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Depuis quelques semaines, les rues d’Athènes, de Thessalonique, et de plusieurs autres villes de Grèce grondent de colère face aux mesures du gouvernement de droite, aux déclarations des dirigeants politiques, à la manipulation médiatique et aux violences policières. La grève de la faim du détenu Dimitris Koufontinas, ancien dirigeant du groupe « 17 Novembre » a également permis de révéler le visage répressif du gouvernement et alimenté les protestations de la rue. Confronté à l’échec patent de sa gestion de la crise sanitaire et à l’effondrement d’une économie dépendante de la mono-industrie du tourisme, le pouvoir poursuit sa fuite en avant autoritaire.

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Une contestation qui s’amplifie

Usant et abusant de la force, la police est en première ligne pour faire régner la terreur, allant même jusqu’à menacer de mort des manifestant.e.s[1]. Elle bénéficie du soutien indéfectible du gouvernement de Kyriakos Mitsotakis, qui a augmenté le budget qui lui est destiné de plusieurs millions. Parmi les nombreuses mesures liberticides de Mitsotakis figure la création d’une nouvelle unité chargée de surveiller les campus et de se livrer à la chasse aux groupes militants de gauche et anarchistes. Des millions d’euros lui seront consacrés, qui ne seront pas investis dans le système de santé, dans l’éducation, dans l’aide à l’accès au logement, ou dans l’aide aux ménages en difficulté, aux personnes âgées, à celles qui sont vulnérables, ou encore aux personnes demandeuses d’asile. L’argent public coule également à flot pour l’armée et le renforcement de la marine militaire, face à un conflit latent avec la Turquie autour des gisements gaziers en mer Égée et en Méditerranée orientale. De l’argent encore est généreusement alloué à des médias (20 millions inéquitablement distribués pour diffuser des messages sur le coronavirus) contrôlés par le premier ministre lui-même lequel ne s’est pas privé, dès le début de son mandat, de centraliser le contrôle de la presse autour de sa propre fonction. Les mensonges ainsi relayés sont de plus en plus énormes : l’information est systématiquement tronquée dans le but de masquer l’autoritarisme du gouvernement et les scandales à répétition qui touchent le cercle proche de Mitsotakis, dont celui qui met en cause l’ancien directeur du Théâtre national grec de pédophilie, un protégé du gouvernement.

Impunité, violence, corruption, état d’exception permanent, la démocratie ne cesse de s’effriter en Grèce. Le 8 mars, une famille assise sur un banc de la place centrale de Nea Smyrni, une banlieue de classes moyennes d’Athènes, a été interpellée par des policiers car, dans le cadre des mesures de confinement, il est interdit de s’asseoir dans l’espace public. Un jeune homme s’est interposé pour protester contre cette apparente absurdité. Les policiers l’ont violemment frappé à coups de matraque en acier, dont l’usage par la police est pourtant interdit. L’incident n’est pas anecdotique, il révèle l’ampleur de la crise politique que traverse le pays. De nombreuses manifestations sont organisées malgré l’interdiction des rassemblements, pour dénoncer l’autoritarisme, les mesures sanitaires répressives, les abus policiers, l’intransigeance à l’égard du gréviste de la faim Dimitris Koufontinas (et la loi contre les mouvements organisés dans les Universités, etc). Après les urnes en 2015, face à la Troïka, et les bancs des tribunaux, où s’est tenu jusqu’en octobre 2020 le procès d’Aube Dorée, la rue est devenue aujourd’hui le seul lieu de combat pour une démocratie en perdition.

Image extraite d’une vidéo filmée le 9 mars lors, d’un rassemblement à Nea Smyrni. Les policiers crient « Nous allons tous les tuer ! », menace adressée aux manifestant.e.s. Source : https://thepressproject.gr/pame-na-tous-g-soume-teleiosan-tha-tous-skotosoume/

 

Une police universitaire pour mater les campus

En février, le parlement grec votait une loi qui vise à instaurer une unité de police « spéciale » destinée à surveiller les campus universitaires. La Grèce devient ainsi le seul (ou le premier ?) pays européen à se doter d’une telle police universitaire : pas moins de 1030 policiers, équipés de matraques et de sprays anti-agression. La présentation du projet de loi, un mois auparavant, avait suscité la colère des étudiant.e.s, soutenus par l’ensemble de la gauche et par une grande partie de l’opinion choquée par le souvenir ravivé des jours sombres de la dictature des colonels. Des mobilisations importantes ont eu lieu dans toute la Grèce, et se sont poursuivies pendant plusieurs semaines. Elles ont été violemment réprimées. Outre l’usage systématique de gaz lacrymogènes et de grenades assourdissantes, les policiers ont violemment frappés les étudiant.e.s, même celles et ceux qui étaient menotté.e.s. Les journalistes, les enseignant.e.s et les parents, n’ont pas échappé aux coups de matraque.

10 février : deuxième jour de protestation panhellénique contre le projet de loi pour les Universités. Source : No Borders.

Sous prétexte de répondre à un « besoin sécuritaire », la loi pour les Universités (dite loi Éducation) du gouvernement cache une volonté d’écraser les mouvements de contestation qui s’organisent sur les campus. Pour ceux et celles qui se souviennent de l’insurrection étudiante et populaire de novembre 1973 contre la dictature des colonels, au cours de laquelle un char militaire avait littéralement défoncé l’enceinte de l’Ecole Polytechnique d’Athènes , marquant une répression qui a fait des dizaines de morts, la nouvelle loi pour les Universités apparait comme une menace évidente pour la démocratie. Le souvenir du 17 novembre 1973, une date qui a marqué le début de la fin de la junte militaire, a  conduit, quelques années plus tard, à l’interdiction pour les forces de l’ordre d’entrer dans les campus. Cette garantie des libertés au sein des campus, appellée en grec « l’asile universitaire », fut instaurée en 1982 par le premier gouvernement socialiste d’Andréas Papandréou. Supprimée une première fois en 2011, par un PASOK désormais converti au néolibéralisme musclé, rétablie par Syriza en 2017, elle est de nouveau abrogée par Mitsotakis et une majorité au parlement en août 2019,.

Pour rajouter à la provocation, le budget annuel prévu pour cette unité spéciale représente la première année de sa constituion plus de la moitié de celui alloué à l’enseignement supérieur dans son ensemble : 20 millions d’euros pour la police universitaire, auxquels il faut ajouter 30 millions pour son équipement, contre 91,6 millions d’euros pour l‘enseignement supérieur.[2]. Malgré l’opposition d’un grand nombre d’universitaires, et même de la fédération nationale de la police[3], et les mobilisations qui ont eu lieu durant plusieurs semaines dans le pays pour exiger l’abandon du projet, le parlement a voté la loi le 11 février dernier.

Avant même la constitution de cette unité spéciale, les violences policières dans les campus universitaires ne se font pas attendre. Pour ne citer qu’un seul exemple, le 11 mars dernier, les étudiant.e.s de l’Université Aristote de Thessalonique ont été brutalement pris à partie lors de la  fin, pourtant annoncée, d’une occupation des locaux de l’administration débutée deux semaines auparavant. La police a pénétré dans le campus quelques heures plus tôt, sans attendre la libération des lieux, et a attaqué au moment des prises de parole annonçant le départ des occupant.e.s[4].

La loi nouvellement adoptée vise également à modifier le système d’admission des étudiant.e.s et à réduire la durée des études, à quelques exceptions près, prévues pour celles et ceux qui doivent travailler pour payer leurs études et pour les personnes confrontées à des problèmes de santé. Un seuil d’admission plus strict sera également imposé. Il s’agit de limiter l’accès à l’enseignement supérieure public. Une grande partie des jeunes se retrouveront  exlu.e.s ou privé.e.s d’accès au bénéfice d’établissements privés, à condition bien sûr de pouvoir payer les droits d’inscriptions. Répression accrue et renforcement des discriminations de classe, tels sont les deux volets de la politique gouvernementale à l’égard de l’enseignement supérieur.

 

La brutalité policière à son comble

L’incident de Nea Smyrni a révélé l’impunité d’une police qui se livre à des violences à l’encontre de la population.

Une vidéo diffusée largement sur les réseaux sociaux[5] – devenus une alternative essentielle à la désinformation des médias dominants aux mains d’oligarques proches du gouvernement – illustre l’ampleur du régime de terreur qui s’installe progressivement sous couvert du confinement strict pour cause de crise sanitaire. Cette fois, il ne s’agissait ni d’une manifestation, ni d’un rassemblement, ni d’une occupation de locaux, mais d’un jeune homme qui a voulu protester contre l’amende que des policiers étaient sur le point d’infliger à une famille assise sur un banc.

500 personnes se sont rassemblées le jour-même pour protester contre l’agression policière, elles ont été violemment dispersées. S’en sont suivi des dénonciations et des annonces molles de la part du Ministre de l’ordre public, Michalis Chrysochoides.  Aristotelia Peloni, porte-parole de l’exécutif, a déclaré que le gouvernement  « essaie (…) de sortir le pays de cette crise sanitaire sans précédent avec le moins de pertes possibles. Malheureusement, l’opposition exploite les tensions et enflamme le climat politique et social ».[6] À l’opposé de ces accusations, une fraction du syndicat de la police a déclaré que « les violences policières excessives et inutiles des derniers jours sont dues à des ordres venus d’en haut. »[7]

Deux jours plus tard, près 15.000 personnes se sont rassemblées dans ce quartier d’Athènes, réputé calme,  dont la population est issue de la classe moyenne. Lors de ce rassemblement, un policier a été blessé, ainsi que des dizaines de manifestant.e.s. Les médias se sont immédiatement saisis de l’incident pour affirmer que les actes commis à l’encontre du policier étaient le fait de partisans de Syriza, ce qui s’est très vite avéré un mensonge grossier. Les arrestations effectuées quelques heures plus tard par la police elle-même ont révélé qu’il s’agissait vraisemblablement de hooligans de clubs de foot qui avaient annoncé préalablement leur participation au rassemblement sur les réseaux sociaux.

Les médias dominants ont relayé en boucle les images de l’agression du policier, en omettant délibérément de montrer les milliers d’images qui attestent de la brutalité policière et qui circulent quotidiennement sur la toile[8], les nombreuses arrestations qui s’ensuivent, et les violences et agressions sexuelles commises lors des gardes à vue. Cerise sur le gâteau, le premier ministre ne s’est pas privé d’affirmer lui aussi la responsabilité des membres de Syriza pour les violences survenues ce jour-là. L’acharnement contre l’opposition vient de tous les côtés.

Manifestation organsiée le 13 mars dans diffrentes villes de Grèce. « J’ai mal mais je n’ai pas peur ».
Manifestation organisée le 14 mars (un jour plus tard) dans le quartier de Kypseli contre l’autoritarisme de l’État et la répression policière. Des manifestations similaires ont été organisées au même moment dans tous les quartiers de la capitale.
Episode de violence policière à Halandri, autre quartier d’Athènes, il y a quelques jours. La police a pris d’assaut un marché de légumes populaire.
Source : https://thepressproject.gr/dimarchos-chalandriou-epistrofi-se-skoteines-epoches-i-epidromi-ton-mat-mesa-se-laiki-agora/

 

La grève de la faim Dimitris Koufontinas

Si Dimitris Koufontinas n’avait pas annoncé, dimanche 14 mars, qu’il arrêtait la grève de la faim entamée depuis plus de deux mois pour dénoncer ses conditions de détentions injustes – et surtout illégales – sa mort aurait été de la responsabilité directe du Premier ministre lui-même.

Ancien membre du groupe 17 Novembre, âgé aujourd’hui de 63 ans, Koufontinas a reconnu sa participation dans plusieurs assassinats dont celui du beau-frère de l’actuel Premier ministre, Pavlos Bakoyiannis[9]. Après toutes ces années de prison, la loi prévoit pour tous les détenus des conditions d’incarcération moins strictes. Or, sa demande de transfert depuis la prison de haute sécurité où il a été placé par le gouvernement actuel vers la prison de Korydallos a été refusée jusqu’au vote d’une loi faite sur mesure pour son cas début mars, quelques mois après sa demande. Parmi les six partis représentés au Parlement grec, quatre se sont positionnés en faveur de la demande de transfert de Koufontinas. Ils ont été suivis par l’Association des juges et procureurs et de nombreuses organisations, personnalités, journalistes, médecins, artistes, universitaires, y compris au niveau international. Des mobilisations massives ont eu lieu en Grèce, qui ont rassemblé l’ensemble des mouvements de la gauche radicale (collectifs, syndicats, mouvements étudiants, etc …) ainsi que les groupes anarchistes.

Mais Mitsotakis n’a pas cédé à la pression populaire et déclaré qu’il ne cèderait pas au chantage du « terroriste ». D’un point de vue juridique, cette qualification est infondée, puisque la notion même n’a été introduite dans la loi grecque qu’en 2004, après son procès. Koufontinas a été ainsi privé de ses droits de manière totalement arbitraire, à la grande joie des médias dominants, de l’extrême-droite, des forces de l’ordre et de l’ambassade des États-Unis. L’« affaire Koufontinas » a révélé une fois de plus, mais de manière encore plus brutale, que les dirigeants grecs s’estiment au-dessus de leurs propres lois. La législation est modifiée après coup en fonction de ce qui les arrange , conduisant à un régime d’exception qui ne nécessite aucune justification légale ou politique -l’invocation du « terrorisme » ou du coronavirus semblent en effet suffire à la propagande médiatique. .

Placé dans l’unité de soins intensifs à l’hôpital de Lamia, le prisonnier a échappé à la mort, le 24 février, lorsque les autorités judiciaires ont ordonné son alimentation forcée  au 48ième jour de grève de la faim. Cette mesure est considérée comme un acte de torture selon la législation internationales, à moins que le gréviste soit « capable de former un jugement rationnel et intact »[10]. Dans le cas de Koufontinas, elle a été ordonnée par le procureur du tribunal local de première instance, une décision prise sans concertation qui a montré que le pouvoir n’était pas disposé à céder, condamnant ainsi implicitement à mort le gréviste

C’est finalement la mobilisation populaire multiforme et le soutien international qui a incité Dimitris Koufontinas à annoncer l’arrêt de sa grève de la faim le 14 mars. Un appel des mouvements de gauche a également été lancé le 64ème jour de la grève, après l’épuisement de tous les recours légaux pour obtenir le transfert dans la prison de Korydallos, qui demandait à Koufontinas de se réalimenter tant que la mobilisation se poursuivait.

 

Une fuite en avant autoritaire qui se poursuit

Le bref aperçu des luttes qui ont (et qui continuent de) mobiliser des milliers de personnes en Grèce, et ailleurs dans le monde en solidarité, contre la création d’une police universitaire et les violences d’une police agissant en toute impunité, avec le soutien des médias et du gouvernement, marque le début d’une montée des luttes et des résistances sociales. Le mouvement pour la liberté et la dignité du peuple grec rejoint les combats des peuples de Belgique, de France, d’Angleterre, d’Italie, d’Espagne, de Turquie, de Chypre et d’ailleurs, c’est pourquoi il est important de faire circuler l’information. La mobilisation de rue et la solidarité sont au centre de ce combat pour une démocratie en perdition. Les Grec.que.s ne sont pas dupes, ils et elles savent que derrière l’affaire Koufontinas se cachent les Etats-Unis, et que derrière la loi Éducation et les violences policières, on retrouve la mouvance néofasciste d’Aube Dorée. En octobre dernier, les mouvements antifascistes criaient « les nazis en prison », appelant le tribunal à condamner les membres d’Aube Dorée. Demain ils et elles appelleront les membres de Nouvelle Démocratie à les rejoindre.

 

Merci à Marina Kontara pour ses suggestions et sa relecture.

 

Notes

[1] Le chef de la brigade « Drasi » (Action) n°36 a été filmé en train de dire à ses subordonnés qu’ils pouvaient tuer des manifestants : https://www.youtube.com/watch?v=csD6-Juy5GI

[2] https://www.lemonde.fr/international/article/2021/02/12/en-grece-le-gouvernement-instaure-une-police-speciale-dans-les-universites_6069728_3210.html

[3] https://www.bastamag.net/Non-aa-la-police-dans-les-universitees-tribune-contre-une-nouvelle-loi-liberticide-en-Grece

[4] Voir la video https://www.youtube.com/watch?app=desktop&v=DDhGgSwKRoU&feature=share

[5] https://www.youtube.com/watch?v=8GgEyOPgkyk.

[6] https://www.lefigaro.fr/flash-actu/grece-tolle-apres-une-intervention-musclee-de-la-police-pour-faire-respecter-le-confinement-20210307

[7] https://www.keeptalkinggreece.com/2021/03/08/greece-police-beat-citizen-nea-smyrni/

[8] Un site internet nommé très ironiquement « memonomena peristatika » (incidents isolés), regroupe des images de violences policières afin de démontrer qu’il s’agit bien d’incidents systématiques et pas du tout « isolés » comme le prétendent les médias : https://memonomenaperistatika.gr/

[9] Sur le procès du groupe et le contexte historique, cf. Eleni Varikas , « Grèce : quand la procédure pénale écrit l’histoire », Vacarme, 2003, n° 23, p. 120-123. en libre accès sur cairn.info/revue-vacarme-2003-2-page-120.htm

[10] https://www.keeptalkinggreece.com/2021/02/24/koufontinas-force-feeding-court/

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