La Cour suprême n’est pas favorable à la vie. La preuve par son arrêt sur les armes à feu
Le 23 juin 2022, la Cour suprême états-unienne a invalidé une loi de l’État de New York limitant le port d’armes dissimulées dans la sphère publique. Cette décision pourrait invalider la plupart des lois sur le contrôle des armes à feu dans tout le pays. La Cour suprême ne se soucie pas des fusillades de masse, elle n’est pas « pro-vie », comme le prétendent la droite et l’extrême droite qui ont imposé récemment l’annulation de l’arrêt Roe v. Wade (celui-ci protégeant le droit à l’avortement).
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La Cour suprême a invalidé le 23 juin une loi de l’État de New York limitant les personnes autorisées à porter une arme de poing dissimulée en public, un arrêt qui pourrait invalider la plupart des lois sur le contrôle des armes dans tout le pays.
Cette décision de la Cour dans l’affaire New York State Rifle & Pistol Association Inc. v. Bruen va probablement accroître la violence armée. Elle intervient un mois après une fusillade de masse à Buffalo, dans l’État de New York, au cours de laquelle un suprémaciste blanc a parcouru deux cents kilomètres pour tuer spécifiquement des personnes noires dans une épicerie.
Rédigé par le juge Clarence Thomas, l’arrêt crée une nouvelle norme pour déterminer si les mesures de contrôle des armes à feu sont constitutionnelles.
« Pour justifier sa réglementation, le gouvernement ne peut pas simplement affirmer que celle-ci favorise un intérêt important », écrit Thomas. « Le gouvernement doit plutôt démontrer que la réglementation est conforme à la tradition historique de la nation en matière de réglementation des armes à feu. Ce n’est que si une réglementation des armes à feu est conforme à la tradition historique de cette nation qu’un tribunal peut conclure que la conduite de l’individu ne relève pas du ‘commandement sans réserve’ du deuxième amendement. »
Selon Adam Winkler, professeur de droit à l’Université de Californie à Los Angeles, l’UCLA, l’un des meilleurs expert.e.s des États-Unis en matière de lois sur les armes à feu, l’arrêt pourrait affecter un nouveau projet de loi bipartisan sur la sécurité des armes à feu que le Sénat a adopté le 23 juin. Ce projet de loi encouragerait les États à mettre en œuvre des lois dites « drapeau rouge », qui permettraient de confisquer temporairement les armes à feu de ceux qui sont considérés comme un risque pour eux-mêmes ou pour les autres. Il comblerait également la « faille du petit ami« , une lacune de la législation fédérale qui permet à certains auteurs de violences domestiques de conserver leurs armes.
« L’arrêt de la Cour sur le deuxième amendement remet en question des éléments clés du projet de loi sur les armes à feu du Sénat », a tweeté Adam Winkler après l’annonce de la décision. « Thomas dit que seules les réglementations sur les armes à feu conformes à la réglementation historique des armes à feu sont admissibles. Les lois sur le drapeau rouge, cependant, sont une invention moderne. Il en va de même pour les interdictions concernant les agresseurs domestiques. »
Avant l’annonce de l’arrêt, David Sirota, de la revue The Lever, s’était entretenu avec Adam Winkler, auteur de Gunfight : The Battle Over the Right to Bear Arms in America, sur l’affaire New York State Rifle et l’état des lois étatsuniennes sur les armes à feu. Vous trouverez ci-dessous une version abrégée de leur discussion. L’intégralité de la conversation est disponible sur Podcasts from the Lever.
David Sirota – Avant d’aborder l’affaire actuelle de la Cour suprême, expliquez-nous où nous en sommes à l’heure actuelle en ce qui concerne la façon dont la Cour suprême actuelle considère les lois sur les armes à feu en Amérique.
Adam Winkler – Eh bien, il est significatif que le deuxième amendement n’ait jamais été interprété de manière autoritaire par la Cour suprême pour protéger le droit d’un individu à posséder une arme à feu jusqu’en 2008. En fait, pendant la majeure partie de cette période, lorsque la Cour s’est prononcée sur des affaires relatives au Deuxième Amendement de la Constitution des Etats-Unis, elle a dit qu’il s’agissait uniquement de protéger une milice bien réglementée contre l’ingérence fédérale.
Mais en 2008, dans une affaire appelée DC v. Heller, la Cour suprême a déclaré que le Deuxième Amendement protégeait le droit individuel de porter des armes et a annulé une loi interdisant les armes de poing à Washington, DC. Mais la Cour n’a pas donné beaucoup d’autres indications sur la portée du droit de porter des armes, par exemple sur la question de savoir s’il autorise les gens à posséder des fusils d’assaut de type militaire ou si les États peuvent restreindre le port d’armes dissimulées.
Au cours des quatorze années qui ont suivi l’arrêt Heller, les tribunaux fédéraux ont connu un raz-de-marée de litiges contestant un grand nombre de lois fédérales sur les armes à feu et la Cour a semblé rester en dehors de tout cela, jusqu’à ce que Donald Trump nomme trois personnes à la Cour suprême. Et cela a tout changé.
La Cour est maintenant saisie d’une grosse affaire à New York [New York State Rifle] sur le port d’armes dissimulées. Nous attendons une décision d’un jour à l’autre.(La décision a été rendue publique le 23 juin 2022. NDT). Dans cette affaire, la plupart des gens prédisent que la Cour va interpréter largement le Deuxième Amendement pour dire que vous avez le droit de porter des armes en public et je pense que cela pourrait rendre plus difficile la défense de presque tous les types de lois sur les armes.
David Sirota – Comment expliquez-vous l’évolution de la Cour elle-même ? S’agit-il simplement de nominations individuelles ou y a-t-il eu un mouvement visant spécifiquement à nommer à la Cour des juges ayant une vision différente sur les armes à feu ?
Adam Winkler – La vérité est que le Deuxième Amendement est comme toutes les autres dispositions constitutionnelles que nous avons, ce qui signifie qu’il est le reflet d’une société vivante et en évolution et de l’impact des mouvements sociaux. Il y a eu un véritable mouvement pour changer la façon dont le Deuxième Amendement est interprété dans les tribunaux et ailleurs. Donald Trump s’est fait élire en partie en promettant de nommer des juges qui allaient faire une lecture large du Deuxième Amendement. Cela a fonctionné pour lui, il a été élu, puis il a nommé ces juges. Maintenant, ils vont faire ce travail.
Donc la loi constitutionnelle n’existe pas dans le vide. Elle existe dans un environnement politique. Nous, le peuple des États-Unis, avons décidé que nous voulions le droit aux armes à feu. La Cour suprême reflète cela, à mon avis.
David Sirota – Pouvez-vous nous parler de l’évolution de la politique concernant les armes à feu et pourquoi et comment elle est devenue une question partisane ?
Adam Winkler – Eh bien, je pense que la politique des armes à feu aux États-Unis a été transformée du jour au lendemain. Je ne dis pas ça pour être hyperbolique.
À la fin des années 1960 et au début des années 1970, il y a eu une montée en puissance des propriétaires d’armes à feu qui voulaient avoir des armes pour leur protection personnelle. C’était, comme notre propre époque, une période de perturbation sociale et le sentiment que les gens étaient peut-être en insécurité. Le taux de criminalité était également très élevé à l’époque.
La direction de la NRA [National Rifle Association] était à l’époque plutôt modérée. Ils étaient opposés à de nombreuses lois sur le contrôle des armes à feu mais ils ont élaboré un plan pour déménager à Colorado Springs afin de réorienter l’organisation loin des activités politiques et vers les sports récréatifs, la chasse et la conservation.
Cela a vraiment mis en colère un groupe de partisans de la ligne dure parmi ses membres. Lors de la réunion annuelle des membres en 1977 à Cincinnati, ces partisans de la ligne dure ont organisé un coup d’État à la NRA, utilisant des manœuvres procédurales pour élire un tout nouveau conseil d’administration.
Littéralement, quand le soleil s’est levé le jour suivant, la NRA avait été transformée. Les nouveaux dirigeants étaient tous engagés dans la défense politique, la lutte contre le contrôle des armes à feu et étaient beaucoup plus affirmés politiquement. Ce groupe est devenu une partie active de la coalition qui a permis à Ronald Reagan d’être élu président en 1980, et est devenu depuis une partie encore plus forte de la coalition conservatrice républicaine.
David Sirota – Dites-nous ce qu’est réellement l’affaire New York State Rifle et expliquez-nous comment la Cour suprême arrive à déréglementer les armes à feu sous la bannière d’un Deuxième Amendement qui dit que les armes sont effectivement censées être bien réglementées.
Adam Winkler – La plupart des États vous autorisent à porter une arme à feu dissimulée si vous avez un permis et un nombre croissant d’États n’exigent même pas de permis. New York est l’un des huit États qui stipulent que vous ne pouvez porter une arme qu’avec un permis. Pour obtenir un permis, vous devez démontrer que vous avez des raisons inhabituelles et particulièrement fortes de porter une arme, par exemple que vous êtes traqué, que vous avez été menacé ou que vous portez sur vous une énorme quantité d’argent ou de bijoux.
Dans cette affaire, on se demande si le fait de restreindre aussi fortement l’accès aux permis de port d’arme dissimulée constitue une violation du Deuxième Amendement. La Cour suprême semble presque certaine, sur la base des arguments oraux, de dire que, oui, le Deuxième Amendement est violé par la loi de New York. La Cour dira probablement qu’il est possible de prévoir une formation et des exigences objectives avant de laisser les gens porter une arme dans la rue mais qu’il faut prévoir un mécanisme permettant aux gens de se défendre.
Ce sera une grande expansion du Deuxième Amendement. En plus de deux cents ans d’histoire, la Cour suprême n’a jamais dit cela. Nous avons des restrictions sur le port d’armes dissimulées, comme celle de New York, depuis plus de cent ans. En fait, jusqu’aux années 1980, la plupart des États avaient exactement la même loi que New York aujourd’hui.
Mais là encore, ce mouvement politique visant à modifier les lois étatsuniennes sur les armes à feu a été influencé par la NRA qui a mené un effort national, État par État, pour assouplir les lois sur les armes à feu. Maintenant, ils vont s’en prendre aux derniers résistants avec cette affaire devant la Cour suprême.
Je pense que cela pose problème pour le programme du mouvement de sécurité des armes à feu sur de nombreuses questions. Je pense que les interdictions des fusils de type militaire et des chargeurs à grande capacité seront probablement remises en question dans les années à venir.
David Sirota – Allons-nous arriver à un point où la Cour va dire qu’il n’y a pas de limite, que l’on ne peut pas réglementer les armes ou les fusils en fonction de leur puissance ? Je veux dire, est-ce une chose légitime qui pourrait effectivement se produire ?
Adam Winkler – Je pense que ce que le tribunal va dire, c’est que seules les armes qui sont couramment utilisées à des fins légales par les citoyens sont déjà protégées par la Constitution. Je pense que la Cour dira facilement que des choses comme des missiles lancés à l’épaule ou des armes nucléaires ou des grenades à main ou même des mitrailleuses, ne sont pas d’usage courant, qu’elles ne sont pas couramment possédées par des personnes respectueuses de la loi.
La difficulté de ce test est qu’il signifie que s’il y a une impasse politique et que vous ne pouvez pas obtenir de réglementation pendant un certain nombre d’années, les propriétaires d’armes à feu peuvent simplement sortir et acheter toutes ces armes et tout d’un coup elles deviennent d’usage courant. C’est en gros ce qui se passe avec les fusils d’assaut de type militaire. Les propriétaires d’armes à feu ont acheté des dizaines de millions de ces armes depuis la fin de l’interdiction fédérale des armes d’assaut en 2004 et elles sont maintenant d’usage courant.
Nous pourrions voir cela avec les armes à feu imprimées en 3D. Il se peut que si le Congrès réglemente ou interdit aujourd’hui les armes à feu imprimées en 3D, elles ne seront pas d’usage courant. Mais si nous attendons vingt ans, elles seront peut-être d’un usage courant et elles seront alors protégées par la Constitution.
David Sirota – En tant que personne qui a beaucoup étudié ce sujet, pensez-vous vraiment légitimement qu’il y a un avenir pour les États-Unis en étant un pays aussi lourdement armé que nous le sommes ? Pouvons-nous être aussi lourdement armés et avoir un taux » normal » de décès par arme à feu, par rapport aux autres pays ?
Adam Winkler – Je ne pense pas que nous puissions atteindre les niveaux de violence par arme à feu qu’on trouve en Angleterre, au Japon ou dans d’autres pays qui n’ont pas un accès aussi facile aux armes à feu. Ce n’est tout simplement pas réaliste. Mais nous pouvons réduire nos chiffres. En attendant, cela devrait être notre objectif.
Les armes sont là pour rester. Il y en a trop, le mouvement politique en leur faveur est trop fort. La NRA parle toujours de gens qui viennent pour confisquer vos armes. Nous ne pourrions jamais avoir toutes les armes même si nous le voulions. Je pense donc que nous devons nous concentrer sur la réduction de la violence armée et faire ce que nous pouvons dans une mauvaise situation.
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Adam Winkler est professeur de droit constitutionnel à la faculté de droit de l’UCLA. Il est l’auteur de We the Corporations : How American Businesses Won Their Civil Rights.
David Sirota collabore à Jacobin. Il édite The Lever et a précédemment été conseiller principal et rédacteur de discours pour la campagne présidentielle 2020 de Bernie Sanders.
Publié initialement sur https://jacobin.com/2022/06/gun-control-violence-supreme-court-national-rifle-association-history
Traduction par Contretemps.