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Le patronat et ses défenseurs sont entrés en guerre contre la principale arme collective des travailleurs, la grève. Sa disqualification contemporaine réclame la dévalorisation des grèves antérieures, de leur héroïsme, de leur dynamisme, de leurs résultats.

René Mouriaux – dans cet article publié initialement en 2008 dans le n° 22 de Contretemps – revient sur le travail d’illégitimation et d’invisibilisation de la gigantesque vague de grèves de mai et juin 68, entrepris dès après les événements et jamais interrompu depuis. Contre la caricature comme l’héroïsation, il est temps pour une relecture critique de Mai.

  

« Qu’est-ce que ce ringardisme ? Je déplore le goût masochiste des Français pour le conflit, la lutte. On joue à celui qui a le plus de biceps ». Le mouvement des cheminots commencé le 13 novembre (2007) est commenté le 14 mars sur les ondes d’Europe 1 par la présidente du Medef, Laurence Parisot, avec la même finesse qu’elle utilisait pour justifier la précarité de l’emploi, conséquence de la saine concurrence des marchés. La jeune dirigeante du patronat français retrouvait les accents de ses anciens pour dénoncer le 21 novembre sur RTL « un séisme extraordinairement dommageable ». Le directeur de l’Institut d’Études économiques du patronat, Rexecode, renchérit. Michel Didier proclame dans Le Monde (22 novembre 2007) que « les dégâts d’une grève sont exponentiels ». Le fil noir de la dénonciation, voire de la répression de l’action collective, des coalitions, qui se déroule de la loi Le Chapelier et du Code pénal de 1810 à la loi sur le service minimum dans les transports publics, des diatribes contre le luddisme aux vitupérations de Laurence Parisot, comporte des variations de qualité, d’épaisseur, de texture, il témoigne tout autant d’une continuité impressionnante. L’arrêt de travail collectif est stigmatisé pour quatre raisons. Premièrement, il provoque une perte de production appauvrissant employeurs et employés. En second lieu, la grève en un lieu perturbe l’ensemble du système économique. Troisièmement, elle est une remise en cause unilatérale du contrat de travail. Enfin, elle sape la logique du marché du travail par une coalition de forces contraires au libre accord entre le salariant et le salarié. Comment une pratique aussi nocive et irrationnelle est-elle possible ? La thèse du complot est avancée. Inspirés par la concurrence étrangère, par des idéologies mortifères comme le marxisme ou par des visées personnelles de carrière politique, les meneurs manipulent les masses et les entraînent dans des catastrophes.

La disqualification de la grève contemporaine réclame la dévalorisation des grèves antérieures, de leur héroïsme, de leur dynamisme, de leurs résultats. La charge menée contre les luttes de décembre 1995 par Alain Touraine et la CFDT revient à lui dénier le caractère de mouvement social pour deux raisons principales. Seul le secteur public participe à l’action et pour des visées corporatistes. Pour exact qu’il soit, le premier argument repose sur un postulat erroné. L’universalité explicite d’une mobilisation ne lui confère pas de manière sélective le caractère de mouvement social. En 1936, seul le secteur privé recourt à l’arrêt de travail. La conception de la société est bien mise en cause comme en 1995 et dans ce dernier épisode de la lutte des classes, cheminots et enseignants permettent au privé de pratiquer la grève par procuration.

Grève générale d’une ampleur inégalée, Mai-Juin 1968 a d’emblée subi le feu des critiques : action anti-gaulliste téléguidée en sous-main par les États-Unis et Israël, œuvre des gauchistes et/ou des moscoutaires, happening selon Raymond Aron, chienlit aux yeux du Général. L’évènement n’a pas eu de commémoration officielle en 1978, 1988, 1998. Les trois anniversaires ont donné lieu à des célébrations où points de vue favorables et condamnations se sont affrontés. 2008 n’échappera pas à cet antagonisme. Si les signataires de l’appel « Mai 68. Ce n’est pas qu’un début » ont exprimé les raisons de revenir sur le joli mois de 1968, les tenants de l’ordre libéral vont s’évertuer à la démonétiser par trois procédures, la dévitalisation, la dénaturation, la caricature.

 

Caducité de Mai 68

Devenu ministre de l’Education nationale au lendemain de l’échec de la loi Savary, Jean-Pierre Chevènement incarne le retour à l’ordre. « La récré est finie », l’école est conviée à revenir aux fondamentaux qu’elle aurait abandonnés, « lire, écrire, compter ». Cette première mise au tombeau de Mai 68 a été précédée par une attaque plus large et plus fondamentale de Mai 68, le recentrage de la CFDT. La centrale qui a contribué à l’avènement de la grève générale par l’accord du 10 janvier 1966 a pris une part active à son déploiement par son alliance avec l’UNEF et le lancement de la revendication de l’autogestion le 16 mai 1968. À partir de 1977, année d’élaboration du rapport Jacques Moreau adopté l’année suivante et consacré par le Congrès de Brest en 1979, la centrale dirigée par Edmond Maire abandonne la ligne radicale qui se construisait de 1966 à 1977, du rapprochement avec la CGT à l’adoption de la plateforme revendicative la plus ambitieuse au moment de la rupture entre le PCF et le PS.

Tourner le dos à un engagement effervescent qui a permis à la CFDT d’élargir son audience et de prétendre au rôle de force régénératrice du syndicalisme et de la lutte des classes réclame un argumentaire puissant. Il comporte trois volets. Le premier porte sur les responsabilités de l’union de la gauche. C’est le PCF qui est désigné comme l’unique coupable. En multipliant les exigences lors du débat sur la réactualisation du Programme commun de gouvernement, en campant sur le tout ou rien, la formation de Georges Marchais a tué l’espoir qui était né de l’accord de 1972. L’acte d’accusation n’est que trop facilement étayé. La CGT a emboîté le pas au PCF. D’où l’émancipation de la CFDT à l’égard de l’unité d’action syndicale qu’il convient désormais d’envisager « à plusieurs vitesses », « quand le “partenaire privilégié” fait défaut »[1]. Le propos ne manque toutefois pas de sel. Sous la pression du courant rocardien, la CFDT n’a apporté au PCG qu’un « soutien critique » et la déploration de sa mise à mort n’a été accompagnée d’aucun geste pour tenter de le sauver. En revanche, la rupture avec la première gauche signifie identiquement la distanciation avec son histoire et Mai 68. Le second temps a consisté à prendre appui sur les modifications intervenues avec la crise économique et les réformes adoptées par le gouvernement Mauroy pour tourner la page de la contestation soixante-huitarde. La crise économique a mis à mal la croissance des Trente Glorieuses. Faute de grain à moudre, les contraintes internationales jouent à plein. Le qualitatif, le partage sont à l’ordre du jour. Les lois Auroux fournissent les outils pour transformer paisiblement les réalités sociales. Jacques le Goff propose en 1985 la lecture intelligente de ce processus : Du silence à la parole[2] tel est le parcours historique de la classe ouvrière, de son mouvement et de son droit. Dans la post-face, Edmond Maire commente :

« Nous sommes passés d’une situation de non parole, de silence dans l’entreprise, à un droit à la parole (…). Le mouvement est lancé. Il faut continuer car la transformation progressive des rapports sociaux dans l’entreprise par le droit à la parole des travailleurs et par le droit à la négociation du syndicat est une œuvre de longue haleine » (p. 356).

La grève est déclarée une arme obsolète en octobre 1985. « La vieille mythologie syndicale a vécu ».

La voie de la réforme est adoptée selon cette thématique non par abandon de l’option transformatrice, non par reniement, terme qui hérisse les dirigeants cédétistes et qu’ils reprochent d’utiliser à ceux qui ne l’emploient pas tout en relevant un changement de cap, mais par adaptation au réel. Le slogan du recentrage se présente comme une évidence : « Le monde change, changeons le syndicalisme ». Le raisonnement est ancien puisqu’il a déjà été utilisé, notamment en 1848 : « Le monde change, nous changeons avec lui »[3]. Avec la modification du rapport de forces, les bourgeois de Cologne abandonnent leurs discours radicaux puisque « tout a changé ».

Enfin, la CFDT restructure son histoire. Une dérive l’a entraînée au cours des années 1968-1977 mais une présentation thématique permet d’établir la continuité. Le « Que Sais-je » de Michel Branciard inaugure en 1986 le procédé. Malgré une embardée temporaire, de tout temps la CFDT a cherché à construire un syndicalisme indépendant des partis, centré sur la souveraineté des syndiqués, consacré à l’égalité hommes/femmes, la qualité du travail, le droit d’expression dans l’entreprise, la formation des travailleurs. L’exposition organisée Boulevard de Belleville pour le 40e anniversaire de l’organisation reprend la formule. Une série d’affiches regroupées par thèmes montre la constance du projet cédétiste identifié au recentrage. Mai 68 passe à la trappe – sans avoir à le déclarer puisque l’autogestion a été abandonnée avec le socialisme au Congrès de 1988[4]. Lors d’un colloque tenu rue Mahler en 2001 sur le thème « l’autogestion, dernière utopie ? », les intellectuels proches de la CFDT ont plaidé pour la caducité du mot d’ordre et Antoine Prost, ancien dirigeant du SGEN a conclu en la réduisant à un rôle pédagogique[5].

L’aseptisation de l’histoire cédétiste, la justification par « l’adaptation » de la réduction des visées transformatrices aboutissent à la condamnation des mobilisations, en 1986 lors de l’action des cheminots, en 1995, face au plan Juppé. Nicole Notat, au 45e congrès de Nantes (2002), tente pour établir définitivement la ligne de procéder à un coup d’État sémantique, comme elle a pris le pouvoir en 1992 :

« ce que vous avez créé, ce que vous avez réalisé, cela s’appelle un mouvement social. Il est d’usage de réserver cette “appellation déposée” aux grandes heures lyriques de l’histoire sociale, à ces grands mouvements de protestation, de grèves et manifestations, ces mouvements hautement fusionnels et symboliques. Mais le vrai mouvement social, ce sont bien ces mouvements d’en bas qui convergent en objectifs partagés et porteurs de transformation sociale »[6].

Il est enterré le temps où Edmond Maire alertait : « Il ne faut pas oublier Mai 68 »[7].

 

Libéraliser Mai 68

Une seconde manière de proclamer Mai 68 « archaïque » consiste à distinguer les oripeaux sous lesquels se joue un scénario nouveau. Curieusement, ceux qui procèdent à la dissociation entre fond et forme recourent à Karl Marx qu’ils enterrent dans la même opération.

« Hegel note quelque part que tous les grands évènements et personnages historiques surviennent pour ainsi dire deux fois. Il avait oublié d’ajouter : une fois comme grande tragédie et la fois d’après comme nuisible farce. »

L’ouverture du 18 Brumaire de Louis Bonaparte a visiblement inspiré Jacques Julliard lorsqu’il a composé « Mai 68, une ruse de l’histoire » (Le Monde, 29 mai 1998). Celui qui signe « historien, directeur délégué de la rédaction du Nouvel Observateur », commence par s’interroger sur les raisons qui poussent à commémorer l’évènement trente ans après. Il y perçoit un phénomène de génération, d’usure du temps.

« L’histoire est passée par là. Il n’y a plus désormais ni fidèles, ni renégats, ni naïfs, ni cyniques : il n’y a que des témoins ! »

Mai 68 a réapparu lors du referendum sur Maastricht (1992), lors des grèves de 1995, avec pour contenu la peur de la mondialisation et l’hostilité aux élites. La fausse ou la malencontreuse hérédité de Mai 68 s’explique par l’équivoque du fameux mouvement. Il était qualitatif, individualiste et il s’est exprimé à travers le vocabulaire bolchevik.

« En 1968, le marxisme léninisme était déjà moribond mais le mur de Berlin était encore debout pour vingt ans ».

Alors le rêve de la révolution occulte la réalité.

« Sous les pavés, la plage. Oui, mais sous le communisme utopique, le néo-capitalisme, sous l’idéologie libertaire, le libéralisme, sous le mot d’ordre de solidarité, l’avènement d’un individualisme tyrannique ».

Les faiblesses de la démonstration de Jacques Julliard ressortent assez évidemment, le dualisme éculé qualitatif/quantitatif, la négligence de l’opposition au stalinisme qui rendait possible le renouveau du marxisme que la suite de l’histoire a d’ailleurs connu. La question que l’article de l’éditorialiste-historien laisse entière porte sur la nature du phénomène qu’il décrit : retournement ou dévoilement ? Jean-Pierre Le Goff a présenté la décomposition de Mai 68 comme le recul de l’intelligence critique[8] et Antoine Prost lui en sait gré.

« Cette histoire de retournement de la passion révolutionnaire en individualisme sentimental plein de bonnes intentions est avant tout celle d’une défaite de l’intelligence »[9].

François Cusset met bien en évidence les luttes idéologico-politiques qui ont abouti au triomphe d’une lecture de Mai[10]. D’une certaine manière, Daniel Cohn-Bendit l’incarne puisqu’en admettant des corrections de position comme celle concernant l’Université, instrument de formation et non d’assujettissement au capital[11], il admet d’être défini comme « libéral-libertaire » ce qui prouve l’unité de sa trajectoire, du Mouvement du 22 mars aux Verts[12].

Ces différentes analyses sur Mai 68 sont possibles parce que la grève ouvrière est occultée, la révolte contre l’exploitation, aliénante, dominante, exprimée par l’ouvrière de Wonder qui ne veut pas rentrer « parce que c’est trop dégueulasse »[13].

 

Caricaturer Mai 68

Archaïser Mai 68 comme dernière grève générale ou placer l’évènement aux fonds baptismaux de la modernité individualiste, les deux démarches se rejoignent. Dévitaliser ou dénaturer le mouvement revient à ignorer le formidable soulèvement des producteurs pour un autre ordre économique et en dépit d’oppositions catastrophiques, un premier rapprochement entre le monde des Universités et celui du travail. Néanmoins, cette double occultation ne suffit pas à la droite dure qui a eu peur de ce mouvement. Elle entend attaquer frontalement un évènement qu’elle mythifie, qu’elle érige comme un mal absolu à l’origine des difficultés présentes de la France. Le procès instruit contre Mai 68 vise son matérialisme, son indiscipline, son dérèglement social. Luc Ferry a très tôt porté le fer contre la pensée 68[14]. En collaboration avec le spécialiste de Kant Alain Renaut, le futur ministre de l’Éducation dénonce le déploiement de l’antihumanisme dont les sources sont situées chez Karl Marx, Frédéric Nietzsche, Martin Heidegger. Le lien entre ces trois censeurs rappelle celui du Syllabus. Les quatre cibles principales s’appellent Pierre Bourdieu, Jacques Derrida, Michel Foucault, Jacques Lacan, tous coupables de travestir la reconnaissance de la dignité de l’homme en idéologie petite bourgeoise. L’acte d’accusation n’est pas dressé avec une rigueur exemplaire. Le déterminisme de Bourdieu est attribué à l’influence du marxisme. Double imprécision. Bourdieu ne relève pas du courant marxiste même si des rapprochements sont possibles. Il puise chez Emile Durkheim et Max Weber. Il revendique l’héritage de Pascal. D’autre part, la relation de Marx à Hegel interdit de lui attribuer une problématique aussi sommaire. Quoi qu’il en soit de la valeur scientifique de l’ouvrage, sa portée réside dans l’accusation de matérialisme plat, de mépris à l’égard de la pensée, de la conscience, de la spiritualité de l’homme. Lucien Sève a raison de rappeler que ce travail s’inscrit à plein dans la tradition de la philosophie spiritualiste française initiée au XIXe siècle par Pierre-Paul Royer-Collard et Victor Cousin[15]. La philosophie de la liberté pourfend ceux qui osent rappeler les conditions matérielles de l’existence humaine. Un pas de plus et vous allez parler salaires !

Le second reproche adressé à Mai 68 porte sur son anarchisme foncier : insubordination ouvrière, rébellion lycéenne et étudiante. Sur TF1, le 23 avril 2007, Alain Juppé martèle : « Il faut en finir avec l’esprit de 68. Il est interdit d’inter- dire ». Le message vaut d’abord pour l’école et Gilles de Robien revient aux vieilles méthodes. La méthode globale pour l’apprentissage de la lecture est condamné – personne ne la pratiquait à l’état pur ! Résumant diverses inter- ventions du candidat UMP, un journaliste résume : « Monsieur Sarkozy veut une école débarrassée de l’héritage de 68 »[16]. Un linguiste du CNRS a décortiqué le discours du 23 février 2007. Le mot « autorité » est utilisé 24 fois. Les formules négatives pullulent : « nous n’avons pas le droit de… » (39 fois). « Je rêve d’une France où parler de l’identité nationale, condamner la fraude ou vouloir lutter contre l’immigration clandestine ne serait plus considéré comme le signe d’une droite extrême (…). Je rêve d’une France où l’immigration serait maîtrisée (…). Je rêve d’une France qui aurait tourné la page de Mai 68 (…). Je rêve d’une France où l’on pourrait appeler voyou un voyou, où l’autorité de l’État serait respectée ». Cette dernière litanie a été prononcée à Marseille le 19 avril 2007[17]. Le dernier grand réquisitoire contre Mai 68 a été prononcé à Paris-Bercy le 29 avril 2007, « pour en finir » avec son esprit.

À la grève générale est imputée non seulement la bestialité du matérialisme, le laxisme scolaire mais plus généralement le dérèglement social. Les ouvriers prétendent sortir de leur condition en utilisant les armes dont ils disposent, la suspension de leur contrat de travail, l’arrêt de leur contribution à la société. Non seulement ils croisent les bras, mais ils réclament le paiement de leur incivilité. À plusieurs reprises, Nicolas Sarkozy dénonce le scandale des grévistes payés pour rien alors que le phénomène, lorsqu’il se produit, signifie que le mouvement victorieux était légitime. La loi sur le service minimum dans les transports publics comporte un article stipulant que les arrêts de travail ne sauraient être rémunérés.

Si Nicolas Sarkozy recourt surtout à la symbolique à propos de la famille (ses enfants, Cécilia avant la rupture, sa mère), s’il évite le terme de patrie au bénéfice de nation, de République et de France[18], il accorde une place extrêmement importante au travail. Travailler plus pour gagner plus, le slogan le plus frappant de la campagne présidentielle est lié au projet d’une France de propriétaires. Les gens bien sont ceux qui ont du bien. Les courageux obtiennent la récompense de l’épargne. Le discours sarkozien développe l’équation « travail égale capital » qui gomme la division des classes et la lutte contre l’exploitation. L’anti-Mai 68 trouve là sa source la plus nourrie et la plus claire[19].

 

Début, moment, évènement fondateur

L’appel « Mai 68. Ce n’est pas qu’un début[20] » possède un titre polysémique. Il peut signifier qu’il ne faut pas couper le joli printemps des luttes antérieures, 1936, la Résistance, 1953, 1963 mais aussi de celles qui suivirent, 1986, 1995, 2003, 2007. Moment dans une chaîne, la mobilisation exceptionnelle des ouvriers et des étudiants représente aussi pour une génération un évènement fondateur. Si elle suscite une telle hargne chez ceux qui ont dû subir son emprise comme chez les « repentis » ou chez ceux qui ont tremblé devant l’énormité de la secousse et confié leur argent à la Suisse, c’est en rai- son de son ampleur et de son exemplarité. La meilleure façon de répondre aux offensives anti-Mai, ce n’est pas la nostalgie idéalisante, l’exaltation instrumentalisante du passé mais comme le dit justement l’Appel déjà cité, une relecture critique. « Ce qui est advenu n’était pas le seul possible ».

 

Notes

[1] Branciard (Michel), La CFDT, Paris, PUF, coll. Que sais-je ?, 1986, p. 70.

[2] Le Goff (Jacques), Du silence à la parole Droit du travail, société, État (1830-1985), Quimperlé, Calligrammes-la Digitale, 1985, 374 p. Le droit à la négociation est impulsé par la thèse de Marie-Laure Morin (LGDJ, 1994).

[3] Marx (Karl), Engels (Friedrich), « Question de vie ou de mort », 3 juin 1848, in La nouvelle Gazette rhénane, Paris, Éditions sociales, t. I, 1972, p. 52.

[4] Branciard (Michel). Histoire de la CFDT, Paris, la Découverte, 1990, pp. 338-340.

[5] Georgi (Franck), Autogestion. La dernière utopie. Paris, Publications de la Sorbonne, 2003, pp. 607-612.

[6] Cité in Denis (Jean-Michel) dir, Le conflit en grève, Paris, la Dispute, 2005, p. 138.

[7] Maire (Edmond) et al. Lip 73, Paris, Seuil, 1973, p. 114.

[8] Le Goff (Jean-Pierre), Mai 68, l’impossible héritage. Paris, la Découverte, 2e ed. 1991, 476 p.

[9] Prost (Antoine), « L’héritage de Mai 68 ou l’histoire d’un retournement », Le Monde des livres, 2 mai 1998.

[10] Cusset (François). La décennie. Le grand cauchemar des années 1980. Paris, La Découverte, 2006, 371 p.

[11] Cohn-Bendit (Daniel). « Au début était l’action exemplaire ». Propos recueillis par Jean-Paul Monferran. L’Humanité, 21 mars 1998.

[12] Lemire (Laurent). Cohn-Bendit. Paris, Ed. Curriculum, 1998, 118 p.

[13] Reprise d’Hervé le Roux (1997). Faute de place, nous n’analysons pas le discours anti-CGT, souvent réducteur et qui menace de dévaluer la grève. Il est difficile d’ignorer le rôle des cheminots dans l’extension du conflit décidée par la CGT.

[14] Ferry (Luc), Renaut (Alain). La pensée 68. Essai sur l’antihumanisme contemporain. Paris, Gallimard, 1985, 293 p.

[15] Seve (Lucien). Penser avec Marx aujourd’hui. T. 1. Marx et nous. Paris, la Dispute, 2004, pp. 71-75.

[16] Philippe Ridet, Le Monde, 5 septembre 2006.

[17] Mayaffre (Danon). « Langue de bois et discours de fer ». L’Humanité, 26 juin 2007.

[18] Sarkozy (Nicolas). « Ma France ».Le Monde, 16 janvier 2007.

[19] Nous n’avons pas présenté toutes les relativisations de Mai 68. Henri Weber a mis en cause son « messianisme » dans Que reste-t-il de Mai 68 ?, (1988 et 1998). Jean-Marie Le Pen détourne l’analyse : Mai 68 est l’œuvre d’une « élite juive d’étudiants », Le Monde, 9 juin 1988.

[20] Cet appel est le fruit d’une initiative unitaire et pluraliste, autour duquel s’organisèrent diverses manifestations en 2008, à l’occasion du quarantième anniversaire de mai 68.

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