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Extrait de : Collectif, Grève des stages, grève des femmes. Anthologie d’une lutte féministe pour un salaire étudiant 2016-2019, Editions du Remue-Méninges, 2021, 400 p.

L’ouvrage Grève des stages, grève des femmes, paru le 9 novembre dernier, rassemble plusieurs textes phares de la mobilisation pour un salaire étudiant au Québec, de 2016 à 2019, réunis par Annabelle Berthiaume, Amélie Poirier, Valérie Simard, Camille Tremblay-Fournier et Etienne Simard.

La lutte étudiante menée par les CUTE (Comités Unitaires sur le Travail Étudiant) est aussi une lutte assurément féministe : en puisant dans l’analyse féministe-marxiste du travail reproductif et en empruntant les outils de la lutte pour un salaire au travail ménager, les étudiant·e·s mobilisé·e·s fournissent des réflexions stratégiques primordiales.

Dans cet extrait issu du chapitre 4 de l’ouvrage, le collectif d’auteur·ice·s retrace la manière dont les CUTE ne se sont pas limité·e·s à la condition des stagiaires, mais ont à l’inverse travaillé à élargir la lutte à une série d’autres travailleur·se·s invisibilisé·e·s.

Le texte est suivi d’un extrait du communiqué de presse de la coalition montréalaise des CUTE pour la rémunération des stages, publié en marge du sommet du G7 en juin 2018. En lançant cet appel mondial à la rémunération des stages étudiants, les CUTE ont tenté d’ouvrir la voie à une grève internationale des stages.

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Pour que cesse le travail gratuit : l’élargissement de la lutte

La campagne des CUTE a permis de développer et de diffuser une grille d’analyse générale sur l’appropriation et la dévalorisation du travail des femmes, liant la condition des stagiaires à celle de l’ensemble des travailleuses invisibles : les ménagères, les travailleuses du sexe, les personnes migrantes, etc. Car, bien que les membres des CUTE se soient organisées à partir du lieu de leur principale activité – l’école –, il n’a jamais été question pour elles de s’y limiter. Comme le mentionne l’éditorial du CUTE Magazine numéro 5, paru à l’hiver 2019, la revendication féministe et non corporatiste d’un salaire étudiant et de conditions de travail convenables (une protection sociale et légale) a également permis « d’aborder d’autres sphères de travail gratuit et invisible, comme celui qui est réalisé dans la sphère domestique, qu’il soit ménager, sexuel ou émotionnel ». Elle a finalement fait apparaître que les femmes salariées et les non-salariées se trouvaient en fait à être les mêmes personnes, ce qui a permis de retisser les mailles entre celles percevant un salaire pour leur travail et celles n’en percevant pas.

Dans le processus, les CUTE ont interpellé les groupes de la gauche traditionnelle et les milieux féministes qui avaient quelque peu délaissé les analyses entourant le travail. En particulier, les militantes ont saisi l’occasion de la campagne pour aborder le travail différemment, pour parler de celui qui est invisibilisé, non rémunéré et qui, de ce fait, devait être remis au cœur des revendications de la gauche. La contribution critique des CUTE s’est notamment illustrée par l’organisation de discussions et d’échanges lors de camps de formation et d’événements politiques. Par exemple, durant le Salon du livre anarchiste de Montréal, les militantes ont tenu des ateliers pour discuter et répondre aux critiques formulées au cours de l’année par les différentes tendances politiques de gauche. En juin 2018, des militantes ont également participé à l’organisation de la campagne contre le G7, lancée par la Convergence des luttes anti- capitalistes (CLAC), en profitant de l’évènement pour diffuser l’idée d’une grève internationale des stagiaires.

Afin de faire circuler cette idée, les militantes ont initié différents moments de rencontres avec des infirmières mobilisées, des travailleuses domestiques, par exemple, mais également avec des travailleuses sans salaire ou sans reconnaissance, comme les mères étudiantes et les travailleuses du sexe. Dans les événements organisés par les CUTE – lors des panels portant sur le travail et les femmes au printemps 2017, comme dans le cadre de la manifestation pour la Journée du travail invisible le 2 avril 2019 –, les travailleuses ont été invitées à prendre la parole. Leurs témoignages ont illustré le continuum du travail gratuit imposé aux femmes à la maison, à l’école et au travail, un travail parfaitement intégré à la reproduction du capitalisme. Il devenait évident que l’obtention d’un salaire et l’accès à des protections légales constituaient un levier d’autonomie financière pour toutes les femmes, particulière ment pour les plus pauvres et les plus marginalisées, dont les stagiaires.

À l’automne 2017, mais surtout à partir de 2018, des militantes ont pris contact avec différentes organisations à l’extérieur du pays afin de développer une perspective transfrontalière des luttes de stagiaires, appeler à la grève internationale des stages, et laisser des traces de la mobilisation en cours. Depuis la crise économique de 2008, plusieurs groupes de stagiaires d’un peu partout dans le monde s’étaient organisés et appelaient à la grève pour dénoncer le remplacement d’emplois salariés par des stages non rémunérés.

Cette restructuration du marché du travail était alors identifiée comme étant l’un des effets des politiques d’austérité touchant les services publics, mais également de la course aux profits menée par les entreprises privées. Ainsi, tout au long de la campagne, nous étions encouragées et inspirées par plusieurs luttes, notamment celle des enseignant·e·s stagiaires au Maroc et au Gabon, qui réclamaient le placement en emploi après les études et la régularisation de leur statut de travailleuse ; celle des stagiaires de l’hôtellerie en Tunisie, qui exigeaient des conditions d’étude décentes ; et le mouvement étudiant au Luxembourg, qui a eu gain de cause après avoir demandé la rémunération de tous les stages.

Ainsi, le 10 novembre 2017, près de 20 000 étudiant·e·s du Québec en travail social, en éducation, en enseignement des arts, en soins infirmiers, en commercialisation de la mode, en éducation spécialisée ont répondu à l’appel de débrayage (qui touchait tant les stages que les cours) de la Global Intern Coalition, un appel qui avait été relayé par les CUTE. Cette journée a permis à des grévistes de Sherbrooke, Gatineau, Rimouski, Montréal et Moncton au Nouveau-Brunswick de se joindre à des associations d’Italie, de Grande-Bretagne, d’Australie, du Portugal, de France, des Pays-Bas, d’Autriche, du Kosovo, du Nigeria, de Belgique et de Suisse qui revendiquaient, elles aussi, la grève pour des stages rémunérés et des protections légales. C’est lors de cette journée qu’a été lancée la déclaration « Assez l’exploitation des stagiaires ! », cosignée par quelque 70 organisations au Mexique, aux États-Unis et au Canada, en appui à la campagne québécoise. Les appels à la grève des stagiaires se sont ensuite concrétisés, les 20 février 2018 et 2019, à l’occasion de la Global Interns’ Strike, alors que la pression de la grève s’intensifiait au Québec.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Des alliances ont également été créées avec des militantes du Centre social Catai à Padoue en Italie de même qu’avec certains groupes étudiants en Suisse, en Belgique et en France qui revendiquent depuis longtemps le salaire étudiant. Au printemps 2019, une collaboration a mené à l’appel à la grève internationale des femmes, cosigné par le Réseau européen des syndicats alternatifs et de base, composé de SUD Étudiant·e·s et précaires (SUD-EP) en Suisse romande, de Solidaires étudiant·e·s en France et de l’Union syndicale étudiante (USE) en Belgique. La participation des militantes étudiantes et féministes à la grève des femmes en Suisse et en Belgique a permis de rendre visibles le caractère genré des stages non rémunérés et le recours croissant des États, des entreprises et même des organismes sans but lucratif à cette forme d’exploitation. Dès l’automne suivant, des militantes de SUD-EP et de l’USE ont lancé leur campagne pour la rémunération de tous les stages à Lausanne et à Bruxelles, constatant que la situation prenait de l’ampleur là aussi.

Si la contribution critique des CUTE a pu trouver écho à l’international, auprès de la gauche traditionnelle et des réseaux féministes, c’est d’abord parce que leurs textes ont rejoint certaines des préoccupations et réalités concrètes vécues par les militantes et stagiaires. Les propositions qu’ils contiennent sont ancrées dans les expériences d’organisation de la campagne, notamment celle de la répression des grévistes qui n’est pas sans rappeler la répression normalement réservée aux employé·e·s en grève. Et, sans en faire    un mot d’ordre, les militantes rassemblées autour de la revendication pour un salaire étudiant reconnaissaient à divers degrés le rôle de l’école dans l’organisation sociale capitaliste. À travers l’écriture, il s’agissait de réfléchir sur l’institution scolaire et de s’imaginer l’éducation autrement.

Le présent chapitre – hétéroclite en apparence – rend compte de la volonté des CUTE d’élargir la lutte et de dépasser les revendications proprement étudiantes pour embrasser des revendications féministes, au Québec et à l’international, concernant le travail invisible et le rôle spécifique des femmes, et de l’école, dans la reproduction du capitalisme. Les auteur·trice·s y abordent notamment la séparation que l’école établit entre les périodes d’apprentissage théorique et pratique, division que l’on sait problématique au vu de la nature même du processus d’apprentissage et, surtout, de l’importance des exigences imposées aux stagiaires (comparables, observe- t-on, à celles que l’on retrouve dans les emplois salariés). L’idée de l’abolition des stages, voire des études postsecondaires dans leur ensemble, a fleuri au sein de certaines tendances et le débat s’est imposé. Enfin, on nous rappelle que les étudiantes sont particulièrement représentées parmi les travailleuses du sexe…

RÉSISTANCE AU G7 : DES STAGIAIRES DU QUÉBEC LANCENT UN APPEL MONDIAL À LA GRÈVE DES STAGES

Extrait du communiqué de presse de la Coalition montréalaise pour la rémunération des stages publié en marge du Sommet du G7, 6 juin 2018

Les membres de la Coalition montréalaise pour la rémunération des stages profitent de la tenue du Sommet du G7 à La Malbaie pour lancer un appel mondial à la mobilisation des stagiaires. Dans la dernière décennie, la croissance de l’économie mondiale a reposé en partie sur la hausse du travail impayé effectué par des millions d’étudiantes dans le cadre de leur formation. Depuis la dernière crise économique, le nombre de stagiaires ne cesse de croître un peu partout dans le monde, tout comme le nombre d’heures de stage à compléter.

[…]

L’ampleur mondiale du travail gratuit nécessite une organisation et une lutte à la même échelle. Depuis quelques années, plusieurs groupes se mobilisent contre les stages non rémunérés et plus largement pour la reconnaissance de leur travail, notamment au Maroc, en Algérie, au Royaume-Uni, en France, en Italie, au Luxembourg, en Belgique, etc. Les appels à la grève mondiale des femmes se multiplient depuis la Pologne, l’Argentine, la France et les États-Unis pour lutter contre l’exploitation de leur force de travail et l’appropriation   de leurs corps. Les luttes étudiantes, féministes, syndicales et populaires ont tout intérêt à s’attaquer conjointement aux structures mondiales de leur exploitation et de leur exclusion sociale.

La tenue du Sommet du G7 est l’occasion toute désignée pour donner le coup d’envoi à une grève mondiale de toutes les personnes qui travaillent sans rémunération, en tout ou en partie, ou qui vivent dans l’indigence, faute d’emploi. Dès le 21 novembre prochain, nous serons des dizaines de milliers au Québec à faire la grève de nos stages et de nos cours pour réclamer ce qui nous est dû : un salaire et des conditions de formation et de travail décentes !  Nous appelons les stagiaires en lutte de tous les continents et leurs allié·e·s à se joindre au débrayage !

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