Fabien Roussel contre la gauche
Billet d’humeur et débat stratégique face au communiste préféré de la droite.
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Le type se croit très malin. Une des grandes nouvelles célébrités de 2022 : le mec de gauche qui dit des trucs de droite ! Ah bon, c’est vraiment si nouveau que ça ? Il y a vraiment des nostalgiques de Hollande ou des années 80 à gauche ? Il doit y avoir une meilleure explication…
La gauche du Figaro
La dernière « petite phrase » en date : Roussel ne veut plus de la « gauche des allocs ».
Pourquoi manipuler et alimenter comme ça le ressentiment contre « l’assistanat » ? Pour que l’opinion publique et les médias s’intéressent plus que d’habitude au PCF et à son secrétaire national ?
Il faut dire que ça fait un moment que le PC n’incarne plus vraiment la gauche. Il n’a plus beaucoup de poids sur la scène politique nationale, comme on l’a encore vu cette année. Si ce n’est peut-être sous forme négative : un veto, un cavalier seul électoral, qui a pu coûter le second tour à la gauche. Quand l’heure est à la reconstruction d’une gauche à la fois radicale et de masse. Cette perte d’influence peut être frustrante pour le PCF. Ça peut alimenter le soutien d’une partie des militant·es à ce leader. Seulement voilà : Roussel s’exprime souvent à contre-courant d’un engagement politique à gauche.
La petite phrase fait mouche dans les médias (voire peut-être l’opinion, ça reste à prouver). Mais si ça marche, ne serait-ce qu’un peu, c’est que ça arrange les classes dirigeantes de voir leurs idées circuler jusque dans la gauche, et de diviser les classes populaires. L’hostilité aux « allocs », alors que les riches sont les vrais « assistés », responsables du chômage de masse et de l’inflation galopante ? Quand les droits et conditions de vie des femmes et des personnes non-blanches sont dégradées ? Les jeunes dans la galère et les vieux dans la misère, la santé et les retraites menacées… ?
Oui, l’hostilité aux allocs c’est les classes populaires montées les unes contre les autres. C’est le triomphe de la domination de la bourgeoisie sur le prolétariat. Et c’est la nouvelle polémique lancée à gauche par Roussel. Ça c’est un « patron des communistes » comme on les aime au MEDEF et au Figaro !
Quand on fait saliver une incarnation aussi dégueulasse de l’idéologie dominante que Raphaël Enthoven, il faut se poser des questions. T’es de gauche et tu fais un livre avec Enthoven ?
On va nous dire : il a dit beaucoup d’autres choses à la Fête de l’Huma et on se focalise sur ça. Belle hypocrisie : le type sait bien qu’en sortant un truc pareil c’est ce que tous les médias de droite, c’est à dire l’essentiel des grands médias, vont amplifier. Ça emmerde la gauche, comme on le comprend si on est de gauche. Et ça fait mousser Roussel, ce qui est une bonne nouvelle si on est… Roussel. Mais si on est de gauche ?
On fait comment ?
Comment ramener à une vraie politique de justice sociale les gens qui auraient tout intérêt à la construire et la soutenir ? Comment rassembler la majorité de la société dans la lutte contre toutes les formes d’exploitation et d’oppression ? Avec une politique qui construise l’unité des exploité·es et des opprimé·es. Et certainement pas en recyclant tout ce que disent et font les classes dirigeantes, qui nous divisent pour mieux régner. Se servir de ces divisions c’est affaiblir la lutte pour l’égalité sociale.
Construire cette unité, ce n’est pas passer sous silence les questions qui divisent celles et ceux qu’il s’agit de rassembler. Mais nos divisions, il faut les surmonter en avançant des propositions politiques… qui ne soient pas de droite.
Pendant le mouvement des Gilets Jaunes, donc en pleine lutte sociale, on a pu voir des avancées dans ce genre de débat délicat. Parmi les Gilets Jaunes il y avait beaucoup de gens qui n’aimaient pas trop la dénonciation des violences policières contre les personnes de couleur, ou contre les manifs (ou qui s’en fichaient, ce qui n’est pas tellement mieux). Mais dans l’expérience de la lutte, et face à cette violence qui se tournait maintenant contre les Gilets Jaunes, quelque chose a changé. La pression médiatique voulait diviser le mouvement, stopper ses actions qui perturbaient le plus le cours des choses. Il fallait condamner « les casseurs et les violences ». En général, les Gilets Jaunes ont refusé d’entrer dans ce jeu, retournant le débat sur la question des violences policières.
Aujourd’hui certains disent qu’il faut faire attention à ne pas choquer les « fâchés pas fachos », souvent dans les mêmes milieux que les Gilets Jaunes. Que la gauche doit faire marche arrière par exemple sur la dénonciation des violences policières, pour se concentrer sur « le social ». Mais déjà, il n’y a pas que les salaires et les factures qui soient importantes, et qui soient des questions sociales. Et puis n’oublions pas ! Il est possible et nécessaire d’avancer sur une question sociale et politique vitale, même quand elle divise au départ. Plutôt que de reculer sous prétexte qu’un certain électorat ne serait pas prêt. Pareil pour le racisme, pour « les allocs », et pour tout ce qu’on veut.
Dans le domaine électoral d’ailleurs, la campagne de l’Union Populaire 2022 a souvent été une illustration de ce type de courage politique. Ses bons résultats (face au piètre score de Roussel) confirment qu’on peut produire de l’unité sans sacrifier ses principes politiques.
Un long combat doit se poursuivre pour briser des pans entiers de la culture politique dominante. Défaire ce qu’ont fait dans les esprits quatre décennies de néolibéralisme. Car opposer la France « du travail » et la France « des allocs », ça fait quarante ans que ça sert à empêcher la solidarité de classe la plus large. Défaire aussi ce qu’a fait la montée de l’extrême droite, à la fois nourrie et imitée par le reste du champ politique. En poussant à l’extrême la dénonciation de l’assistanat, l’extrême-droite a amplifié le racisme qui en a toujours fait partie.
Oui, ce sera un combat dans la durée, loin de se réduire à la scène électorale. il nous faut construire un projet politique pour ça, des outils et organisations pour le faire et le porter. Le consolider et le concrétiser au feu des luttes sociales qui viennent. Si ce combat n’est pas mené la gauche ne pourra que reculer.
Assumer un engagement radical à gauche
Fabien, il faut vraiment te le rappeler ? Au jeu de celui qui dira des trucs de droite, en général c’est le type de droite qui gagne. Et si jamais sur un malentendu une gauche arrivait à des positions de pouvoir en reprenant des idées de droite, elle serait complètement impuissante. Parce que les enjeux sont énormes pour faire reculer ceux qui nous exploitent et nous dominent de façon écrasante. Les fachos sont aux portes du pouvoir et la planète au bord de la destruction. Il faudra que se lancent dans la bataille toutes les forces de la majorité de la population. Et il faudra mener cette bataille sur des bases radicalement ancrées à gauche. Sans quoi nous serons tout simplement balayé·es.
L’unité de la NUPES et la diversité en son sein sont une de ses grandes forces. À condition que la NUPES continue de tenir des positions de gauche fondamentales et de construire des ponts entre les différents secteurs de la population. Sinon cette unité ne sert à rien et cette force va décliner. Donc maintenir l’unité, oui, mais toute la gauche (y compris bien évidemment notre « revue de critique communiste ») a intérêt à critiquer Roussel et ses amis de droite sans relâche. Et on espère qu’avec le congrès du PCF prévu début 2023 les camarades iront dans une autre direction que lui.
Donnez à ce mec une planque de consultant chez CNews ! Les allocs de la bourgeoisie la plus rance…
En tout cas entre Roussel et le communisme, entre Roussel et la gauche, un jour ou l’autre, il va falloir choisir.
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Illustration : Wikicommons