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Peter Hallward propose ici un retour à Fanon à partir des catégories de volontarisme et de volonté populaire. Selon lui, « la confrontation entre une détermination volontaire et active, et l’imposition de la résignation, constitue le théâtre où se joue toute l’œuvre de Fanon, des premiers travaux aux derniers ». Cela l’amène également à reprendre la question de la violence et de la lutte armée.

Ce texte a été initialement publié dans le numéro 10 de Contretemps (juin 2011).

 

Cinquante ans après la mort de Frantz Fanon1, quel est l’élément de sa théorie politique et de sa philosophie générale qui reste le plus vif ? Les catégories qui ont défini le contexte immédiat de ses dernières publications et des dernières années de sa vie – décolonisation, nationalisme, violence rédemptrice ­- appartiennent en premier lieu à une séquence historique qui s’est achevée, dans les années 1970, avec les dernières guerres de libération nationale victorieuses. La notion centrale à l’ouvre au creux de ces catégories, est cependant à la fois bien antérieure à cette séquence et sans aucun doute plus actuelle que cette dernière, dont l’ensemble des effets politiques reste limité. Bien que ses adversaires aient déjà cherché à renvoyer la notion dont il est question aux poubelles de l’histoire des concepts, bien avant que Fanon vienne lui-même la retravailler,  sa portée véritable est toujours orientée vers l’avenir.

Quelle est cette notion familière qui est devenue pratiquement insaisissable dans cette ère ultra capitaliste, une ère marquée par la marchandisation accomplie et l’impérialisme éthico-humanitaire ? Il s’agit du concept de volonté politique autonome. Plus précisément, c’est la théorie et la pratique d’une « volonté du peuple » militante et conçue de sorte qu’elle soit à la fois prescriptive et inclusive.

C’est  cette même notion que Rousseau et les Jacobins érigèrent comme le point clivant de la politique moderne. C’est aussi la pratique que, après Hegel et Marx, Lénine désigna comme élément central de l’expérience révolutionnaire moderne2. Cette pratique, les contemporains de Fanon (Mao, Castro, Che Guevara, Giap, Mandela…) l’ont maintenue à l’horizon comme cadre référentiel. Il s’agit aussi du concept qui a été le plus minutieusement oublié, sinon réprimé, en théorie comme en pratique, par le champ qui ces dernières décennies s’est largement approprié l’héritage de Fanon : celui des études postcoloniales. Tout « retour à Fanon » digne de ce nom doit inclure comme étape préliminaire, l’oubli de cet oubli, afin de se rappeler cette confrontation moins récente entre la mobilisation politique d’une volonté populaire et la myriade de forces qui cherchent à pacifier et à « dévolontariser » le peuple.

La confrontation entre une détermination volontaire et active, et l’imposition de la résignation, constitue le théâtre où se joue toute l’œuvre de Fanon, des premiers travaux aux derniers. Par la liaison de ses premières analyses existentialistes de la liberté individuelle, avec son insistance tardive sur le devoir patriotique et l’engagement, la volonté est le terme qui relie son travail psychologique et politique.  La mobilisation de la volonté du peuple est la priorité qui accompagne ce que l’on pourrait appeler sa « psychologie politique ». Elle associe sa défense stratégique de la « terreur » à l’affirmation d’un « humanisme universaliste » accompli et concret.  Elle connecte l’héritage révolutionnaire français à son internationalisme ultérieur. Mobilisée et unie, l’indomptable volonté du peuple explique le triomphe de la révolution algérienne et anticipe son expansion panafricaine ; démobilisée et dispersée, elle vacille face à la réaction néocoloniale. La même alternative continue de définir les enjeux des luttes anti-impérialistes d’aujourd’hui. Pour le dire plus simplement, Fanon doit être lu comme le plus pénétrant et le plus incorruptible des théoriciens politiques volontaristes du vingtième siècle3.

Un simple aperçu des formulations récurrentes dans l’écriture du Fanon des années 1950, dans ses articles pour le Front de Libération Nationale Algérien (FLN), donne déjà un certain poids à cette caractérisation. Rassemblés dans l’ouvrage posthume Pour la révolution africaine, ces articles fourmillent de références à « la volonté d’indépendance » et la « volonté nationale des peuples opprimés »4, etc.  En premier lieu, la révolution algérienne « témoigne de la volonté du peuple »5, et la situation qui en résulte est décrite avant tout comme « la rencontre armée de la volonté nationale du peuple algérien et de la volonté d’oppression colonialiste des gouvernements français »6. Toute approche de l’Algérie révolutionnaire dépeinte par Fanon à la fin des années 1950 doit reconnaître « la volonté de douze millions d’hommes. C’est la seule réalité »7. Et à mesure que cette volonté d’indépendance progresse vers l’accomplissement de ses buts, l’affirmation d’une « volonté nationale contre la domination étrangère » devient et demeure l’« idéologie commune » de la totalité du mouvement de libération africain8.

Le volontarisme de Fanon n’est pas moins emphatique dans son approche de la psychologie qu’il commence à développer dans son premier ouvrage, Peaux noires, masques blancs (1952). Si, comme Fanon l’observe (à deux reprises), « le malheur de l’homme est d’avoir été enfant », si le début de toute vie est toujours « noyé dans la contingence », alors c’est à travers « un effort de reprise sur soi et de dépouillement, c’est par une tension permanente de leur liberté que les hommes peuvent créer les conditions d’existence idéales d’un monde humain »9. Nul facteur « objectif » – généalogie culturelle ou ethnique, race essentialisée, mission historique – ne saurait déterminer le chemin  d’un tel examen et d’une telle création. L’enjeu ici pour Fanon, après Sartre, est d’amener les gens « à prendre conscience des possibilités qu’ils se sont interdites, de la passivité dont ils ont fait montre dans des situations où justement il fallait, telle une écharde, s’agripper au coeur du monde, forcer s’il le fallait le rythme du cœur du monde, déplacer s’il le fallait le système de commande, mais en tout cas, mais certainement, faire face au monde »10.

Dans la bataille philosophique antique qui oppose la volonté contre l’intellect comme des entités rivales en ce qui concerne la faculté première de l’esprit, l’adhésion de Fanon est alors évidente. Le rôle d’un intellectuel ou d’un artiste engagé, est, par-dessus tout, de traduire « le vouloir manifeste du peuple »11. L’effort pour comprendre ce qui est se révèle secondaire par rapport à la détermination de ce qu’il faut prescrire (puis réaliser) de ce qui doit être. « Au sein du peuple, de tout temps, la vérité n’est due qu’aux nationaux. Aucune vérité absolue, aucun discours sur la transparence de l’âme ne peut effriter cette position. […] Le vrai, c’est ce qui précipite la dislocation du régime colonial, c’est ce qui favorise l’émergence de la nation »12.

 

Conditions d’un volontarisme conséquent

Inutile de le dire, comme tout volontariste conséquent, Fanon est critique des conceptions déformées de la volonté qui la retournent contre elle-même : réflexe instinctif, « ferveur » irréfléchie, impulsion « aveugle ». Fanon condamne « le volontarisme aveugle »13, par exemple, précisément parce qu’il est conscient des conditions préliminaires de tout volontarisme conséquent. Ces conditions sont aisément déductibles du concept lui-même (et la plupart avaient été anticipées par le premier philosophe à se saisir du problème de la volonté populaire ou « générale », à savoir Rousseau).

Un volontarisme consistant nécessite, en premier lieu, une volonté politique effectivement conçue comme un acte de volition ou de volonté, plutôt que de compulsion, coercition ou « instinct ». L’action volontaire est une question de délibération et prescription libres. La volonté politique est toujours une pensée aboutie : elle inclut l’enthousiasme « spontané » ou la rébellion, dans une mobilisation organisée ou une campagne disciplinée. Elle affirme le primat de la décision consciente et de l’engagement, indépendamment de toute détermination plus « profonde » (ou inconsciente), qu’elle soit instinctive, historique, technologique…

Deuxièmement, pour que cette description de la volonté politique soit pleinement ou universellement émancipatrice – c’est-à-dire « humaniste » au sens que lui donne Fanon  – il faut  qu’il s’agisse de la volonté du « peuple » en tant que tel, et non d’un groupe dont les privilèges ou les intérêts le poussent en dehors du peuple.

Troisièmement, la volonté n’est pas simplement opposée au réflexe ou à l’impulsion : elle est également opposée à la pure spéculation ou au souhait. La volonté politique se maintient dans la mesure où elle est capable de réaliser ou d’« actualiser » ses prescriptions, c’est-à-dire de surmonter la résistance de ceux qui s’opposent à elles. La volonté est affaire de victoire ou de défaite. La victoire demande le rassemblement et l’unité du peuple, et la mobilisation d’une force capable de vaincre les ennemis du peuple. Comme toute sorte de volonté, la volonté politique est une question de détermination et de lutte, celle qui soit continue et s’affermit, soit flanche et faillit. La phase de « libération totale » que Fanon anticipe « doit être dure et menée avec aridité […] les peuples coloniaux doivent redoubler de vigilance et de vigueur. L’apparition d’un nouvel humanisme est à ce prix »14. Sous la pression de la guerre anticoloniale, Fanon redécouvre le principe stratégique qui guida Robespierre, Lénine et Mao, alors qu’ils menaient leurs propres guerres pour mettre fin aux guerres : un « humanisme » véritablement inclusif ou universel ne peut être achevé que par la lutte résolue contre ses adversaires, et non par l’extension des formes existantes de tolérance, de « reconnaissance » ou de « respect », pas à travers des formes plus appropriées ou raisonnables de représentation, de préoccupation, de gestion, etc.15

Le reste de cet essai travaillera à partir de l’approche de Fanon de ces conditions générales de la volonté politique, en commençant par la dernière : tout lecteur s’avisera qu’une version de cette troisième condition s’est imposée à ce dernier quand il a pris conscience de la couleur de sa peau.

 

La machine culturelle coloniale

Il y a deux façons globales d’anéantir la volonté du peuple. La plus fiable et la plus sécurisée des manières est de l’apaiser en le réduisant à une passivité révérencieuse, de sorte que la possibilité d’une insurrection volontaire ne puisse jamais voir le jour. Sous des conditions favorables, ce type d’approche, « hégémonique », peut ne nécessiter que la manipulation de ces appareils idéologiques – éducation, médias, consommation, divertissement… – requis pour garantir la « fabrique du consentement ». L’alternative est bien plus directe et abrupte, elle implique l’usage de toute la force nécessaire pour disperser, diviser ou pacifier un groupe de personnes ; l’« accumulation primitive » du pouvoir impérial, pas moins que ce que Marx appelait accumulation primitive du  capital, a pratiquement toujours reposé sur un tel usage de la force. Le colonialisme, que Fanon a consacré sa vie à défaire, a combiné ces deux stratégies. « Les hommes  colonisés ont cela en commun qu’on leur conteste le droit de constituer un peuple »16, par une combinaison de coercition et de consentement.

La conquête seule permet au colonialisme de se lancer. Le colonialisme ne peut cependant réellement durer qu’à travers la colonisation de l’esprit et la consolidation d’un profond et ample « complexe d’infériorité ». Le colonialisme tient « le peuple dans ses mailles » en contrôlant son futur et en déformant et détruisant son passé, et en vidant « le cerveau colonisé de toute forme et de tout contenu »17. Une fois sa supériorité militaire établie, la culture coloniale produit, à travers une vaste étendue de médiations, une interminable « série de propositions qui, lentement, sournoisement, à la faveur des écrits, des journaux, de l’éducation, des livres scolaires, des affiches, du cinéma, de la radio, pénètrent un individu – en constituant la vision du monde de la collectivité à laquelle il appartient »18. La colonisation victorieuse conduit l’opprimé à s’identifier avec la vision du monde de l’oppresseur. A partir du moment où la machine culturelle coloniale mène chacun à croire qu’on « était nègre dans la mesure où l’on était mauvais, veule, méchant, instinctif », alors, ensuite encouragé de tous côtés à s’identifier à ce qui est Blanc, « je me méfie de ce qui est Noir en moi, c’est-à-dire de la totalité de mon être ». L’intériorisation « volontaire » de cette méfiance complète le projet colonial, et rétablit une forme d’esclavage sur une base plus solide encore. « Le Noir antillais est esclave de cette imposition culturelle. Après avoir été esclave du Blanc, il s’auto-esclavagise »19.

Le colonialisme s’enracine donc sur un territoire dans la mesure où il encourage la « passivité » et le « désespoir », sinon la « résignation » ou le fatalisme parmi les habitants autochtones. Comme le Docteur Fanon le diagnostique, le colonialisme est avant tout un projet pour rompre la volonté des peuples colonisés à une échelle de masse, et il n’est pas accidentel que le thème dominant des caractérisations coloniales des colonisés consiste à souligner leur manque apparent de volonté et de maîtrise de soi. Le racisme colonial est un effort systématique pour représenter les peuples indigènes comme l’« instrument inconscient et irrécupérable de forces aveugles »20. Confronté à l’Indigène ou au Nègre, le colonialisme ne voit qu’un être « naturel » plutôt que social ou civilisé, et conclut : « chassez le naturel, il revient au galop »21. La conséquence politique d’une telle caractérisation est prévisible, et peu différente des recommandations du libéralisme classique (c’est-à-dire raciste) européen, de Locke à Burke en passant par Tocqueville et Mill.

La volonté du peuple cependant ne peut devenir la base d’une pratique révolutionnaire ou émancipatrice que dans la mesure où le premier terme informe le second : le « peuple » devient une catégorie politique dans la mesure où il en vient à partager une volonté d’indépendance, et une telle volonté n’est émancipatrice qu’en tant qu’elle embrasse la totalité d’un peuple opprimé. La seule émancipation véritable est l’auto-émancipation délibérée ou volontaire. Fanon sait aussi bien que Marx que « cette libération doit être l’oeuvre nécessaire du peuple opprimé »22. (De la même façon, il sait que les peuples à qui la libération est imposée – comme la figure du maître et de l’esclave dans la Phénoménologie de Hegel – demeurent assujettis). La décolonisation est précisément ceci, la conversion d’une passivité spontanée en une activité assumée ou maîtrisée. La décolonisation « est véritablement création d’hommes nouveaux. Mais cette création ne reçoit sa légitimité d’aucune puissance surnaturelle : la « chose » colonisée devient homme dans le processus même par lequel elle se libère »23.

 

L’auto-émancipation du peuple

Fanon fait confiance au peuple et se met au service de sa révolution. Le peuple est à même d’œuvrer à son auto-émancipation. Il s’agit, à la fois, d’un « article de foi »,  le présupposé d’un engagement révolutionnaire, et d’une leçon apprise de l’expérience militante. D’une part, Fanon est certain qu’ « on peut tout expliquer au peuple, à condition toutefois qu’on veuille vraiment qu’il comprenne »24. La compréhension facilite l’autonomie. « Plus le peuple comprend, plus il devient vigilant, plus il devient conscient qu’en définitive tout dépend de lui et que son salut réside dans sa cohésion dans la connaissance de ses intérêts et de l’identification de ses ennemis »25. D’autre part, sous la pression extraordinaire des événements, en Algérie « nous avons compris que les masses sont à la hauteur des problèmes auxquels elles sont confrontées »26. Pas moins que Rousseau, Fanon est assuré que si le peuple est libre de délibérer et de s’appuyer sur un cheminement propre, alors tôt ou tard il pourra résoudre les problèmes auquel il fait face (ou, dans les termes plus emphatiques de Rousseau, si les circonstances autorisent une volonté générale ou universelle, si un groupe est effectivement capable de soutenir une volonté une et indivise, alors une telle volonté ne faillira jamais27). L’expérience algérienne prouve, comme le constate Fanon, « que l’important n’est pas que trois cents personnes conçoivent et décident mais que l’ensemble, même au prix d’un temps double ou triple, comprenne et décide »28.

Pour Fanon, ainsi – et c’est là où il s’éloigne le plus de Lénine ou de Mao – le peuple, plus que ses leaders ou son parti, est le seul sujet adéquat de la volonté politique.

Un parti a son rôle à jouer, mais « le parti doit être l’expression directe des masses. Le parti n’est pas une administration chargée de transmettre les ordres du gouvernement. Il est le porte-parole énergique et le défenseur incorruptible des masses. Pour parvenir à cette conception du parti, il faut avant toute chose se débarrasser de l’idée très occidentale, très bourgeoise, donc très méprisante, que les masses sont incapables de se diriger. L’expérience prouve en fait, que les masses comprennent les problèmes les plus compliqués »29.

Pour Lénine, le parti doit guider le prolétariat industriel qui en retour guide les classes laborieuses dans leur totalité ; le parti fournit l’environnement théorique à travers lequel le peuple va « spontanément » reconnaître et retenir des leçons de sa propre expérience30. Entraîné par son engagement dans la révolution algérienne, Fanon inverse en effet l’ordre des priorités. « Alors que dans beaucoup de pays coloniaux c’est l’indépendance acquise par un parti qui informe progressivement la conscience nationale diffuse du peuple, en Algérie c’est la conscience nationale, les misères et les terreurs collectives qui rendent inéluctable la prise en main de son destin par le peuple »31.

Néanmoins, Fanon reste proche de Lénine (et donc de Mao) par son insistance sur le primat de la détermination comme élément décisif de la politique : ce qui compte est précisément la volonté populaire,  plutôt que les opinions populaires, les mœurs ou la culture. Pour Lénine, des débuts à la maturité, la priorité est toujours d’« atteindre une volonté unanime parmi l’avant-garde du prolétariat comme condition fondamentale pour le succès de la dictature du prolétariat », elle-même condition de toute capacité populaire et de démocratie32. Étant donné les rapports de force réels, « la victoire contre la bourgeoisie est impossible sans une lutte à mort longue, obstinée et désespérée qui appelle à la ténacité, la discipline, et une volonté une et inflexible »33. Pour Mao, de la même façon, l’initiative politique appartient à ceux dont « la conviction inébranlable » et la « persévérance intarissable » les autorisent à « déplacer des montagnes »34. L’enjeu est d’abord d’unifier, de concentrer et d’intensifier la lutte de la « volonté de combat » du peuple contre ses oppresseurs, puis d’établir une forme de gouvernement qui sera l’expression « la plus fidèle de la volonté de tout le peuple révolutionnaire », sinon de « la volonté unanime de la nation »35.

Dans la filiation de la distinction rousseauiste fondamentale entre la volonté générale du peuple et la simple « volonté de tous »36, ce qui importe c’est la capacité collective d’identifier et de vouloir l’intérêt général en tant que tel, plutôt qu’un agrégat d’intérêts ou d’opinions de chacun des individus en tant qu’individus. Lénine privilégie le parti car (comme il l’observe) c’est le sujet le plus capable de vouloir et d’agir avec le type de clarté, d’unité et de « détermination de fer » que la lutte politique requiert ; le prolétariat, en outre, est la classe dont les circonstances économiques et les conditions de travail (leur coordination comme employés de grandes entreprises, l’absence de propriétaires privés de moyens de production en son sein), la confronte à la vérité de l’exploitation capitaliste sous sa forme la plus pure, tandis qu’elle la libère de la « vacillation » caractéristique des petits propriétaires et de la petite bourgeoisie. Le prolétariat est dans la position de voir clairement ce contre quoi il lutte, dans des conditions qui renforcent la solidarité, la discipline et la résolution, et qui découragent le compromis et le réformisme ; adéquatement mené, il est en position, schématiquement, d’agir à l’avant-garde des classes laborieuses.

Inversant la distribution des rôles opérée par Lénine, Fanon privilégie la paysannerie pour des raisons approximativement similaires : dans la situation coloniale, la paysannerie est le secteur avec la plus grande population capable de soutenir une volonté révolutionnaire. Dans l’Algérie de Fanon comme dans le Hunan de Mao, c’est la paysannerie qui est la mieux placée pour « écraser toutes les embûches qui [l’]arrête, et se précipiter sur le chemin de la libération »37. Dans les colonies c’est la classe ouvrière urbaine qui tend à vaciller sous la pression de la lutte anticoloniale. Les villes modernes apparaissent là comme « îlots métropolitains »38, et « dans les territoires coloniaux, le prolétariat est le noyau du peuple colonisé le plus choyé par le régime colonial »39. Les fermiers paysans, en revanche, sont les premiers à affronter toute la réalité de l’oppression coloniale, et les premiers à en tirer les conséquences inévitables. « Le paysan, le déclassé, l’affamé est l’exploité qui découvre le plus vite que la violence, seule, paye. Pour lui, il n’y a pas de compromis, pas de possibilité d’arrangement. La colonisation ou la décolonisation, c’est simplement un rapport de forces »40.

Ainsi la confiance de Fanon dans le peuple n’est pas inconditionnelle : il a confiance dans le peuple dans la mesure où celui-ci veut activement et détermine le chemin de sa propre destinée politique. Dans le cas d’un peuple opprimé ou colonisé, cela veut dire que l’affirmation de la catégorie de peuple est inséparable de la participation de sa volonté d’auto-émancipation. Si le succès d’une décolonisation victorieuse est mesuré par le fait qu’« un panorama social » est « changé de fond en comble […] [l]’importance extraordinaire de ce changement est ce qui est voulu, réclamé, exigé »41. Il n’y a pas d’autre genre de changement qui ait la moindre chance de succès. Fanon sait aussi bien que Lénine que l’on ne « désorganise pas une société […] si l’on n’est pas décidé dès le début […] à briser tous les obstacles qu’on rencontrera sur sa route »42.

En Algérie, bien sûr, la détermination de la volonté du peuple a pris la forme particulière imposée par les obstacles qu’elle a rencontrés. Tout se ramène, ici, au moment où « une confrontation décisive jetait face à face la volonté d’indépendance nationale du peuple et la puissance dominante »43. En Algérie comme pour d’autres colonies de peuplement européennes, la victoire dans cette confrontation dépendait, et ce avant toute chose, de la volonté de surmonter la base principale d’un tel pouvoir – la violence politique systématique et brutale – sous ses propres modalités. Étant donné ce contre quoi il lutte, « l’homme colonisé se libère dans et par la violence »44. Éduqués par l’expérience de stériles décennies  de réformes négociées, les masses ont cette « intuition […] que leur libération doit se faire, et ne peut se faire, que par la force »45. Les révolutionnaires algériens sont obligés de recourir à la terreur pour la même raison que les jacobins en 1793 ou que les bolcheviks en 1918 : au cours de l’année 1956, « la direction de la Révolution se voit acculée, si elle ne veut pas voir la terreur prendre au ventre le peuple, à adopter des formes de lutte jusque-là écartées »46. À partir du moment où « le colonialisme n’est pas une machine à penser, n’est pas un corps doué de raison », à partir du moment où « il est la violence à l’état de nature », alors les partisans des luttes de libération nationale devaient en conclure qu’il « ne peut s’incliner que devant une plus grande violence »47.

 

Projet anticolonialiste et lutte armée

Fanon et ses contemporains arrivèrent à cette conclusion au moment où la violence coloniale était à la fois plus brutale que la violence anticoloniale (comme en témoignent les épouvantables massacres perpétrés à Sétif, Moramanga, Sharpeville, etc.) et loin d’être invincible (comme l’indiquent les victoires des années 1950 arrachées par des « guerres populaires » au Vietnam, à Cuba, et y compris en Algérie). Fanon tira ces conclusions alors qu’il était encore convaincu qu’« aucun pays colonialiste n’est aujourd’hui capable d’adopter la seule forme de lutte qui aurait une chance de réussir : l’implantation prolongée de forces d’occupation importantes »48. Il serait erroné de donner une portée générale à l’intérêt porté par Fanon à cette stratégie particulière. Cependant, un certain nombre d’éléments qui composent sa description de la guerre de libération nationale semble adaptés pour rendre compte d’une pratique politique volontariste.

En premier lieu, la volonté politique se constitue à travers une lutte contre un ennemi, un obstacle, ou une injustice. Par définition, il n’est pas de volonté sans contrainte ou sans résistance.  Que je le veuille ou non, se présente à moi un monde structuré par des rapports de domination et d’oppression, dans lequel je suis comme jeté.  La décision de prendre part à une lutte contre l’oppression coloniale est déjà la marque d’une étape cruciale du processus où « la peur, le tremblement, le complexe d’infériorité » sont expulsés de « la chair du colonisé »49.

Son dévouement pour la lutte met Fanon en accord avec ce principe léniniste fondamental : où que ce soit, « lancer à l’offensive »50. Pour ceux qui s’engagent dans la lutte armée, le seul impératif qui vaille, comme le dit Sartre, est de « chasser le colonialisme par tous les moyens »51. Confronté au pouvoir colonial, « il faut davantage l’acculer, couper toutes les issues, l’asphyxier sans pitié, tuer en [lui] toute velléité de domination »52. Dans cette perspective, tous les appels à la « négociation pacifique » ou à la « médiation internationale » sont autant de moyens de rendre les choses plus confuses.

Plus important encore, la participation à la lutte unifie ses participants et les constitue ainsi comme un peuple. L’objectif de la lutte anticoloniale n’est pas la réforme ou l’amélioration de la situation coloniale, mais son élimination à travers l’ « effort grandiose d’un peuple, qu’on avait momifié pour retrouver son génie, pour reprendre en main son histoire et s’installer en souverain »53. La victoire d’une telle lutte ne « consacre pas uniquement le triomphe de ses droits. Il procure à ce peuple densité, cohérence et homogénéité »54.

La capacité de se réunir et de se rassembler en choisissant de former des associations est l’un des traits que doit inclure toute description de la volonté politique, et une grande part du projet anticolonialiste implique de déterminer « les points précis où les peuples, les hommes et les femmes pouvaient se rencontrer, s’épauler, construire en commun »55. En règle générale, « les masses doivent pouvoir se réunir, discuter, proposer, recevoir des instructions » – dans la mesure où elle aide à donner corps aux décisions et aux actes de la volonté générale, «  la réunion de cellule, la réunion de comité est un acte liturgique »56. Tout, de la distribution de radios dans les campagnes au développement d’un art et d’une littérature patriotiques, doit contribuer à « réveiller la sensibilité du colonisé, à rendre inactuelles, inacceptables les attitudes contemplatives ou d’échec »57. « La mobilisation des masses, quand elle se réalise à l’occasion de la guerre de libération, introduit dans chaque conscience la notion de cause commune, de destin national, d’histoire collective »58. La libération nationale doit être accomplie par le peuple tout entier. Fanon n’avait pas plus de sympathie que Lénine vis-à-vis des actions « terroristes » ou « gauchistes » entreprises par un certain type de cliques néoblanquistes, mais il savait mieux que Lénine qu’il « faut se battre avec ténacité pour que jamais le parti ne devienne un instrument docile entre les mains d’un leader »59. Quelle que soit la décision prise, son succès « dépend de l’engagement coordonné et conscient de l’ensemble du peuple »60 : les chefs et les organisateurs existent pour faciliter et clarifier le processus par lequel une décision est prise, mais il ne s’agit pas pour eux de prendre cette décision. « Aucun leader quelle que soit sa valeur ne peut se substituer à la volonté populaire »61. « La lutte du peuple algérien n’est pas saluée comme un acte d’héroïsme mais comme une action continue, soutenue, en perpétuel renforcement »62.

Cependant, la participation collective à une lutte violente implique sans aucun doute le passage d’un point de non-retour. Dans une situation où « la presque totalité des hommes qui ont appelé le peuple à la lutte nationale étaient condamnés à mort ou recherchés par la police française, la confiance était proportionnelle au caractère désespéré de chaque cas. Un nouveau militant était sûr quand il ne pouvait plus rentrer dans le système colonial »63. Comme Saint Just et Robespierre en firent eux-mêmes l’expérience, il n’y a pas de base plus solide pour une « volonté générale » ou patriotique que la participation à une guerre pour le salut commun dans laquelle il n’est que deux issues possibles : la victoire ou la mort. « La lutte armée mobilise le peuple, c’est-à-dire qu’elle le jette dans une seule direction, à sens unique »64, et dès lors « l’affaire de chacun ne cesse plus désormais d’être l’affaire de tous, parce que, concrètement, on sera tous découverts par les légionnaires, doncmassacrés, ou on sera tous sauvés. Le « démerdage », cette forme athée de salut, est dans ce contexte prohibé »65.

Ce qui est impératif, en revanche, c’est de compter sur ses propres forces.  Dans la mesure où elle « ne peut pas être représentée », Rousseau explique que « la souveraineté, n’étant que l’exercice de la volonté générale, ne peut jamais s’aliéner, et que le souverain, qui n’est qu’un être collectif, ne peut être représenté que par lui-même ; le pouvoir peut bien se transmettre, mais non pas la volonté »66. Il n’y a pas de substitut ou de représentant qui puisse prendre la place du peuple – c’est une leçon que Lumumba dut apprendre à ses dépens, à la fin de sa propre lutte à mort, quand il fit l’erreur fatale d’en appeler aux Nations Unies (une institution qui sert à « briser la volonté d’indépendance des peuples ») plutôt qu’à ses propres partisans loyaux, ou à des alliances établies au cours d’une simple « amitié de combat »67.

Cette autonomie fait écho à un autre aspect fondamental de toute approche volontariste : son engagement pour l’ici et maintenant, pour l’action décisive au moment présent, et le rejet corrélatif de toute démarche qui procéderait à des ajournements, des « réformes », ou qui supposerait un « développement ». C’est la revendication d’une « indépendance qui permette au peuple algérien de prendre totalement son destin en main »68 qui est en jeu, sans attendre la reconnaissance ou l’approbation du maître colonial. Le but n’est pas de réformer la situation coloniale mais de l’abolir, non pas d’améliorer une situation de dépendance partielle, mais d’y échapper totalement. Pour le FLN, « tout marchandage est impensable »69, et « ce refus des solutions évolutives, ce mépris pour les  « étapes » qui brisent le torrent révolutionnaire et désapprennent au peuple cette volonté inébranlable de tout prendre en main tout de suite afin que tout change constituent la caractéristique fondamentale de la lutte du peuple algérien »70. En accord avec la logique néojacobine de Fanon, la volonté du peuple, quand elle existe, non seulement demande mais incarne une souveraineté immédiate et inconditionnelle.

Dans cette perspective tout du moins, la position de Fanon est au moins autant néojacobine que néobolchévique, si ce n’est même plus : pour Fanon, par contraste avec Lénine, l’usage de la volonté politique est plus radicalement autonome du développement historique « objectif », ou des soi-disant lois ou étapes du développement économique. En effet, dit Fanon, « la décolonisation s’effectue, mais il est rigoureusement faux de prétendre et de croire que cette décolonisation soit le fruit d’une dialectique objective qui prend plus ou moins rapidement les apparences d’un mécanisme absolument inacceptable. » L’optimisme révolutionnaire n’est pas ici tributaire d’une description de la situation objective : bien plutôt, « l’optimisme en Afrique est le produit direct de l’action révolutionnaire […] des masses africaines »71. Il n’y a pas de lois historiques ou économiques qu’il s’agirait d’épouser. Fanon ne laisse place à aucune excuse ou alibi : « à plus ou moins longue échéance un peuple a le gouvernement qu’il mérite »72. Tout dépend de nous et de « la fermeté de notre engagement »73.

Cela signifie, au final, que l’auto-détermination de la volonté est elle-même un guide suffisant pour l’action et ses conséquences. Prise isolément et dans ses propres termes, la volonté implique un engagement « total » et « sincère » à partir d’une expérience, sans réserve, sans remise en question, sans réfléchir aux motivations inconscientes ou aux arrière-pensées à l’œuvre, sans contextualisation, etc. Voilà la vraie raison que l’on peut trouver à l’objection fameuse de Fanon, dans Peau noire et masques blancs, adressée à l’interprétation sartrienne de la négritude comme moment purement transitoire d’une dialectique qui la dépasse. Sartre oublie que « la conscience engagée dans l’expérience ignore, doit ignorer les essences et les déterminations de son être », ne serait-ce que si ces dernières doivent être entendues comme ce qui donne une rationalité à l’expérience au-delà de sa propre auto-détermination consciente74. Au niveau individuel comme au niveau collectif une telle « ignorance volontaire » est bel et bien une dimension irréductible du primat de la pratique au sein de la volonté. Pour ces deux niveaux « rien de plus désagréable que cette phrase : « Tu changeras, mon petit; quand j’étais jeune, moi aussi… tu verras, tout passe. » La dialectique qui introduit la nécessité au point d’appui de ma liberté m’expulse de moi-même »75, tout comme la soumission à la logique du « développement » historique ou économique conduit à nouveau la nation tout juste libérée dans les rets de la nécessité. Plutôt que se soumettre à ce qui est réalisable, à ce qu’autorisent les circonstances, le premier devoir des militants révolutionnaires est de s’engager en faveur de leurs aspirations et de leur volonté de les accomplir – dans le cas de Fanon, « prendre l’absurde et l’impossible à rebrousse-poil et lancer un continent à l’assaut des derniers remparts de la puissance coloniale »76.

En accord avec cette logique volontariste, les parties centrales des Damnés de la terre mériteraient d’être lues, je pense, comme une esquisse des éléments fondamentaux, constitutifs de tout processus où s’établit une volonté politique ou générale, c’est-à-dire l’affirmation d’un projet collectif mené avec discipline. La constitution d’un tel projet commence avec le moment initial de l’association et de l’engagement volontaires,  l’affirmation « spontanée » de la solidarité nationale et ses limites intrinsèques. Un deuxième moment, celui de l’organisation et de la discipline, est nécessaire pour transformer une libération locale et immédiate en indépendance nationale durable. Suffisamment organisé et discipliné, le peuple est capable de survivre aux inévitables trahisons qui pourraient accompagner la victoire contre l’ennemi principal. Pour Fanon pas moins que pour Rousseau ou Robespierre, une volonté populaire ou générale ne souffre réellement qu’une seule menace mortelle : les intérêts privés des riches et des privilégiés. Le plus souvent la bourgeoisie postcoloniale trahit bien plus volontiers sa nation que sa classe, et « prend la place de l’ancien peuplement européen »77. La seule solution est de retrouver la toute première leçon de Lénine : « l’effort conjugué des masses encadrées dans un parti et des intellectuels hautement conscients et armés de principes révolutionnaires doit barrer la route à cette bourgeoisie inutile et nocive »78 et ainsi mener à bien, par tous les moyens nécessaires, « la remise du pays entre les mains sacrées du peuple »79. À l’orée d’une victoire anticoloniale, en 1961, Fanon redécouvrait un enseignement que Lénine avait appris à l’aube d’une victoire anticapitaliste en 1917 : pour soutenir une volonté du peuple véritablement inclusive, pour établir le simple règne de la démocratie, le peuple doit d’abord écraser son double bourgeois.

 

Comme chacun peut le voir, cinquante ans après la mort de Fanon, une lutte qui craint de s’appuyer sur un tel soutien ou qui n’y parvient pas est certaine d’échouer face aux forces néocoloniales qui continuent de façonner notre monde80. Le point de vue de Fanon sur la volonté politique est limité, sans aucun doute, par les circonstances particulières dans lesquelles celui-ci devait le formuler. Pour une large part, ces circonstances ont conduit Fanon à expliciter (plutôt qu’exagérer) son orientation volontariste. Sous la pression d’une lutte « manichéenne », Fanon fut parfois tenté de concevoir la décolonisation en termes de remplacement brutal (une « substitution totale, complète, absolue »81) plutôt que comme une transformation volontaire. Tant que l’oppresseur peut être défini comme un « étranger venu d’ailleurs », alors il peut sembler que son simple « départ » ou son « expulsion » éliminera l’oppression elle-même82. Une fois encore à la manière de Lénine, l’insistance de Fanon sur le pouvoir invincible de la volonté du peuple risque de la faire basculer dans son opposé – un réflexe quasi automatique, la garantie d’une victoire inévitable et définitive. Dans la mesure où Fanon conçoit l’oppression dans des termes simples et indifférenciés, basés sur le modèle de la conquête militaire, alors la solution qu’il propose ne peut que souffrir des faiblesses symétriques. L’attention stratégique de Fanon pour la lutte armée, en particulier, risque de réduire l’action à la réaction, à la détermination de la solution à partir du problème qu’elle cherche à résoudre. Si au cours de la guerre de libération cette solution permet d’enclencher «la sainte et colossale énergie qui maintient en ébullition tout à un peuple »83, elle n’est pas tellement apte à empêcher qu’une telle énergie se dissipe en dernière instance.

Bien sûr, Fanon fut le premier à comprendre que « dans un premier temps, c’est l’action, ce sont les projets de l’occupant qui déterminent les centres de résistance autour desquels s’organise la volonté de pérennité d’un peuple »84. Nous sommes entrés depuis dans une autre phase. Fanon se trompait en croyant qu’en règle générale, « entre oppresseurs et opprimés tout se résout par la force »85, mais il avait raison de nous rappeler que les relations impériales et néo-impériales sont fondées sur la violence. Il avait raison d’insister sur le fait qu’au bout du compte, seule la volonté unie et déterminée du peuple offre la solution de base pour dépasser une telle violence. Si cependant nous avons bien appris une chose cinquante ans après la mort de Fanon, c’est que la volonté de transformer ces relations n’a pas besoin de lutter sur les mêmes bases ou avec les mêmes moyens. Confrontés à l’héritage et à la persistance de la domination coloniale et de l’exploitation capitaliste, la question fondamentale demeure : y a-t-il on n’y a-t-il pas « suffisamment de volontés pour imposer raison à cette déraison86 » ?

 

Traduction par Félix Boggio Éwanjé-Épée

 

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1 Ce texte a été publié en 2011.
2 Fanon cite rarement (ou pas du tout) Rousseau, Lénine ou Mao, et sa connaissance de Marx est notoirement lacunaire : la référence à ces penseurs ici est justifiée sur la base de l’analogie, pas de leur influence sur Fanon.
3 La critique la plus aiguë du volontarisme de Fanon, écrite dans le contexte de la guerre populaire au Vietnam, reste probablement celle de Nguyen Nghe, « Frantz Fanon et les problèmes de l’indépendance, » La Pensée 107 (Février 1963), pp. 23-25, cité in Neil Lazarus, Resistance in Postcolonial African Fiction, New Haven Yale University Press, 1990, pp. 8-17.  Pour une lecture plus sympathisante de cet aspect du travail de Fanon, voir Nigel Gibson, Fanon : The Postcolonial Imagination, Wiley-Blackwell, 2003, p. 181 et p.202 et passim, et Ato Sekyi-Otu’s Fanon’s Dialectic of Experience, Harvard University Press, 1996, p. 171.
4 Frantz Fanon, Pour la révolution africaine : écrits politiques, La Découverte, 2006, p.131, p.68.
5 Ibid, p.71.
6 Ibid, p.148.
7 Ibid, p.81.
8 Ibid, p.172.
9 Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs, éditions du  Seuil, 1971, p.188.
10 Ibid, p.63.
11 Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, éditions Gallimard, 1991, p.296.
12 Ibid, p.81.
13 Ibid, p.90. Voir aussi Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs, op. cit., p.6.
14 Frantz Fanon, Pour la révolution africaine, op. cit., p.144.
15 Comme le défend Richard Pithouse, « Peaux noirs, masques blancs est un livre sur la futilité de la politique de la reconnaissance », dans lequel Fanon démontre que « la raison sort de la pièce quand le corps noir y pénètre. » Plutôt que de continuer sur la voie d’une reconnaissance insaisissable, la description de Fanon dramatise « la nécessité de l’action » (Pithouse, lettre à l’auteur, 7 octobre 2010).
16 Frantz Fanon, Pour la révolution africaine, op. cit., p.163.
17 Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, op. cit., p.255.
18 Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs, op. cit., p.124.
19 Ibid, p.155.
20 Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, op. cit., p.72.
21 Frantz Fanon, L’an V de la révolution algérienne, La Découverte, 2001, p.22.
22 Frantz Fanon, Pour la révolution africaine, op. cit., p.122. cf. K Marx et F. Engels, Statuts provisoires de l’Association Internationale des Travailleurs.
23 Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, op. cit., p.67.
24 Ibid, p.231.
25 Ibid, p.233.
26 Ibid, pp.235-236.
27 Cf. Jean-Jacques Rousseau, Le Contrat social, 1 :7, 2 :3.
28 Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, op. cit., p.236.
29 Ibid, p.230
30 Cf. Lénine, Que Faire ? ; Lars T. Lih, ‘Lenin and the Great Awakening’, in Sebastian Budgen et al., eds., Lenin Reloaded: Towards a Politics of Truth (Durham NC: Duke University Press, 2007), 284-287. Pour Mao, de la même façon, « le cercle dirigeant du parti concentre la volonté du parti tout entier », qui est lui-même « le représentant des intérêts des masses et la concentration de leur volonté » (Mao Tse-Tong, « résolution sur certaines questions dans l’histoire de notre parti » [1945]).
31 Frantz Fanon, L’an V de la révolution algérienne, op. cit., p.10.
32 Lénine, « Projet de résolution préliminaire pour le dixième congrès du Parti Communiste Russe sur l’unité du parti » (1921) ; cf. Lénine, L’Etat et la révolution (1917).
33 Lénine, La Maladie infantile du communisme (1920).
34 Mao, « Comment Yukong déplaça les montagnes » (1945).
35 Mao, « Sur la démocratie nouvelle » (1940) ; Mao, « Sur le gouvernement de coalition ».
36 Jean-Jacques Rousseau, Le Contrat social, 2 :3.
37 Mao, « Rapport sur l’enquête menée dans le Hunan à propos du mouvement paysan » (1927).
38 Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, op. cit., p.159
39 Ibid, p.146.
40 Ibid, pp.91-92
41 Ibid, p.65.
42 Ibid, p.67.
43 Frantz Fanon, L’an V de la révolution algérienne, op. cit., p.75.
44 Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, op. cit., p.118.
45 Ibid, p.105.
46 Frantz Fanon, L’an V de la révolution algérienne, op. cit., p.38.
47 Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, op. cit., p.92.
48 Ibid, p.105.
49 Frantz Fanon, Pour la révolution africaine, op. cit., p.169.
50 Ibid, p.199.
51 Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, op. cit., p.51.
52 Frantz Fanon, Pour la révolution africaine, op. cit., p.149.
53 Ibid, p.91.
54 Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, op. cit., p.350.
55 Frantz Fanon, Pour la révolution africaine, op. cit., p.198.
56 Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, op. cit., p.237.
57 Ibid, p.292.
58 Ibid, p.126.
59 Ibid, p.226.
60 Ibid, p.242.
61 Ibid, p.246.
62 Franz Fanon, Pour la révolution africaine, op. cit., p.169.
63 Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, op. cit., p.118.
64 Ibid, p.126.
65 Ibid, p.78.
66 Jean-Jacques Rousseau, Le Contrat social, 3 :15, 2 :1.
67 Franz Fanon, Pour la révolution africaine, op. cit., p.216, p.217.
68 Ibid, p.118.
69 Ibid, p.70.
70 Ibid, p.120.
71 Ibid, pp.189-190.
72 Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, op. cit., p.241.
73 Frantz Fanon, Pour la révolution africaine, op. cit., p.191.
74 Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs, op. cit., p.108.
75 Ibid, p.109.
76 Frantz Fanon, Pour la révolution africaine, op. cit., p.201
77 Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, op. cit., p.193.
78 Ibid, p.175.
79 Ibid, p.207
80 Il n’y a pas lieu de discuter l’insistance de Fanon quant au fait que, face au chantage de la « modernisation » néolibérale, « nous devons carrément refuser la situation à laquelle veulent nous condamner les pays occidentaux. Le colonialisme et l’impérialisme ne sont pas quittes avec nous quand ils ont retiré de nos territoires leurs drapeaux et leurs forces de police. Pendant des siècles les capitalistes se sont comportés dans le monde sous-développé comme de véritables criminels de guerre. Les déportations, les massacres, le travail forcé, l’esclavagisme ont été les principaux moyens utilisés pour augmenter ses réserves d’or et de diamants, ses richesses et pour établir sa puissance. » Les anciens peuples colonisés doivent se souvenir de ce qu’on leur doit – et les puissances capitalistes colonisatrices ne doivent pas oublier « qu’effectivement elles doivent payer. », Ibid, p.135, p.137.
81 Ibid, p.65.
82 Ibid, pp.70-71.
83 Frantz Fanon, L’an V de la révolution algérienne, op. cit., p.12.
84 Ibid, p.29.
85 Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, op. cit., p.103.
86 Frantz Fanon, L’an V de la révolution algérienne, op. cit., p.13.