Avec l’appel « Faisons front commun » pour mener une bataille politique. Réponse à Laurent Lévy
Dans cette tribune, des militant d’Ensemble – Olivier Mollaz, Emre Öngün et Laurent Sorel – répondent à un texte de Laurent Lévy publié sur notre site, qui formulait une critique de l’appel signé par des membres et personnalités du PCF et d’Ensemble à soutenir la candidature de Jean-Luc Mélenchon.
Plusieurs membres du PCF et d’Ensemble ! ont initié la publication de l’appel « En 2017 faisons Front commun! », que nous avons signé. Laurent Lévy en a publié une critique qui nous semble nécessiter une réponse tant le diagnostic – l’appel serait « l’expression angoissante de la résignation politique »… – nous apparaît contraire à l’objet même de cet appel, qui relève plutôt de la volonté de mener lucidement une bataille politique.
L’argumentation de L. Lévy est construite à partir de la recension des critiques les plus importantes qui peuvent être adressées à la candidature Mélenchon, aussi bien quant à certains positionnements politiques que sur la démarche de la « France Insoumise » (cadre créé par Mélenchon et le PG pour promouvoir la candidature du premier). Le fait est que nous partageons l’essentiel de ces critiques et nous pourrions en ajouter d’autres : absence totale de retour critique – c’est même le contraire – sur le mittérandisme, faible place des mobilisations dans sa conception du changement social, etc. En outre, ses déclarations concernant la Syrie peuvent être caractérisées de « campistes ». A lire la situation à l’aune d’une analyse prétendument « géopolitique » des rapports internationaux, d’une nouvelle « guerre froide », on oublie qu’au principe de la situation en Syrie, un peuple s’est soulevé et se bat contre un régime infâme. Ce sont vers eux que devraient aller notre solidarité inconditionnelle et critique…).
Nous sommes convaincus que L. Lévy partage également ces critiques. La divergence ne se situe donc pas sur le constat des désaccords et de leur ampleur. Nous pouvons, de notre côté, affirmer sans la moindre hésitation que le projet JLM2017 est éloigné du nôtre, que des tendances de son orientationsont néfastes et doivent être combattues. Pourtant, ce constat commun ne saurait suffire. Or, la perspective adoptée par L. Lévy se contente d’enregistrer les désaccords avec J.-L. Mélenchon et leur importance.
Le problème fondamental de cette critique est qu’elle ignore le sens et la fonction de la candidature de J.-L. Mélenchon à une échelle large. Celle-ci s’inscrit dans un rapport de forces dégradé, en particulier pour des secteurs militants du salariat confronté à un quinquennat d’agression permanente de la part d’un gouvernement de « gauche ». Cette question n’est pas même évoquée tout au long du texte de L. Lévy. Pourtant, elle est cruciale et n’est pas invalidée par l’émergence de franges radicales en opposition explicite avec l’agenda institutionnel mais qui n’ont constitué qu’une petite minorité des masses mobilisées contre la loi « Travail ».
Ce qui marque la situation, c’est la contradiction entre le mouvement social du printemps, massif et créatif, et l’absence complète de perspective politique lui permettant d’incarner dans les urnes ce qu’il a porté dans la rue.
Or, aujourd’hui, pour une partie significative du salariat, notamment des couches militantes qui se mobilisent contre la loi « Travail », la candidature de J.-L. Mélenchon est celle d’une opposition de gauche à un gouvernement de « gauche » qui n’a pas seulement trahi les aspirations qui l’ont porté au pouvoir (aspirations modestes au demeurant, puisqu’il s’agissait seulement de mettre un coup d’arrêt aux politiques de droite…) mais a impulsé des attaques frontales contre les droits sociaux et démocratiques.
Cela tient au dispositif institutionnel de la 5ème république : Jean Luc Mélenchon hérite de la légitimité d’avoir été le candidat du Front de Gauche lors de la précédente élection présidentielle, en 2012, mais aussi du choix de la critique continue du gouvernement. C’est essentiellement pour cela qu’à une échelle large, le bulletin Mélenchon apparaît comme l’outil pour sanctionner « à gauche » le quinquennat Hollande… et cela en grande partie malgré Mélenchon lui-même et son positionnement « indépendantiste français ».
Cette dimension est déterminante dans le sens et le contenu de l’appel « En 2017 faisons Front commun ! ». Ainsi, la question de la candidature de Jean-Luc Mélenchon y est abordée en ces termes :
« Quels que soient les arguments des uns et des autres ou les divergences que nous pouvons avoir avec lui, la candidature de Jean-Luc Mélenchon est dans les circonstances actuelles installée dans le paysage politique. Elle exprime dans les classes populaires le refus à gauche de la politique mise en œuvre par François Hollande. A six mois de l’échéance, il serait, à nos yeux, irresponsable de ne pas prendre acte de cette situation ».
Notre démarche se fonde donc, non sur un accord général et complet avec J.-L. Mélenchon ou son projet, mais plutôt sur ce que sa candidature exprime pour de nombreux·ses militant·e·s du mouvement ouvrier. L. Lévy fait ainsi une lecture tronquée de l’appel qui en dénature le sens lorsqu’il écrit : « (cet appel) pourrait se résumer ainsi : ’’Même à contrecœur et malgré des divergences de détail, nous nous rallions à la candidature de Jean-Luc Mélenchon, et nous entrons en campagne pour lui, sans toutefois accepter le cadre de la France Insoumise’’ ». Il procède comme si cet appel considérait les divergences comme des « détails » et en omet le point de départ, qui est pourtant formellement explicité.
Si nous prenons en compte non seulement le rapport de force social extrêmement dégradé, mais aussi cet usage du vote Mélenchon qui s’installe dans une partie des secteurs mobilisés de la classe laborieuse et l’état d’une gauche radicale politiquement atone et éclatée, quelle option s’offre alors à nous ? Laurent Lévy répond par deux affirmations contestables.
La première tient dans la nécessité de ne pas soutenir, d’une manière ou d’une autre, un candidat en 2017 car « s’il est clair que la question du pouvoir peut difficilement être posée de façon purement extra-institutionnelle, il est tout aussi clair que cette question n’est pas posée du tout dans la conjoncture actuelle, où il s’agit d’intervenir politiquement sur fond d’échec historique de la gauche à proposer une alternative : ce sont là les combats de demain, et c’est en fonction de ce « demain » que les choix d’aujourd’hui doivent être faits ».
Certes, la question du pouvoir, pour celles et ceux qui veulent révolutionner la société, n’est pas posée de manière « purement » extra-parlementaire (même si elle l’est en grande partie). Toutefois, sauf peut-être en période révolutionnaire, il est absurde de déserter un terrain, le terrain électoral, qui cristallise le débat politique à une échelle large, a fortiori dans un contexte de défaite sociale et politique, d’une gauche radicale incapable de se relever des expériences dramatiques qu’ont été les trajectoires du stalinisme et de la social-démocratie au XXe siècle.
Plus que jamais, intervenir politiquement suppose de peser sur les contradictions d’une situation politique et sociale dégradée pour les travailleurs·ses. Lénine expose ce raisonnement notamment dans sa polémique contre les otzovistes en 1909 :
« Quand on se trouve réellement en présence d’une réaction intense et renforcée, quand la force mécanique de cette réaction brise réellement les liens avec les masses, empêche de faire un travail suffisamment vaste et affaiblit le parti, c’est justement là qu’utiliser l’arme parlementaire pour la lutte devient l’objectif spécifique du parti; et cela, (…), non que la lutte parlementaire est une forme de combat supérieure aux autres, mais bien au contraire, parce qu’elle leur est inférieure (…) ».
Pour mener à bien cette tâche nécessaire, la configuration politique même est défavorable. C’est à ce propos que L. Lévy avance une deuxième thèse, à savoir l’impossibilité de faire changer de cap à la campagne de J.-L. Mélenchon, et partant l’inanité du positionnement exposé dans « Faire front commun ». Mais les principaux déterminants de cet appel ne se situent pas là, ni d’ailleurs dans le « risque » que ce positionnement ne soit guère perçu à l’échelle de la société.
L’enjeu est d’intervenir directement auprès de celles et ceux qui vont utiliser l’outil du bulletin Mélenchon et, plus précisément, auprès des secteurs militants du salariat ; il s’agit de proposer une autre conception de la critique de gauche que l’orientation par trop « sociale patriote » de Mélenchon et la « France insoumise ». Or, nous n’aurons strictement aucune possibilité d’intervenir en ce sens en nous mettant en totale extériorité de ce choix. Une éventuelle « ouverture » – voire une modification – de la campagne Mélenchon ne peut qu’être un sous-produit d’une telle démarche, qui implique par ailleurs d’être complétée par une activité politique autonome, en particulier par un combat actif contre le racisme (notamment dans sa déclinaison islamophobe).
Lors de la séquence électorale à venir, nous n’aurons aucun écho si nous formulons nos critiques sans pouvoir répondre à la question « et quelle autre option proposez-vous ? ». La réponse ne peut pas être : « nous préparons les combats de demain, parce que nous ne voulons pas prendre le risque d’apparaître comme contaminé par une orientation avec laquelle nous sommes en désaccord. En attendant, contentons-nous de luttes éventuelles et à défaut (probable) retrouvons-nous après les élections ».
Plutôt que de préparer demain, ce refus de mener la moindre bataille politique dans le cadre des élections présidentielles reviendrait en réalité à livrer au projet de J.-L. Mélenchon les secteurs de gauche cherchant à exprimer politiquement leur rejet du gouvernement, c’est-à-dire à tomber dans une forme de résignation politique.
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