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Alors que les commentaires qui ont suivi la condamnation récente de Marine Le Pen (et de nombreux membres de la direction du FN-RN) illustrent une fois de plus la normalisation de l’extrême droite et les complicités dont elle bénéficie dans les champs politique et médiatique, un livre récent – paru aux éditions Amsterdam – fournit un vaste panorama et de nombreuses analyses des différentes dimensions de sa résistible ascension. Ce faisant, il permet de saisir les forces mais aussi les faiblesses de cette famille politique, et d’insister sur le fait que son accession au pouvoir n’a rien d’inévitable.

Extrême droite : la Résistible ascension (coord. Ugo Palheta), Éditions Amsterdam, 2024

Paru aux éditions Amsterdam en août 2024, Extrême droite : la résistible ascension compile des textes issus de journées d’étude organisées en octobre 2023 par l’Institut La Boétie, institut d’étude et de formation affilié à la France Insoumise.

Coordonné par Ugo Palheta, l’ouvrage se propose d’établir un panorama de l’extrême droite en France afin de mieux la combattre, dans les urnes mais aussi et surtout dans les esprits. Riches de contributions très diverses rédigées par des spécialistes du sujet, ce livre constitue une solide référence sur l’extrême droite française contemporaine mais également une réponse de gauche au contexte national et international particulièrement préoccupant au moment de sa parution (dissolution de l’Assemblée nationale et élections législatives anticipées en France, guerre génocidaire menée par Israël à Gaza).

La première partie du livre intitulée « Conquérir le pouvoir, progression électorale et convergence des blocs », est centrée sur l’analyse de la progression du vote pour le Front National/Rassemblement National (FN/RN) depuis les années 1980. À rebours des analyses largement reprises et diffusées dans les médias grand public sur la « France périphérique » ou de l’idée selon laquelle les classes populaires seraient désormais largement acquises au Rassemblement national (RN), cette partie propose une grille d’analyse plus fine des comportements électoraux.

Néolibéralisme et vote d’extrême-droite, les deux faces d’une même pièce ?

Les politiques néolibérales menées en France par les gouvernements successifs depuis les années 1980 ont fragilisé le statut de salarié et conduit à l’avènement du précariat. En opérant un virage « social » au début des années 2000, le FN/RN a réussi à conquérir une partie de l’électorat populaire en se présentant comme le parti des victimes de la mondialisation.

Toutefois, le parti lepéniste n’a jamais renoncé au néolibéralisme, ne cessant de conspuer l’État social tout en promouvant la responsabilité individuelle. La proposition politique de l’extrême droite repose en effet principalement sur une position défensive, celle de maintenir le statu quo économique et social en faisant reposer les coûts du néolibéralisme sur les fractions les plus précaires et les groupes désignés comme extérieurs à la communauté nationale. Cette stratégie a permis à l’extrême droite de conquérir une partie de l’électorat populaire.

Mais la montée en puissance de l’extrême droite s’explique également par le ralliement d’une partie du « bloc bourgeois », celle-ci s’érigeant en « dernier rempart du néolibéralisme » (p. 38) comme l’analyse Stéfano Palombarini. En effet, le mécontentement populaire vis-à-vis des réformes néolibérales ne permet plus à la bourgeoisie de s’assurer le pouvoir, cela engendrant  « la tentation au sein d’une grande partie de la bourgeoisie […] de rallier une extrême droite dont elle ne partage pas toujours les « valeurs », mais qui pourrait bientôt se poser en seule garante des rapports sociaux de domination » (Palombarini, p. 38-40).

La convergence entre bloc bourgeois et bloc d’extrême droite, dont les intérêts divergent mais ayant en partage l’adhésion au néolibéralisme, constitue le principal défi pour la gauche de rupture, seul bloc proposant une sortie du néolibéralisme. Cette convergence des droites est ce qui a permis l’accession au pouvoir de Giorgia Meloni en Italie comme le décrivent Aurélie Dianara et Salvatore Prinzi dans leur contribution.

Classes populaires et vote FN/RN

Les succès électoraux du FN/RN sont généralement attribués à son implantation dans les classes populaires. On peut toutefois relativiser l’adhésion de l’électorat populaire à l’extrême droite.

Commençons par rappeler, comme le souligne Félicien Faury dès l’introduction de son article, que le principal comportement électoral chez les ouvriers reste l’abstention. Yann Le Lann signale par ailleurs que si le vote FN/RN est prépondérant dans les fractions les moins diplômées et les mieux dotées économiquement des ouvriers et des employés, il reste très rare chez les personnes issues de l’immigration et relativement moins développé dans les fractions les plus pauvres de la population.

En tenant compte de critères tels que le type ou la durée du contrat de travail, le niveau de diplôme ou la propriété ou non de son logement, il apparaît que la fragilisation du statut de salarié ne s’exprime pas uniquement par un vote RN/FN : chez un nombre non-négligeable d’employés et d’ouvriers, cela peut également se traduire par un vote en faveur de la France Insoumise.

Dans son article, Yann Le Lann démontre qu’il existe  une polarisation du vote des classes populaires, entre extrême-droite et gauche de rupture. Cela ne doit cependant pas être interprété comme un vote « contestataire » qui se distribuerait indifféremment entre extrême-droite et une supposée extrême-gauche : le vote des classes populaires dépend de la structuration de leurs capitaux mais également de la culture politique des individus.

Reprenant les principaux arguments de son travail de thèse mené auprès d’électeurs RN dans la région Sud-Paca[1], Félicien Faury indique que ce ne sont pas tant les classes les plus populaires qui se tournent vers le FN/RN mais les « petites classes moyennes stabilisées » : des individus retraités ou occupant un emploi en CDI dans un secteur peu menacé par la concurrence internationale et généralement propriétaire de leur logement. L’extrême-droite progresse auprès d’électeurs qui ont quelque chose à perdre, tant sur le plan matériel que symbolique, et qui se sentent menacés par le néolibéralisme.

Bien que regroupant des individus issus de milieux sociaux divers, la population étudiée par Félicien Faury présente des caractéristiques communes, à commencer par le territoire de résidence marqué par une forte concurrence résidentielle et la difficulté à accéder à des services publics de qualité. D’autres fractions de l’électorat FN/RN, ne partagent pas nécessairement ces caractéristiques et les déterminants de leur vote répondent à d’autres logiques[2].

Rappelons enfin qu’une proportion non négligeable de la bourgeoisie se range désormais derrière l’extrême-droite comme nous l’avons vu précédemment. Ainsi, le vote FN/RN n’est pas comme on le présente trop souvent un vote populaire contestataire mais bien un vote très interclasse, agrégeant des intérêts de classes antagonistes.

Le racisme, matrice du vote FN/RN

Dès lors, comment expliquer l’hétérogénéité du vote d’extrême-droite ? Pour Stéfano Palombarini, bien qu’ayant différentes attentes, les électeurs RN/FN partagent une même vision idéologique du monde social : en premier lieu, ils sont hostiles à l’État social et à la redistribution des richesses, ce que Félicien Faury qualifie de « ressentiment fiscal ». l’État est accusé d’entretenir une population inactive perçue comme parasitaire.

La mondialisation et la précarisation qu’elle a entraînée a favorisé l’émergence de ce qu’Olivier Schwartz a qualifié de « conscience triangulaire » au sein des classes populaires. Celles-ci ne se situent socialement plus uniquement en distinction de « ceux d’en haut » mais également de « ceux d’en bas ». Ainsi, pour Yann Le Lann « une partie des couches populaires développe une forme de dignité sociale fondée sur la distinction vis-à-vis des migrants comme des chômeurs » (p.52), ces deux catégories étant perçues comme oisives et parasitaires.

Comme l’indique Félicien Faury, le FN/RN entretient et attise cette conscience triangulaire dans une stratégie de racialisation de l’assistanat, articulant affects racistes et rapports de classe. Les immigrés sont désignés comme surnuméraires et improductifs et doivent donc payer les pots cassés du néolibéralisme. Ainsi, si l’adhésion à une vision du monde raciste n’est pas toujours le principal facteur du vote FN/RN n’en reste pas moins un de ses déterminants, la racialisation du monde social étant au cœur de l’idéologie de l’extrême-droite.

La première partie de l’ouvrage nous livre une analyse très précise des comportements électoraux à l’extrême-droite. Mais celle-ci ne progresse pas uniquement dans les urnes : l’extrême-droite gagne du terrain sur le plan de la bataille culturelle comme le montre la deuxième partie de l’ouvrage, intitulée « Mettre au pas la société, les combats culturels de l’extrême-droite ».

Double consensus raciste et falsification de la laïcité

Dans le premier chapitre de cette partie, Ugo Palheta revient sur la construction d’un « double consensus raciste » (p. 89) en France à partir des années 1980. La constitution progressive de l’immigration comme un « problème » puis la désignation des musulmans comme une menace pour la République ont conduit à l’émergence d’un nouveau sens commun anti-immigrés et anti-musulmans. Les partis de gouvernement ont joué un rôle important dans ce processus en acceptant le cadrage d’extrême-droite sur l’immigration puis en falsifiant la laïcité[3] en l’instrumentalisant à des fins islamophobes.

L’entreprise de politisation du racisme qui est celle du FN/RN a donc été permise et amplifiée par « la complicité d’acteurs centraux du jeu politique et médiatique » (p. 95), favorisant la montée en puissance de l’extrême droite en France.

L’extrême-droite entre réaction et appropriation des valeurs libérales

Les extrêmes-droites françaises ont connu une importante restructuration au moment de la « Manif pour tous » en 2012[4]. Ce mouvement social réactionnaire a permis la rencontre de différents cercles d’extrême-droite et a fait des questions de genre un enjeu central pour ce camp politique : il s’agissait de défendre une vision essentialiste et d’apporter une réponse idéologique à la troisième vague du féminisme. Le discours anti-féministe trouve plus tard son actualisation dans le discours anti-trans qui, comme le montrent Cassandre Begous et Fanny Gallot, réactive les forces politiques fédérées au sein de la « Manif pour Tous ».

Mais l’extrême-droite ne fait pas que rejeter les valeurs libérales : il peut arriver qu’elle se les approprie et les intègre à sa matrice raciste et identitaire. En ce qui concerne l’égalité entre les femmes et les hommes, l’extrême-droite – ainsi qu’une partie des néolibéraux mais également des institutions ou personnalités féministes – opère une racialisation du  sexisme[5] conduisant à l’émergence d’un discours fémonationaliste[6]. Comme le montre Charlène Calderaro, plus qu’une instrumentalisation, il s’agit d’une réelle appropriation : l’extrême-droite intègre ces questions de manière cohérente dans son logiciel et leur propose une réponse politique.

Zoé Carle montre dans sa contribution que de la même manière, le FN/RN a dû se positionner vis-à-vis des enjeux climatiques et écologiques, désormais incontournables dans le champ politique. En puisant dans un corpus déjà constitué dans les milieux néopaïens et identitaires, l’extrême-droite défend une « écologie intégrale » ancrée localement et respectueuse du vivant. Ne reposant sur aucune base scientifique, ce cadrage s’inscrit de façon cohérente dans un imaginaire plus large, rejetant la mondialisation et défendant la vie sous toute ses formes (rejoignant ainsi le refus de l’avortement).

Médias et extrême-droite : la fabrique de l’opinion

Deux articles reviennent sur le rôle que jouent les médias sur la diffusion de l’idéologie d’extrême-droite. Dans sa contribution, Samuel Bourron étudie comment la structuration du champ médiatique permet la mise en circulation de concepts d’extrême-droite et impose un cadrage idéologique. En instrumentalisant les faits-divers et grâce à une stratégie de communication efficace, l’extrême-droite est en mesure de générer des paniques morales et ainsi diffuser son discours sécuritaire, réactionnaire et raciste.

Cette diffusion est largement facilitée par le fait que de nombreux médias sont aux mains de grandes fortunes cherchant à faire progresser l’extrême-droite, au premier rang desquelles Vincent Bolloré. Pauline Perrenot propose dans sa contribution d’analyser comment les médias ont d’abord banalisé puis promu les discours d’extrême-droite.

La deuxième partie de l’ouvrage permet d’élargir la focale et de ne pas assimiler l’extrême-droite française au seul FN/RN. Les différentes contributions nous donnent à voir les liens et circulations d’idées qui existent entre la forme électorale et partisane de l’extrême-droite (RN et marginalement Reconquête!) et des mouvements plus informels ou marginaux en capacité de produire une pensée puis de la diffuser plus largement. A ce titre, il semble manquer une contribution portant sur l’influence de l’extrême-droite sur internet et les réseaux sociaux. En effet, une partie importante de la bataille culturelle sur l’hégémonie se joue sur internet où la fachosphère a pignon sur rue pour diffuser ses idées[7].

Intitulée « Maintenir l’ordre bourgeois, des réseaux tissés en complicité avec l’oligarchie », la dernière partie compile différents articles portant sur des sujets divers et donne plutôt l’impression d’un patchwork. Elle s’ouvre par un entretien avec Didier Fassin sur la police rappelant que ce corps est désormais largement acquis au FN/RN et en mesure d’imposer son agenda aux gouvernements qui sont par ailleurs dépendants de celle-ci pour imposer par la force leurs mesures impopulaires et réprimer les mouvements sociaux et de défense de l’environnement.

Figure également un article de Vincent Berthelier sur la notion de style dans la littérature d’extrême-droite française. Dénotant par son sujet, cette contribution signale que bien que les sciences sociales semblent actuellement plus adaptées pour ce qui est de diffuser et défendre des idées, la littérature et son enseignement restent un enjeu politique et ne doivent pas être abandonnés à l’extrême-droite. Outre l’article de Pauline Perrenot sur les médias et la banalisation de l’extrême-droite dont nous avons précédemment traité, deux articles méritent une attention particulière et viennent combler certains manques de l’ouvrage dans son ensemble.

Libertarianisme autoritaire et internationale fasciste

Dans une contribution très riche, Marlène Benquet propose d’analyser la progression de l’extrême-droite non pas du côté de la « demande » politique émanant des électeurs, mais plutôt de « l’offre », c’est-à-dire des partis et de leur structuration.

L’article se propose plus particulièrement d’étudier les liens existant entre milieux d’affaire et réseaux d’extrême-droite : afin de gagner en influence, les partis d’extrême-droite cherchent à donner toujours plus de gages aux milieux d’affaire et les rassurer sur les conséquences économiques et financières dans le cas où ils accéderaient au pouvoir. Il existe ainsi de nombreux et puissants réseaux d’influence ou think tanks financés par les milieux d’affaires et des grandes fortunes œuvrant à faire progresser l’extrême-droite[8].

Pour Benquet, la conversion des milieux d’affaires – auparavant favorables à des politiques libérales et conservatrices – à une doctrine libertarienne autoritaire et réactionnaire s’explique par la transformation des modes d’accumulation. Le capitalisme est passé depuis une vingtaine d’années d’une économie d’endettement administré (première financiarisation) à une seconde financiarisation reposant sur la gestion de capitaux d’autres institutions par des pôles d’accumulation.

Cela a favorisé l’émergence et la diffusion de la doctrine libertarienne autoritaire reposant sur trois principes fondamentaux : la volonté des acteurs économiques de s’émanciper de la régulation étatique et des organisations régionales, la réduction de l’État à sa seule fonction de garant de la propriété privée et la mise en actif des individus et du vivant. Nombre de responsables politiques se sont déjà rangés derrière cette doctrine libertarienne (au premier rang desquels Trump et Milei), rejoints par une part de plus en plus importante de la bourgeoisie et du patronat.

Cet article est un des seuls (avec celui de Aurélie Dianara et Salvatore Prinzi en première partie) à mettre en lumière le fait que l’extrême-droite s’organise à l’échelle internationale, formant ce qu’Ugo Palheta a désigné comme une internationale fasciste[9]. Ce décentrage de la focale permet de contrebalancer la dimension franco-centrée du reste de l’ouvrage.

Le compromis nationaliste entre le RN et les groupuscules violents

La contribution de Mathieu Molard revient sur les liens que continue d’entretenir le FN/RN avec les groupuscules d’extrême-droite extraparlementaires. Le FN repose dès sa création sur l’idée de « compromis national »[10] entre les différentes chapelles d’extrême-droite française sans imposer de cadrage idéologique autre que l’ethno-nationalisme, le culte du chef et un conservatisme réactionnaire.

Le parti offre alors une « maison commune » aux différents courants d’extrême-droite – y compris les plus radicaux et violents – qui continuent d’exister en dehors du jeu électoral. Au sein de l’appareil du parti, les différents courants coexistent et luttent pour imposer leur hégémonie. C’est notamment le cas pour la doctrine identitaire de Dominique Venner ou de la théorie du « Grand Remplacement » de Renaud Camus, toutes deux issues de mouvances extra-parlementaires et désormais reprises par le RN/FN.

Malgré la stratégie de dédiabolisation du parti depuis l’arrivée de Marine Le Pen à sa tête, des liens subsistent entre le FN/RN et les groupuscules violents. C’est notamment le cas de la Cocarde étudiante ou d’anciens responsables du GUD que l’on retrouve parmi les collaborateurs de Marine Le Pen. Bien que tenus publiquement à distance, ces militants violents constituent une force mobilisable lors des campagnes électorales ou pour mener certaines actions de terrain. Ils détiennent également une importante capacité de nuisance lorsqu’il s’agit de mener des campagnes de cyber-harcèlement coordonnées contre telle ou telle personnalité ou organisation.

Cet article nous rappelle que si l’extrême-droite progresse électoralement, elle resurgit également dans nos rues. Que l’on songe à l’expédition punitive à Roman-sur-Isère après la mort de Thomas à Crépol en 2023 : des dizaines de nervis, membres de différents groupuscules fascistes, se sont coordonnés pour organiser une véritable ratonnade. Le soir de la victoire du FN/RN aux élections européennes de 2024, des agressions racistes et LGBTphobes ont été recensées à travers la France. L’extrême-droite représente une menace électorale mais également un danger physique pour un nombre important de personnes, membres de minorités et/ou opposants politiques.

Une résistible ascension ?

L’ensemble des contributions de l’ouvrage nous donnent à voir comment l’extrême-droite progresse en France sur tous les terrains. La lecture donne ainsi parfois le vertige, la victoire lui semblant d’ores et déjà acquise. Ce sentiment est renforcé par le fait que les articles sont avares en propositions stratégiques, se concluant rarement sur des pistes politiques. On pourrait arguer qu’il est nécessaire de bien connaître son ennemi pour le vaincre ou que le rôle des chercheurs n’est pas de proposer un programme d’action. Ces deux arguments se tiennent mais on reste toutefois sur notre faim quant à la promesse tacite du titre du livre, celle de nous convaincre que tout n’est pas perdu.

D’intéressantes réponses sont toutefois à trouver dans la postface de Clémence Guetté, s’inscrivant pleinement dans la stratégie électorale de la France Insoumise. Reprenant la plupart des constats posés précédemment, elle identifie certaines faiblesses de l’extrême-droite et comment celles-ci peuvent être exploitées pour la vaincre.

Le principal danger selon la députée et co-présidente de l’Institut La Boétie n’est pas tant le FN/RN que le processus d’extrême-droitisation de la société française. La gauche ne contrera pas cette évolution en allant sur le terrain de l’extrême-droite ou en acceptant son cadrage idéologique : face à l’extrême-droite, à son racisme et à son autoritarisme, il faut apporter une réponse ferme et intransigeante. En effet, «quand un point de résistance apparaît contre les idées d’extrême-droite, il devient un point de ralliement pour beaucoup» (p.253).

En appelant à la justice après la mort de Nahel Merzouk à l’été 2023 ou en dénonçant le génocide en Palestine, la France Insoumise a offert un espace politique respirable là où le reste des discours était saturé par une rhétorique sécuritaire et islamophobe étouffante. Là où certains dénoncent un opportunisme électoral, il s’agit plutôt de défendre des convictions politiques : comme le souligne Clémence Guetté, l’opportunisme serait justement d’abandonner ces convictions pour aller là où l’on pense que l’opinion publique nous attend.

La lutte contre l’extrême-droite repose également sur la mobilisation du bloc populaire et le ralliement des abstentionnistes, à commencer par la jeunesse et les quartiers populaires. Cela suppose notamment de défendre l’accès aux services publics et de susciter une dynamique d’union populaire via les syndicats, les associations et les habitants des territoires. Cette mobilisation passe par le fait de se saisir de sujets tels que l’antiracisme, la lutte contre les discriminations, le rôle de la police ou l’écologie radicale : « [ce] ne sont pas des repoussoirs. Ce sont des sujets concrets de politisation pour des millions de gens que nous avons besoin de voir entrer dans l’action » (p. 256).

Pour Clémence Guetté, il s’agit par ailleurs de réintroduire un clivage vertical (travailleurs contre patrons) face au clivage horizontal (Français contre immigrés) imposé par l’extrême-droite.

Enfin, la principale force de l’extrême-droite est de capitaliser sur la résignation et l’impossibilité d’imaginer autre chose. La gauche doit alors proposer de nouveaux horizons, un monde désirable et imposer un contre-récit hégémonique.

Pour un antifascisme populaire, partout, tout le temps

Comme nous l’avons souligné à plusieurs reprises, Extrême-droite, la résistible ascension est un ouvrage très complet synthétisant des contributions des principaux chercheurs actuels spécialistes de l’extrême-droite. Le livre est riche d’enseignements et constitue une solide introduction aux travaux des contributeurs.

On pourrait regretter une analyse parfois trop centrée sur les enjeux électoraux, l’extrême-droite française étant souvent assimilée au FN/RN. Les pistes stratégiques avancées par Clémence Guetté en postface sont pertinentes mais souffrent également de ce biais : il n’y est que peu question de combattre l’extrême-droite au quotidien, la victoire ne semblant passer que par les urnes (et la France Insoumise). Plutôt que de construire et imposer un contre-récit entre chaque échéance électorale, ne devrions-nous pas multiplier les actes de résistance ?

La gauche doit être présente et identifiable sur tous les terrains pour progresser et faire face à une extrême-droite omniprésente dans les médias. Cela passe par le syndicalisme dans nos entreprises et services publics, le mouvement social et les actions militantes mais aussi l’investissement de collectifs et associations locales. François Ruffin – dont Johann Chapoutot fait à de nombreuses reprises mention dans la préface du livre – a de longue date défendu cette dynamique militante quotidienne et ancrée localement. On regrette qu’il n’ait depuis pas tenu compte d’un autre point fondamental : la gauche ne doit rien céder avec l’extrême-droite, à commencer par l’antiracisme et la solidarité avec les peuples opprimés.

Face à l’extrême-droite, la gauche se doit d’être radicale, c’est-à-dire puiser dans ses racines et construire un antifascisme du quotidien, reposant sur des solidarités de classe et refusant que certains soient laissés derrière.

Notes

[1]Félicien Faury, “Vote FN et implantation partisane dans le Sud-Est de la France : racisme, rapports de classe et politisation”, thèse de doctorat en sciences politiques soutenue en 2021. Cette thèse a donné lieu à la publication d’un livre Des électeurs ordinaires, enquête sur la normalisation de l’extrême-droite, Le Seuil 2024.

[2]Voir notamment Benoît Coquard, Ceux qui restent, La Découverte, 2019.

[3]Jean Baubérot, La laïcité falsifiée, La Découverte 2012

[4]Magali Della Sudda, Les nouvelles femmes de droite, Hors d’atteinte, 2022

[5]Christelle Hamel. De la racialisation du sexisme au sexisme identitaire. Migrations Société, 2005

[6]Sara R. Farris, In the Name of Women’s Rights. The Rise of Femonationalism, Duke University Press, 2017

[7]On pourra à ce titre se référer au livre de Pierre Plottu et Maxime Macé, Pop fascisme, comment l’extrême-droite a gagné la bataille culturelle sur internet, Divergences, 2024

[8]Citons notamment les réseaux Atlas et Stockholm, think tanks libertariens fédérant de nombreuses organisations. Dans un récent article, l’Observatoire des multinationales alertait sur l’influence grandissante du réseau Atlas en France et en Europe.

[9]Ugo Palheta, La nouvelle internationale fasciste, Textuel, 2022

[10]Mathieu Molard reprend ici la formule de Charles Maurras, figure tutélaire de l’extrême-droite française, qui propose aux différents groupes d’extrême-droite une alliance tactique et circonstancielle en 1934.

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