travail« de reconnexion du corps et de l’esprit », est en pleine expansion, « sous couvert de l’émancipation des femmes, alors même que l’objectif premier semble être purement financier ». Il y a en effet une manne potentielle, car les femmes sont plus nombreuses que les hommes à s’intéresser à ces théories. Selon une étude IPSOS pour le Centre National du Livre, entre avril 2022 et avril 2023, 41 % des femmes françaises ont lu au moins un livre de développement personnel contre 22 % des hommes français.

La Miviludes décrit qu’après une phase de séduction, certains organismes utilisent des techniques de manipulation pour isoler leurs adeptes ou encore leur soutirer des sommes conséquentes. Cette phase de séduction passe par des livres, les réseaux sociaux, des podcasts, des ateliers qui font office d’appâts, pour proposer ensuite des prestations plus coûteuses et enfermantes : des stages en tout genre ou des pseudo-thérapies. Ces prestations seraient nécessaires pour se libérer de « blocages », de « traumatismes ». Elles sont délivrées avec bienveillance et positivité surjouées, en appuyant sur le fait que ceux qui n’adhèrent pas à ces théories seraient incapables d’accéder à l’épanouissement, car ils n’en percevraient pas la « vérité profonde ». Cela fait écho à la défense des responsables écologistes : nous n’avons « rien compris » et essayer nous « ferait du bien ».

L’imaginaire New Age en meeting : une stratégie électorale cynique

Car si c’est le cours de booty therapy qui a focalisé l’attention, ce n’est en réalité pas le seul élément du meeting qui reprend les codes de cette « industrie du bonheur », teintée d’écologie New Age. On peut également citer la lecture de ce poème, dont la fonction politique laisse perplexe : « Je suis l’eau, je suis atome d’oxygène, atome d’hydrogène. Je suis la source, je suis l’arbre de vie. Je suis bactérie, je suis plante, je suis champignon, je suis animal. Je suis liquide amniotique. Je suis l’eau et l’eau est moi ». L’affiche de campagne mettant en scène Marie Toussaint les yeux fermés renvoie, elle, à la méditation. L’utilisation de l’arc-en-ciel comme logo de campagne peut être lu également comme un clin d’œil à la Rainbow Family, groupe New Age hégémonique.

Ces différents signaux cumulés ne sont pas fortuits. Le programme d’un meeting politique répond à des objectifs politiques. Chaque invité·e, chaque intervention, chaque musique ou vidéo utilisée ne sont pas choisis par hasard. Alors, pourquoi ce choix ?

Première hypothèse : l’équipe de campagne a choisi de consacrer près de 30 minutes de meeting à l’univers de la quête du bonheur individuel avec pour objectif la recherche du buzz, l’envie de casser des codes, de « révolutionner l’exercice »… Mais alors, pourquoi ne chercher ce buzz que dans ce type de références plutôt que d’autres, qui auraient pu tout autant « faire parler » ?

Il s’agit bien plus probablement, en réalité, d’un ciblage marketing. Une branche du développement personnel New Age, de l’ésotérisme, des médecines alternatives ou encore des organismes liés à l’anthroposophie s’appuient sur l’idée qu’il faudrait nous « reconnecter à la nature ». Ainsi, les personnes sensibles à ces pratiques seraient des publics plus enclins à voter pour les écologistes, ou même adhérer au parti.

Il n’est pas nouveau qu’une partie des militant.es d’EELV, voire même des élu·es, sont proches de ces courants. Certain·es ont pris des positions anti-vaccin ou encore en faveur de la médecine anthroposophique, allant jusqu’à défendre la guérison des cancers par le gui. Autre exemple, six grandes villes écologistes ont emprunté de l’argent à une banque éthique, la NEF, créée par des anthroposophes, encore aujourd’hui accusée d’être proche de ces milieux et citée dans les rapports de la Miviludes.

On le disait, le marché du développement personnel est en plein essor : il représentait 1 500 milliards de dollars dans le monde en 2021 et augmente de 5 à 10 % chaque année. Cibler les personnes qui y sont sensibles est une stratégie électorale évoquée auprès de cadres locaux EELV et notée au compte-rendu de la Conférence des Régions du parti. Des inquiétudes quant à cette orientation ont été à plusieurs reprises remontées au Conseil Fédéral, le parlement interne d’EELV. Visiblement insuffisant, néanmoins, pour dévier la trajectoire de la campagne.

La mise en scène de telles performances contribue à légitimer ces pratiques, sans mettre en garde contre les dérives qui peuvent exister. Il ne s’agit pas de dire que la booty therapy pourrait représenter une menace sectaire pour les participant·es. Mais bien plutôt de questionner le choix stratégique de cibler un public en raison de sa fragilité ou de ses traumatismes.

Une dépolitisation et un projet libéral difficiles à cacher

Il s’agit d’abord d’affirmer qu’un parti politique devrait se garder de mettre en avant les pseudo-sciences ou les pratiques ésotériques. Il s’agit ensuite et surtout d’affirmer que le « développement personnel » n’a pas sa place en politique.

La politique vise à organiser la vie du pays et à améliorer le quotidien des gens via l’action collective. À l’inverse, le développement personnel se fonde sur l’idée que la solution est « à l’intérieure de chacun·e » et que « nous sommes les seul·es responsables de notre bonheur ». Il nous apprend à « manager nos vies », comme une entreprise capitaliste qu’on devrait amener à être rentable. Vous êtes pauvre ? C’est parce que vous n’avez pas encore développé votre plein potentiel, faites davantage d’efforts ! Vous êtes déprimé·e ? C’est parce que vous n’avez pas investi dans la nouvelle application mobile thérapeutique, qui vous apprend la méditation pour 10 € par mois !

Il s’agit en réalité d’une approche individualiste et néolibérale, qui pousse à faire un travail constant sur « soi-même », pour mieux invisibiliser le caractère structurel des inégalités ou de nos « difficultés quotidiennes ». C’est l’exact inverse de ce que devrait porter un parti écologiste ancré à gauche. Car si la solution est intérieure, si aucun facteur extérieur ne peut permettre d’améliorer nos vies, pourquoi devrions-nous militer pour changer la société ? Lorsqu’on porte un projet écologiste, notre rôle doit être au contraire de dénoncer les logiques libérales et capitalistes. Au lieu de miser sur des solutions individualistes, nous devrions démontrer le caractère systémique des atteintes aux humains et à la nature, et rendre possible l’action collective, seul moyen d’instaurer le rapport de force nécessaire à la transformation de nos sociétés.

La booty therapy rejoint également cette idée de travail sur soi, où l’autonomisation passerait par la conscience de « la puissance féminine de vie » et la guérison des traumatismes par l’éveil du corps. La défense de ce féminisme individualiste par EELV est le reflet d’une forme de dépolitisation des combats féministes au sein du parti. Cela est d’autant plus visible lorsque sur 3h30 de meeting, aucune proposition politique n’a en revanche été émise sur ces questions. Marie Toussaint a défendu la booty therapy en reprenant l’affirmation : « le corps des femmes est politique ». C’est vrai. Mais cela n’exonère pas de proposer un contenu programmatique ambitieux pour les droits des femmes, sans quoi cela donne l’impression d’un purplewashing.

Certes, l’absence de projet politique dans ce meeting ne se limitait pas à la lutte contre les discriminations. De toute la soirée, une seule et unique proposition a été présentée : le droit de veto social. Le reste du meeting était consacré au constat des problèmes auxquels nous faisons face, à l’énumération des valeurs du parti, et à la présentation du parcours des candidat·es. Seul Gaspard Koenig se risquera à présenter une solution, en conclusion de son intervention : « Pourquoi ne serait-il pas légitime d’utiliser des mécanismes de marché qui sont efficients quand ils sont utilisés à des fins vertueuses ? ».

L’invitation de ce libéral-libertaire au meeting est un indice de plus quant à l’orientation politique retenue par Les Écologistes – EELV. Sa présence, couplée à la mise en avant de pratiques libérales individualisantes dessine une ligne claire : celle d’une campagne qui tente de séduire l’électorat déçu du macronisme. Un air de déjà-vu, une énième version de « l’écologie au centre », qui aura eu le mérite de provoquer les seules « Pulsations » du meeting : les pulsations de rejet, ou de déception, de celles et ceux qui espéraient y trouver une écologie radicale et anticapitaliste.

Tourner la page de la NUPES pour conquérir les « déçus du macronisme »

Enfin, c’est le timing qui interroge. Les Écologistes – EELV est le premier parti à organiser un meeting de campagne, avant même d’avoir établi l’ordre de ses premier·es de liste, et visiblement avant d’avoir produit un contenu programmatique. Pourquoi donc vouloir organiser un meeting, six mois avant l’élection, sans avoir plus d’une proposition à présenter ? Rien ne semblait presser : à ce stade, les autres partis se posent à peine la question de la composition de leur liste et le contexte politique au Proche-Orient comme en France ne laisse aucun espace médiatique à l’échéance électorale de juin prochain. Une seule explication : l’objectif était de tourner, au plus vite, la page de la NUPES.

Sortir de l’alliance à l’occasion des européennes était déjà, en réalité, au cœur du dernier congrès du parti, près de 2 ans avant l’élection. Ainsi, on comprend que, dès les premiers mois de la NUPES, la direction d’EELV n’avait qu’une hâte : y mettre un terme. Le parti perçoit en effet les européennes comme une sorte de sondage en conditions réelles, une occasion de revanche pour établir un nouvel équilibre des forces à gauche.

Triste stratégie en réalité, qui consiste à espérer que la très faible participation des classes populaires aux élections européennes sera favorable à EELV. EELV pense ainsi pouvoir gagner sa place de leader parmi « ceux qui vont voter », plutôt que d’essayer de convaincre tous·tes les autres. Cela explique d’autant plus l’orientation de campagne, qui vise à attirer les déçus du macronisme.

Lors d’une interview donnée à Sud Radio le 11 décembre, Marie Toussaint ne se cache pas de vouloir rebattre les cartes : « J’aspire à ce qu’au lendemain des européennes on reconstruise une alliance entre la gauche et les écologistes, sur un rapport de force différent, qui serait celui du rapport de force des européennes ». Ironique, quand on sait que la direction d’EELV accuse LFI et Génération·s de vouloir instrumentaliser les élections européennes à des fins nationales parce qu’ils souhaitent une liste d’union.

Lorsque le parti décide d’organiser ce premier meeting de campagne, il est donc évident qu’il s’agit pour lui de clore le débat sur l’opportunité d’une liste unie de la NUPES, débat que le parti aurait souhaité clore depuis des mois et dont il peine à s’extirper. Et pour cause : tout laisse à penser qu’en l’absence d’une liste unie de la NUPES, le Rassemblement National sera en tête, suivi par Renaissance. La liste commune aux européennes était, d’après tous les sondages, souhaitée par la majorité des sympathisant·es écologistes, qui y voyait l’espoir pour la gauche de s’imposer comme principale force d’opposition et ainsi comme une force crédible dans la lutte pour le pouvoir en 2027. Conscients des enjeux, les Jeunes de la NUPES ont d’ailleurs travaillé un programme de 166 propositions pour les européennes, coupant court aux arguments de certain·es de leurs aîné·es, qui jugeaient impossible un accord programmatique.

Aux militant·es écologistes, la direction d’EELV vantait la possibilité dans cette élection à la proportionnelle de « valoriser l’identité écologiste ». Après cette promesse, le meeting “Pulsations” a un goût amer. C’était donc cela, les « spécificités » que nous voulions à tout prix affirmer ?!

Au moment où le pays fait face au risque réel de l’extrême droite et à l’extrême-droitisation de la macronie, on attend de la gauche et de l’écologie qu’elle constitue un rempart collectif face à l’obscurantisme et au fascisme, qu’elle propose un horizon humaniste et républicain, plutôt que de se faire le marchepied pour des démarches ésotériques individualistes.

Les décisions stratégiques que nous prenons ont des conséquences pour l’avenir du pays et de l’Union européenne.

Camarades écologistes, il n’est pas trop tard ! Marine Tondelier disait elle-même qu’il fallait reconnaître ses erreurs. Ouvrons réellement le débat sur les européennes ! Notre mouvement, Les Écologistes, peut encore être à la hauteur !

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Camille Hachez est l’ancienne co-secrétaire nationale des Jeunes écolos.

Illustration : compte X-Twitter de Marie Toussaint.

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